Les Romans Occultes de Dion Fortune

De Wiccapedia

Les Romans Occultes de Dion Fortune : Introduction

A. Sumner

Traduction Tof et Maud K.


Dion Fortune était le nom de plume de Mary Violette Firth, 1890 - 1946 : ce nom venait de « Deo Non Fortuna » (« Par Dieu pas par Hasard »), qu’elle a adopté comme devise lorsqu’elle était membre de Alpha et Omega Lodge.

Dion Fortune était (avec Israel Regardie) un des membres les plus éminents de la première vague d’occultistes qui ont rejoint la tradition de le Golden Dawn après la scission du début du 20ème siècle. Comme ancienne membre de la société de Théosophie, elle fut inspirée par la description d’Annie Besant des Maîtres défunts et elle croyait qu’elle avait eu elle-même un contact avec deux d’entre eux. C’est lors d’une réunion Théosophique que Dion Fortune a compris qu’elle avait un don psychique. Lorsqu’elle a rejoint plus tard l’Alpha et Omega, Dion Fortune s’est sentie assez sûre de ses capacités pour penser qu’elle n’avait pas à remercier ses supérieurs dans cet Ordre pour ces capacités.

Il est capital de comprendre que Dion Fortune était une Libre Penseuse. Elle a développé ses propres vues sur la Kabbale, sur la cosmologie mystique, le paganisme, etc. qui étaient différents de ceux enseignés par la Théosophie ou l’Alpha et Omega – pour cela elle ne comptait que sur son propre génie. C’était cette tendance à être Libre Penseuse qui par la suite lui a causé des ennuis avec Moina Mathers, la chef de la loge de l’Alpha et Omega dont Dion Fortune était membre. Moina a précisé que les écrits que Fortune avait channelisés de ses sources occultes n’étaient pas conformes à l'enseignement de l’Alpha et Omega – cela a conduit Fortune à quitter le groupe et par la suite à créer sa propre organisation occulte, la Société de la Lumière Intérieure.

La carrière d’écrivain de Dion peut être divisée en deux périodes, correspondant à ses périodes Alpha et Omega et post Alpha et Omega. Dans la première partie (qui s’est achevée vers 1930), elle semble se soucier d’apaiser ses supérieurs et elle se conforme à la fidélité et à la confidentialité attendues de la part d’un « bon petit initié ». Mais c’était tout à fait contraire à sa nature et vers la fin de cette première période, on peut remarquer que Fortune affirme ses propres Volontés et idées dans ses écrits ce qui a conduit à une confrontation inévitable avec Moina Mathers. C’est à cette époque que Dion a écrit Psychic Self-Defence et les romans The Secrets of Doctor Taverner et The Demon Lover.

Dans la seconde période, post Alpha et Omega, de 1930 jusqu'à la fin de sa vie en 1946, Dion a renoncé définitivement à se comporter comme une simple initiée et se servait de manière indubitable de ses écrits pour présenter son propre manifeste magique. C’est dans cette période qu’elle a écrit son œuvre maîtresse La Kabbale Mystique ainsi que ses romans Le Taureau Ailé, Le Dieu à Pieds de Bouc, et son chef d’œuvre, La Prêtresse des Mers. Dion a aussi travaillé sur un autre roman, Magie Lunaire qui, bien qu’inachevé de son vivant, a été publié de façon posthume en 1956.

Fortune a dit elle-même au sujet de ses romans datant de sa période post Alpha et Omega :

La Kabbale Mystique donne la théorie, mais les romans donnent la pratique... Ceux qui étudient La Kabbale Mystique avec l’aide des romans ont dans leurs mains les clefs du Temple.


Les Secrets de Docteur Taverner

La première tentative romanesque de Dion fut une série de nouvelles. Le Docteur John Taverner est un médecin à Harley Street et le propriétaire d’un sanatorium dans la campagne à l’ouest de Londres. Il engage un jeune docteur, Eric Rhodes, qui vient de quitter l’armée après la Première Guerre Mondiale. Rhodes découvre rapidement des choses bien étranges au sujet de son employeur : qu’il appartient à une sorte de société secrète, qu’il croit à l’astrologie, qu’il a régulièrement affaire à des phénomènes paranormaux, que des personnes mystérieuses s’adressent à lui en disant « Très Honoré Frater », etc...

En bref, Taverner est un puissant magicien Hermétique, qui se sert de la magie pour traiter les afflictions des patients qui viennent à lui. Il s’avère que Taverner est basé sur un personnage réel - Théodore Moriarty, un 7=4 de la Loge Alpha et Omega avec qui Fortune a étudié – alors que Rhodes, c’est Dion Fortune elle-même légèrement travestie.

Fortune se sert donc de ce scénario pour relier un certain nombre d’incidents dont elle fut apparemment témoin alors qu’elle était sous la tutelle de Moriarty. Par exemple, dans l’histoire Soif de Sang, Taverner a affaire à un vampire, qui est en fait un être éthérique ou un fantôme qui suce la vitalité des vivants : un incident qui, a dit Fortune plus tard, s’est réellement produit.

Fortune utilise les différentes nouvelles de ce livre pour décrire ce qu’elle pense de la réincarnation : pas simplement le fait qu’elle existe, mais que les vies antérieures exercent une forte influence sur la vie actuelle ; extrêmement forte en fait ! Il semble en effet que les personnages dont il est question dans les diverses parties des histoires sont généralement destinés à être comme ils sont à cause de leurs activités « prénatales ». Dion Fortune va jusqu’à dire que deux amants dans des vies antérieures sont à nouveau réunis par leur karma.

Il y a au moins un incident inspiré par son lien avec la Théosophie. Dans Souvenir, Fortune parle d’un enfant messianique, celui qui réconciliera l’Est et l’Ouest, qu’elle décrit comme une « âme-mahatma ». L’imagerie est du pur Besant et le Réconciliateur est inspiré du concept de L’Instructeur du Monde, que façonnait Besant. Dans The Training and Work of an Initiate, Fortune admet qu’elle croit en ce concept. Mais cela date terriblement l’histoire, car l’idée d’Instructeur du Monde a disparu en 1925 quand Krishnamurti, le protégé de Besant, a publiquement désavoué la Théosophie. Mais dans cette histoire, nous avons une citation qui révèle d’autres idées de Dion Fortune. Quand une femme découvre, de façons occultes, que son mari a eu une histoire avec une fille indigène, en Inde - et que la fille, enceinte, s’est suicidée - elle dit de la fille :

« … c’était une femme, et je suis une femme, et il semble que cela me blesse parce que cela blesse la condition féminine. Je ne peux pas l’exprimer clairement, mais je le sens, je sens comme cela blesse le meilleur de ce qui est en moi. »

Clairement, Dion est une féministe et emploie cette histoire pour exposer ce qu’elle croit.

Mais il y a un certain nombre de problèmes avec Les Secrets du Docteur Taverner qui expliquent pourquoi ce livre est le roman occulte de Fortune qui marchera le moins bien. Premièrement, elle l’a écrit du point de vue d'un non-clairvoyant (Rhodes). Tous les phénomènes intéressants arrivent à Taverner. Alors que Taverner est au loin, dans les diverses régions du plan astral, nous n’avons que la description de Rhodes de ces incidents, c’est-à-dire ce qu’il observe Taverner couché sur un divan. C’est une grande maladresse car ces différentes histoires se fondent sur le fait que Taverner reçoit un certain nombre de messages psychiques par l'intermédiaire de ses contacts astraux et pratique souvent ses soins en astral. Ainsi la majeure partie de l'action se produit dans les royaumes invisibles que nous ne pouvons pas observer car le narrateur n’est pas clairvoyant.

Ensuite, Fortune a naïvement décidé d’atténuer certains des incidents les plus intéressants. Par exemple, dans Soif de Sang , le vampire est détruit de la façon suivante :

« Puis la fin est arrivée. Taverner a fait un bond en avant. Il y eut un Signe puis un Bruit. »

Voila le seul détail concernant la méthode utilisée par Taverner pour détruire cette entité effrayante. Notez bien que la nature ni du Signe ni du Son n’est précisée. Taverner fait un grand nombre de Signes non décrits tout au long du livre. Pourtant dans Psychic Self-Defence, Fortune va bien plus loin dans les détails au sujet de ce que faisait Moriarty : apparemment, il l’enveloppait d’amour et l’absorbait dans sa propre aura ; il neutralisait la créature en méditant sur la Paix. Suite à cette aventure, Moriarty est resté étendu sans connaissance pendant trois jours - mais le vampire a été renvoyé avec succès vers l’oubli. Clairement, la version dans Psychic Self-Defence est à la fois dramatique et donne une meilleure idée des principes magiques impliqués. Il semblerait que Dion essayait toujours de respecter ses voeux de secret et de loyauté à cette époque : ainsi elle était peu disposée à révéler tout ce qui pourrait être interprété comme un secret de l’ordre.


L’Amant Démoniaque

La première tentative de Fortune d’écrire un vrai roman est, d’un point de vue littéraire, une affaire bien plus intéressante. Elle évite l’erreur du livre précédent où les histoires étaient racontées par un non-clairvoyant, en s’assurant que le narrateur participait et observait les phénomènes dont il était question.

Il y avait d’ailleurs de quoi susciter l’intérêt : une histoire d'horreur classique, qui pourrait facilement être adapté en film comparable, par exemple à L'Exorciste. Un sinistre magicien noir envisage d’employer cyniquement une jeune fille innocente lors d’une guerre magique contre sa loge occulte. Cependant, malgré le fait qu’il pourrait facilement la sacrifier quand son plan est découvert, il a une crise de conscience (il tombe amoureux d’elle) et encourt la colère surnaturelle de la loge à son encontre. Cependant, comme il ne peut pas complètement renoncer à ses penchants maléfiques, il payera par la suite un prix terrible pour ce qu’il a fait.

Il y a une similitude dans les thèmes - par exemple, Fortune reprend l’idée du vampire de Taverner, mais le fait d’une manière qui est plus une réminiscence d’une histoire d’horreur conventionnelle. Dans tout le livre, elle semble maintenant avoir la sensibilité d’une romancière, en opposition à un initié qui joue à l’écrivain.

Nous avons aussi des indications du début de l’indépendance de pensée de Dion. Lucas, l'Amant Démoniaque du titre, est incontestablement mauvais, mais la loge contre lequel il complote n’attire pas notre sympathie non plus car elle est décrite comme composée de vieillards, refusant le progrès et convaincus de leur propre probité. Dans le roman ce n’est que par l’intervention de la jeune héroïne pure, qui peut employer sa féminité pour recréer l’équilibre de la loge moribonde, que toutes les parties concernées pourront être sauvées. Cette héroïne s’avère être la réincarnation de la maîtresse de Lucas dans une vie antérieure. Notez que l’héroïne défie les règles strictes de la Loge mais qu’elle est soutenue par une puissance plus grande - un Adepte élevé qui semble être un membre du Troisième Ordre.

A la lumière de ce que Dion a écrit plus tard, il n’est pas très compliqué d’imaginer qu’elle s’identifiait avec l’héroïne, la Loge étant une allusion à Alpha et Omega : La justification pour les actions de Fortune étant qu’elle affirmait avoir été en contact avec les Maîtres, tout à fait indépendamment de ses liens avec la Loge Alpha et Omega.


Le Taureau Ailé

Le Taureau Ailé est le nom d’un grand sphinx babylonien : il a le corps d’un taureau, des ailes couvrant son dos et la tête d’un noble babylonien, avec sa barbe et son couvre chef caractéristique. On peut encore le voir aujourd’hui au British Museum à Londres. Sur la plaquette devant lui, il est décrit comme un « Esprit Gardien » c’est à dire qu’il aurait été placé à l’entrée d’un temple, avec ses congénères, pour le garder. Je dois admettre que quand je l’ai vu moi-même l’an passé, j’ai trouvé intéressant de penser que je me tenais probablement au même endroit que Dion elle-même 70 ans plus tôt.

Mais pour l’imagination fertile de Dion, ce Taureau ailé n’est pas vraiment un esprit gardien mais plutôt une métaphore pour la sexualité (le Taureau) qui est sublimée par la Spiritualité (ses ailes). Dion prolonge cette métaphore, en parlant d’une fictive « Messe du Taureau » (c’est à dire sans ailes) qui est conduite par une loge de magiciens noirs : il s’agit implicitement d’une sorte de « messe noire » comme celle conduite par La Voisin – même si dans le roman on ne parvient jamais à procéder au rituel infâme.

Le thème central est la magie curative d’un homme et d’une femme. Elle (Ursula) a été réduite à l’état d’épave névrotique et sans volonté à cause de sa collaboration avec un magicien noir. L'homme (Murchison) qui est déterminé à la sauver, constate qu’il doit lutter contre les imperfections de sa propre personnalité. Il s’agit d’un homme fier mais isolé ; pendant longtemps il a du mal à ressentir de la compassion pour la demoiselle qu’il est sensé sauver.

L'agent de cette transmutation magique est un magicien vieux et sage, qui, significativement, n’est lié à aucune organisation magique. Ce même magicien possède non seulement son propre appartement à Londres mais a aussi un revenu personnel - de sorte qu’il n’est pas obligé de travailler mais peut consacrer tout son temps à l’occulte. (Ah, si seulement…)

Même si Fortune semblait être une féministe dans Les Secrets du Docteur Taverner, dans ce roman, Ursula n’apparaît pas, dans un premier temps, comme un personnage très sympathique. En tant que lecteurs, on nous donne l’impression qu’elle est elle-même partiellement responsable de sa situation fâcheuse. Pourquoi ? Pour Dion Fortune, les soins magiques au centre de l’histoire sont une métaphore pour quelque chose que dans la vie, les deux sexes doivent généralement expérimenter. Murchison, représentant les hommes, est guéri quand il apprend la véritable signification du sacrifice de soi et admet ses propres sentiments de compassion et de sensibilité envers Ursula. Ursula, représentant les femmes, se rend compte par la suite qu’elle doit accepter la sexualité au lieu de la réprimer : elle se rend d’ailleurs aussi compte qu’elle n’avait pas assez pris en compte les efforts de Murchison. Finalement, elle le sauve d’une fin odieuse aux mains des magiciens noirs en étant elle-même courageuse.

Ainsi, il est guéri en devenant sensible et compatissant et elle est guérie en devenant positive, courageuse et responsable de sa propre sexualité. C’est comme si les deux personnes étaient en fait guéries en acceptant ce que Fortune considère comme les meilleures caractéristiques du sexe opposé - un équilibre des énergies masculines et féminines.


Le Dieu aux Pieds de Bouc

C’est dans ce livre que Dion Fortune affirme le plus fort que les ordres magiques sont nuisibles. Au cours de l’histoire, elle indique une méthode pour créer un système magique viable à partir de livres déjà publiés et qui ne sont pas liés à un quelconque voeu de secret. Le héros, Hugh Paston, en nettoyant les étagères d’une librairie d’occasion très fournie, réussit ce tour de force lorsqu’il trouve des copies de Là-bas et de A Rebours de J K Huysmans, des Exercices Spirituels, d’Ignace de Loyola, de De Mysterii, de Iamblichus ainsi qu’un ouvrage dont Fortune parle avec une timidité feinte en disant « quatre volumes en lambeaux et écornés sur la magie écrit avec un K ». Nous pouvons deviner qu’il s’agit probablement de son dernier livre et nous spéculons que si Paston avait trouvé directement ce texte, il n’aurait pas eu besoin de s’ennuyer avec les autres !

Paston est un homme préoccupé - il découvre que son épouse et son meilleur ami ont eu une relation après qu’ils se soient tués dans un accident de voiture. Nous découvrons que c’était de sa faute si son épouse le trompait car, uniquement préoccupé par ses affaires, il manquait totalement de charisme ou de sex-appeal. C’est clairement un homme qui a besoin de soins magiques – et que fait-il pour soulager sa peine ? Il a l’idée d’invoquer Pan, le Dieu aux Pieds de Bouc. Il ne semble pas que ce soit la conduite normale d’une personne submergée par le chagrin, mais apparemment Paston est guidé par son karma d’une vie antérieure : il a été un moine au quinzième siècle qui fut emmuré dans la cave d’un monastère à cause de ses croyances païennes.

En fait, le karma des incarnations précédentes joue un rôle très important dans ce livre, manœuvrant les personnages et les circonstances comme un marionnettiste jouerait avec les cordes de ses marionnettes. Par exemple, l’influence de l’incarnation précédente de Paston lui fait non seulement redécouvrir le paganisme – grâce à ce qui semble être un ensemble remarquable de coïncidences - il retrouve par hasard la monastère où il a découvert le paganisme dans une autre vie. De plus, il se trouve que Mona, la nièce du libraire, chez qui Paston a fait ses heureuses découvertes, s’avère être la réincarnation de l’amante d’une plus ancienne incarnations de Paston.

Par certains côtés cette nièce, l’héroïne, joue un rôle similaire à celui du personnage féminin dans L’Amant Démoniaque : toutes deux ont connu le personnage principal dans une vie antérieure et toutes deux aident à le sauver. Non seulement grâce à la fidélité de Mona, Paston peut contrôler les forces qu’il invoque, mais elle le protège aussi contre les dangers plus terre-à-terre liés à sa famille qui veut le faire enfermer pour prendre possession de ses biens.

Paston se guérit par la suite, mais uniquement après avoir appris que Pan, qui incarne la Nature, est un concept beaucoup plus grand qu’il ne le pensait tout d’abord. A la base il ne souhaitait invoquer Pan que pour son propre amusement, mais il comprend par la suite que la Nature inclut le masculin et le féminin – c’est-à-dire qu’il doit agir sur Mona et sur lui-même pour agir aux deux bornes d’un circuit magique.


La Prêtresse des Mers

Dion Fortune considérait ce roman comme celui dont elle été la plus fier. Elle a dit que c’était :

« un Melkisedek littéraire. C’est un livre avec une idée profonde cachée sous la surface du roman, une thèse dont le thème est que toutes les femmes sont Isis et Isis est toutes les femmes. »

La femme archétypale dans ce roman est Vivien Le Fay Morgan, qui comme les personnages féminins dans les romans antérieurs de Fortune, est une réincarnation : dans ce cas, celle de la Prêtresse des Mers, une initiée mystérieuse qui est venu d’Atlantide à l’Antique Grande-Bretagne pour sauver la terre de la montée des eaux, dans une cérémonie qui a nécessité de nombreux sacrifices humains. Mais Morgan n’est pas comme les précédentes héroïnes de Fortune : elle est déjà une adepte puissante qui contrôle ses capacités magiques, étrangement belle et décrite d’une façon si mystérieuse qu’on pense qu’elle n’est pas simplement une réincarnation, mais qu’elle est réellement la Prêtresse des Mers, qui a survécu, immortelle, pendant des milliers d’années.

Le narrateur du roman est Wilfred, handicapé par son asthme alors qu’il subit la crise de la quarantaine. Puis il rencontre Morgan - et il est littéralement enchanté. Significativement, il la rencontre pour la première fois après avoir été sous l’influence de la Lune – souvenez-vous qu’après tout, Isis est une Déesse-lune. En présence de Morgan, Wilfred découvre ses propres souvenirs de vies antérieures : en tant que victimes des sacrifices de la Prêtresses des Mer,. Wilfred a une vision en faisant l’amour à la Prêtresse des Mers, une révélation mystique :

« Et à ces heures alors que la marée montait, j’ai reçu des choses dont peu ont rêvé et moins encore ont connu. Moi j’ai appris pourquoi Troie a été brûlé pour une femme. Car cette femme n’était pas une femme, mais toutes les femmes et moi qui m’étais uni à elle, je n’étais pas un homme, mais tous les hommes, mais ces choses faisaient partie du savoir des prêtres et je n’ai pas le droit d’en parler. »

Comme le personnage de Morgan est l’Archétype de la femme, l’avatar d’Isis en d’autres termes, elle est le standard selon lequel sont jugées les autres femmes du livre. Molly, la demoiselle que Wilfred épousera par la suite, est assez gentille, mais elle n’a pas ce qui fait qu’une femme est sexuellement attirante. D’un autre côté, une fille qui travaille dans un magasin tranquille et n’a aucune envie d’avoir des enfants ou d’étudier, doit certainement aussi avoir quelque chose d’attirant.

Morgan, cependant, disparaît au trois quarts du livre, laissant Wilfred dans l’embarras. En opposition avec l’aventure et l’excitation connue à l’époque de Morgan, il stagne dans un mariage sans attrait, désespérément conscient du fait qu’il a besoin de soins, mais sans savoir comment y parvenir. Molly apprend par la suite à imiter Morgan, elle invoque la Déesse et ainsi se soigne et soigne Wilfred.

Ce livre montre Dion Fortune au sommet de son art de romancière. Elle écrit en prose comme s’il s’agissait de poésie, en introduisant du rythme et jouant sur le nombre de pieds dans la structure de la phrase. On le remarque encore plus dans les passages que Fortune veut souligner - ceux qui nous semblent évoquer son message fondamental.

C’est la grande qualité de la prose qui insuffle la vie aux concepts qu’elle a traités dans ses livres antérieurs. Comme dans Le Taureau Ailé et Le Dieu à Pieds de Bouc, nous avons un homme qui a besoin de soins sexuels. Comme dans Le Taureau Ailé, nous avons en Molly une femme qui a elle-même besoin de soins magiques. Comme dans L’Amant Démoniaque et Le Dieu aux Pieds de Bouc, l’homme est racheté par la féminité naturelle d’une femme et comme dans la plupart de ces livres, nous y voyons les puissantes forces karmiques agir à travers le temps.

Pourtant, dans les premiers romans, ces idées sont utilisées dans ce qui semblent être des romans conventionnels ; avec La Prêtresse des Mers l’histoire n’est plus placée dans un décor occulte, c’est l’occulte qui est l’élément principal du livre. Fortune n’avait plus fait ceci dans un roman depuis Les Secrets du Docteur Taverner, mais dans ce livre le lecteur est souvent obligé d’accepter une explication du comportement d’un personnage sans que soient complètement expliqués les complexités des processus occultes en question.

Je n’ai que deux réelles critiques au sujet de La Prêtresse des Mers. Tout d’abord le personnage de Molly est sous-employé- elle n’apparaît qu’après que Morgan a disparu. C’est bien trop tard pour que le personnage puisse vraiment prendre corps, et pourtant ce personnage joue un rôle primordial à la fin.

Deuxièmement, Wilfred ne prend conscience des influences psychiques qui jouent un si grand rôle que lorsqu’il s’injecte de l’héroïne. Souvenez-vous que le roman a été écrit avant l’époque de la ventoline : le chlorhydrate de diamorphine a été employé pour soulager les asthmatiques, car une de ses propriétés est de supprimer le réflexe de toux et soulage le spasme musculaire qui est la base d’une crise d’asthme. Evidemment ce n’est qu’un détail pour s’assurer que Wilfred entre rapidement en action, mais je pense que cela envoie un mauvais message à ceux qui débutent en magie.


Magie Lunaire

Le dernier roman de Fortune, publié à titre posthume, a été trouvé parmi ses papiers après sa mort. C'est une suite de La Prêtresse des Mers, et nous y découvrons où Morgan a disparu (à Londres) pour y installer un temple dans lequel elle pourrait pratiquer les « Grands Mystères ». Morgan, s’appelle maintenant Lillith, et décide de désacraliser l’église d’Albert Embanbankment, qu’elle souhaite transformer. On apprend aussi d’où vient son argent (elle l’invoque) mais il n’est pas dit comment elle fait exactement, c’est une opération magique qui n’est pas décrite dans l’histoire.

L’histoire parle d’un autre homme émotionnellement bloqué, ayant besoin de secours magiques - cette fois sous la forme du Dr. Rupert A. Malcolm, un brillant neurologue et endocrinologue. Il est coincé dans un mariage stérile avec une invalide depuis 20 ans et n’a aucune vie sociale, il ne pense qu’à son travail et on ne peut que difficilement lui parler. Sa réputation d’efficacité est assortie d’une réputation de mauvais caractère - un étudiant en médecine le résume en disant :

« Personne ne l'aime… mais nous lui faisons totalement confiance. »

C’est sur cette prima materia peu prometteuse que Lillith, avec le temps, pratique une véritable Alchimie. Après avoir tout d’abord découvert son existence par télépathie, elle l’implique dans une série de travaux magiques qui décomposent son ancienne personnalité, lui faisant redécouvrir sa nature émotive et pour finir la « Pierre Philosophale », quand il apprend à devenir un « dieu » pour sa « déesse ».

Mais cette transformation n’est pas faite que dans l’intérêt de Malcolm : c’est aussi le véhicule par lequel Lillith prévoit de parvenir à une oeuvre plus grande encore – c’est là que nous pouvons lire une partie de la philosophie de Dion Fortune. Lillith assumant le rôle de la déesse et Malcolm celui du dieu, ils agissent en fait au nom du tout ceux qui sont représentés par la déesse et le dieu. Ainsi Lillith est « toutes les femmes » et Malcolm « tous les hommes » et comme tels, chacun d’eux ne fait magiquement qu’un avec eux. Ainsi « l’Alchimie » est une sorte de magie sexuelle spirituelle (strictement de la voie de la main droite), qu’ils pratiquent au bénéfice de toute la race humaine.

Même si on dit qu’il ne s’agit que d’une suite, Magie Lunaire est un livre en soi. Fortune adopte délibérément un style d’écriture différent : le début et la fin sont écrits du point de vue de Malcolm, mais le milieu du livre est raconté à la première personne par Lillith. Alors que La Prêtresse des Mers était en réalité l’histoire de Wilfred, Magie Lunaire est à la fois l’histoire de la prêtresse et du prêtre.

On peut observer ici un fait curieux : à la fin de sa vie, Dion avait apparemment l’habitude de flâner dans Londres en portant un manteau et un chapeau à large bord et ressemblait presque au personnage de la publicité pour le Porto Sandeman. Dans le livre, la première fois que Malcolm rencontre Lillith, elle est justement vêtue de la sorte. Il n’est pas besoin d’être un génie pour déduire que Dion s’identifiait au personnage de Lillith / Morgan lorsqu’elle écrivait La Prêtresse des Mers et Magie Lunaire, ou que quand plus tard Lillith parle à la première personne, c’est Dion qui nous parle directement.

En dépit du thème attrayant, il y a des détails dans le roman qui montrent que seule la première ébauche a été trouvée dans les papiers Dion Fortune. En raison du changement du point de vue narratif au cours du roman, la prose n’atteint le lyrisme de son livre précédent que dans les passages décrivant de réelles opérations magiques. Même si nous supposons que c’est délibéré, c’est le personnage de Wilfred qui est mis en avant dans La Prêtresse des Mers.Pour commencer, dans Magie Lunaire, Lillith n’est pas aussi mystérieuse qu’elle ne l’était dans le roman précédent. En parlant d’elle, elle révèle que son histoire aussi est fantastique : un adepte cosmique qui a découvert l’élixir de vie (elle a apparemment 120 ans - plus de 80 ans de plus que l’âge qu’on lui donne). Ses qualités magiques sont réelles et c’est une femme pleine d’esprit et moderne. Pourtant elle n’affirme pas être la réincarnation de La Prêtresse des Mers : ainsi on peut penser que ce personnage est dans ce roman une projection de l'esprit de Wilfred, une théorie qui s’adapte bien à la manière mystérieuse par laquelle elle disparaît au trois quarts du livre.

D’un autre côté, la fin semble un peu brutale. Malcolm trouve ce qu’il recherchait et qui équivaut à compréhension mystique de la signification de l’initiation - et c’est là que s’arrête l’histoire. Le fait que l’histoire s’arrête au point culminant du rituel final signifie au moins qu’il n'y a plus de danger de rechute, mais on ne sait pas comment ce succès affecte ensuite sa vie, ou celle de Lilith.


Conclusion

Les romans de Dion Fortune montrent donc ses propres vues sur la magie, qui est une synthèse de celles de la Golden Dawn, de Thelema, de la Théosophie et des psychanalystes jungiens et freudiens, ainsi que de sa philosophie personnelle qui est basée en partie sur la sagesse qu’elle a channelisée. Mais sa propre vision n’est jamais complètement celle des influences qu’elle revendiquait. Par exemple, bien qu’elle reconnaisse une dette vis-à-vis de Crowley en tant que disciple, elle rejette délibérément la tonalité amorale de ses écrits, préférant adopter une forme de christianisme qui accepte Jésus en tant que source du courant révolutionnaire moderne et qu’elle adapte à ses propres vues sur le mysticisme et la réincarnation. Certains thèmes spécifiques qui sont purement du « Dion Fortune » apparaissent dans tous ses travaux :

Féminisme. Dion a fait partie des premières à croire au féminisme, non seulement dans le sens de l’égalité féminine, mais aussi dans l’idée de femmes travaillant ensemble pour faire avancer leurs propres intérêts. Cependant, à la différence d’un certain nombre d’auteurs féministes modernes, le Féminisme de Fortune est incontestablement un mouvement spirituel : là où un féministe moderne verrait des femmes travailler ensemble en une sororité, Fortune voit cela comme la réalisation de l’unité au niveau mystique. C’est comme si l’idée collective de la « Femme » était un archétype – « la Déesse » - de sorte que le culte de la Déesse et le féminisme sont en effet une seule et même chose. D’ailleurs, Fortune prolonge sa théorie du Féminisme Spirituel en révisant l’histoire de la Tradition à Mystère Occidentale, en arguant du fait que le but du Grand Oeuvre est l’équilibre « des énergies masculines et féminines ». Cette idée, dont le parallèle le plus proche est la notion Taoïste d’équilibre du Ying et du Yang, semble être une innovation de Dion Fortune. L’idée n’est pas présente à la Golden Dawn, par exemple, qui, même si elle reconnaît l’égalité des hommes et des femmes, décrit la quête spirituelle comme étant asexuée. Dion Fortune, elle, voit cette polarité masculine et féminine comme le concept central.

Sexualité. Pour Dion Fortune la sexualité saine est l’héritage de l’humanité. Ici nous voyons apparaître l’influence de Freud. Il apparaît que Fortune, une ancienne psychanalyste, acceptait la notion de Freud selon laquelle la sexualité est à la base du bien-être psychologique, mais plus encore, elle affirme qu’elle est aussi la base du bien-être Spirituel. Ainsi, tout au long de ses romans, des hommes et des femmes émotionnellement frustrés, avec diverses problèmes névrotiques et qui manquent du charisme dont dérive le sex-appeal - parviennent tous à une thérapie psychologique et sexuelle quand ils apprennent à invoquer correctement soit Pan soit la Déesse. Pour Dion Fortune la sexualité est un acte d’équilibrage précis, dans lequel elle essaye de convoquer l’érotisme sans jamais devenir en quoi que ce soit lascive. Ainsi, bien qu’il y ait manifestement des actes sexuels dans ses histoires, ils ne se produisent que rarement dans le récit et un voile de discrétion est placé sur ceux qui s’y adonnent. Pourtant il n’y a aucun doute, Fortune croit fermement que l’état naturel de homme et de la femme est d’apprécier complètement et sainement, une activité sexuelle émotionnellement satisfaisante libérée de toutes retenues et répressions.

Un Manifeste Magique. Il y a un grand nombre de détails sur la magie pratique, qui, pris avec la Kabbale Mystique, peuvent être considérés comme une tentative de son auteur de nous enseigner, nous ses lecteurs, comment nous pourrions pratiquer l’occulte sans devoir nécessairement rejoindre une loge ou un ordre magique. Par exemple : - Le Dieu à Pieds de Bouc, La Prêtresse des Mers et Magie Lunaire contiennent tous des chants pour invoquer soit Pan soit la Déesse. Il se trouve que des groupes Wiccan ont emprunté ces chants dans ces buts. - Dans tous ses romans, il y a une grande discussion sur l’utilisation appropriée de la Magie Sexuelle. Evidemment, la majeure partie est ce qu’un tantriste appellerait « de voie de la main droite », c'est-à-dire qu’ils n'impliquent pas des rapports effectifs (en tout cas pas physiques). Mais il y a de nombreux détails quant à la façon dont un mari et son épouse peuvent incorporer cette Magie, avec l’idée qu’elle accroît et enrichit leur vie sexuelle habituelle. - Le Dieu à Pieds de Bouc contient des références spécifiques à des livres dont il est possible d’adopter des techniques de magie pratique. - Plus encore, il y a de nombreuses références aux techniques magiques de base. Par exemple dans Magie Lunaire, Dion mentionne l’utilisation du Rituel de Bannissement Majeur du Pentagramme pour l'exorcisme ; elle parle de la Kabbale et de l'utilisation ésotérique des couleurs, elle se réfère brièvement à la méthode de Projection Astrale du « Corps de Lumière ». (On nous dit aussi à cet égard, dans Les Secrets du Docteur Taverner et L’Amant Diabolique de conserver un thermos de café prêt pendant la projection astrale, car on constate une perte de la chaleur lorsqu’on réintègre son corps). - Dans ses romans, Dion parle de ses théories sur la Réincarnation, la nature des corps subtils et de divers autres points de la philosophie ésotérique.

Argent. L’auteur de science fiction William Gibson a par le passé précisé qu’avant lui, dans la science-fiction, on ne trouvait jamais un héros qui était « du mauvais côté ». Il aurait pu également formuler la même remarque pour les romans occultes de Dion Fortune. Dans tous ses romans, les personnages centraux sont tous riches et ont habituellement des revenus personnels. Les protagonistes qui n’ont pas d’argent en reçoivent de riches bienfaiteurs. Un personnage principal qui doit s’adonner à quelque chose d’aussi servile que travailler pour vivre possède presque invariablement sa propre entreprise. Clairement, Dion Fortune, qui était issue de la classe moyenne elle-même a vécu la plus grande partie de sa vie grâce à un héritage. Elle croyait que pour suivre la voie occulte, on devait avoir une bonne situation matérielle et pouvoir se dispenser de travailler ou au moins avoir, sans problème, du temps libre. Sa vision de la richesse est semblable à celle Charles Dickens : les héros des deux auteurs, une fois qu’ils goûtent à la richesse, ne retournent jamais plus à la pauvreté. Fortune, sans scrupule, s’autorise à se servir de sa propre expérience pour illustrer ses vues sur l’Occulte - et cette expérience est très différentes de ce qu’ont vécu d’autres occultistes, à l’époque et aujourd'hui. Par exemple, MacGregor Mathers a vécu juste au-dessus du seuil de pauvreté pendant toute sa vie. Crowley a beaucoup parlé de sa pauvreté, disant que son humiliation causée par un trésorier corrompu de l’O.T.O. était en réalité un signe de son sacrifice à Babalon.

Occulte Secret / Visibilité. En conclusion : alors que les membres des fraternités occultes mystérieuses existent dans les romans de Dion Fortune, nous voyons que la plupart des histoires parlent de grands travaux magiques pratiqués par des gens ordinaires et non initiés avec peu ou pas de formation magique. Evidemment, il s’agit là tout d’abord d’un procédé littéraire : Fortune nous les rend sympathiques. Si nous les voyons comme des gens que nous pourrions rencontrer dans la vraie vie, si nous pouvons nous identifier à eux et nous soucier de ce qui leur arrive. D’ailleurs, nous pouvons être tentés de penser, « s’il ou elle peut le faire, je le peux aussi… » Mais à part éveiller notre curiosité pour l’Occulte, nous devrions nous rappeler d’une chose au sujet de l’histoire de Dion Fortune. Elle a été renvoyée publiquement de l’Ordre de l’Alpha et Omega et elle a dû développer sa principale pratique occulte loin de l’Ordre qui l’avait initiée. Dans La Kabbale Mystique, elle critique à diverses reprises d’autres occultistes pour leur tendance excessive au secret, y compris la pratique de la Golden Dawn de faire jurer le silence à ses initiés sur des choses pourtant déjà ouvertement publiées. En conséquence, nous pouvons dire que dans ses romans, le fait que des non-initiés pratiquent la magie peut être vu comme une protestation contre ce que lui ont fait les responsables d’Ordres Magiques qui ont utilisé leur position pour exercer un pouvoir excessif, et une tentative pour qu’on accepte la validité du travail d’esprits indépendants, qu’elle a elle-même recherché au cours de sa vie.