Les Mabinogion

De Wiccapedia

Les Mabinogion

du Livre Rouge de Hergest

avec les variantes du Livre Blanc de Rhydderch


Traduits du gallois avec une introduction, un commentaire explicatif et des notes critiques, par J. Loth, professeur au collège de France, en 1913.

À LA MÉMOIRE DE GASTON PARIS - J. Loth.


PRÉFACE

Cet ouvrage n’est pas une simple réédition de l’ouvrage paru en 1889, sous le titre de : Les Mabinogion traduits en entier en français pour la première fois avec un commentaire explicatif et des notes critiques.

La publication de nouveaux textes des mêmes romans conservés dans des manuscrits dont quelques-uns sont plus anciens que le Livre Rouge, publiés par M. Gwenogvryn Evans sous le titre de The White Book Mabinogion[1] (les Mabinogion du Livre Blanc) rendait nécessaire une révision sérieuse du texte de l’unique manuscrit qui avait servi de base à mon œuvre. J’ai conservé néanmoins le Livre Rouge comme base de cette nouvelle traduction, d’abord parce qu’il est complet ; en second lieu, parceque les nouveaux textes remontent ou à la même source avec des traits souvent plus fidèles de l’archétype, ou à des sources voisines. Ils sont particulièrement intéressants au point de vue orthographique et linguistique. Je les ai étudiés avec soin et tout en profitant de leçons parfois meilleures que celles du Livre Rouge, j’ai constaté, non sans satisfaction, que ces textes confirmaient sur bon nombre de points mes hypothèses. C’est un nouveau et sérieux titre que s’est acquis M. Gwenogvryn Evans à la reconnaissance des celtistes ; ce volume est le septième de la série des Old-welsh Texts, qu’il a publiés seul ou en collaboration avec sir John Rhỹs, le professeur de celtique bien connu d’Oxford. On trouvera plus loin tous les détails nécessaires sur ces textes.

Quoique ma traduction ait été estimée consciencieuse et exacte par des juges compétents, elle présentait certaines défectuosités, quelques lacunes même sans grande importance, il est vrai, que j’ai été heureux de faire disparaître par une révision sévère. La comparaison d’Owen et Lunet, de Peredur, de Gereint et Enid avec les romans correspondants de Chrétien de Troyes, ne m’a pas été non plus inutile, même au point de vue du sens.

Les notes critiques ont été corrigées et notablement augmentées ; il en est de même des notes explicatives, pour lesquelles j’ai profité des nombreux travaux parus en si grande abondance, depuis quelques années, sur la matière de Bretagne.

Dans ce nouveau travail, j’ai suivi les mêmes principes que dans le premier. Je me suis appliqué à éclairer les Mabinogion, autant que possible, par eux-mêmes, chaque expression ou terme obscur ou douteux, par les passages correspondants, soit des Mabinogion, soit des textes en prose et même en vers de la même époque. Des notes critiques, que l’on trouvera se référant à la page et à la ligne du texte gallois, et à la page correspondante de la traduction, indiquent les corrections au texte, ou mes hésitations, avec les différences qui me séparent de la traduction de lady Charlotte Guest. Pour la traduction, j’ai voulu la rendre aussi lisible que possible, sans rien sacrifier de l’exactitude que l’on est en droit de demander avant tout à un traducteur. En fait de traduction, littéral n’est pas synonyme d’exact. Traduire, par exemple, myned a orug par aller il fit, serait aussi peu exact que de décomposer donnerai en ai à donner. Ce qu’on a appelé la naïveté ou la simplicité des conteurs gallois ne m’a guère préoccupé non plus. Outre que n’est pas naïf qui veut, ce serait prêter aux auteurs ou arrangeurs de ces récits une qualité à laquelle ils n’avaient aucun droit ni, vraisemblablement, aucune prétention. Les romans gallois ont été sans doute mis par écrit par les bardes dont la poésie témoigne de la culture la plus savante et la plus raffinée. Poétique, colorée, remarquablement imagée dans l’expression, la langue des Mabinogion est d’une trame plus lâche, d’un style moins nerveux, et moins rigoureux dans l’expression que la langue des Lois[2] rédigée au xe siècle, mais conservée dans des manuscrits du xiie et du xiiie siècle ; l’enchaînement des propositions est moins varié et moins savant ; la période par juxtaposition y est fréquente. Cela tient pour une part, à ce que la prose était moins cultivée que la poésie, et à ce que la transmission des traditions légendaires, mythico-héroïques, se faisait surtout oralement : on a l’impression que l’auteur raconte lui-même ou écrit sous la dictée[3].

Alfred Nutt a publié, en 1902, une réimpression pure et simple de la traduction de lady Charlotte Guest, en l’allégeant des notes et du commentaire ; il l’a fait suivre, en revanche, de notes substantielles qui sont comme le résumé de ses travaux et de ses vues sur les romans gallois et la matière de Bretagne[4]. La traduction reste donc avec ses qualités, dont la principale est un talent littéraire tel que Alfred Nutt n’hésite pas à la considérer comme un des chefs-d’œuvre de la prose narrative anglaise, mais aussi avec ses défauts. Lady Charlotte Guest ne savait guère le gallois ; elle a travaillé sur une version littérale d’un savant gallois et, à force de pénétration, de conscience et de talent, réussi à en faire une traduction d’un grand charme et qui ne dénature pas l’original dans l’ensemble. Les erreurs de sens cependant ne sont pas rares ; l’expression est assez souvent flottante et le même mot traduit différemment suivant le contexte. Là où les dictionnaires hésitent ou se taisent ou se trompent, le traducteur n’est pas toujours bien inspiré. Il eût fallu sur le tout un travail critique préparatoire qui a manqué. La copie même du Livre Rouge dont Lady Charlotte Guest disposait était défectueuse ; il n’est que juste de reconnaître que sa traduction la corrige en maint endroit. Le commentaire qui l’accompagne est copieux et utile. Outre un certain nombre d’erreurs et d’inexactitudes, sa traduction présente des inexactitudes et des lacunes volontaires. Elle a supprimé les passages qui lui paraissaient scabreux ou choquants, et singulièrement altéré des crudités de langage et des brutalités de mœurs qui sont cependant loin d’être sans intérêt et sont au contraire importantes pour l’histoire et la critique. Ces scrupules sont excusables, quand on sait que Lady Charlotte Guest considérait les Mabinogion comme destinés à l’amusement et à l’édification de la jeunesse, en particulier de ses deux enfants auxquels sa traduction est dédiée. Si on ajoute qu’elle a trop visé à donner à ces récits un air de naïveté, on comprendra que leur caractère ait dû en être, dans une certaine mesure, sérieusement altéré.

Néanmoins, on peut dire que c’est une œuvre dont l’apparition marque une ère nouvelle dans l’histoire de la littérature galloise et l’étude des traditions brittoniques[5]. C’est d’ailleurs la première traduction complète de la collection[6]. Il n’y en avait eu précédemment que des traductions partielles[7]. Le texte gallois du Livre Rouge communiqué à lady Charlotte Guest est une copie faite par un littérateur gallois John Jones, plus connu sous le nom de Tegid.

Le roman de Taliesin qui ne figure pas dans le Livre Rouge et que j’ai laissé de côté mais qui a été traduit par lady Charlotte Guest, avait paru déjà dans le Cambrian Quartely en 1833[8].

L’effet produit par la traduction des Mabinogion fut d’autant plus rapide que deux traductions des trois romans d’Owen et Lunet, Peredur ab Evrawc, Geraint et Enid suivirent presque aussitôt[9] : celle d’Albert Schulz (plus connu sous le pseudonyme de San-Marte), accompagné de notes que l’on peut encore consulter avec fruit, et celle de M. Hersart de la Villemarqué en 1842[10]. San-Marte n’a fait que traduire en allemand la traduction de lady Charlotte Guest, et le dit ; M. de la Villemarqué en a fait autant en français, mais ne le dit pas ; son commentaire, fort curieux, comme le dit Alfred Nutt, a plutôt retardé qu’avancé les progrès de la critique[11].

Les Mabinogion ont été mis en gallois moderne au moins à deux reprises. Aucune de ces transcriptions n’a de valeur critique. La plus récente, celle de J.-M. Edwards[12] n’est pas une simple version de la traduction anglaise de lady Charlotte Guest, comme les autres ; elle serre de plus près l’original et parfois le rend plus exactement. Néanmoins, l’auteur a subi fortement, en plus d’un endroit, l’influence de la traduction anglaise. De plus, il a modifié parfois le texte en raison de la destination de son travail qui s’adresse aux enfants des écoles.

La connaissance des Mabinogion et romans gallois est d’une importance capitale pour l’étude des romans arthuriens et de la littérature du moyen âge. J’espère que cette nouvelle traduction, avec le copieux commentaire qui l’accompagne, aura entre autres résultats, celui de la faciliter et de la répandre.

J. Loth.


LES MABINOGION, ET AUTRES ROMANS GALLOIS

INTRODUCTION

Sous le titre général de Mabinogion, je comprends comme l’auteur du Livre Blanc de Rhydderch, M. Gwenogvryn Evans, un certain nombre de récits en prose, merveilleux ou romanesques, de nature et d’origine diverses. En réalité, seuls, les quatre premiers récits de cette collection ont droit à ce titre. À la fin de chacun d’eux, se trouve la formule : Ainsi se termine cette branche du Mabinogi[13]. Mabinogi et son pluriel Mabinogion, ont été diversement interprétés. Mabinogi a pris au xive siècle, la signification d’Enfance au sens que ce mot avait en français au moyen âge. C’est ainsi, comme je l’ai fait remarquer (Mabin. I, p.357, note à la page 8-9), que Mabinogi Jesu-Grist doit se traduire l’Enfance de Jésus-Christ[14]. Il équivaut au mot mabolyaeth, enfance, employé dans la version galloise du même texte dans le manuscrit 5 de Peniarth, qui est de la première moitié du xive siècle, pour la partie qui contient ce texte[15]. Mais il est incontestable que Mabinogi dans le sens d’enfance est un terme qui ne saurait s’appliquer aux récits qui précisément portent ce titre. S’il avait le sens de récit pour les enfants, pour la jeunesse, récit amusant, on ne s’expliquerait plus pourquoi les rédacteurs de récits analogues conservés dans les mêmes manuscrits réservent ce nom aux quatre dont nous venons de parler : par exemple dans le manuscrit de Peniarth, pour Peredur, c’est le terme de Historia ; pour Gereint et Enid, pour la Dame de la Fontaine, c’est le terme courant de Chwedl, récit, conte, nouvelle. Le titre du roman si parfaitement gallois de Kulhwch et Olwen est : Mal y kavas Kulhwch Olwen : Comment Kulhwch obtint Olwen.

Comme je l’établis plus bas (p. 27), ce fait est d’autant plus important, que la mise par écrit du roman du Kulhwch est au moins aussi ancienne que celle des quatre branches du Mabinogi. Si on ne lui a pas appliqué ce nom, c’est que Kulhwch est un roman personnel et une composition littéraire, tandis que le Mabinogi représente un genre consacré et en quelque sorte classique, dans lequel ne rentraient que des récits traditionnels, depuis longtemps fixés, au moins dans leurs grandes lignes. On se trouve ainsi amené à préférer le sens proposé par John Rhys[16]: le Mabinog ou Mebinog serait un apprenti littérateur, un aspirant barde, et les Mabinogion comprendraient l’ensemble des connaissances formant le bagage littéraire du Mabinog[17], Malheureusement le mot avec ce sens ne se trouve dans aucun texte ancien. Quant à Mabinogi, il ne dérive nullement de maban, enfant, mais bien de mebin, dérivé de mab. Dans le Livre noir de Carmarthen, dans un poème de la première moitié du xiie siècle, un personnage puissant est célébré comme ryvel vebin, maître dans l’art de la guerre, professeur de guerre (F. A. B. 11, p. 6, vers 22) ;

Ruthur uthur auel, rynaut uvel, ryvel vebin.

« Toi qui a l’élan effrayeur de la tempête, l’agitation de la flamme, professeur de guerre ? » Un poète de la seconde moitié du xiie siècle, Gwalchmai, dit que ses louanges s’adressent habituellement au mebin à la lame superbe, (valch lavn vebin ; Myv. Arch., 149, 2). Le sens ici est moins net. Il est en revanche clair dans le dérivé mebindod, qui paraît dans une collection en prose de proverbes et d’aphorismes mis sous le nom de Catwg Ddoeth ou Catwg le Sage. La collection repose sur un manuscrit du xviie siècle, transcrit par Jolo Morganwg en 1799 (Myv. Arch. 754 ; 787.1) : Llyma gynghorion y rhoddes Cattwg Ddoeth i Arawn vab Cynvarck brenin y Gogledd pan ai gollynges ev o i vebindawd : « Voici les conseils que donna Catwg le Sage à Arawn, fils de Cynvarch, roi du Nord, quand il lui laissa quitter son collège. » Mebindawd d’après le contexte (p. 754.2 — 755.1 ; 776.1) paraît avoir le sens que je lui donne et être équivalent à congrégation et école. Il pourrait aussi bien signifier apprentissage.

Comment avec un suffixe en -no-, map a-t-il pu prendre ce sens, c’est vraiment difficile à dire. Il est possible que d’abord mebin ait eu un sens abstrait : endroit pour les adolescents, où ils étaient instruits. Le Mebinog ou Mabinog est celui qui relève du Mebin ou est en Mebindod. Le pluriel Mabinogion ne peut régulièrement s’expliquer que dans le sens de disciples, et tel paraît avoir été son sens. (V. plus haut, page 13, note 2.) Dans les recueils du Livre Rouge et du Livre Blanc, il n’apparaît comme pluriel de Mabinogi qu’à la fin de la branche de Pwyll et il est dû vraisemblablement à une faute du scribe. Le singulier mabinogi comprend en effet les quatre romans ou branches de Pwyll, Branwen, Manawyddan, Math : à la fin des trois derniers, on n’a, dans la même formule, que le singulier mabinogi. Ce qui de plus achève de dénoncer une faute de scribe dans le pluriel, c’est qu’en tête de Pwyll où il se trouve, on lit : Llyma dechreu mabinogi : « Voici le commencement du Mabinogi[18]. » Mabinogi aurait le sens de récit imposé au Mabinog ou apprenti lettré.

Un mot à rapprocher de mebin, c’est mebydd, d’une dérivation plus claire. Il a le sens non de célibataire que lui donne, je ne sais pourquoi, le dictionnaire d’Owen Pughe, mais clairement celui de professeur[19].

Les deux seules sources manuscrites importantes des Mabinogion sont le Livre Rouge de Hergest et le Livre Blanc de Rhydderch (Roderick) du nom d’un de ses anciens possesseurs. Hergest est un nom de lieu : Hergest Court, demeure de la famille des Vaughan, est près de Knighton en Radnorshire, et le Livre Rouge, ainsi nommé à cause de la couleur de sa couverture, fut probablement compilé pour eux. Le manuscrit fut donné par Thomas Wilkins de Llamblethian en 1701 au Collège de Jésus, à Oxford, dont il est aujourd’hui encore la propriété. C’est une sorte de Corpus de la littérature galloise[20]. Il remonte, en grande partie, à la fin du xive siècle. La partie qui renferme nos Mabinogion a été publiée par John Rhỹs et Gwenogvryn Evans, en 1887 ; c’est une édition diplomatique, et, comme telle, irréprochable[21].

Le Livre Blanc ne comprend, en réalité, que les manuscrits 4 et 5 de la bibliothèque de Peniarth[22], anciennement de Hengwrt, près Towyn en Merionethshire, manuscrits réunis sous la même reliure ; mais sous ce titre, M. Gwenogvryn Evans a compris, en outre, des fragments des manuscrits 6, 7, 14 et 16 de la même bibliothèque[23].

Le manuscrit 4 qui seul nous intéresse sort du même archétype que le Livre Rouge. Il donne le texte des quatre premiers mabinogion, de Peredur, du Songe de Maxen de Gereint ab Erbin : en entier. Il contient, en outre, un court fragment de l’Aventure de Lludd et Llevelys[24], deux fragments d’Owein et Lunet ou la Dame de la Fontaine[25], et un fragment notable de Kulhwch et Olwen[26].

La partie du manuscrit qui contient les mabinogion (au sens général admis pour ce mot) est de la fin du xiiie siècle[27].

Le texte manuscrit le plus ancien des mabinogion nous est donné par le manuscrit 6, parties I et II, de Peniarth ; malheureusement, il se réduit à un court fragment de Branwen (2 pages), et de Manawyddan (2 pages)[28]. Cette partie du manuscrit a été écrite vers 1225.

La partie III du même manuscrit a été écrite vers 1285. On y trouve deux fragments (2 folios) de Gereint et Enid[29] ; le texte est d’accord avec celui de la partie IV, qui contient la plus grande partie du roman de Gereint[30]. Le texte en a été publié par M. Gwenogvryn Evans dans la Revue celtique, 1887, p. 1-29 ; il est accompagné d’une traduction avec notes qui m’est due : cette partie du manuscrit serait de 1275.

Les manuscrits 7 et 14 (de Peniarth) ont seulement une partie du roman de Peredur[31]. Le manuscrit 7, dans son ensemble, est du xive siècle, mais les colonnes qui intéressent Peredur appartiennent à une main plus ancienne, qui serait du xiiie siècle.

Le manuscrit 14 est de différentes mains ; la partie qui contient le fragment de Peredur est de la seconde moitié du xive siècle[32].

Les trois premières parties du manuscrit 6 ayant, d’après l’étude que j’en ai faite, la même orthographe, les mêmes caractères linguistiques, doivent être considérées, quoique écrites à différentes époques, comme remontant à une source écrite du premier tiers du xiiie siècle. La partie IV a été rajeunie orthographiquement, mais présente les mêmes particularités de langue.

Le manuscrit 4 appartient à la même source que le texte du Livre Rouge ; les manuscrits 7 et 14 sont étroitement apparentés et représentent une source commune, assez différente de la première[33].

Dans ma première traduction (p. 17), j’avais conclu de certaines fautes du scribe du Livre Rouge, qu’il copiait un manuscrit plus ancien, vraisemblablement de la fin du xiie ou du commencement du xiiie siècle. Il en est de même de Peniarth 4. Je me bornerai à relever les traits suivants :

u pour w ou б? : p. 9 : y vely pour y wely (fréquent) ;

e pour y :[34] p. 14 ewrthaw y wrthaw ; p. 391 : yned (ynyd), etc.

w pour v : p. 295 ; vawr (vawr : mawr).

б pour v : p. 6 : a бei (a vei) ; p. 7 : бal (val) ; p. 13, ryбedaut (ryvedaut) ; p. 14 : бarch (varch), etc. au pour aw (fréquent) ; p. 4 (dyrnaut).

Pour les consonnes, le trait caractéristique, c’est t pour d spirant : p. 3 haut (hawd) ; p. 393 itaw (idaw) ; p. 395 metwl (medwl) etc.

U pour w, б se trouve jusqu’au milieu du xiiie siècle, au moins[35]. E pour y n’est caractéristique du xiie siècle et du commencement du xiiie, que lorsqu’il se rencontre fréquemment. De même au pour aw. En revanche, w[36] pour v rappelle l’orthographe du Livre Noir de Carmarthen ; б pour w indiquerait un manuscrit de la fin du xiie siècle ou de la première moitié du xiiie siècle ; ce signe se montre dans le fac-similé du Book of Llandav (éd. Rhys-Evans), manuscrit du xiie siècle : c’est un u avec un trait prolongeant à gauche la première moitié supérieure de cette lettre : il est frappant et très net au mot gбr du fac-similé de la page 121, à la deuxième colonne. Ce caractère, dès le début du xiiie siècle, dans plusieurs manuscrits, a été systématiquement employé pour u (ou français), voyelle ou consonne[37].

T pour d spirant est régulièrement employé dans le Livre Noir, dont le manuscrit est de la fin du xiie ou du commencement même du xiiie siècle. On le trouve sporadiquement dans le Black Book of Chirk, écrit vers 1200. Il est employé régulièrement à la finale et à l’intérieur du mot, dans les parties I, II et III du manuscrit 6. C’est aussi un trait saillant de l’archétype de la Myvyrian Archœotogy of Wales pour les poèmes du xiie et du commencement du xiiie siècle de cette collection[38].

À relever dans le manuscrit 7 : u pour w ou б (p. 613 gur ; 626 y lleu ; 608 marchauc (au pour aw fréquent) ; t pour d spirant (une fois) : yssyt (yssyd). L’orthographe de ce manuscrit, en général, n’a rien de caractéristique.

Dans Peniarth, 16, e pour y est fréquent (p. 90 henne, pour hynny ; e dyd (y dgd) ; ell deu (yll deu) ; et même den (dyn). On rencontre fréquemment aussi au pour aw, et uy de temps en temps pour wy (p. 91 gwydbuyll).

Il n’est pas inutile de remarquer que le K est usité dans tous ces manuscrits. Or, il n’a guère été en usage en Galles, que dans la seconde moitié du xiie siècle. On le trouve dans le manuscrit 28 de Peniarth, qui est de cette époque, et dans le Black Book of Chirk écrit vers 1200.

Si, d’après ces remarques, la rédaction des Mahinogion ne peut être postérieure au premier tiers du xiiie siècle, trouve-t-on dans les formes des mots des arguments permettant de les faire remonter plus loin, et d’établir que les scribes copiaient un manuscrit antérieur, sensiblement plus ancien ? On peut le démontrer pour le Gorchan Maelderw, poème contenu dans le Livre d’Aneurin dont le manuscrit n’est que de la fin du xiiie ou du commencement du xive siècle ; il est sûr que le manuscrit primitif devait être en vieux gallois, c’est-à-dire remonte au xe ou au commencement du xie siècle. On peut en dire autant des lois de Gwynedd, dans le Black Book of Chirk.

On trouve quelque chose d’analogue dans le texte de Kulhwch et Olwen. On peut citer Catbritogyon au lieu de Catvridogyon (White Book, p. 429) ; Twr Bliant, à lire Twrb Liant, ibid., ms. 4, p. 464) mot à mot Tumulte des flots. Le scribe du Livre Rouge n’a pas compris l’expression et l’a modernisée en Twryw vliant ; il en est de même, ce qui est plus curieux, du scribe de Peniarth 4, dans le mabinogi de Pwyll : ce qui donne le sens plus qu’étrange de tumulte, tapage de bliant (toile fine). Mais la forme la plus probante est genhym pour genhyv dans l’épisode de Kulhwch où le héros se trouve en conflit avec le portier Glewlwyd. Ce dernier va en rendre compte à Arthur qui lui demande : Chwedleu parth genhyt « y a-t-il du nouveau à la porte ? » Glewlwyd répond : Yssydynt genhym, « Oui, j’en apporte (oui il y en a avec moi[39]).» On pourrait citer encore : a mab pour a vab, ô fils (qui se trouve dans la même colonne), mais ces négligences dans les mutations syntactiques ne sont pas rares ailleurs. En revanche, genhym pour genhyv est une forme vieille galloise. Les formes de ce genre se trouvent mêlées encore à des formes plus modernes, à des formes caractéristique du moyen-gallois, dans la langue de transition du xie siècle, par exemple dans le texte gallois des Privilèges de l’Église de Llandav.

Les trois englyn (sorte d’épigramme) de Math ab Mathonwy concernant LLeu Llaw Gyffes (v. traduction, plus bas, note, et notes critiques) ne prouvent pas, comme l’a avancé Gwenogvryn Evans, que le manuscrit dont disposait le scribe de Math avait été écrit en vieux gallois, c’est-à-dire remontait, au plus tard, au x-xie siècle. En admettant même, ce qui est fort douteux, que le mot oulodeu fût pour aelodeu, membres, comme il le croit, on ne pourrait en tirer qu’une conclusion : c’est que le manuscrit pourrait être de l’époque de transition que représentent certaines chartes et textes, comme ceux dont nous venons de parler, les Privilèges, les délimitations de champs du Livre de Llandav, c’est-à-dire du xie siècle[40]. Il semble, en revanche, que ces englyn représentent une orthographe assez archaïque. Le manuscrit original avait sûrement fréquemment e pour i (y) et eu, régulièrement, semble-t-il, pour ew aussi bien que eu. Il n’est pas douteux que le scribe n’ait mal interprété la graphie Lleu, nom du héros principal du mabinogi avec Gwydyon ; il l’a transformé en Llew, tandis qu’il faut sûrement lire Lleu ; il n’a pas davantage compris eu pour geu, mensonge, et l’a transformé en ev (ef)[41]. Si deulenn, dans le second englyn devait être maintenu, comme llenn (llynn) étang, lac, est féminin, on serait obligé de supposer que le scribe avait devant lui non dou, masculin, mais une forme doi, doy pour dui, duy féminin : il l’aura confondue facilement avec dou[42]. Cette forme pourrait remonter au x-xie siècle (doy ne pourrait être que du xie).

Le premier rédacteur de Math et du Mabinogi n’est pas le même que celui de Kulhwch et Olwen ; il y en a d’autres preuves, comme je l’établirai plus bas.

Certaines graphies, surtout en construction syntactique, n’ont pas de valeur au point de vue chronologique quoiqu’elles soient, en apparences, archaïques ; par exemple : ym penn, ym blaen, se trouvent dans des textes, en réalité, plus récents que d’autres qui présentent ym henn, ym laen.

De même fynnawn paraît plus récent que fynhawn : or, finnaun se trouve dans le Book of Llandav, dans des manuscrits anciens de Nennius ; cimer, apparaît au ixe siècle dans les notes marginales de l’évangéliaire de St Chad à Lichfield, tandis qu’au xiie et au xiiie siècle on a cymher.

De même, la présence d’occlusives sourdes intervocaliques au lieu de sonores, que l’on considère généralement comme un trait du vieux gallois (L. Rouge : clwyteu pour clwydeu), peut n’être qu’un trait dialectal : aujourd’hui encore l’occlusive suivant immédiatement une voyelle accentuée, dans l’Est du Glamorgan, est nettement sourde ; seule, l’occlusive intervocalique en syllabe prétonique est sonore. Il est très vraisemblable que la prononciation des occlusives intervocaliques, sur bien des points du pays de Galles, aux xiie-xiiie siècles, n’était pas encore nettement sonore.

La langue même fournit quelques utiles indications. Peniarth 4 est, en général, plus fidèle à l’archétype ancien que le Livre Rouge. Il conserve plus fidèlement et plus régulièrement les formes du présent-futur 1re pers. du sg. de l’ind. en -haf, du subj. en -ho, du futur second en -hei, du subj. passif en -her[43].

L’emploi de la particule ry qui est en plein déclin au xiiie siècle, en prose et même en poésie dans la seconde moitié de ce siècle, est plus fréquent[44].

Peniarth 6, même la partie IV, dont l’orthographe a été systématiquement rajeunie, est également plus archaïque que le Livre Rouge en ce qui concerne les formes en h-[45].

Çà et là, on rencontre aussi dans le Livre Blanc des formes plus archaïques ou plus galloises : Pen. 4 corunawc (L. R. 2.24 coronawc) dérivé de corun de corôna, tandis que coronawc a été fait sur le moderne coron ; Pen. 4, page 5 : ystewyll, plur. ancien de ystavell (v. gallois stebill) au lieu de ystavelloed (L. R. 4, 2) ; godiwawd (L. R. 20, 17 : gordiwedawd) ; à signaler aussi à plusieurs reprises les formes du prêt. plur. en -sant : Pen. 4, p. 128: a gymersant (L. R. a gymerassant).

Peniarth 6, Part 3 (White Book, p. 280) a seul conservé une trace de l’ancienne règle, encore observée en partie dans la poésie du xiie siècle, d’après laquelle, après la négation en position relative, les occlusives sourdes deviennent sonores : peth ny gavas erioed, chose qu’il n’a jamais eue auparavant (Pen. 4 : ny chavas ; L. Rouge : nys kavas)[46].

Au point de vue de la langue, c’est la version de Kulhwch et Olwen de Peniarth 4 qui offre le plus d’intérêt et se rapproche le plus de la poésie archaïsante du xiie siècle. On peut y signaler : 1° un verbe qui ne se trouve nulle part ailleurs : amkawd[47], il dit ; 2° l’emploi de Kwt, où, mot rare qui ne se trouve qu’en poésie au xiive siècle ; 3° l’emploi des formes passives en -awr : (Livre Blanc, 479 : nyn yscarhawr, 475 nyn lladawr ; 4° la construction de la comparaison avec la particule noc, no[48] (cette particule y est en tête) : p. 476, no broun alarch guynn, oed gwynnach y dwy vron (3)) ; 5° l’emploi de la copule oed avant l’attribut : oed melynach y fenn ; oed gwynnach y chnaud : oed gwynnach[49]… Ces faits joints à ceux que j’ai relevés au point de vue des formes permettent de placer avec sûreté la rédaction de ce roman vers la fin du xie siècle. Il me paraît également probable que les autres ont dû être rédigés au plus tard à la fin du xiie siècle ; les quatre Branches plus tôt.

Il y a trace parfois de la tradition orale, ou de la prononciation : Pen, 4 : Annwn (L. Rouge 84-25 : A nnu vyn). C’est particulièrement remarquable dans Peniarth 7 : p. 612 y dwawt pour y dywawt : c’est la forme la plus fréquente ; i dwen (dwy en) ; p. 614 athiasbedein (ath diasbedein) ; p. 616 'varglwyd (vy arglwyd) ; p. 623 twllodrus (twyllodrus) ; 609, 611 gwassaneth (gwassanaeth) ; p, 619 ath iarleth' ; 624 marchogeth.

Les textes en prose qui sont le plus près de la langue et de l’orthographe des Mabinogion, sont le Brut Tysilio et le Brut Gruffydd ab Arthur, surtout dans le texte dont la Myv, Archæology nous a conservé les variantes sous le titre de nodiadau (notes). Le Brut de Gruffydd ab Arthur est une version galloise de l’Historia de Gaufrei de Monmouth.

Par l’histoire on arrive à des conclusions analogues sur la date de la rédaction des Mabinogion.

Le Songe de Rhonabwy semble avoir été composé du vivant de Madawc ad Maredudd, roi de Powys, qui mourut en 1159, ou peu après sa mort. Il y est question de lui et de son frère.

Il y apparaît un personnage qui a dû vivre vers la même époque : Gilbert, fils de Katgyffro, c’est-à-dire Gilbert de Clare, comte de Pembroke en 1138, fils de Gilbert Fitz-Richard, le conquérant du pays de Cardigan, qui mourut en 1114. (V. plus bas, note à Katgyffro.) Ce récit romanesque était populaire au xiiie siècle : un poète que l’on fait vivre de 1260 à 1340, Madawc Dwygraig, dit qu’il n’est qu’un rêveur comme Rhonabwy.

Dans Kulhwh et Olwen, il est fait mention de Fergant (Flergant) roi de Llydaw (Armorique). C’est peut-être un souvenir d’Alain Fergent, duc de Bretagne de 1081 à 1109.

La version du Livre Rouge de l’Aventure de Lludd et Llevelys se rattache étroitement à celle qui se trouve dans le Brut Gruffydd ab Arthur, et est incontestablement postérieure, dans sa rédaction, à l’œuvre de Gaufrei de Monmouth (v. plus loin, traduction, note à Lludd et Llevelis). Il a existé, suivant un poème de Taliessin qui ne peut être, d’après sa métrique et le contexte, postérieur à la première moitié du xiie siècle, des traditions assez différentes sur la famille de Beli, dont Lludd et Llevelis étaient fils (Livre de Tal., Four anc. Books of Wales, II, p.282, 10). L’Aventure elle-même appartient à l’ensemble des vieilles traditions celtiques ; il est fait une brève allusion à l’entente de Lludd et Llevelis dans un autre poème de Taliessin antérieur à l’œuvre de Gaufrei (F. a. B. II, p, 214. 9).

Le Songe de Maxen porte des traces irrécusables de l’influence de Gaufrei. Il semble, d’après une allusion du poète Cynddelw (Myv. Arch. 162. 1) à Maxen, que cette composition fût connue dans la seconde moitié du xiie siècle.

D’un autre côté, la géographie politique du Mabinogi proprement dit, dont les quatre branches Pwyll, Branwen, Manawyddan, Math, ne peuvent être séparées, ne nous permet pas de mettre la composition de ces récits plus tard que la fin du xiie ou le commencement du xiiie siècle. C’est ainsi que les États de Pwyll ne comprennent que sept cantrevs ; or si Dyvet n’en avait que sept au xiie siècle, comme le dit Giraldus Cambrensis (Hin., 1. 12 ; Cf. Cynddelw, Myv, Arch. 166. 1 : seith beu Dyved)[50], au xiiie, il en comptait huit (Myv. Arch., p. 737). Le Mabinogi de Math ab Mathonwy attribue sept cantrevs à Morganhwc (Glamorgan), auquel la Myv. arch. n’en donne que quatre (Myv. Arch., p. 747). Or, c’est exactement l’étendue du royaume de Iestin ab Gwrgant, qui régna de 1083 à 1091 (voir plus bas, traduction).

Math donne à Lieu Llaw Gyffes le cantrev de Dunodic et le copiste ajoute que cette division porte de son temps les noms d’Eiwynydd (Eivionydd) et d’Ardudwy. Or, le cantrev de Dunodic a été supprimé par Edward Ier : il n’apparaît pas dans les statuts de Bothélan (Rhuddlan), par lesquels ce roi remania, en 1284, les divisions administratives du pays de Galles. Des deux kymmwd dont il se composait l’un, celui d’Eivionydd, passe sous la domination du vicomte de Carnarvon ; l’autre, celui d’Ardudwy, sous celle du vicomte de Meirionydd ou Merioneth (Ancient Laws of Wales, II, p. 908). La glose du copiste se trouvant dans le manuscrit de Peniarth 4 comme dans le Livre Rouge, établit en revanche que le manuscrit a été écrit après 1284, peu de temps après vraisemblablement.

Le Livre Noir de Garmarthen, le Livre de Taliessin, dans des poésies qui ne peuvent être postérieures au milieu du xiie siècle, et sont même probablement antérieures à la rédaction la plus ancienne que nous puissions atteindre des Mabinogion, renferment des allusions très claires et parfois même la substance d’épisodes caractéristiques des récits purement gallois[51]. Un guerrier légendaire nous dit dans Le Livre Noir (F. A.B. II, p. 55. 14) qu’il a été là où fut tué Bran, le fils de Llyr. Kei a les honneurs de tout un poème où il apparaît sous les mêmes traits redoutables que dans Kulhwch et Olwen. Le poème débute aussi par un dialogue rapide entre Arthur et le célèbre portier de la cour d’Arthur, Glewlwyd Gavaelvawr (ibid., p. 50-53). Manawyddan ab Llyr y figure aussi (p. 51), ainsi que Mabon ab Modron,et Bedwyr. Le nom du cheval de Kei nous est donné dans un autre morceau (ibid., p. 10) ; l’auteur connaît aussi les noms des chevaux d’Owein ab Urien, de Gwalchmai, de Caswallawn. Il sait où sont enterrés : Pryderi, Kynon, Bedwyr, Owen ab Urien, Alun Dyved (ibid., p. 28- 33).

On trouve même dans le Livre Noir un poème malheureusement très court et d’un texte tronqué consacré à Tristan : à en juger par quelques vers, il appartient à une tradition très différente de celles que nous ont conservées les romans français. (Ibid., p. 55, poème XXXIV.) Les poèmes XXXIII et XXXV sont particulièrement instructifs. Ce sont des dialogues, le premier entre Gwynn ab Nudd et Guyddneu Garanhir, l’autre entre Taliessin et Ugnach mab Mydno. Ces poèmes étaient probablement accompagnés de récits en prose. On y trouve des allusions à certains personnages des Mabinogion et aussi l’écho de traditions pour nous malheureusement perdues. Les traditions si curieuses du Mabinogi de Math ab Mathonwy étaient familières à l’auteur des poèmes VIII et XVI du Livre de Taliessin[52]. Il en est de même de celles du Mabinogi de Branwen[53]. La barque d’Arthur, Prytwenn[54], joue un rôle extraordinaire dans des épisodes du cycle d’Arthur que nous ne connaissons que par le poème XXX du Livre de Taliessin (F. a B. II, pp. 181-182). La chasse du porc Trwyth (mieux Trmyt)[55] est connue de Nennius ; il y est fait allusion dans le Gorchan Kynvelyn, poème du Livre d’Aneurin dont la rédaction est sûrement antérieure au xie siècle (F. a. B. II, pp. 94-95).

On trouvera ça et là dans les notes explicatives des citations de poètes gallois du xiie et du xiiie siècle prouvant combien les légendes de nos Mabinogion étaient répandues à cette époque.

L’étude de la composition, du caractère des éléments dont se composent ces récits, les procédés et le ton des narrateurs nous permettent de faire un pas de plus : la rédaction de Kulhwch et Olwen est nettement antérieure à celle des deux Songes et de l’Aventure de Lludd et Llevelis ; elle est également moins archaïque dans la mise en œuvre des matériaux, leur agencement et l’esprit qui y règne que celle des Quatre Branches du Mabinogi ; et cependant, d’après ce qui a été dit plus haut, elle leur est probablement antérieure.

Le Songe de Ronabwy, le Songe de Maxen, sont des œuvres d’imagination d’un conteur du xiie siècle, des compositions purement littéraires, qui ne manquent pas d’originalité et témoignent d’un rare talent descriptif, le Songe de Ronabwy surtout. Le héros du récit s’endort, et, en rêve, il est transporté au temps d’Arthur, à son époque la plus brillante, où les héros paraissent avec des proportions surhumaines. Il assiste au défilé des troupes d’Arthur, dont il dépeint l’aspect, l’équipement et la marche avec une incroyable richesse et précision de détails ; le cadre est habilement choisi et l’idée maîtresse véritablement originale. Tout le début est d’un réalisme étrange, empreint de couleur locale, que l’on dirait moderne. Il y a dans ce Songe l’écho de fort anciennes traditions, en particulier dans l’épisode des Corbeaux d’Owen. (V. plus bas, traduction).

L’Aventure de Lludd et Llevelis, par certains traits, par le ton et la conception de l’histoire chez l’auteur, indique pour sa rédaction l’époque de Gaufrei de Monmouth quoiqu’elle ne lui soit pas empruntée. Il est même remarquable que dans l’adaptation galloise de l’Historia, le Brut Tysilio, et sa traduction, le Brut Gruffydd ab Arthur[56] l’aventure figure tandis qu’on la chercherait vainement dans l’Historia elle-même. Les traditions populaires qui en forment la partie essentielle sont incontestablement anciennes et bien antérieures à l’époque de la composition.

Kulhwch et Olwen occupent une place à part et proéminente à certains points de vue parmi nos récits. Ce qui frappe tout d’abord quand on les compare au Mabinogi, c’est que, comme dans le songe de Ronabwy, Arthur est la figure dominante : c’est à lui qu’on a recours ; c’est lui qui par son pouvoir, appuyé sur des guerriers et serviteurs aussi remarquables par leurs pouvoirs magiques que par leur audace, mène à bien la plus difficile des quêtes. Sa cour est le centre du monde : elle réunit tout ce que le narrateur connaît de peuples : Bretons d’Angleterre, Anglo-Saxons, Irlandais, Normands, Bretons d’Armorique, Français. Beaucoup plus encore que dans Ronabwy, Arthur est le maître d’un monde fantastique nettement celtique, mœurs et traditions. Sa cour ne ressemble en rien à celle de l’Arthur des romans français du xiiie siècle, où règnent l’amour courtois, les manières raffinées, le langage élégant, la bonne tenue qui distinguent les chevaliers de la Table Ronde. C’est une assemblée incohérente de personnages disparates, d’êtres fantastiques et surnaturels, pris de droite et de gauche dans des traditions de toute espèce, et groupés artificiellement autour du héros national devenu surtout un personnage de féerie.

C’est là ce qui constitue l’originalité propre de ce roman et lui donne une place intermédiaire entre le Mabinogi et les romans français. Tous les cycles sont mis à contribution et mêlés au profit d’Arthur. Aucun personnage historique du xiie siècle n’y apparaît, ce qui n’est pas le cas, comme nous l’avons vu, pour le Songe de Ronabwy. Le roman est sûrement antérieur (je l’ai prouvé plus haut) aux romans français. Il est évident que si l’auteur les avait connus, il n’eût pas hésité à introduire à la cour d’Arthur, les Sagremor, les Calogrenant, etc. Sa géographie est purement galloise et aussi précise et détaillée que celle des romans gallois d’origine ou d’adaptation française l’est peu. Kei n’a rien du Keu de ces romans ; c’est toujours le guerrier redoutable, à moitié fabuleux du Livre Noir et de certaines poésies de la Myv. Archaeol. Et le fait est d’autant plus digne de remarque, que la note ironique y apparaît ; on y sent déjà la parodie, comme dans le morceau irlandais connu sous le nom de Festin de Bricriu, ou encore dans Cuchulain malade et alité[57].

La liste des saints gallois était interminable. Les dieux ou héros qui ne s’étaient pas trop compromis dans l’Olympe païen ou qu’il eût été inutile ou dangereux de noircir dans l’esprit des populations christianisées, avaient été, en général, convertis et étaient passés au rang des saints. Pour tout abréger, on les avait divisés, semble-t-il, en trois grandes catégories : ils descendent soit de Kaw, soit de Cunedda, soit de Brychan ; notre auteur favorise la famille de Kaw et l’enrichit. Il y introduit entre autres : Dirmye, mépris ; Etmyc, admiration ; Konnyn, roseau ; Mabsant, saint patron ; Llwybyr, sentier ; Kalcas, Chalcas, enfin Neb, quelqu’un ! L’intention satirique ou plaisante est également marquée dans certains noms de l’invention de l’auteur, comme Nerth fils de Kadarn, Force fils de Fort ; Llawr fils d’Erw, Sol fils de Sillon[58] ; Hengroen, Vieille Peau, cheval de Kynnwyl ; dans les noms des chevaux, des femmes, des filles et des fils de Cleddyv Diwlch (plus bas, trad.)[59].

Les mœurs ne sont pas atteintes par la civilisation française du xiie siècle. On sent cependant quelque changement dans la conception que se font les guerriers de leur chef. Les compagnons d’Arthur paraissent choqués à la pensée qu’il va se colleter avec la sorcière : ce ne serait pas convenable. Ils trouvent aussi qu’il est au-dessous de lui d’aller à la recherche de certains objets de trop mince importance, et le renvoient poliment à sa cour de Kelliwic en Kernyw (Cornouaille anglaise). Ses officiers commencent à rougir de certains emplois qui leur paraissent compromettants pour eux et de nature à faire tort à la réputation de générosité d’Arthur : Glewlwyt fait remarquer qu’il veut bien faire les fonctions de portier au premier de l’an, mais que le reste de l’année ce sont ses subordonnés qui remplissent ce rôle : trait de mœurs remarquable qui se retrouve dans Owen et Lunet ou la Dame de la Fontaine[60] : Glewlwyt fait l’office de portier ou plutôt d’introducteur des étrangers, mais de portier, il n’y en avait point. Dans le poème du Livre Noir consacré à Kei, Glewlwyt au contraire, se présente nettement comme portier.

Quoique les mœurs soient païennes, l’influence chrétienne paraît parfois ; c’est ainsi que Nynniaw et Pebiaw ont été transformés en bœufs pour leurs péchés. Le porc Trwyth est un prince que Dieu a puni en le mettant sous cette forme. Le conteur a été visiblement embarrassé pour Gwynn ab Nudd. Gwynn, comme son père Nudd, est un ancien dieu des Celtes insulaires. (V. plus bas, note à Gwynn.) Les prêtres chrétiens en avaient fait un démon. Le peuple s’obstinait à le regarder comme un roi puissant et riche, le souverain des êtres surnaturels. Notre auteur a eu une idée originale : il l’a laissé en enfer où le christianisme l’avait fait définitivement descendre, pendant que son père Nudd conservait une place honorable dans l’Olympe chrétien, mais pour un motif des plus flatteurs pour lui : Dieu lui a donné la force des démons pour les dominer et les empêcher de détruire les hommes de ce monde : il est indispensable là-bas.

L’armement de Kulhwch est plus complètement celtique que celui des guerriers du Songe de Ronabwy. Comme Eocho Rond, dans le morceau épique irlandais de l’Exil des fils de Doël[61], il porte deux javelots, une lance et, à sa ceinture et au côté, une épée à poignée d’or. Les deux javelots sont caractéristiques de l’armement des anciens Celtes. Il ne rappelle en rien celui des chevaliers d’Owen et Lunet, de Peredur et de Gereint et Enid.

Un autre trait de mœurs archaïques, c’est l’évaluation de la valeur des pommes d’or du manteau de Kulhwch et de l’or de ses étriers et de ses chausses en vaches. (V. traduction et note.) Chacune des pommes vaut cent vaches, C’est encore la façon de compter dans les lois galloises rédigées au cours du xe siècle.

Si on rapproche ces observations des particularités archaïques de langue relevées plus haut, on arrive à placer la rédaction de ce roman dans la seconde moitié du xie ou le début du xiie siècle. On ne saurait la faire remonter plus haut. Un emprunt significatif suffirait à le prouver : au lieu de gwayw on y remarque gleif, lance, emprunté au français glaive qui avait aussi ce sens. (V. plus bas, trad., note à Kulhweh.) Or, le contact entre la civilisation française et la civilisation galloise n’a guère eu lieu avant la dernière partie du xie siècle. Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’Alfred Nutt (The Mabinogion, p. 342) a signalé certains points de ressemblance de Kulhweh et Olwen et aussi du Songe de Ronabwy avec des compositions irlandaises du xie siècle, comme la Destruction de la maison de dá Derga, l’Ivresse des Ulates ou hommes d’Ulster, le Festin de Bricriu. Quoiqu’il y ait dans Kulhwch des héros irlandais comme Cnychwr map Ness (Conchobar mac Nessa) et d’autres, l’influence des conteurs irlandais ne me paraît pas sensible. Il y a eu à toute époque des relations de guerre et d’amitié entre Gaëls et Brittons[62]. Elles ont été particulièrement actives pendant l’existence si troublée du roi de Nord-Galles, Gruffydd ad Cynan (1075-1137). Fils d’Irlandaise, il avait passé sa jeunesse en Irlande ; c’est en partie avec des forces irlandaises qu’il avait conquis sa couronne ; chassé de nouveau, c’est en Irlande qu’il avait cherché un refuge et c’est d’Irlande, avec l’appui des Irlandais, qu’il put retourner en Galles et triompher définitivement de ses ennemis. C’est probablement pendant son règne, que certaines légendes comme celles de Cúroi mac Daere furent empruntées par les bardes gallois aux chanteurs irlandais[63].

Au point de vue littéraire, Kulhwch est hors pair. Il dépasse en intérêt aussi bien le Mabinogi que les trois romans d’Olwen et Lunet, Peredur, Gereint et Enid, par la variété des épisodes, le merveilleux des aventures, le coloris des descriptions et surtout par la poésie de la langue. L’expression est poétique et vigoureuse ; la construction plus souple, plus nerveuse, moins alourdie de liaisons surtout que dans les romans d’origine française. Il mérite l’attention aussi au point de vue de la composition. C’est le plus considérable des romans purement gallois ; il est même sensiblement plus long qu’aucun des trois romans, notamment qu’Owen et Lunet, Or, malgré quelques incohérences dues au copiste sans doute, il surpasse sûrement en unité de composition Peredur et même les deux autres romans. L’auteur dans le Livre Blanc a mis cette unité parfaitement en relief par son titre même : Comment Kulhwch obtint Olwen. Cette constatation suffît à réduire à néant une théorie très répandue surtout parmi les romanistes, et qui a particulièrement cours au sujet de Tristan : c’est que si les épisodes dans les roman arthuriens sont celtiques, si la matière est bretonne, la mise en œuvre ne l’est pas : la trame des romans serait française et les Français seuls auraient été capables de donner une unité plus ou moins accentuée à des épisodes, on dit volontiers des lais, indépendants les uns des autres. Kulhwch prouve que les Brittons de Galles n’avaient nul besoin d’aller à l’école des couleurs français ou de s’inspirer de modèles français pour arriver à composer des romans d’aussi longue haleine et au moins aussi bien ordonnés.

Les quatre branches du Mabinogi représentent mieux la pure tradition des conteurs indigènes et le type ancien des compositions celtiques. Les quatre morceaux forment pour l’auteur un tout, un seul Mabinogi; or, le lien qui existe encore entre la branche de Branwen et celle de Manawyddan, est insignifiant entre celles de Manawyddan et de Math. On peut, à la vérité, distinguer dans le Mabinogi et ses branches, des cycles qui se sont mêlés et confondus[64] ; mais il n’y a cependant là rien de comparable au bouleversement de la plupart d’entre eux et à leur groupement au profit du seul cycle d’Arthur qui frappe dans Kulhwch. La Matière de Bretagne n’y paraît pas encore entièrement dominée par la légende arthurienne telle que nous la trouvons développée dans l’île de Bretagne et sur le continent, dans la seconde moitié du xiie siècle. Le mouvement était commencé : Kulhwch le prouve. Quoique Kulhwch ne doive rien à Gaufrei et qu’il soit antérieur à l’Historia[65], il appartient à une période caractérisée par des tendances analogues. Comme il est sûr que la rédaction de Kulhwch est au moins aussi ancienne, plus ancienne probablement que celle du Mabinogi,il n’est pas douteux que l’auteur de ce dernier cycle ne fût parfaitement au courant des traditions arthuriennes de son temps. S’il ne s’est pas laissé influencer par les tendances à la mode si puissantes à une époque d’exaltation nationale, c’est que les récits qu’il mettait par écrit appartenaient à une tradition orale depuis longtemps formée, qu’il n’était pas permis d’enfreindre ni de transformer : c’est une œuvre classique, comme je l’ai fait remarquer plus haut (p. 12), et impersonnelle ; Kulhwch est une œuvre nouvelle et personnelle.

Si la rédaction du Mabinogi ne peut guère être postérieure à la première moitié du xiie siècle, elle doit cependant se placer après la conquête normande. Certains termes de vénerie rappellent les termes de vénerie française. Le mot pali, vieux français paile et pali, est un emprunt fait à la civilisation française[66], qui s’est fait sentir sur les marches galloises et même dans l’intérieur du sud du pays de Galles, dans la seconde moitié du xie siècle.

Y a-t-il eu modification du caractère primitif celtique dans Branwen par suite d’influences germaniques ou, pour mieux dire, scandinaves, comme l’a cru Alfred Nutt (The Mabinogion, p. 332) ? Faut-il supposer un contact avec le cycle romantique qui nous raconte le Deuil de Gudrun-Kriemhild[67] et le Destin de ses enfants, l’enlèvement et la reprise de Hilde-Gudrun ? À priori, l’hypothèse n’est pas insoutenable. Les Scandinaves ont fait du ixe au xie siècle de fréquentes descentes sur les côtes du pays de Galles et du Cornwall, et même des établissements durables dans le pays de Pembroke. Mais on pourrait tout aussi bien soutenir que s’il y a eu emprunt, c’est du côté Scandinave.

Si on compare les quatre branches du Mabinogi à certains récits irlandais appartenant au même groupe de traditions vieilles celtiques, comme ceux qui concernent les Tuatha Dé Danann (peuples de la déesse Danu) et parmi eux Lir et son fils Mamannan (c’est le Gallois Llyr et son fils Manawyddan), il apparaît clairement, comme l’a fait remarquer Alfred Nutt, que le caractère mythique primitif, encore reconnaissable cependant parfois dans les romans gallois, est beaucoup moins marqué que dans les sagas irlandaises, traitant de sujets analogues. Il est incontestable que ce sont les Irlandais qui ont le mieux conservé la tradition celtique primitive.

Je ne saurais, par contre, attribuer la supériorité des Gallois, dans ces quatre branches, sur les Irlandais, au point de vue narratif et littéraire, à quelque vague influence de la culture plus raffinée des Français introduite en Angleterre par des compagnons de Guillaume et leurs descendants. C’est une hypothèse dénuée de tout fondement. La littérature française du xie et du commencement du xiie siècle ne nous offre rien qui ait pu, avec quelque vraisemblance, inspirer ou influencer les auteurs de nos romans. L’art incontestable qui s’y montre est tout aussi indigène que celui des poètes lyriques gallois, si parfaitement national et si raffiné ; or, ce sont sûrement des bardes ou des lettrés appartenant à la même école littéraire qui ont mis ces traditions par écrit[68].

Les trois romans d’Owen et Lunet, Peredur ab Evrawe, Gereint et Enid, nous transportent dans un monde différent : mœurs, culture, civilisation matérielle, armement, tout y porte la marque de la civilisation française du xiie siècle. Ces trois romans sont très près des romans français : Le chevalier au Lion[69], Erec et Enide, Le conte du Graal[70], œuvres de Chrétien de Troyes[71], le célèbre trouvère du xiie siècle. Le Perceval a été laissé inachevé ; l’œuvre de Chrétien s’arrête au vers 10.601. Un inconnu l’a continuée jusqu’au vers 21.916 : il traite surtout des aventures de Gawain. Puis vient Wauchier de Denain[72], dont la part s’arrête au v. 34.934. L’ensemble fut terminé par Manecier qui écrivait entre 1214 e 1225, et par Gerbert (1220-1225). L’ensemble comprend 63.000 vers.

L’Yvain ou le Chevalier au Lion avait été publié par lady Charlotte Guest à la suite de sa traduction d’Owen et Lunet, d’après un seul manuscrit de la Bibliothèque nationale, d’une façon si défectueuse que le texte en est à peu près inintelligible[73].

On a d’Yvain une version allemande de Hartmann von Aue[74], qui écrivait au xiie siècle, et une version norvégienne[75] qui a servi de base à un poème suédois et à un poème norvégien.

Ivain a été l’objet de nombreux travaux critiques. Parmi les plus importants et les plus récents, je citerai ceux de : Goossens[76], Baist[77], Arthur Brown[78], Ahlström[79], Nitze [80], E. Philipot[81].

Pour Perceval, on attend encore une édition critique du cycle français. Les versions étrangères sont importantes. La plus célèbre est le Parzival de Wolfram von Eschenbach, poète allemand qui écrivait au commencement du xiiie siècle : il est plus court, moins diffus que le Conte du Graal : l’auteur offre un poème complet[82]. Le Sir Percyvelle of Galles[83] représente une version qui ne ressemble aux autres que par les enfances du héros et ses premières aventures. Le Perceval hollandais[84] est une partie du grand poème de Lancelot ; il n’est pas sans intérêt, car l’original français qu’il traduit est perdu. La saga norvégienne est une traduction du Perceval de Chrétien[85].

Parmi les nombreux travaux de critique sur ce difficile sujet, je me contenterai de renvoyer à ceux d’Alfred Nutt[86], W. Golther[87], Baist[88], Weston[89], Mary Rh. William[90], Brown[91].

Erec et Enide a joui aussi de la faveur des littératures étrangères. La plus célèbre des versions est celle d’Hartmann von Aue qui écrivait vers la fin du xiie siècle et le commencement du xiiie siècle, [92]. Il existe aussi une version scandinave[93]. Les travaux spéciaux les plus important sur ce sujet sont ceux de : Bartsch[94], Othmer [95], Dreyer[96], Hagen[97], Philipot[98], Piquet[99], R. Edens[100].

La comparaison des trois romans gallois et français soulève divers problèmes qui peuvent se ramener à trois principaux :

1° Les romans gallois sont-ils des traductions ou des adaptions des romans français, ou, dans les parties communes, remontent-ils à une source commune ?

2° La source commune immédiate est-elle française ou celtique, et dans quelle mesure ?

3° Le fonds de ces romans est-il celtique ?

En dehors de l’école de Foerster dont le plus remarquable tenant est W. Golther, on ne voit plus dans les romans gallois une traduction des romans français. Les différences sont trop considérables pour qu’on puisse s’arrêter à une pareille hypothèse. Une adaptation des romans gallois aux français, dans certains épisodes, serait plus soutenable. Néanmoins, là même où il y a presque identité, à certains traits[101], il est facile de reconnaître que l’auteur gallois ne traduit pas. Il suffit de se reporter aux traductions galloises certaines de romans français, comme Bown o Hamlwn (Beuves de Hampton), Y Greal (Le Graal), pour être fixé sur ce point. Y a-t-il eu adaptation partielle ? L’auteur gallois a-t-il connu Chrétien ?

Il me semble difficile qu’à l’époque de la rédaction en gallois de ces romans, les œuvres de Chrétien aient pu être connues en Galles : Erec a été composé vers 1168 ; Yvain, vers 1173 ; Perceval en 1117-1175 [102].

L’épisode du lion, dans Yvain, serait un argument décisif, s’il était prouvé qu’il est de pure origine française, qu’il a été inspiré en France, par l’aventure de Gonfier de la Tour, comme l’a ingénieusement supposé M. Gaidoz[103]. Ce chevalier aurait sauvé un lion d’un serpent, et le lion l’aurait ensuite suivi et servi.

E. Philipot[104] fait remarquer que les documents qui ont conservé le souvenir de cette aventure sont du xiiie et du xive siècles. Arthur Brown[105], d’après Paul Meyer (Chanson de la Croisade contre les Albigeois, II, p. 378-380) constate que l’aventure de Gonfier se trouve dans une chronique de 1188, et qu’elle a pu être connue assez tôt pour être accessible à Chrétien. Il ne faut pas oublier cependant, comme l’a justement dit Philipot, que le héros est du Midi. De plus, ce thème du lion serviteur de l’homme est fort répandu. On en a des exemples dans des vies de saints anciennes. Arthur Brown renvoie pour le lion sauvé du serpent et suivant son sauveur à Holland (Chrétien von Troie, pp. 161-164), à Guy de Warwick (éd. Zupitza), au Roman de Hum. Enfin dans un opuscule postérieur à son Ivain (The knight of the lion, p. 688), Brown lui-même signale dans le morceau irlandais Tochmarc Emere (Recherche en mariage d’Emer) qui est antérieur à 1050, le rôle important joué par un lion (un animal semblable à un lion). Il n’est donc pas le moins du monde établi que l’épisode du lion soit de source française.

Les versions galloises paraissent plus simples dans l’ensemble, moins chargées d’épisodes que les versions françaises. L’idée maîtresse du Peredur, qui paraît bien être une histoire de vengeance, apparaît plus clairement que dans le Perceval.

Chrétien a dû accentuer la note courtoise, le ton de modération, l’esprit de bonne tenue de ses héros et renchérir sur son original.

Dans les romans gallois, en effet, les mœurs qui contrastent si singulièrement avec la rudesse et même la barbarie atténuées cependant des personnages de Kulhwch, sont moins policées et moins courtoises dans la forme que chez l’auteur français.

En revanche, si on repousse l’idée dune adaptation de Chrétien, il n’y a pas de doute que pour la plupart des épisodes, pour la trame et l’ensemble des trois récits, les romans gallois ne remontent à une source immédiate française[106].

La géographie de ces romans est vague, même pour le pays de Galles, le Cornwall, et la Bretagne insulaire celtique ; elle contraste avec la précision et le luxe de détails géographiques dans les romans purement gallois. Cependant elle est encore supérieure à celle de Chrétien. Quand Gereint quitte Caer-Lleon-sur-Wyse pour retourner en Cornwall, il arrive sur les bords de la Severn. Les nobles de Cornwall l’attendent sur l’autre rive[107]. Chrétien l’envoie chez son père Lac, à Carnant dont il ne connaît nullement la situation ; plus tard il l’enverra couronner à Nantes. Chrétien confond les deux Caer-Lleon, la ville du sud et celle du nord. Il met dans Yvain (vers 2.680) la cour d’Arthur à Cestre (Chester), tandis que dans le Livre Rouge (p. 283) elle est alors même à Kaer-Lleon-sur-Wysc dans le Sud-Galles. Or Cestre c’est également Kaer-Lleon (Castra Legionum). Ceci tendrait à prouver que l’original français antérieur dont se servait Chrétien a été composé en Angleterre. Chrétien ne connaît pas davantage la forêt où se passe la première chasse dans Erec : c’est dans Gereint, la forêt de Dena. Les mœurs sont françaises, avec des traits nettement celtiques de temps en temps ; on se sent en pleine civilisation française du xiie siècle, telle que nous la connaissons en France et en Angleterre. Les demeures sont des châteaux de seigneurs féodaux, avec quelques anachronismes trahissent un fond vieux celtique[108].

Le tournoi dans Owen et Lunet suffirait à dénoncer une source française. C’est un sport inconnu des Gallois ; le mot même (twrneimeint) est emprunté. Les tournois n’ont d’ailleurs guère été tolérés en Angleterre que sous Richard Ier.

L’armement est français. Il contraste avec celui de Kulhwch, et même avec celui des guerriers du Songe de Ronabwy, ce dernier contemporain de très près de l’époque de la composition des trois romans français [109].

Certains emprunts gallois dénoncent une source écrite française, par exemple geol, prison (Peredur, Livre Rouge, p. 238, l. 2 ; Cf. traduction). D’après l’orthographe galloise de toute époque, une forme geol se prononcerait en français aujourd’hui gueol (gu comme gu dans guerre) ; la forme orale geole (jeole) eût été écrite ieol ou jeol : la forme française la plus ancienne est jaiole.

Un autre passage dans Owen et Lunet ne peut guère s’expliquer que par une méprise de l’auteur gallois. Lunet, raconte à Owen qu’elle a été emprisonnée, pour avoir défendu sa réputation, dans un vase de pierre (llestyr o vaen) : l’expression se trouve dans le Livre Rouge et dans Peniarth[110]. Dans Chrétien, c’est une chapelle, et tout justement la chapelle qui se trouve près de la fontaine enchantée. Le roman gallois ne mentionne pas de chapelle à cet endroit : il doit y avoir eu erreur des deux côtés. Il n’y a qu’un mot qui puisse l’expliquer, c’est chapele, le vieux français chapele qui a à la fois les deux sens de lieu secret, prison et de vase. (Cf. Godefroy. Dictionnaire de l’ancienne langue française.) L’auteur gallois aura pris le second sens ; Chrétien aura employé chapele dans son sens ordinaire. Il n’est pas impossible aussi que les deux auteurs aient eu sous les yeux quelque forme latine qu’ils auront comprise diversement. Gröber (Grundriss der roman Phil, II, p. I, p.303) est d’avis que Chrétien a dû utiliser pour Perceval une source latine. De même Nitze (The castle of Grail, p. 39), suppose une source latine intermédiaire entre l’original celtique et les descriptions de Chrétien-Wofram pour le château.

Les noms des héros dans les trois romans gallois sont encore nettement celtiques. On trouvera dans les notes explicatives tous les renseignements utiles à leur sujet. Chrétien les a souvent défigurés. Il a changé Gereint en Erec, Peredur en Perceval[111].

Pour Erec à la place de Gereint, la cause paraît claire. Erec représente Guerec en construction ; c’est le nom d’un comte de Nantes, fils d’Alain Barbe-Torte, mort en 990, et celui du fondateur de l’État breton du Vannetais au vie siècle, État qui portait son nom : Bro-Weroc, puis Browerec et Bro-erec[112].

La famille de Champagne, comme je le montre plus bas, était apparenté aux princes bretons. Chrétien a voulu lui faire sa cour. C’est aussi pour cette raison qu’il fait couronner Erec à Nantes, le transportant brusquement en Bretagne, sans même lui faire passer la mer, tandis que dans le roman en prose, Erec est couronné à Londres par l’archevêque de Cantorbire (Cantorbery). L’épisode du couronnement n’existe pas dans Gereint et a sûrement été ajouté à l’original. Les noms du portier et de ses étranges serviteurs dans Gereint se retrouvent tous dans Kulhwch, et ce n’est pas trop s’avancer que d’en conclure que le rédacteur gallois de Gereint connaissait le roman de Kulhwch.

Les sources de Chrétien sont sûrement anglo-normandes. De bonne heure, dès la seconde moitié du xie siècle, en Galles, et, immédiatement après la conquête, en Cornwall, les Français se sont trouvés en contact avec les populations celtiques de l’île. Quand leurs conteurs vinrent à connaître les traditions brittoniques, ils s’intéressèrent naturellement surtout aux récits héroïques et merveilleux, à ceux qui mettaient en scène un vaillant guerrier triomphant de monstres et accomplissant de merveilleuses quêtes [113], faisant la cour à de belles dames. Ces récits, ils les racontent à leur façon ; comme le dit très bien Alfred Nutt (The Mabin., p. 753), le champion celtique devint un chevalier contemporain ; le chef celtique se mua en baron féodal ; les noms brittoniques aussi gênants pour eux que les noms de lieux gallois actuels pour les journalistes anglais, furent transformés ou remplacés ; la topographie primitive disparut.

Le féérique et le merveilleux ont été évidemment pour nos conteurs un des principaux attraits des légendes celtiques. Or, tous les récits gallois en sont pénétrés. S’ils ont préféré certains d’entre eux et laissé de côté, par exemple, le Mabinogi, c’est ou bien qu’ils ne les connaissaient pas ou qu’ils ont trouvé dans d’autres plus de scènes guerrières ou d’aventures héroïques. On ne saurait, en effet, comme l’a fait A. Nutt, opposer chez les Gallois, les récits héroïques aux récits mythiques. Si le caractère mythique est encore à la rigueur, parfois reconnaissable dans le Mabinogi, si la comparaison avec l’épopée irlandaise et certains traits particuliers permettent de reconnaître dans quelques personnages de ce groupe des dieux ou demi-dieux vieux celtiques, les héros sont des hommes au même titre qu’Owen, Peredur ou Gereint, vivant comme eux dans un monde à moitié surnaturel. Outre le motif donné plus haut, il est fort probable que si leur préférence est allée à des romans comme ceux de Peredar, Owen et Lunet, Gereint et Enid, Tristan', c’est qu’ils les ont trouvés sous une forme plus appropriée à leur goût, et voisine vraisemblablement de compositions du genre de Kulhwch. Ils ont sûrement trouvé des romans déjà formés qu’ils ont modifiés suivant leur tempérament et auxquels ils ont ajouté.

La pénétration des deux éléments celtique et français, a été profonde et durable en Galles. L’aristocratie française recherchait fort les alliances avec les Gallois encore indépendants à la fin du xie siècle, et restés tels, pour une partie notable du pays, jusqu’à la fin du xiiie, tandis que les Saxons étaient courbés sous le joug ; il faut y ajouter l’auréole de noblesse et d’ancienneté qui s’attachait dans des légendes, à la race brittonique. David, fils du vaillant et redoutable roi de Nord-Galles, Owein Gwynedd, épouse une sœur de Henri II ; Llewelyn ab Jorwerth, roi de Gwynedd lui aussi, épouse Jeanne, sœur du roi Jean ; Gerard de Windsor épouse Nest, fille du roi Rhys ab Tewdwr ; Bernard de Neumarch épouse Nest, fille de Trahaearn ab Caradoc ; Robert Fitzhamon, Nest, fille de Jestin ab Gwrgant ; John de Breos, Margaret, fille de Llewelyn ab Jorwerth ; Reynold de Bruce, une autre fille de ce roi. Gruffydd ab Rhys se marie à Matilda, fille de William de Breos ; Rhys Gryg, son frère, à une fille du comte de Clare ; Kadwaladr ab Gruffydd ab Kynan, à une fille de Gilbert, comte de Clare, etc.[114]. La génération sortie de ces unions fut plus galloise souvent que française. C’est très probablement par eux ou sous leur influence, par leurs ménestrels, que les traditions celtiques se propagèrent en Angleterre. Sur le rôle du Cornwall dans la transmission de la matière de Bretagne, V. J. Loth, Contributions à l’étude des romans de la Table Ronde.

Ce contact avec la civilisation la plus vivace et la plus avancée de l’époque ne fut pas non plus sans effet sur la société galloise. L’état social, la condition des terres en furent profondément modifiés.

En revanche, les bardes gallois n’avaient rien à apprendre des trouvères français, et de fait nulle influence française n’apparaît à aucun point de vue, dans leurs poésies. La poésie lyrique galloise est très supérieure à la poésie française. Il faut ajouter que si les alliances entre les deux aristocraties furent nombreuses, les luttes entre elles n’en furent pas moins ardentes et souvent terribles. À aucune autre époque, les luttes intestines entre les chefs gallois, les guerres avec les rois d’Angleterre ou leurs représentants, ne furent plus acharnées et plus incessantes. Devant les dangers qui menaçaient jusqu’à l’existence du pays, les bardes exaltaient le passé des ancêtres, multipliaient les prophéties annonçant l’apparition des sauveurs. Jamais le sentiment national n’atteignit à un degré d’exaltation comparable. C’est sans doute sous l’empire des sentiments nationaux, qu’on se mit à populariser par écrit les récits traditionnels, les glorieuses archives du passé mythologico-légendaire des anciens Brittons.

Sur le fond même des romans français, l’opinion générale aujourd’hui est qu’il est celtique. Le coup le plus rude qui ait été porté à la théorie contraire l’a été par la comparaison avec les épopées irlandaises dont un bon nombre nous est conservé dans des manuscrits antérieurs à la rédaction de ces romans, et qui sont manifestement pures d’influence étrangère. On a trouvé dans ces sagas nombre d’épisodes et de thèmes identiques à ceux des romans dits arthuriens, ou qui en étaient très rapprochés et remontaient évidemment à la même source vieille celtique[115].

Les travaux parus sur l’origine des romans arthuriens ou sur la matière de Bretagne se sont singulièrement multipliés depuis vingt-cinq ans. On trouvera les différentes théories soutenues sur ce sujet jusqu’en 1892, résumées et discutées dans mon travail : Des nouvelles théories sur l’origine des romans arthuriens[116]. (Revue celtique, XIII, pp. 475-503.)

Aux travaux déjà cités, on peut ajouter en français[117], ceux de Ferd. Lot[118], Bédier[119], Muret[120] ; en anglais : ceux d’Alfred Nutt[121], Arthur Brown[122], Schofield[123], Kiltredge[124], Newell[125], Lucy Allen Paton[126], Jessie L. Weston[127], Fletcher[128] ; en allemand, ceux de W. Golther[129], et de H. Zimmer[130].

On pourra facilement compléter cette bibliographie sommaire par celle beaucoup plus touffue dont récemment, un étudiant américain, Tom Peete Cross, a accompagné et quelque peu surchargé son travail paru dans la Revue celtique en 1910 (p. 413) sous le titre de : The celtic origin af the Lay of Yonec.

Si on peut avec quelque précision fixer la date approximative de la première rédaction par écrit des romans et mabinogion gallois, et même indiquer jusqu’à un certain point ; leur position respective, au-delà de la littérature écrite, au point de vue de la formation traditionnelle, il me paraît téméraire et en tout cas prématuré de chercher à établir une chronologie comparée des principaux thèmes ou données des romans formés de la matière de Bretagne. Il faudrait d’abord dégager chaque roman ou noyau de roman de tous les épisodes qui sont venus le grossir dans le cours des siècles, ou suivant le caprice des écrivains ; il serait nécessaire d’en fixer la forme vieille celtique, ce qui n’est possible que là où les documents irlandais offrent des points de contact. Puis, on se trouverait en face de l’océan sans bornes du Folklore. Il ne s’agirait plus de comparaison bornée à un groupe défini de langues et de littératures : ce serait un voyage aventureux à travers un monde encore mal exploré. Si on prend les trois romans gallois et leurs similaires français, on peut, par exemple, soutenir sans trop d’audace, que Gereint-Erec, si on ne prend que l’aventure de Gereint et Enid, est dans l’ensemble moins archaïque qu’Owen-Yvain et Peredur-Perceval. En revanche, on ne peut songer à se poser la même question pour ces deux derniers romans qu’après les avoir débarrassés des épisodes disparates qui les encombrant, les avoir dépouillés de leur vernis français, et précisé la donnée vieille celtique. En comparant Peredur-Perceval, on peut, avec quelque vraisemblance, supposer qu’il s’agit d’un récit de vengeance et d’expiation préhistorique ou vieille celtique[131]. Mais l’idée maîtresse d’Owen-Yvain est, en revanche, fort difficile à dégager. S’agit-il primitivement d’une histoire de féerie, d’amour entre mortel et créature surnaturelle, comme dans certains lais ; ou n’y a-t-il pas encore ici, une vengeance d’un autre genre, la vengeance de la Fontaine qui se défend, compliquée d’autres données ; ou mieux, fusion des deux thèmes ? Si on entre dans le détail des épisodes, on se trouve en présence de problèmes tout aussi difficiles, pour ne pas dire insolubles. Le roman de Kulhwch est relativement moderne, mais nombre de ses épisodes remontent à une haute et insaisissable antiquité.

L’épisode du porc Trwyt est sûrement vieux celtique ; celui de Mabon ab Modron avec son saumon est préhistorique. Comment expliquer que Bran se fasse couper la tête, avec ordre à ses compagnons de l’emporter avec eux pendant quatre-vingt-sept ans et de l’enterrer à Gwynn-Vrynn en face de la France ? N’y a-t-il pas là remaniement et confusion ? Un personnage ayant changé de forme est souvent délivré dans certains contes européens, si on lui coupe la tête. La même idée se retrouve chez les insulaires de Mabuia, dans le détroit de Torres[132].

Les recherches entreprises dans cette direction ont donné quelques résultats. On a pu, avec vraisemblance, mettre en relief le caractère mythique de certains personnages, mais on a trop généralisé. Il y a quelques années, tout était mythe solaire. Aujourd’hui, il n’y a plus rien d’humain ni de terrestre dans les légendes celtiques : tout est extra-naturel, other-world. Il semblerait que les anciens Celtes aient passé leur temps à rêver uniquement d’au-delà ou d’au-dessous. L’histoire et l’archéologie nous donnent une toute autre idée de cette grande famille, vive entre toutes, batailleuse, turbulente, avide de mouvement qui, du ive au ier siècle avant notre ère, a sillonné l’Europe dans tous les sens et l’a semée d’établissements dont beaucoup de noms de lieux témoignent aujourd’hui encore. Ils paraissent beaucoup plus occupés à envoyer leurs ennemis dans l’autre monde qu’à y rêver. En tout cas, il est parfaitement invraisemblable qu’il n’y ait que des personnages d’origine mythique dans les traditions d’un peuple héroïque entre tous et dont l’histoire même fournissait la plus abondante matière au merveilleux épique.

Le fond des romans arthuriens étant celtique et incontestablement d’origine brittonique, il resterait à fixer la part respective des trois groupes de cette famille dans leur transmission aux Français d’Angleterre et du continent. Ils y ont tous les trois collaboré dans des proportions difficiles à déterminer : à en juger par les trois romans français, ce sont évidemment les Gallois qui ont la principale part. Pour les lais, il ne semble pas qu’il en soit de même. Nul doute que les Bretons d’Armorique n’aient joué dans leur transmission et à un moindre degré, dans celle des romans, un rôle notable, en France et en Angleterre. Les deux courants, celui qui venait d’Angleterre et celui qui avait sa source en Armorique, semblent être venus se joindre en particulier à la cour de Champagne.

Depuis le mariage d’Alain Barbe-Torte avec une princesse de la maison de Blois, les rapports entre les princes bretons et les seigneurs de la famille de Blois furent fréquents et intimes. Ils continuèrent lorsque les comtes de Blois devinrent possesseurs de la Champagne. Le rapports des comtes de Champagne avec les rois d’Angleterre furent tout aussi intimes. Eudes II prit part à la conquête de l’Angleterre. Thibaut II de Champagne arma chevalier vers 1147-1151, Geoffroy second fils de Geoffroy Plantagenet, comte d’Anjou et duc de Normandie, plus tard comte de Nantes[133]. Si Chrétien a remplacé Gereint par Erec et imaginé le couronnement d’Erec à Nantes c’est probablement (V. plus haut) pour faire sa cour aux maîtres de son pays alliés à la famille ducale de Bretagne [135]. Mais il est de toute évidence que c’est en Angleterre surtout que s’est faite la communication des traditions celtiques, et leur élaboration par les écrivains de langue française[134]. Elle s’est faite dans des pays où les éléments celtiques, français et saxons se trouvaient en contact, c’est-à-dire, sur les marches du pays de Galles, et de bonne heure, au xiie siècle, dans l’intérieur du sud du pays, notamment en Glamorgan et en Pembrokeshire. Il est cependant très important de ne pas oublier que le seul pays d’Angleterre où les Français aient trouvé, à leur arrivée, les deux langues celtique et saxonne parlées concurremment, est le Cornwall. D’après le Domesday-Book tous les propriétaires, moins Cadoalant, Blethu et peut-être Griffin, étaient Saxons. Bon nombre de noms de lieux le sont déjà. La langue saxonne dominait complètement en Devon[135]. Il faut ajouter que plusieurs des nouveaux maîtres installés par Guillaume le Conquérant dans ce pays étaient bretons-armoricains. Iuthaël de Totenes, entre autres, était un des grands propriétaires du Devon et avait des possessions en Cornwall. Quand Eliduc part pour l’Angleterre, c’est à Totnes qu’il débarque et c’est chez le roi d’Excestre (Exeter) qu’il prend du service[136]. Pendant le xie et le xiie siècle, les Armoricains semblent avoir eu l’habitude de traverser la Manche pour chercher fortune dans le sud-ouest de l’île. C’est une habitude qu’ils avaient encore au xvie siècle. En Cornwall, ils étaient chez eux [137].

Il faut remarquer que les traditions brittoniques devaient s’être conservées chez des populations du Wessex entièrement saxonisées au point de vue de la langue mais où la fusion des éléments celtiques et saxons s’était faite pacifiquement, par exemple en Somerset, où le brittonique était encore parlé couramment au vii-viiiesiècle[138]. J’ai eu occasion d’ailleurs de montrer à plusieurs reprises que les rapports entre les Anglo-Saxons et les Brittons n’avaient pas eu le caractère d’implacable hostilité qu’on leur a trop souvent attribué[139].

La transmission s’est faite et oralement et par écrit, comme en témoignent les formes mêmes des noms propres. Les écrivains français ont dû trouver des romans déjà formés et non simplement des lais et des contes plus ou moins apparentés qu’ils auraient fondus ensemble.

Comme je l’ai établi plus haut, les Bretons insulaires, avant l’apparition des romans français, avaient mis sur pied des romans d’aussi longue haleine et aussi bien composés pour le moins que les romans français. Il est même remarquable que dans l’ensemble, Owen et Lunet, Peredur, Gereint et Enid sont supérieurs aux romans français correspondants. Au point de vue artistique, la supériorité des écrivains gallois est également incontestable. On ne peut que souscrire au jugement d’Alfred Nutt (The Mabinogion, p. 352). Comme il le dit, aucun écrivain français du temps de Chrétien, ni en France ni en Angleterre, ne saurait lutter contre les Gallois comme conteurs. Chez les Français, l’histoire se déroule lentement, terne, incolore, embarrassée de maladroites répétitions, de digressions oiseuses. Chez les Gallois, la narration est vivante, colorée, mettant en relief avec un sur instinct artistique, les traits de nature à produire un effet pittoresque et romantique[140].

Sur les principaux héros celtiques de nos romans, le lecteur trouvera dans les notes explicatives de ces deux volumes d’amples renseignements.

Le dialecte des Mabinogion et romans gallois de notre collection est celui du sud du pays de Galles[141]. Nous avons vu plus haut que les bardes du Glamorgan paraissent à l’époque de la rédaction du Mabinogi avoir été particulièrement renommés.

On ne connaît aucun de leurs auteurs. Il y en a eu plusieurs : il est évident que l’auteur de Kulhwch n’est pas le même que l’auteur ou le premier rédacteur du Mabinogi et qu’on ne saurait leur attribuer ni à l’un, ni à l’autre, ni le Songe de Ronabwy ni le Songe de Maxen ni l’Aventure de Lludd et Llevelis, ni à plus forte raison les trois derniers romans. Les Iolo manuscripts (p. 349), dont l’autorité est mince malgré l’intérêt et la valeur réelle parfois de certaines infirmations, donnent bien comme auteur des Mabinogion un certain Ieuan ap y Diwlith, mais il est probable qu’il ne vivait pas à la fin du xiie siècle comme le prétendent les biographes gallois ; il était en effet, fils de Rhys ab Rhiccert qui vivait vraisemblablement au xive siècle. Stephens[142] croit, avec raison, qu’il florissait vers 1380.

Un personnage beaucoup plus important, c’est le Bledhericus de Giraldus Cambrensis : famosus ille Bledhericus fabulator qui tempora nostra paulo prævenit. Thomas, qui écrivait en Angleterre vers 1170, auteur d’un Tristan dont il nous reste des fragments considérables, embarrassé par la variété des récits que colportaient les conteurs, fait appel, pour appuyer la version qu’il choisit, à l’autorité de Breri :

Seigneurs, cest cunte est mult divers Entre cels qui solent cunter E del cunte Tristran parler. Il en cuntent diversement ; Oï en ai de plusur gent ; Asez sait que chescun en dit, Et co qu’il unt mis en escrit Mes sulum ço que j’ai oï Nel dient pas sulum Breri, Ky solt les gestes é les cuntes De toz les reis, de toz les cuntes Ki orent esté en Bretaigne[143]. Breri est sûrement le Bledhericus de Giraldus Cambrensis : il représente le nom bien gallois de Bled-ri, avec un d spirant. La graphie de Giraldus représente, en faisant abstraction de la terminaison analogique en icus, la prononciation galloise : il s’est introduit entre la spirantes d et r une voyelle de résonnance qui se retrouve dans d’autres transcriptions et finit par former syllabe : cf. Graëlen pour Gradlon en passant par Gradlen. Bledri est le nom d’un évêque de Llandav nommé à ce siège en 983, célèbre par son savoir et son zèle pour l’instruction[144]. On trouve son nom, dans l’appendice de l’édition Gwenogvryn-Evans-John Rhys, p. 303, sous l’intéressante forme Blethery.

Gaufrei de Monmouth signale aussi un Blegobred ou Blegabred comme le roi des chanteurs et des poëtes[145]. Ce nom n’a naturellement rien de commun que le premier terme (Blegobred est pour Bled-cabrel) avec Bledri.

Il n’est pas douteux qu’un Bledri (Breri) == Bledhericus n’ait existé, grand auteur et compilateur de récits légendaires, mais, comme je l’insinuais dans ma première traduction (p. 21), il n’est pas le moins du monde certain que Thomas se soit inspiré directement de lui. Il met simplement sa version sous le patronage de la meilleure autorité indigène. Récemment, miss Jessie L. Weston a fait connaître un nouveau document intéressant Breri (Blederi)[146]. Le ms. add. 36614 du British Museum qui nous donne la continuation du Perceval de Chrétien par Wauchier de Denain, contient le curieux passage suivant ; décrivant le Petit Chevalier, qui garde le bouclier magique conquis par Gawain, l’auteur dit :

Deviser vos voel sa feiture Si com le conte Bleheris Qui fut nés et engenuis En Gales dont je cont le conte Et qui si le contoit au conte De Poitiers qui aimoit l’estoire E le tenait en grant mémoire Plus que nul autre ne faisoit. Le Bleheri gallois, évidemment le Breri de Thomas et le Bledhericus de Giraldus Cambrensis, aurait donc directement transmis son récità un comte de Poitiers. La famille de Poitiers a été longtemps en relations étroites avec la famille royale d’Angleterre. Miss Jessie L. Weston suppose qu’il s’agit plus spécialement de Guillaume III qui mourut en 1137. D’après le témoignage d’autres manuscrits qui, il est vrai, ne mentionnent pas Bleheris, la transmission se serait faite par écrit, et non oralement. Si l’on acceptait à la lettre l’assertion de Wauchier, il en résulterait que la transmission de la matière de Bretagne, pour un poème important, se serait faite directement d’un Gallois à un Français, par écrit, et qu’en outre, ce que j’ai d’ailleurs établi plus haut à propos de Kulhwch, il a existé des romans arthuriens gallois avant Thomas et Chrétien.

Wauchier qui écrivait, si on admet la date fixée par Jessie L. Weston à l’existence de Bleheris[147], plus d’un demi-siècle après son auteur, n’est probablement pas plus sincère ou mieux renseigné que Thomas. Il est de toute évidence que l’œuvre de Wauchier repose sur une source française : la forme des noms, les mœurs, tout le prouve. Que cette source française remonte pour une part importante à un certain Bledri qui a même été en relations avec un comte de la maison de Poitiers, c’est possible. En tout cas, si Jessie L. Weston s’exagère la valeur de ce témoignage, il n’en est pas moins digne de remarque.

Le commentaire naturel du Mabinogi et des romans gallois se trouve surtout dans les Triades, sortes de mementos du passé mythologico-historique des Brittons. La forme triadique remonte sûrement à une haute antiquité ; elle est aussi familière aux Irlandais qu’aux Gallois. Chez ces derniers, elle est devenue un genre littéraire fort piquant, moral, satirique, juridique, philosophique[148]. C’est un lit de Procuste où des lettrés ont fait entrer de force trois par trois, les personnages et les choses du passé. Nul doute que cette méthode n’ait contribué à fausser les traditions brittoniques, mais elle a l’avantage d’aider la mémoire. Les Triades servaient sans doute, comme les Mabinogion, à l’enseignement bardique ; tous les poètes gallois du xiie au xvie siècle en sont littéralement nourris ; les noms qui y figurent ; leur sont aussi familiers qu’aux poètes grecs les noms des dieux et des héros de l’Olympe homérique. On possède plusieurs versions des Triades, mais elles paraissent remonter en somme à trois sources : de l’une dérivent les Triades du Livre Rouge, celles d’un manuscrit de Hengwrt, du xiiie-xive siècle, publiées dans le Cymmrodor, VII, part. II, p. 99, p. 126 par Egerton Phillimore (celles de la Myv. Arch., p. 393-399, jusqu’au n° 60 sont celles du ""Livre Rouge"" même) ; la seconde a donné les Triades imprimées par Skene, en appendice, dans le tome II de ses Four ancient Books of Wales, d’après un manuscrit du xive siècle, et celles de la Myv. Arch. de la page 389, n° 5 à 391, n° 46, en exceptant les n° 18, 27, 42, 43, 44 ; une troisième a produit les Triades imprimées dans ce même recueil de la Myv. Arch., de la page 400 à la page 417 : il y en a 126 sur les 300 que contenait l’œuvre primitive. L’extrait de la Myv. Arch. a été fait en 1601 sur le livre de Jeuan Brechva, qui est mort vers 1500 environ et sur un autre manuscrit appelé très improprement le livre de Caradoc de Lancarvan, plus récent probablement que le premier. Ce sont donc les plus récentes de toutes ; ce sont elles qui ont aussi subi le plus de remaniements. En revanche, elles sont moins laconiques que les autres, et en forment parfois le commentaire. Malgré, des additions et des remaniements incontestables, le gros des Triades doit avoir été mis par écrit vers la fin du xiie siècle. Elles sont d’accord avec les Mabinogion et les citations des poètes de cette époque. Le fragment des Triades du Livre Noir est de la même source que les Triades des chevaux du Livre Rouge, et celles-ci n’en sont pas une copie.

Si les Triades ont une valeur historique des plus contestables, quoiqu’on y trouve l’écho d’événements certains sur lesquels l’histoire est muette, elles n’en sont pas moins très précieuses au point de vue de la mise en œuvre par des lettres des légendes et traditions des Brittons, précisément à l’époque où s’écrivaient les Mabinogion, ce qui pour nous en double le prix. Les Iolo mss.[149] forment une collection fort disparate, d’inégale valeur et d’une autorité toujours douteuse, mais on y trouve d’utiles et suggestives indications ; au point de vue légendaire, ils ne sont pas inutiles à consulter. J’ai dépouillé aussi la plus grande partie des poésies galloises jusqu’au xve siècle. Les documents historiques n’ont pas été négligés, notamment les Bruts.

L’influence de Gaufrei de Monmouth se fait sentir dans un certain nombre de Triades. Elle n’apparaît pas dans le Mabinogi, ni dans les romans purement gallois, si on excepte quelques traits dans les compositions littéraires intitulées le Songe de Maxen et l’Aventure de Lludd et Llevelis. À l’occasion, j’ai renvoyé à ses écrits.

Pour les noms propres, suivant l’exemple de John Rhys et J. Gwenogvryn Evans, j’ai adopté un compromis entre l’orthographe des Mabinogion et l’orthographe moderne. La spirante dentale sonore (spirante interdentale) est exprimée dans les Mabinogion par d (et dans certains manuscrits par t) ; je lui ai substitué le dd moderne, afin qu’on ne confondît pas avec d, occlusive sonore. R sourd est exprimé aujourd’hui par rh ; j’ai conservé r parce que la graphie rh est à peu près moderne et ensuite parce que ce son n’existe pas en Glamorgan : ailleurs, comme l, r initiale est une sourde. J’écris aussi v pour la spirante labiale sonore (v français, en général) au lieu de f moderne ; f pour la sourde, analogue à f français. Les autres signes orthographiques sont ceux du gallois moderne : w voyelle == ou français ; w consonne == w anglais ; u exprime un son intermédiaire entre u et i français ; y dans les monosyllabes accentuées, et la dernière syllabe des polysyllabes, se prononce comme l’ancien i bref accentué et se rapproche beaucoup de ü avec un arrondissement moindre des lèvres, dans le Nord-Galles ; il est à peu près i dans le Sud, en général. Y en dehors de ces cas à la valeur de notre e français dans l’article le, dans petit. Ch, spirante gutturale sourde, a la valeur du c’h breton ; th est une spirante interdentale sourde ; mh, nh, ngh représentent mp (mb dans certains cas), nt (nd en certaine situation), nc : ce sont des sourdes ; ng représente la nasale gutturale sonore, gutturale ou palatale suivant les voyelles qui la flanquent, et remonte à ng vieux-celtique (cf. allemand ing, ung). L sourd est exprimé par ll : on peut prononcer ce son en pressant la pointe de la langue contre le palais, au-dessus des dents, et, en expirant fortement l’air des deux côtés, mais plus du côté droit.

J’ai donné les épithètes, même quand le sens en était certain, en gallois, quitte à les traduire quand il y a lieu et que leur interprétation est sûre : l’épithète est souvent plus significative et plus tenace que le nom. La forme galloise des noms peut servir d’indice et de point de repère dans l’étude de l’évolution des traditions brittoniques chez les autres peuples du moyen âge. La forme des noms d’origine celtique dans les romans arthuriens étrangers suffit à elle seule, souvent, pour établir si la source est galloise, cornique ou bretonne, si elle a été transmise par écrit ou oralement, et même à quelle époque.

J’ai fait suivre les Triades, en appendice également, des généalogies des chefs gallois de la fin du xe siècle (II), avec un court document sur l’Extraction des hommes du Nord ; la division du pays de Galles en cantrev et en cymmwd (p. 327) ; enfin, les Annales Cambriæ dans leur partie la plus ancienne, qui va jusqu’en 954. Tous ces documents sont d’une sérieuse valeur sur laquelle le lecteur sera renseigné par des notes, et de nature à aider à l’intelligence des romans arthuriens.


LES MABINOGION - PWYLL, prince de Dyvet

Ici commence le Mabinogi.


Pwyll[150], prince de Dyvet[151], régnait sur les sept cantrefs[152] de ce pays. Un jour qu’il était à Arberth[153], sa principale cour, il lui prit fantaisie d’aller à la chasse. L’endroit de ses domaines qu’il avait en vue pour la chasse, c’était Glynn Cuch[154]. Il partit la nuit même d’Arberth et arriva à Llwyn Diarwya[155] où il passa la nuit. Le lendemain il se leva, dans la jeunesse[156] du jour, et se rendit à Glynn Cuch pour y lancer ses chiens sous bois. Son cor sonna le rassemblement pour la chasse ; il s’élança à la suite des chiens et perdit bientôt ses compagnons. Comme il prêtait l’oreille aux aboiements des chiens, il entendit ceux d’une autre meute ; la voix n’était pas la même et cette meute s’avançait à la rencontre de la sienne. À ce moment, une clairière unie s’offrit à sa vue dans le bois, et, au moment où sa meute apparaissait sur la lisière de la clairière, il aperçut un cerf fuyant devant l’autre. Il arrivait au milieu de la clairière lorsque la meute qui le poursuivait l’atteignit et le terrassa. Pwyll se mit à considérer la couleur de ces chiens sans plus songer au cerf : jamais il n’en avait vu de pareille à aucun chien de chasse au monde. Ils étaient d’un blanc éclatant et lustré, et ils avaient les oreilles rouges, d’un rouge aussi luisant que leur blancheur. Pwyll s’avança vers les chiens, chassa la meute qui avait tué le cerf et appela ses chiens à la curée. À ce moment il vit venir à la suite de la meute, un chevalier monté sur un grand cheval gris-fer, un cor de chasse passé autour du cou, portant un habit de chasse de laine grise.

Le chevalier s’avança vers lui et lui parla ainsi : « Prince, je sais qui tu es, et je ne te saluerai point. » ― « C’est que tu es peut-être, » répondit Pwyll, » d’un rang tel que tu puisses t’en dispenser. » ― « Ce n’est pas assurément l’éminence de mon rang qui m’en empêche. » ― « Quoi donc, seigneur ? » ― « Par moi et Dieu, ton impolitesse et ton manque de courtoisie. » ― « Quelle impolitesse, seigneur, as-tu remarquée en moi ? » ― « Je n’ai jamais vu personne en commettre une plus grande que de chasser une meute qui a tué un cerf et d’appeler la sienne à la curée ! c’est bien là un manque de courtoisie ; et, quand même je ne me vengerais pas de toi, par moi et Dieu, je te ferai mauvaise réputation pour la valeur de plus de cent cerfs. » ― « Si je t’ai fait tort, je rachèterai ton amitié. » ― « De quelle manière ? » ― « Ce sera selon ta dignité[157] ; je ne sais qui tu es. » ― « Je suis couronné dans mon pays d’origine. » ― « Seigneur, bon jour à toi ! Et de quel pays es-tu ? » ― « D’Annwvyn[158] ; je suis Arawn[159], roi d’Annwvyn. » ― « De quelle façon, seigneur, obtiendrai-je ton amitié ? » ― « Voici : il y a quelqu’un dont les domaines sont juste en face des miens et qui me fait continuellement la guerre ; c’est Hafgan roi d’Annwvyn. Si tu me débarrasses de ce fléau, et tu le pourras facilement, tu obtiendras sans peine mon amitié. » ― « Je le ferai volontiers. Indique-moi comment j’y arriverai. » ― « Voici comment. Je vais lier avec toi confraternité intime[160] ; je te mettrai à ma place à Annwvyn ; je te donnerai pour dormir avec toi chaque nuit la femme la plus belle que tu aies jamais vue. Tu auras ma figure et mon aspect, si bien qu’il n’y aura ni valet de la chambre, ni officier, ni personne parmi ceux qui m’ont jamais suivi, qui se doute que ce n’est pas moi. Et cela, jusqu’à la fin de cette année, à partir de demain. Notre entrevue aura lieu alors dans cet endroit-ci. » ― « Bien, mais, même après avoir passé un an là-bas, d’après quelles indications pourrai-je me rencontrer avec l’homme que tu dis ? » ― « La rencontre entre lui et moi est fixée à un an ce soir, sur le gué ; sois-y sous mes traits ; donne-lui un seul coup, et il ne survivra pas. Il t’en demandera un second, mais ne le donne pas en dépit de ses supplications. Moi, j’avais beau frapper, le lendemain il se battait avec moi de plus belle. » ― « Bien, mais que ferai-je pour mes états ? » ― « Je pourvoirai, » dit Arawn, à ce qu’il n’y ait dans tes états ni homme ni femme qui puisse soupçonner que c’est moi qui aurai pris tes traits ; j’irai à ta place. » ― « Volontiers, je pars donc. » ― « Ton voyage se fera sans difficulté ; rien ne te fera obstacle jusqu’à ce que tu arrives dans mes États : je serai ton guide. » Il conduisit Pwyll jusqu’en vue de la cour et des habitations. « Je remets, » dit-il, « entre tes mains ma cour et mes domaines. Entre ; il n’y a personne qui hésite à te reconnaître. À la façon dont tu verras le service se faire, tu apprendras les manières de la cour. »

Pwyll se rendit à la cour. Il y aperçut des chambres à coucher, des salles, des appartements avec les décorations les plus belles qu’on pût voir dans une maison. Aussitôt qu’il entra dans la salle, des écuyers et de jeunes valets accoururent pour le désarmer. Chacun d’eux le saluait en arrivant. Deux chevaliers vinrent le débarrasser de son habit de chasse et le revêtir d’un habit d’or de paile[161]. La salle fut préparée ; il vit entrer la famille, la suite, la troupe la plus belle et la mieux équipée qui se fût jamais vue, et avec eux la reine, la plus belle femme du monde, vêtue d’un habit d’or de paile lustrée. Après s’être lavés, ils se mirent à table : la reine d’un côté de Pwyll, le comte, à ce qu’il supposait, de l’autre. Il commença à causer avec la reine et il jugea, à sa conversation, que c’était bien la femme la plus avisée, au caractère et au langage le plus nobles, qu’il eût jamais vue. Ils eurent à souhaits mets, boissons, musique, compotation ; c’était bien de toutes les cours qu’il avait vues au monde, la mieux pourvue de nourriture, de boissons, de vaisselle d’or et de bijoux royaux. Lorsque le moment du sommeil fut arrivé, la reine et lui allèrent se coucher. Aussitôt qu’ils furent au lit, il lui tourna le dos et resta le visage fixé vers le bord du lit, sans lui dire un seul mot jusqu’au matin. Le lendemain, il n’y eut entre eux que gaieté et aimable conversation. Mais, quelle que fût leur affection pendant le jour, il ne se comporta pas une seule nuit jusqu’à la fin de l’année autrement que la première. Il passa le temps en chasses, chants, festins, relations aimables, conversations avec ses compagnons, jusqu’à la nuit fixée pour la rencontre. Cette rencontre, il n’y avait pas un homme, même dans les parages les plus éloignés du royaume, qui ne l’eût présente à l’esprit. Il s’y rendit avec les gentilshommes de ses domaines.

Aussitôt son arrivée, un chevalier se leva et parla ainsi : « Nobles, écoutez-moi bien : c’est entre les deux rois qu’est cette rencontre, entre leurs deux corps seulement. Chacun d’eux réclame à l’autre terre et domaines. Vous pouvez tous rester tranquilles, à la condition de laisser l’affaire se régler entre eux deux. » Aussitôt les deux rois s’approchèrent l’un de l’autre vers le milieu du gué, et en vinrent aux mains. Au premier choc, le remplaçant d’Arawn atteignit Hafgan au milieu de la boucle de l’écu si bien qu’il le fendit en deux, brisa l’armure et lança Hafgan à terre, de toute la longueur de son bras et de sa lance[162], par-dessus la croupe de son cheval mortellement blessé. « Ah, prince, » s’écria Hafgan, « quel droit avais-tu à ma mort ? Je ne te réclamais rien ; tu n’avais pas de motifs, à ma connaissance, pour me tuer. Au nom de Dieu, puisque tu as commencé, achève-moi. » ― « Prince, » répondit-il, « il se peut que je me repente de ce que je t’ai fait ; cherche qui te tue, pour moi, je ne te tuerai pas. » ― « Mes nobles fidèles, emportez-moi d’ici ; c’en est fait de moi ; je ne suis plus en état d’assurer plus longtemps votre sort. » ― « Mes nobles, » dit le remplaçant d’Arawn, « faites-vous renseigner et sachez quels doivent être mes vassaux. » ― « Seigneur, » répondirent les nobles, « tous ici doivent l’être ; il n’y a plus d’autre roi sur tout Annwvyn que toi. » ― « Eh bien, il est juste d’accueillir ceux qui se montreront sujets soumis ; pour ceux qui ne viendront pas faire leur soumission, qu’on les y oblige par la force des armes[163]. » Il reçut aussitôt l’hommage des vassaux, et commença à prendre possession du pays ; vers le milieu du jour, le lendemain ; les deux royaumes étaient en son pouvoir. Il partit ensuite pour le lieu du rendez-vous, et se rendit à Glynn Cuch. Il y trouva Arawn qui l’attendait ; chacun d’eux fit à l’autre joyeux accueil : « Dieu te récompense », dit Arawn, « tu t’es conduit en camarade, je l’ai appris. Quand tu seras de retour, dans ton pays », ajouta-t-il, « tu verras ce que j’ai fait pour toi. » ― « Dieu te le rende », répondit Pwyll. Arawn rendit alors sa forme et ses traits à Pwyll, prince de Dyvet et, reprit les siens ; puis il retourna à sa cour en Annwvyn.

Il fut heureux de se retrouver avec ses gens et sa famille[164], qu’il n’avait pas vus depuis un long temps. Pour eux, ils n’avaient pas senti son absence, et son arrivée ne parut pas, cette fois, plus extraordinaire que de coutume. Il passa la journée dans la gaieté, la joie, le repos et les conversations avec sa femme et ses nobles. Quand le moment leur parut venu de dormir plutôt que de boire, ils allèrent se coucher. Le roi se mit au lit et sa femme alla le rejoindre. Après quelques moments d’entretien, il se livra avec elle aux plaisirs de l’amour. Comme elle n’y était plus habituée depuis un an, elle se mit à réfléchir. « Dieu », dit-elle, « comment se fait-il qu’il ait eu cette nuit des sentiments autres que toutes les autres nuits depuis un an maintenant ? » Elle resta longtemps songeuse. Sur ces entrefaites, il se réveilla. Il lui adressa une première fois la parole, puis une seconde, puis une troisième, sans obtenir une réponse. « Pourquoi », dit-il, ne me réponds-tu pas ? » ― « Je t’en dirai, » répondit-elle, « plus que je n’en ai dit en pareil lieu depuis un an. » ― « Comment ? Nous nous sommes entretenus de bien des choses. » ― « Honte à moi, si, il y aura eu un an hier soir, à partir de l’instant où nous nous trouvions dans les plis de ces draps de lit, il y a eu entre nous jeux et entretiens ; si tu as même tourné ton visage vers moi, sans parler, à plus forte raison, de choses plus importantes ! » Lui aussi devint songeur. « En vérité, Seigneur Dieu », s’écria-t-il, « il n’y a pas d’amitié plus solide et plus constante que celle du compagnon que j’ai trouvé ». Puis il dit à sa femme : « Princesse, ne m’accuse pas ; par moi et Dieu, je n’ai pas dormi avec toi, je ne me suis pas étendu à tes côtés depuis un an hier au soir. » Et il lui raconta son aventure. « J’en atteste Dieu, » dit-elle, « tu as mis la main sur un ami solide et dans les combats, et dans les épreuves du corps, et dans la fidélité qu’il t’a gardée. » ― « Princesse, c’était justement à quoi je réfléchissais, lorsque je me suis tu vis-à-vis de toi. » ― « Ce n’était donc pas étonnant », répondit-elle.

Pwyll, prince de Dyvet, retourna aussi dans ses domaines et son pays. Il commença par demander à ses nobles ce qu’ils pensaient de son gouvernement, cette année-là, en comparaison des autres années. « Seigneur, » répondirent-ils, « jamais tu n’as montré autant de courtoisie, jamais tu n’as été plus aimable ; jamais tu n’as dépensé avec tant de facilité ton bien ; jamais ton administration n’a été meilleure que cette année. » ― « Par moi et Dieu, » s’écria-t-il, « il est vraiment juste que vous en témoigniez votre reconnaissance à l’homme que vous avez eu au milieu de vous. Voici l’aventure telle qu’elle s’est passée. » Et il la leur raconta tout au long. « En vérité, seigneur, » dirent-ils, « Dieu soit béni de t’avoir procuré pareille amitié. Le gouvernement que nous avons eu cette année, tu ne nous le reprendras pas ? » ― « Non, par moi et Dieu, autant qu’il sera en mon pouvoir. » À partir de ce moment, ils s’appliquèrent à consolider leur amitié ; ils s’envoyèrent chevaux, chiens de chasse, faucons, tous les objets précieux que chacun d’eux croyait propres à faire plaisir à l’autre. À la suite de son séjour en Annwvyn, comme il avait gouverné avec tant de succès et réuni en un les deux royaumes le même jour, la qualification de prince de Dyvet pour Pwyll fut laissée de côté, et on ne l’appela plus désormais que Pwyll, chef d’Annwvyn.

Un jour il se trouvait à Arberth, sa principale cour, où un festin avait été préparé, avec une grande suite de vassaux. Après le premier repas, Pwyll se leva, alla se promener, et se dirigea vers le sommet d’un tertre[165] plus haut que la cour, et qu’on appelait Gorsedd Arberth. « Seigneur, » lui dit quelqu’un de la cour, « le privilège de ce tertre, c’est que tout noble qui s’y asseoit, ne s’en aille pas sans avoir reçu des coups et des blessures, ou avoir vu un prodige. » ― « Les coups et les blessures, » répondit-il, « je ne les crains pas au milieu d’une pareille troupe. Quant au prodige, je ne serais pas fâché de le voir. Je vais m’asseoir sur le tertre. » C’est ce qu’il fit. Comme ils étaient assis, ils virent venir, le long de la grand’route qui partait du tertre, une femme montée sur un cheval blanc-pâle, gros, très grand ; elle portait un habit doré et lustré. Le cheval paraissait à tous les spectateurs s’avancer d’un pas lent et égal. Il arriva à la hauteur du tertre. « Hommes, » dit Pwyll, « y a-t-il parmi vous quelqu’un qui connaisse cette femme à cheval, là-bas ? » ― « Personne, seigneur, » répondirent-ils. « Que quelqu’un aille à sa rencontre sur la route, pour savoir qui elle est. » Un d’eux se leva avec empressement et se porta à sa rencontre ; mais quand il arriva devant elle sur la route, elle le dépassa. Il se mit à la poursuivre de son pas le plus rapide ; mais plus il se hâtait, plus elle se trouvait loin de lui.

Voyant qu’il ne lui servait pas de la poursuivre, il retourna auprès de Pwyll, et lui dit : « Seigneur, il est inutile à n’importe quel homme à pied, au monde, de la poursuivre. » ― « Eh bien, » répondit Pwyll, « va à la cour, prends le cheval le plus rapide que tu y verras, et pars à sa suite. » Le valet [166] alla chercher le cheval, et partit. Arrivé sur un terrain uni, il fit sentir les éperons au cheval ; mais plus il le frappait, plus elle se trouvait loin de lui, et cependant son cheval paraissait avoir gardé la même allure qu’elle lui avait donnée au début. Son cheval à lui faiblit. Quand il vit que le pied lui manquait, il retourna auprès de Pwyll. « Seigneur, » dit-il, « il est inutile à qui que ce soit de poursuivre cette dame. Je ne connaissais pas auparavant de cheval plus rapide que celui-ci dans tout le royaume, et cependant il ne m’a servi de rien de la poursuivre. » ― « Assurément, » dit Pwyll, « il y a là-dessous quelque histoire de sorcellerie. Retournons à la cour. » Ils y allèrent et y passèrent la journée.

Le lendemain, ils y restèrent depuis leur lever jusqu’au moment de manger. Le premier repas terminé, Pwyll dit : « Nous allons nous rendre au haut du tertre, nous tous qui y avons été hier. Et toi, » dit-il à un écuyer, « amène le cheval le plus rapide que tu connaisses dans les champs. » Le page obéit ; ils allèrent au tertre avec le cheval. Ils y étaient à peine assis qu’ils virent la femme sur le même cheval, avec le même habit, suivant la même route. « Voici, » dit Pwyll, « la cavalière d’hier. Sois prêt, valet, pour aller savoir qui elle est. » ― « Volontiers, seigneur. » L’écuyer monta à cheval, mais avant qu’il ne fût bien installé en selle, elle avait passé à côté de lui en lui laissant entre eux une certaine distance ; elle ne semblait pas se presser plus que le jour précédent. Il mit son cheval au trot, pensant que, quelque tranquille que fût son allure, il l’atteindrait. Comme cela ne lui réussissait pas, il lança son cheval à toute bride ; mais il ne gagna pas plus de terrain que s’il eût été au pas. Plus il frappait le cheval, plus elle se trouvait loin de lui, et cependant elle ne semblait pas aller d’une allure plus rapide qu’auparavant. Voyant que sa poursuite était sans résultat, il retourna auprès de Pwyll. « Seigneur, le cheval ne peut pas faire plus que ce que tu lui as vu faire. » ― « Je vois, » répondit-il, « qu’il ne sert à personne de la poursuivre. Par moi et Dieu, elle doit avoir une mission pour quelqu’un de cette plaine ; mais elle ne se donne pas le temps de l’exposer. Retournons à la cour. » Ils y allèrent et y passèrent la nuit, ayant à souhait musique et boissons.

Le lendemain, ils passèrent le temps en divertissements jusqu’au moment du repas. Le repas terminé, Pwyll dit : « Où est la troupe avec laquelle j’ai été, hier et avant hier, au haut du tertre ? » ― « Nous voici, Seigneur, » répondirent-ils. « Allons nous y asseoir. » ― « Et toi, » dit-il à son écuyer, « selle bien mon cheval, va vite avec lui sur la route, et apporte mes éperons. » Le serviteur le fit. Ils se rendirent au tertre. Ils y étaient à peine depuis un moment, qu’ils virent la cavalière venir par la même route, dans le même attirail, et s’avançant de la même allure. « Valet, » dit Pwyll, « je vois venir la cavalière ; donne-moi mon cheval. » Il n’était pas plutôt en selle qu’elle l’avait déjà dépassé. Il tourna bride après elle, et lâcha les rênes à son cheval impétueux et fougueux, persuadé qu’il allait l’atteindre au deuxième ou au troisième bond. Il ne se trouva pas plus près d’elle qu’auparavant. Il lança son cheval de toute sa vitesse. Voyant qu’il ne lui servait pas de la poursuivre, Pwyll s’écria : « Jeune fille, pour l’amour de l’homme que tu aimes le plus, attends-moi. » ― « Volontiers, » dit-elle ; « il eût mieux valu pour le cheval que tu eusses fait cette demande il y a déjà quelques temps. » La jeune fille s’arrêta et attendit. Elle rejeta la partie de son voile qui lui couvrait le visage, fixa ses regards sur lui et commença à s’entretenir avec lui. ― « Princesse, » dit Pwyll, « d’où viens-tu et pourquoi voyages-tu ? » ― « Pour mes propres affaires, » répondit-elle, « et je suis heureuse de te voir. » ― « Sois la bienvenue. » Aux yeux de Pwyll, le visage de toutes les pucelles ou femmes qu’il avait vues n’était d’aucun charme à côté du sien. « Princesse, » ajouta-t-il, « me diras-tu un mot de tes affaires ? » ― « Oui, par moi et Dieu[167], » répondit-elle, « ma principale affaire était de chercher à te voir ». ― « Voilà bien, pour moi, la meilleure affaire pour laquelle tu puisses venir. Me diras-tu qui tu es ? » ― « Prince, je suis Riannon[168], fille de Heveidd Hen[169]. On veut me donner à quelqu’un malgré moi. Je n’ai voulu d’aucun homme, et cela par amour pour toi, et je ne voudrai jamais de personne, à moins que tu ne me repousses. C’est pour avoir ta réponse à ce sujet que je suis venue. » ― « Par moi et Dieu, la voici : Si on me donnait à choisir entre toutes les femmes et les pucelles du monde, c’est toi que je choisirais. » ― « Eh bien ! si telle est ta volonté, fixe-moi un rendez-vous avant qu’on ne me donne à un autre. » ― « Le plus tôt sera le mieux ; fixe-le à l’endroit que tu voudras. » ― « Eh bien, seigneur, dans un an, ce soir, un festin sera préparé par mes soins, en vue de ton arrivée, dans la cour d’Heveidd. » ― « Volontiers, j’y serai au jour dit. » ― « Reste en bonne santé, seigneur, et souviens-toi de ta promesse. Je m’en vais. »

Ils se séparèrent, Pwyll revint auprès de ses gens et de la suite. Quelque demande qu’on lui fit au sujet de la jeune fille, il passait à d’autres sujets. Ils passèrent l’année à Arberth jusqu’au moment fixé. Il s’équipa avec ses chevaliers, lui centième, et se rendit à la cour d’Eveidd Hen. On lui fit bon accueil. Il y eut grande réunion, grande joie et grands préparatifs de festin à son intention. On disposa de toutes les ressources de la cour d’après sa volonté. La salle fut préparée et on se mit à table Heveidd Hen s’assit à un des côtés de Pwyll, Riannon de l’autre ; et, après eux, chacun suivant sa dignité. On se mit à manger, à boire et à causer.

Après avoir fini de manger, au moment où on commençait à boire, on vit entrer un grand jeune homme brun, à l’air princier, vêtu de paile. De l’entrée de la salle, il adressa son salut à Pwyll et à ses compagnons. « Dieu te bénisse, mon âme, » dit Pwyll, « viens t’asseoir. » ― « Non, » répondit-il, « je suis un solliciteur et je vais exposer ma requête. » ― « Volontiers. » ― « Seigneur, c’est à toi que j’ai affaire et c’est pour te faire une demande que je suis venu. » ― « Quel qu’en soit l’objet, si je puis te le faire tenir, tu l’auras. » ― « Hélas ! » dit Riannon, « pourquoi fais-tu une pareille réponse ? » ― « Il l’a bien faite, princesse, » dit l’étranger, « en présence de ces gentilshommes » ― « Quelle est ta demande, mon âme ? » dit Pwyll. « Tu dois coucher cette nuit avec la femme que j’aime le plus ; c’est pour te la réclamer, ainsi que les préparatifs et approvisionnements du festin, que je suis venu ici. » Pwyll resta silencieux, ne trouvant rien à répondre. « Tais-toi tant que tu voudras, » s’écria Riannon ; « je n’ai jamais vu d’homme faire preuve de plus de lenteur d’esprit que toi. » ― « Princesse, » répondit-il, « je ne savais pas qui il était. » ― « C’est l’homme à qui on a voulu me donner malgré moi, Gwawl, fils de Clut, personnage belliqueux et riche. Mais puisqu’il t’est échappé de parler comme tu l’as fait, donne-moi à lui pour t’éviter une honte. » ― « Princesse, je ne sais quelle réponse est la tienne ; je ne pourrai jamais prendre sur moi de dire ce que tu me conseilles. » ― « Donne-moi à lui et je ferai qu’il ne m’aura jamais. » ― « Comment cela ? » ― « Je te mettrai en main un petit sac ; garde-le bien. Il te réclamera le festin et tous ses préparatifs et approvisionnements, mais rien de cela ne t’appartient. Je le distribuerai aux troupes et à la famille. Tu lui répondras dans ce sens. Pour ce qui me concerne, je lui fixerai un délai d’un an, à partir de ce soir, pour coucher avec moi. Au bout de l’année, trouve-toi avec ton sac, avec tes chevaliers, toi centième, dans le verger là haut. Lorsqu’il sera en plein amusement et compotation, entre, vêtu d’habits de mendiant, le sac en main, et ne demande que plein le sac de nourriture. Quand même on y fourrerait tout ce qu’il y a de nourriture et de boisson dans ces sept cantrevs-ci, je ferai qu’il ne soit pas plus plein qu’auparavant. Quand on y aura fourré une grande quantité, il te demandera si ton sac ne sera jamais plein. Tu lui répondras qu’il ne le sera point, si un noble très puissant ne se lève, ne presse avec ses pieds la nourriture dans le sac et ne dise : « on en a assez mis. » C’est lui que j’y ferai aller pour fouler la nourriture. Une fois qu’il y sera entré, tourne le sac jusqu’à ce qu’il en ait par-dessus la tête et fais un nœud avec les courroies du sac. Aie une bonne trompe autour du cou, et, aussitôt que le sac sera lié sur lui, sonne de la trompe : ce sera le signal convenu entre toi et tes chevaliers. À ce son, qu’ils fondent sur la cour. » Gwawl dit à Pwyll : « Il est temps que j’aie réponse au sujet de ma demande. » ― « Tout ce que tu m’as demandé de ce qui est en ma possession, » répondit-il, « tu l’auras ». « Mon âme, » lui dit Riannon, « pour le festin avec tous les approvisionnements, j’en ai disposé en faveur des hommes de Dyvet, de ma famille et des compagnies qui sont ici ; je ne permettrai de le donner à personne. Dans un an ce soir, un festin se trouvera préparé dans cette salle pour toi, mon âme, pour la nuit où tu coucheras avec moi. » Gwawl retourna dans ses terres, Pwyll en Dyvet, et ils y passèrent l’année jusqu’au moment fixé pour le festin dans la cour d’Eveidd Hen.

Gwawl, fils de Clut, se rendit au festin préparé pour lui ; il entra dans la cour et il reçut bon accueil. Quand à Pwyll, chef d’Annwvyn, il se rendit au verger avec ses chevaliers, lui centième, comme lui avait recommandé Riannon, muni de son sac. Il revêtit de lourds haillons et mit de grosses chaussures. Lorsqu’il sut qu’on avait fini de manger et qu’on commençait à boire, il marcha droit à la salle. Arrivé à l’entrée, il salua Gwawl et ses compagnons, hommes et femmes. « Dieu te donne bien. » dit Gwawl,« sois le bienvenu en son nom. » ― « Seigneur, » répondit-il, « j’ai une requête à te faire. » ― « Qu’elle soit la bienvenue ; si tu me fais une demande convenable, tu l’obtiendras. » ― « Convenable, seigneur ; je ne demande que par besoin. Voici ce que je demande plein le petit sac que tu vois de nourriture. » ― « Voilà bien une demande modeste ; je te l’accorde volontiers apportez-lui de la nourriture. » Un grand nombre d’officiers se levèrent et commencèrent à remplir le sac. On avait beau en mettre : il n’était pas plus plein qu’en commençant. « Mon âme, » dit Gwawl, « ton sac sera-t-il jamais plein ? » ― « Il ne le sera jamais, par moi et Dieu, quoi que l’on y mette, à moins qu’un maître de terres, de domaines et de vassaux ne se lève, ne presse la nourriture avec ses deux pieds dans le sac et ne dise : « On en a mis assez. » ― « Champion, » dit Riannon à Gwawl, fis de Clut, « lève-toi vite ». « Volontiers, » répondit-il. Il se leva et mit ses deux pieds dans le sac. Pwyll tourna le sac si bien que Gwawl en eut par dessus la tête et, rapidement, il ferma le sac, le noua avec les courroies, et sonna du cor. Les gens de sa maison envahirent la cour, saisirent tous ceux qui étaient venus avec Gwawl et l’exposèrent lui-même dans sa propre prison (le sac) (v. notes critiques). Pwyll rejeta les haillons, les grosses chaussures et toute sa grossière défroque. Chacun de ses gens en entrant donnait un coup sur le sac en disant : « Qu’y a-t-il là-dedans ? » ― « Un blaireau, » répondaient les autres. Le jeu consistait à donner un coup sur le sac, soit avec le pied, soit avec une trique. Ainsi firent-ils le jeu du sac. Chacun en entrant demandait « Quel jeu faites-vous là ? » ― « Le jeu du blaireau dans le sac », répondaient-ils. Et c’est ainsi que se fit pour la première fois le jeu du Blaireau dans le sac[170]. « Seigneur, » dit l’homme du sac à Pwyll, « si tu voulais m’écouter, ce n’est pas un traitement qui soit digne de moi que d’être ainsi battu dans ce sac. » ― « Seigneur, » dit aussi Eveydd Hen, « il dit vrai. Ce n’est pas un traitement digne de lui. » ― « Eh bien, » répondit Pwyll, « je suivrai ton avis à ce sujet. » ― « Voici ce que tu as à faire, » dit Riannon, « tu es dans une situation qui te commande de satisfaire les solliciteurs et les artistes. Laisse-le donner à chacun à ta place et prends des gages de lui qu’il n’y aura jamais ni réclamation, ni vengeance à son sujet. Il est assez puni. » ― « J’y consens volontiers, » dit l’homme du sac. ― « J’accepterai, » dit Pwyll « si c’est l’avis d’Eveidd et de Riannon. » ― « C’est notre avis, » répondirent-ils. « J’accepte donc : cherchez des cautions pour lui. » ― « Nous le serons, nous » répondit Eveydd, « jusqu’à ce que ses hommes soient libres et répondent pour lui. » Là-dessus, on le laissa sortir du sac et on délivra ses nobles. « Demande maintenant des cautions à Gwawl, » dit Eveydd à Pwyll, « nous connaissons tous ceux qu’on peut accepter de lui. » Eveydd énuméra les cautions. « Maintenant, » dit Gwawl à Pwyll, arrange toi-même le traité. » ― « Je me contente, » répondit-il, « de celui qu’a proposé Riannon. » Cet arrangement fut confirmé par les cautions. « En vérité, seigneur, » dit alors Gwawl, « je suis moulu et couvert de contusions. J’ai besoin de bains[171]: avec ta permission, je m’en irai et je laisserai des nobles ici à ma place pour répondre à chacun de ceux qui viendront vers toi en solliciteurs. » ― « Je le permets volontiers, » répondit Pwyll. Gwawl retourna dans ses terres. On prépara la salle pour Pwyll, ses gens et ceux de la cour en outre. Puis tous se mirent à table et chacun s’assit dans le même ordre qu’il y avait un an pour ce soir-là. Ils mangèrent et burent. Quand le moment fut venu, Pwyll et Riannon se rendirent à leur chambre. La nuit se passa dans les plaisirs et le contentement. Le lendemain, dans la jeunesse du jour, Riannon dit : « Seigneur, lève-toi, et commence à satisfaire les artistes ; ne refuse aujourd’hui à personne ce qu’il te demandera. » ― « Je le ferai volontiers, » dit Pwyll, « et aujourd’hui et les jours suivants, tant que durera ce banquet. »

Pwyll se leva et fit faire une publication invitant les solliciteurs et les artistes à se montrer et leur signifiant qu’on satisferait chacun d’eux suivant sa volonté et sa fantaisie. Ce qui fut fait. Le banquet se continua et, tant qu’il dura, personne n’éprouva de refus. Quand il fut terminé, Pwyll dit à Eveydd, « Seigneur, avec ta permission, je partirai pour Dyvet demain. » ― « Eh bien, » répondit Eveydd, « que Dieu aplanisse la voie devant toi. Fixe le terme et le moment où Riannon ira te rejoindre. » ― « Par moi et Dieu, » répondit-il, « nous partirons tous les deux ensemble d’ici. » ― « C’est bien ton désir, seigneur ? » ― « Oui, par moi et Dieu. » Ils se mirent en marche le lendemain pour Dyvet et se rendirent à la cour d’Arberth, où un festin avait été préparé pour eux. De tout le pays, de toutes les terres, accoururent autour d’eux les hommes et les femmes les plus nobles. Riannon ne laissa personne sans lui faire un présent remarquable, soit collier, soit anneau, soit pierre précieuse.

Ils gouvernèrent le pays d’une façon prospère cette année, puis une seconde. Mais la troisième, les hommes du pays commencèrent à concevoir de sombres pensées, en voyant sans héritier un homme qu’ils aimaient autant qu’ils faisaient leur seigneur et leur frère de lait : ils le prièrent de se rendre auprès d’eux. La réunion eut lieu à Presseleu[172], en Dyvet. « Seigneur, » lui dirent-ils, « nous ne savons si tu vivras aussi vieux que certains hommes de ce pays, et nous craignons que tu n’aies pas d’héritier de la femme avec laquelle tu vis. Prends-en donc une autre qui te donne un héritier. Tu ne dureras pas toujours ; aussi, quand même tu voudrais rester ainsi, nous ne te le permettrions pas. » ― « Il n’y a pas encore longtemps, » répondit Pwyll, « que nous sommes ensemble. Il peut arriver bien des choses. Remettez avec moi cette affaire d’ici à un an. Convenons de, nous réunir aujourd’hui dans un an, et alors je suivrai votre avis. » On convint du délai.

Avant le terme fixé un fils lui naquit, à Arberth même. La nuit de sa naissance, on envoya des femmes veiller la mère et l’enfant. Les femmes s’endormirent, ainsi que Riannon la mère. Ces femmes étaient au nombre de six. Elles veillèrent bien une partie de la nuit ; mais, dès avant minuit, elles s’endormirent et ne se réveillèrent qu’au point du jour. Aussitôt réveillées, leurs yeux se dirigèrent vers l’endroit où elles avaient placé l’enfant : il n’y avait plus de trace de lui. « Hélas ! » s’écria une d’elles, « l’enfant est perdu ! » ― « Assurément, » dit une autre, « on trouvera que c’est une trop faible expiation pour nous de la perte de l’enfant que de nous brûler ou de nous tuer ! » ― « Y a-t-il au monde, » s’écria une autre, « un conseil à suivre en cette occasion ? » ― « Oui, » répondit une d’elles, « j’en sais un bon. » ― « Lequel ? » dirent-elles toutes. « Il y a ici une chienne de chasse avec ses petits. Tuons quelques-uns de petits, frottons de leur sang le visage et les mains de Riannon, jetons les os devant elle et jurons que c’est elle qui a tué son fils. Notre serment à nous six l’emportera sur son affirmation à elle seule[173].

« Elles s’arrêtèrent à ce projet.

Vers le jour, Riannon s’éveilla et dit : « Femmes où est mon fils ? » ― « Princesse, ne nous demande pas ton fils ; nous ne sommes que plaies et contusions, après notre lutte contre toi ; jamais en vérité, nous n’avons vu autant de force chez une femme ; il ne nous a servi de rien de lutter contre toi : tu as toi-même mis en pièces ton fils. Ne nous le réclame donc pas. » ― « Malheureuses, » répondit-elle, « par le Seigneur Dieu qui voit tout, ne faites pas peser sur moi une fausse accusation. Dieu qui sait tout, sait que c’est faux. Si vous avez peur, j’en atteste Dieu, je vous protégerai. » ― « Assurément, » s’écrièrent-elles, « nous ne nous exposerons pas nous-mêmes à mal pour personne au monde. » ― « Malheureuses, mais vous n’aurez aucun mal en disant la vérité. » En dépit de tout ce qu’elle put leur dire de beau et d’attendrissant, elle n’obtint d’elles que la même réponse. À ce moment, Pwyll se leva, ainsi que sa troupe et toute sa maison. On ne put lui cacher le malheur. La nouvelle s’en répandit par le pays. Tous les nobles l’apprirent ; ils se réunirent et envoyèrent des messagers à Pwyll pour lui demander de se séparer de sa femme après un forfait aussi horrible. Pwyll leur fit cette réponse : « Vous ne m’avez demandé de me séparer de ma femme que pour une seule raison : c’est qu’elle n’avait pas d’enfant. Or, je lui en connais un. Je ne me séparerai donc pas d’elle. Si elle a mal fait, qu’elle en fasse pénitence. » Riannon fit venir des docteurs et des sages, et lui parut plus digne d’accepter une pénitence que d’entrer en discussion avec les femmes. Voici la pénitence qu’on lui imposa : elle resterait pendant sept ans de suite à la cour d’Arberth, s’asseoirait chaque jour à côté du montoir de pierre qui était à l’entrée, à l’extérieur, raconterait à tout venant qui lui paraîtrait l’ignorer toute l’aventure et proposerait, aux hôtes et aux étrangers, s’ils voulaient le lui permettre, de les porter sur son dos à la cour. Il arriva rarement que quelqu’un consentît à se laisser porter. Elle passa ainsi une partie de l’année.

En ce temps-là, il y avait comme seigneur à Gwent Is-coed[174] Teyrnon Twryv Vliant[175]. C’était le meilleur homme du monde. Il avait chez lui une jument qu’aucun cheval ou jument dans tout le royaume ne surpassait en beauté. Tous les ans, dans la nuit des calendes[176] de mai, elle mettait bas, mais personne n’avait de nouvelles du poulain. Un soir, Teyrnon dit à sa femme : « Femme, nous sommes vraiment bien nonchalants : nous avons chaque année un poulain de notre jument et nous n’en conservons aucun ! » ― « Que peut on y faire ? » répondit-elle. « Que la vengeance de Dieu soit sur moi, si cette nuit, qui est celles des calendes de mai, je ne sais quel genre de destruction m’enlève ainsi mes poulains. » Il fit rentrer sa jument, se revêtit de son armure et commença sa garde.

Au commencement de la nuit, la jument mit bas un poulain grand et accompli qui se dressa sur ses pieds immédiatement. Teyrnon se leva et se mit à considérer les belles proportions du cheval. Pendant qu’il était ainsi occupe, il entendit un grand bruit, et, aussitôt après, il vit une griffe pénétrer par une fenêtre qui était sur la maison et saisir le cheval par la crinière. Teyrnon tira son épée et trancha le bras à partir de l’articulation du coude, si bien que cette partie et le poulain lui restèrent à l’intérieur. Là-dessus, tumulte et cris perçants se firent entendre. Il ouvrit la porte s’élança dans la direction du bruit. Il n’en voyait pas l’auteur à cause de l’obscurité, mais il se précipita de son côté et se mit à sa poursuite. S’étant souvenu qu’il avait laissé la porte ouverte, il revint. À la porte même, il trouva un petit garçon emmailloté et enveloppé dans un manteau de paile. Il le prit : l’enfant était fort pour l’âge qu’il paraissait. Il ferma la porte et se rendit à la chambre où était sa femme. « Dame, » dit-il, « dors-tu ? » ― « Non, seigneur ; je dormais, mais je me suis réveillée quand tu es entré. » « Voici pour toi un fils, » dit-il, « si tu veux en avoir un qui n’a jamais été à toi. » ― « Seigneur, qu’est-ce que cette aventure ? » ― « Voici. » Et il lui raconta toute, l’histoire. « Eh bien, seigneur, » dit-elle, « quelle sorte d’habit a-t-il ? » ― « Un manteau de paile, » répondit-il. « C’est un fils de gentilhomme. Nous trouverions en lui distraction et consolation, si tu voulais. Je ferais venir des femmes et je leur dirais que je suis enceinte. » ― « Je suis de ton avis à ce sujet, » répondit Teyrnon. Ainsi firent-ils. Ils firent administrer à l’enfant le baptême alors en usage et on lui donna le nom de Gwri Wallt Euryn[177], (aux cheveux d’or) parce que tout ce qu’il avait de cheveux sur la tête était aussi jaune que de l’or.

On le nourrit à la cour jusqu’à ce qu’il eût un an. Au bout de l’année, il marchait d’un pas solide ; il était plus développé qu’un enfant de trois ans grand et gros. Au bout d’une seconde année d’éducation, il était aussi gros qu’un enfant de six ans. Avant la fin de la quatrième année, il cherchait à gagner les valets des chevaux pour qu’ils le laissassent les conduire à l’abreuvoir. « Seigneur, » dit alors la dame à Teyrnon, « où est le poulain que tu as sauvé la nuit où tu as trouvé l’enfant ? » ― « Je l’ai confié aux valets des chevaux, » répondit-il, « en leur recommandant de bien veiller sur lui. » ― « Ne ferais-tu pas bien, seigneur, de le faire dompter et de le donner à l’enfant, puisque c’est la nuit même où tu l’as trouvé que le poulain est né et que tu l’as sauvé[178] ? » ― « Je n’irai pas là contre. Je t’autorise à le lui donner. » ― « Dieu te le rende, je le lui donnerai donc. » On donna le cheval à l’enfant ; la dame se rendit auprès des valets d’écurie et des écuyers pour leur recommander de veiller sur le cheval et de faire qu’il fût bien dressé pour le moment où l’enfant irait chevaucher, avec ordre de la renseigner à son sujet.

Au milieu de ces occupations, ils entendirent de surprenantes nouvelles au sujet de Riannon et de sa pénitence. Teyrnon, à cause de la trouvaille qu’il avait faite, prêta l’oreille à cette histoire et s’en informa incessamment jusqu’à ce qu’il eût entendu souvent les nombreuses personnes qui fréquentaient la cour plaindre Riannon pour sa triste aventure et sa pénitence. Teyrnon y réfléchit. Il examina attentivement l’enfant et trouva qu’à la vue, il ressemblait à Pwyll, chef d’Annwn, comme il n’avait jamais vu fils ressembler à son père. L’aspect de Pwyll lui était bien connu, car il avait été son homme autrefois. Il fut pris ensuite d’une grande tristesse à la pensée du mal qu’il causait en retenant l’enfant lorsqu’il le savait fils d’un autre. Aussitôt qu’il trouva à entretenir sa femme en particulier, il lui remontra qu’ils ne faisaient pas bien de retenir l’enfant et de laisser ainsi peser tant de peine sur une dame comme Riannon, l’enfant étant le fils de Pwyll, chef d’Annwn. La femme de Teyrnon tomba d’accord avec lui pour envoyer l’enfant à Pwyll. « Nous en recueillerons, » dit-elle, « trois avantages : d’abord, remerciements et aumône pour avoir fait cesser la pénitence de Riannon ; des remerciements de la part de Pwyll pour avoir élevé l’enfant et le lui avoir rendu ; en troisième lieu, si l’enfant est de noble nature, il sera notre fils nourricier et nous fera le plus de bien qu’il pourra. » Ils s’arrêtèrent à cette résolution.

Pas plus tard que le lendemain, Teyrnon s’équipa avec ses chevaliers, lui troisième, son fils quatrième, monté sur le cheval dont il lui avait fait présent. Ils se dirigèrent vers Arberth et ne tardèrent pas à y arriver. Ils aperçurent Riannon assise à côté du montoir de pierre. Lorsqu’ils arrivèrent à sa hauteur, elle leur dit : « Seigneur, n’allez pas plus loin ; je porterai chacun de vous jusqu’à la cour c’est là ma pénitence pour avoir tué mon fils et l’avoir moi-même mis en pièces. » ― « Dame, » répondit Teyrnon, « je ne crois pas qu’un seul de nous ici aille sur ton dos. » ― « Aille qui voudra, » dit l’enfant, « pour moi, je n’irai pas. » ― « Ni nous non plus, assurément, mon âme. » dit Teyrnon. Ils entrèrent à la cour, où on les reçut avec de grandes démonstrations de joie.

On commençait justement un banquet ; Pwyll venait de faire son tour de Dyvet[179]. Ils se rendirent à la salle et allèrent se laver. Pwyll fit bon accueil à Teyrnon. On s’assit : Teyrnon, entre Pwyll et Riannon, ses deux compagnons plus haut, à côté de Pwyll, et l’enfant entre eux. Après qu’on eut fini de manger et que l’on commença à boire, ils se mirent à causer. Teyrnon, lui raconta toute l’aventure de la jument et de l’enfant, comme l’enfant avait passé pour le sien et celui de sa femme, comment ils l’avaient élevé. « Voici ton fils, princesse », ajouta-t-il, « ils ont bien tort ceux qui t’ont faussement accusée. Quand j’ai appris la douleur qui t’accablait, j’en ai éprouvé grande peine et compassion. Je ne crois pas qu’il y ait dans toute l’assistance quelqu’un qui ne reconnaisse l’enfant pour le fils de Pwyll. » ― « Personne n’en doute », répondirent-ils tous. « Par moi et Dieu, mon esprit serait délivré de son souci (pryderi), si c’était vrai. » ― « Princesse, » s’écria Pendaran Dyvet[180], « tu as bien nommé ton fils, Pryderi[181] ; cela lui va parfaitement : Pryderi, fils de Pwyll, chef d’Annwn. » ― « Voyez, » dit Riannon, « si son propre nom à lui ne lui irait pas mieux encore ». « Quel nom a-t-il ? » dit Pendaran Dyvet. « Nous lui avons donné le nom de Gwri Wallt Euryn[182]. » ― « Pryderi sera son nom, » dit Pendaran. « Rien de plus juste, » dit Pwyl, « que de lui donner le nom qu’a dit sa mère, lorsqu’elle a eu à son sujet joyeuse nouvelle. » On s’arrêta à cette idée.

« Teyrnon, » dit Pwyll, « Dieu te récompense, pour avoir élevé cet enfant jusqu’à cette heure ; il est juste aussi que lui-même, s’il est vraiment noble, te le rende. » ― « Seigneur, » répondit-il, « pas une femme au monde n’aura plus de chagrin après son fils que la femme qui l’a élevé n’en aura après lui. Il est juste qu’il ne nous oublie ni moi ni elle pour ce que nous avons fait pour lui. » ― « Par moi et Dieu, » répondit Pwyll, « tant que je vivrai, je te maintiendrai, toi et tes tiens, tant que je pourrai maintenir les miens à moi-même. Quand ce sera son tour, il aura encore plus de raisons que moi de te soutenir. Si c’est ton avis et celui de ces gentilshommes, comme tu l’as nourri jusqu’à présent, nous le donnerons désormais à élever à Pendaran Dyvet. Vous serez compagnons, et pour lui, tous les deux, pères nourriciers[183]. » ― « C’est une bonne idée, » dit chacun.

On donna donc l’enfant à Pendaran Dyvet. Les nobles du pays partirent avec lui. Teyrnon Twryv Vliant et ses compagnons se mirent en route au milieu des témoignages d’affection et de joie. Il ne s’en alla pas sans qu’on lui eût offert les joyaux les plus beaux, les chevaux les meilleurs et les chiens les plus recherchés, mais il ne voulait rien accepter. Ils restèrent ensuite dans leurs domaines. Pryderi, fils de Pwyll, chef d’Annwn, fut élevé avec soin, comme cela se devait, jusqu’à ce qu’il fut le jeune homme le plus agréable, le plus beau et le plus accompli en toute prouesse qu’il y eût dans tout le royaume. Ils passèrent ainsi des années et des années, jusqu’au moment où le terme de l’existence arriva pour Pwyll, chef d’Annwn. Après sa mort, Pryderi gouverna les sept cantrevs de Dyvet d’une façon prospère, aimé de ses vassaux et de tous ceux qui l’entouraient. Ensuite, il ajouta à ses domaines les trois cantrevs d’Ystrat Tywi[184] et quatre cantrevs de Ceredigyawn : on les appelle les sept cantrevs de Seisyllwch[185]. Il fut occupé à ces conquêtes jusqu’au moment où il lui vint à l’esprit de se marier. Il choisit pour femme Kicva, fille de Gwynn Gohoyw[186], fils de Gloyw Wallt Lydan[187], fils de Casnar Wledic[188], de la race des princes de cette île. Ainsi se termine cette branche[189] des Mabinogion.


BRANWEN[190], fille de Llyr

Voici la seconde branche du Mabinogi.


Bendigeit Vran[191] fils de Llyr[192], était roi couronné de toute cette île, dignité rehaussée encore par la couronne de Llundein (Londres)[193]. Une après-midi, il se trouvait à Harddlech[194], en Ardudwy[195], qui lui servait de cour, assis au sommet du rocher au-dessus des flots de la mer, en compagnie de Manawyddan[196], fils de Llyr, son frère, de deux autres frères du côté de sa mère, Nissyen et Evnissyen, et, en outre, de beaucoup de nobles, comme il convenait autour d’un roi. Ces deux frères étaient fils d’Eurosswydd[197], mais ils étaient de la même mère que lui : Penardim, fille de Beli, fils de Mynogan[198]. L’un de ces jeunes gens était bon ; il mettait la paix au milieu de la famille quand on était le plus irrité : c’était Nissyen. L’autre mettait aux prises ses deux frères quand ils s’aimaient le plus. Pendant qu’ils étaient ainsi assis, ils aperçurent treize navires venant du sud d’Iwerddon (l’Irlande)[199] et se dirigeant de leur côté ; leur marche était facile, rapide ; le vent, soufflant en poupe, les rapprochait d’eux rapidement. « Je vois là-bas des navires, » s’écria le roi, « venant vite vers la terre ; commandez aux hommes de la cour de se vêtir, et d’aller voir quelles sont leurs intentions. » Les hommes se vêtirent et descendirent dans leur direction. Quand ils purent voir les navires de près, ils furent bien convaincus qu’ils n’en avaient jamais vu qui eussent l’air mieux équipés. De beaux étendards de paile flottaient au-dessus d’eux. Tout à coup un navire se détacha en avant des autres, et on vit se dresser au-dessus du pont un écu, l’umbo[200] en haut, en signe de paix. Les hommes de Bran avancèrent vers lui, de façon à pouvoir converser.

Les étrangers jetèrent des canots à la mer, se rapprochèrent du rivage et saluèrent le roi. Il les entendait du haut du rocher où il était assis, au-dessus de leurs têtes. « Dieu vous donne bien, » dit-il, « soyez les bienvenus. À qui appartiennent ces navires et quel en est le chef ? » ― « Seigneur, » répondirent-ils, « Matholwch[201], roi d’Iwerddon, est ici, et ces navires sont à lui. » ― « Que peut-il désirer ? Veut-il venir à terre ? » ― « Comme il vient en solliciteur auprès de toi, il n’ira pas, s’il n’obtient l’objet de son voyage. » ― « Quel est-il ? » ― « Il veut, seigneur, s’allier à toi : c’est pour demander Branwen, fille de Llyr, qu’il est venu. Si cela t’agrée, il établira entre l’île des Forts[202] et Iwerddon, un lien qui augmentera leur puissance. » ― « Eh bien, qu’il vienne à terre, et nous délibérerons à ce sujet. » Cette réponse fut portée à Matholwch. « Volontiers. » dit-il. Et il se rendit à terre. On lui fit bon accueil, et il y eut cette nuit-là un grand rassemblement formé par ses troupes et celles de la cour. Dès le lendemain on tint conseil, et il fut décidé qu’on donnerait Branwen à Matholwch. C’était une des trois premières dames de cette île[203], et la plus belle jeune fille du monde. On convint d’un rendez-vous à Aberffraw où Matholwch coucherait avec elle. On se mit en marche, et toutes les troupes se dirigèrent vers Aberffraw[204], Matholwch et les siens par mer, Bendigeit Vran et ses gens par terre.

À leur arrivée à Aberffraw, le banquet commença. Ils s’assirent, le roi de l’île des Forts et Manawyddan d’un côté, Matholwch de l’autre, et Branwen avec eux. Ce n’est pas dans une maison qu’ils étaient, mais sous des pavillons. Bendigeit Vran n’aurait jamais pu tenir dans une maison. On se mit à boire, et on continua, en causant, jusqu’au moment où il fut plus agréable de dormir que de boire. Ils allèrent se coucher. Cette nuit-là Matholwch et Branwen couchèrent ensemble. Le lendemain, tous les gens de la cour se levèrent ; les officiers commencèrent à s’occuper du partage des chevaux, de concert avec les valets ; ils les distribuèrent de tous côtés jusqu’à la mer. Sur ces entrefaites, un jour l’ennemi de la paix dont nous avons parlé plus haut, Evnyssyen[205], tomba sur le logis des chevaux de Matholwch, et demanda à qui ils appartenaient. « Ce sont les chevaux de Matholwch, roi d’Iwerddon, » fut-il répondu. « Que font-ils ici ? » dit-il. « C’est ici qu’est le roi d’Iwerddon ; il a couché avec ta sœur Branwen ; ces chevaux sont les siens. » ― « Et c’est ainsi qu’ils en ont agi avec une jeune fille comme elle, avec ma sœur à moi ! la donner sans ma permission ! Ils ne pouvaient me faire plus grand affront. » Aussitôt il fond sous les chevaux, leur coupe les lèvres au ras des dents, les oreilles au ras de la tête, la queue au ras du dos ; s’il ne trouvait pas prise sur les sourcils, il les rasait jusqu’à l’os. Il défigura ainsi les chevaux, au point qu’il était impossible d’en rien faire. La nouvelle en vint à Matholwch ; on lui rapporta que les chevaux étaient défigurés et gâtés à tel point, qu’on n’en pouvait plus tirer aucun parti. « Oui, seigneur, » dit un des hommes, « on t’a insulté ; c’est bien ce qu’on veut te faire. » ― « En vérité, » répondit-il, « je vous trouve étrange, s’ils voulaient m’outrager, qu’ils m’aient donné une pareille jeune fille, d’aussi haute condition, aussi aimée de sa nation. » ― « Seigneur, » dit un autre, « tu en vois la preuve ; il ne reste qu’une chose à faire, te rendre sur tes vaisseaux. »

À la suite de cet entretien, il se mit en devoir de partir sur ses navires. Bendigeit Vran, apprenant que Matholwch quittait la cour sans prendre congé, lui envoya demander pourquoi. Les messagers étaient Iddic, fils d’Anarawc[206], et Eveydd Hir. Ils arrivèrent jusqu’à lui, et lui demandèrent ce que signifiaient ses préparatifs, et pour quel motif il partait. « Assurément, » répondit-il, « si j’avais su, je ne serais pas venu ici. J’ai essuyé l’outrage le plus complet. Personne n’a eu à subir pire attaque que moi en ces lieux. Une chose, cependant, me surprend par dessus tout. » ― « Laquelle ? » dirent-ils. ― « Qu’on m’ait donné Branwen, une des trois premières dames de cette île, la fille du roi de l’île des Forts, que j’aie couché avec elle, et qu’ensuite on vienne m’outrager. Je suis étonné qu’on ne l’ait pas fait avant de me la donner. » — « Assurément, seigneur, ce n’est point par la volonté de celui qui possède cette cour, ni d’aucun de son conseil qu’on t’a fait cet affront. Et, si tu te trouves outragé, Bendigeit Vran est encore plus sensible que toi à cet affront et à ce mauvais tour. » — « Je le crois, mais il ne peut pas faire que je n’aie reçu cet outrage. » Ils s’en retournèrent, là-dessus, auprès de Bendigeit Vran, et lui rapportèrent la réponse de Matholwch. « Il n’y a pas moyen, » dit-il, « de l’empêcher de partir avec des dispositions hostiles, quand même je ne le permettrais pas. » — « Eh bien, seigneur, envoie encore des messagers après lui. » — « C’est ce que je vais faire. Levez-vous, Manawyddan fils de Llyr, Eveidd Hir, Unic Glew Ysgwydd [207], allez après lui, et dites-lui qu’il aura un cheval en bon état pour chacun de ceux qu’on lui a gâtés. Je lui donnerai en outre, en wynebwarth[208] (en compensation des verges d’argent aussi épaisses et aussi longues que lui, un plat d’or aussi large que son visage. Faites-lui savoir quelle espèce d’homme lui a fait cela, que je n’y suis pour rien, que le coupable est un frère à moi, du côté de ma mère, et qu’il ne m’est guère possible de me défaire de lui ni de le tuer. Qu’il vienne me voir ; je ferai la paix aux conditions qu’il tracera lui-même. » Les messagers se mirent à la recherche de Matholwch, lui rapportèrent ce discours d’une façon amicale. Après les avoir entendus, il dit : « Hommes, nous allons tenir conseil. » Il alla tenir conseil, et ils réfléchirent que s’ils rejetaient ces propositions, il en résulterait vraisemblablement pour eux plutôt de la honte encore qu’une réparation aussi importante. Il condescendit à accepter, et ils se rendirent à la cour en amis.

On leur prépara pavillons et tentes en guise de salles, et ils se mirent à table. Ils s’assirent dans le même ordre qu’au commencement du banquet, et Matholwch commença à s’entretenir avec Bendigeit Vran. Celui-ci trouva que sa conversation languissait, qu’il était triste, à cause sans doute de l’affront, tandis qu’auparavant il était constamment joyeux. Il pensa que le prince était si triste parce qu’il trouvait la réparation trop faible pour le tort qu’on lui avait fait. « Homme, » lui dit-il, « tu n’es pas aussi bon causeur cette nuit que les nuits précédentes. Si la réparation ne te semble pas suffisante, j’y ajouterai à ton gré ; et dès demain, on te payera tes chevaux. » — « Seigneur, » répondit-il, « Dieu te le rende. » — « Je parferai la réparation en te donnant un chaudron[209] dont voici la vertu : si on te tue un homme aujourd’hui, tu n’auras qu’à le jeter dedans pour que le lendemain il soit aussi bien que jamais, sauf qu’il n’aura plus la parole. » Matholwch le remercia, et en conçut très grande joie. Le lendemain on remplaça ses chevaux par d’autres, tant qu’il y eut des chevaux domptés. On alla ensuite dans un autre kymmwt[210], et on lui donna des poulains jusqu’à payement complet ; ce qui fit que ce kymmwt porta, à partir de là, le nom de Tal-ebolyon[211].

La nuit suivante, ils s’assirent en compagnie. « Seigneur, » dit Matholwch à Bendigeit, « d’où t’est venu le chaudron que tu m’as donné ? » — « Il m’est venu, » répondit-il, « d’un homme qui a été dans ton pays, mais je ne sais pas si c’est là qu’il l’a trouvé. » — « Qui était-ce ? » — « Llasar Llaesgyvnewit. Il est venu ici d’Iwerddon, avec Kymideu Kymeinvoll sa femme. Ils s’étaient échappés de la maison de fer, en Iwerddon, lorsqu’on l’avait chauffée à blanc sur eux. Je serais bien étonné si tu ne savais rien à ce sujet. » — « En effet, seigneur, et je vais te dire tout ce que je sais. Un jour que j’étais à la chasse en Iwerddon, sur le haut d’un tertre qui dominait un lac appelé Llynn y Peir (Le lac du Chaudron), j’en vis sortir un grand homme aux cheveux roux, portant un chaudron sur le dos. Il était d’une taille démesurée, et avait l’air d’un malfaiteur. Et s’il était grand, sa femme était encore deux fois plus grande que lui. Ils se dirigèrent vers moi et me saluèrent. « Quel voyage est le vôtre ? » leur dis-je. — « Voici, seigneur, » répondit-il. « Cette femme sera enceinte dans un mois et quinze jours. Celui qui naîtra d’elle, au bout d’un mois et demi sera un guerrier armé de toutes pièces, » — « Je me chargeai de pourvoir à leur entretien, et ils restèrent une année avec moi sans qu’on m’en fît des reproches. Mais, à partir de là, on me fit des difficultés à leur sujet. Avant la fin du quatrième mois, ils se firent eux-mêmes haïr en commettant sans retenue des excès dans le pays, en gênant et en causant des ennuis aux hommes et aux femmes nobles. À la suite de cela, mes vassaux se rassemblèrent et vinrent me sommer de me séparer d’eux en me donnant à choisir entre ces gens et eux-mêmes. Je laissai au pays le soin de décider de leur sort. Ils ne s’en seraient pas allés certainement de bon gré, et ce n’était pas non plus en combattant qu’ils auraient été forcés de partir. Dans cet embarras, mes vassaux décidèrent de construire une maison tout en fer. Quand elle fut prête, ils firent venir tout ce qu’il y avait en Irlande de forgerons possédant tenailles et marteaux, et firent accumuler tout autour du charbon jusqu’au sommet de la maison[212]. Ils passèrent en abondance nourriture et boisson à la femme, à l’homme et à ses enfants. Quand on les sut ivres, on commença à mettre le feu au charbon autour de la maison et à faire jouer les soufflets jusqu’à ce que tout fut chauffé à blanc. Eux tinrent conseil au milieu du sol de la chambre. L’homme, lui y resta jusqu’à ce que la paroi de fer fut blanche. La chaleur devenant intolérable, il donna un coup d’épaule à la paroi et sortit en la jetant dehors, suivi de sa femme. Personne autre qu’eux deux n’échappa. C’est alors, je suppose, qu’il traversa la mer et se rendit près de toi. » — « C’est alors, sans doute, qu’il vint ici et me donna le chaudron. » — « Comment les as-tu accueillis ? » — « Je les ai distribués de tous côtés sur mes domaines. Ils se multiplient et s’élèvent en tout lieu ; partout où ils sont, ils se fortifient en hommes et en armes les meilleurs qu’on ait vus. »

Ils poursuivirent leur entretien cette nuit-là, avec récréations artistiques et compotation, tant qu’il leur plut. Quand ils trouvèrent qu’il valait mieux dormir que de siéger plus longtemps, ils allèrent se coucher. Ils passèrent ainsi le temps du banquet dans la gaieté. Quand il fut terminé, Matholwch partit avec Branwen pour Iwerddon. Ils sortirent d’Aber Menei[213] avec leurs treize navires, et arrivèrent en Iwerddon, où on les accueillit avec de très grandes démonstrations de joie. Il ne venait pas un homme de marque ni une femme noble en Iwerddon faire visite à Branwen, qu’elle ne lui donnât un collier, une bague ou un bijou royal précieux, qui leur donnait un air princier quand ils sortaient. Elle passa ainsi l’année glorieusement, et réussit complètement à acquérir gloire et amitié. Il arriva alors qu’elle devint enceinte. Au bout du temps requis, il lui naquit un fils. On lui donna le nom de Gwern, fils de Matholwch, et on l’envoya élever chez les hommes les meilleurs d’Iwerddon.

La seconde année, il se fit tout à coup grand bruit en Iwerddon, au sujet de l’outrage qu’avait essuyé Matholwch en Kymry[214] (Galles), et du mauvais tour qu’on lui avait joué à propos de ses chevaux. Ses frères de lait et ses plus proches parents lui en firent ouvertement des reproches. Le tumulte devint tel en Iwerddon, qu’il ne pouvait espérer de repos s’il ne tirait vengeance de l’outrage. Voici la vengeance qu’ils décidèrent : il chasserait Branwen de sa chambre, l’enverrait cuire les aliments à la cour, et, tous les jours, le boucher, après avoir coupé la viande, irait à elle et lui donnerait un soufflet. Ce fut le châtiment qu’on imposa à Branwen. « Maintenant, seigneur, » dirent ses hommes à Matholwch, « fais empêcher les navires, les barques et les corwg[215] d’aller en Kymry ; tout ceux qui viendront de Kymry, emprisonne-les ; ne les laisse pas s’en retourner, de peur qu’on ne le sache. » Ils s’arrêtèrent à ce plan. Ils ne restèrent pas moins de trois années ainsi.

Pendant ce temps, Branwen éleva un étourneau sur le bord de son pétrin, lui apprit un langage, lui indiqua quelle espèce d’homme était son frère, et lui apporta une lettre exposant ses souffrances et le traitement injurieux qu’elle subissait[216]. Elle attacha la lettre à la naissance des ailes de l’oiseau, et l’envoya vers Kymry. L’oiseau se rendit dans cette île. Il trouva Bendigeit Vran à Caer Seint[217] en Arvon[218] qui se trouvait être cette fois sa cour de justice. Il descendit sur son épaule et hérissa ses plumes jusqu’à ce qu’on aperçut la lettre et qu’on reconnut qu’on avait affaire à un oiseau élevé dans une maison.

Bendigeit Vran prit la lettre et la lut. Sa douleur fut grande en apprenant les souffrances de Branwen, et il envoya sur-le-champ des messagers pour rassembler l’île tout entière. Il appela à lui toutes les forces des cent cinquante-quatre pays. Il se plaignit lui-même à eux des souffrances qu’on faisait subir à sa sœur, et tint conseil. On décida de faire une expédition en Iwerddon, et de laisser dans cette île sept hommes comme gouverneurs, et Cradawc[219] à leur tête ; c’étaient sept chevaliers. On les laissa en Edeirnon[220], et c’est à cause de cela qu’on appela la ville Seith Marchawc[221] (Sept Chevaliers). C’étaient : Cradawc, fils de Bran ; Eveidd Hir ; Unic Glew Ysgwydd ; Iddic, fils d’Anarawc Walltgrwn ; Ffodor, fils d’Ervyll ; Wlch Minascwrn ; Llashar[222], fils de Llaesar Llaesgywydd, et Pendaran Dyvet qui restait avec eux comme jeune valet. Ces sept hommes restèrent comme administrateurs pour veiller sur l’île ; Cradawc était à leur tête.

Bendigeit Vran et tous les soldats que nous avons indiqués mirent à la voile pour Iwerddon. Les flots n’étaient pas considérables alors ; il marcha à travers les bas-fonds. Il n’y avait que deux rivières appelées Lli et Archan. Depuis, les flots ont étendu leur empire. Bendigeit s’avança, portant sur son dos tout ce qu’il y avait de musiciens[223], et se rendit à la terre d’Iwerddon.

Les porchers de Matholwch, qui étaient sur le bord des eaux, retournèrent auprès de lui. « Seigneur, » dirent-ils, « porte-toi bien. » « Dieu vous donne bien, » répondit-il, « apportez-vous des nouvelles ? » « Oui, seigneur, des nouvelles surprenantes. Nous avons aperçu un bois sur les eaux, à un endroit où auparavant nous n’en avions jamais vu trace. » « Voilà une chose surprenante ; c’est tout ce que vous avez vu ? » « Nous avons vu encore, seigneur, une grande montagne à côté du bois, et cette montagne marchait ; sur la montagne un pic, et de chaque côté du pic un lac. Le bois, la montagne, tout était en marche[224]. » « Il n’y a personne ici à rien connaître à cela, si ce n’est Branwen ; interrogez-la. » Les messagers se rendirent auprès de Branwen. « Princesse, » dirent-ils, « qu’est-ce que tout cela, à ton avis ? » « Ce sont, » répondit-elle, « les hommes de l’île des Forts qui traversent l’eau pour venir ici après avoir appris mes souffrances et mon déshonneur. » ― « Qu’est-ce que ce bois qu’on a vu sur les flots ? » ― « Ce sont des vergues et des mâts de navires. » ― « Oh ! » dirent-ils, « et la montagne que l’on voyait à côté des navires ? » ― « C’est Bendigeit Vran, mon frère, marchant à gué. Il n’y avait pas de navire dans lequel il pût tenir. » ― « Et le pic élevé, et les lacs des deux côtés du pic ? » « C’est lui jetant sur cette île des regards irrités ; les deux lacs des deux côtés du pic sont ses yeux de chaque côté de son nez. »

On rassembla aussitôt tous les guerriers d’Iwerddon, tous les grands chefs, et ont tint conseil. « Seigneur, » dirent les nobles à Matholwch, « il n’y a d’autre plan possible que de reculer par delà la Llinon[225], rivière d’Irlande, de mettre la Llinon entre toi et lui, et de rompre le pont. Il y a au fond de la rivière une pierre aimantée qui ne permet à aucun navire ni vaisseau de la traverser. » Ils se retirèrent de l’autre côté de la rivière, et rompirent le pont. Bendigeit vint à terre et se rendit avec la flotte sur le bord de la rivière. « Seigneur, » lui dirent ses nobles, « tu connais le privilège de cette rivière : personne ne peut la traverser, et il n’y a pas de pont dessus. Quel est ton avis pour un pont ? » ― « Je n’en vois pas d’autre que celui-ci : Que celui qui est chef soit pont[226]. C’est moi qui serai le pont. » C’est alors, pour la première fois, que ce propos fut tenu, et aujourd’hui encore il sert de proverbe. Il se coucha par-dessus la rivière ; on jeta des claies sur lui, et les troupes traversèrent sur son corps. Au moment où il se relevait, les messagers de Matholwch vinrent le saluer et le complimenter de la part de leur maître, son parent par alliance, en l’assurant qu’il n’avait pas démérité de lui, en ce qui dépendait de sa volonté. « Matholwch, » ajoutèrent-ils, « donne le royaume d’Iwerddon à Gwern ton neveu, le fils de ta sœur ; il le lui offre en ta présence, en réparation du tort et des vexations qui ont été faites à Branwen ; tu pourvoiras à l’entretien de Matholwch où tu voudras, ici ou dans l’île des Forts. » « Si je ne puis moi-même, » répondit Bendigeit Vran, « m’emparer du royaume, il se peut que je délibère au sujet de vos propositions. Avant de m’avoir apporté d’autres propositions, ne cherchez pas à obtenir de moi une réponse. » ― « La réponse la plus satisfaisante que nous recevrons, nous te l’apporterons. Attends donc notre message. » « J’attendrai mais revenez assez vite. » Les messagers se rendirent auprès de Matholwch. « Seigneur, » lui dirent-ils, « prépare pour Bendigeit Vran une réponse qui soit plus satisfaisante. Il ne veut rien écouter de celle que nous lui avons apportée de ta part. » ― « Hommes, » dit Matholwch ; quel est votre avis ? » « Seigneur, » répondirent-ils, « nous n’en voyons qu’un. Jamais il n’a pu tenir dans une maison. Et bien ! fais une maison assez grande pour le recevoir lui et les hommes de l’île des Forts d’un côté, toi et ton armée de l’autre. Donne-lui ton royaume pour qu’il en dispose à son gré, et fais-lui hommage. En retour de l’honneur qu’on lui aura fait en bâtissant une maison capable de le contenir, ce qu’il n’a jamais eu, il fera la paix avec toi. » Les messagers retournèrent avec ce message auprès de Bendigeit Vran. Il se décida à accepter. Tout cela se fit par le conseil de Branwen, qui voulait éviter la ruine à un pays qui lui appartenait à elle aussi.

On se mit à exécuter les conditions du traité ; on bâtit une maison haute et vaste. Mais les Gwyddyl (les Irlandais)[227] imaginèrent un stratagème : ils établirent des supports des deux côtés de chacune des cent colonnes de la maison. Ils installèrent un sac de peau sur chaque saillie, et un homme armé dans chaque sac.

Evnyssyen entra avant la troupe de l’île des Forts, et jeta de tous côtés, dans la maison, des regards furieux et méchants. Il aperçut les sacs de peau le long des piliers. « Qu’y a-t-il dans ce sac-ci ? » dit-il à un Gwyddel.» — « De la farine, mon âme, » répondit-il. Il le tâta jusqu’à ce qu’il trouva la tête, et il serra jusqu’à ce qu’il sentit ses doigts se rencontrer dans la moelle à travers les os, et il le laissa. Il mit la main sur un autre, et demanda : « Qu’y a-t-il dans celui-ci. » « De la farine, » répondirent les Gwyddyl. Il se livra au même jeu avec chacun d’eux, jusqu’à ce qu’il ne resta plus de vivant des deux cents hommes qu’un seul. Il alla à ce dernier, et demanda : « Qu’y a-t-il ici ? » — « De la farine, » répondirent les Gwyddyl. Il le tâta jusqu’à ce qu’il eût trouvé la tête, et la lui serra comme aux autres. Il sentit une armure sur la tête de ce dernier, et ne le lâcha pas avant de l’avoir tué. Alors il chanta cet englyn[228] :

« Il y a dans ce sac farine particulière, des champions, des lutteurs, qui descendent dans le combat[229] : combat tout préparé en vue, des combattants. »

À ce moment les troupes entrèrent dans la maison. Les hommes de l’île d’Iwerddon allèrent d’un côté et ceux de l’île des Forts de l’autre. Aussitôt qu’ils furent assis, l’union entre eux se fit. La royauté fut offerte au fils de Matholwch. La paix conclue, Bendigeit Vran fit venir l’enfant ; l’enfant se rendit ensuite auprès de Manawyddan. Tous ceux qui le voyaient le prenaient en affection. Il était avec Manawyddan quand Nyssyen, fils d’Eurosswydd, l’appela auprès de lui. L’enfant alla vers lui gentiment. « Pourquoi, » s’écria Evnyssyen, « mon neveu, le fils de ma sueur, ne vient-il pas à moi ? Ne serait-il pas roi d’Irlande, que je serais heureux d’échanger des caresses avec lui. » « Volontiers, » dit Bendigeit Vran, « qu’il aille. » L’enfant alla à lui tout joyeux. « J’en atteste Dieu, » se dit Evnyssyen, « la famille ne s’attend guère au meurtre que je vais commettre en ce moment. » Il se leva, saisit l’enfant par les pieds, et, avant que personne de la famille ne pût l’arrêter, il lança l’enfant la tête la première dans le feu ardent.

Branwen, en voyant son fils au milieu des flammes, voulut, de l’endroit où elle était assise entre ses deux frères, s’élancer dans le feu ; mais Bendigeit Vran la saisit d’une main et prit son écu de l’autre. Chacun aussitôt de s’attaquer par toute la maison ; cette troupe dans la même maison produit le plus grand tumulte qu’on eût vu ; chacun saisit ses armes. Morddwyt Tyllyon[230] s’écrie alors : « Gwern gwngwch uiwch Vorddwyt Tyllion [231]  !

Chacun alors se jeta sur ses armes. Bendigeit Vran maintint Branwen entre son écu et son épaule. Les Gwyddyl se mirent à allumer du feu sous le chaudron de résurrection. On jeta les cadavres dedans jusqu’à ce qu’il fut plein. Le lendemain, ils se levèrent redevenus guerriers aussi redoutables que jamais, sauf qu’ils ne pouvaient pas parler. Evnyssyen voyant sur le sol les corps privés de renaissance des hommes de l’île des Forts se dit en lui-même : « Ô Dieu, malheur à moi d’avoir été la cause de cette destruction des hommes de l’île des Forts. Honte à moi, si je ne trouve pas un moyen de salut. » Il s’introduisit au milieu des cadavres des Gwyddyl. Deux Gwyddyl aux pieds nus vinrent à lui et, le prenant pour un des leurs, le jetèrent dans le chaudron. Il se distendit lui-même dans le chaudron au point que le chaudron éclata en quatre morceaux et que sa poitrine à lui se brisa. C’est à cela que les hommes de l’île durent tout le succès qu’ils obtinrent. Il se réduisit à ce que sept hommes purent s’échapper ; Bendigeit Vran fut blessé au pied d’un coup de lance empoisonnée. Voici les sept qui échappèrent : Pryderi, Manawyddan, Gliuieri Eil Taran[232], Talyessin[233], Ynawc, Grudyeu, fils de Muryel, Heilyn, fils de Gwyn Hen (le vieux). Bendigeit Vran ordonna qu’on lui coupât la tête. « Prenez ma tête, » leur dit-il ; « portez-la à Gwynn Vryn[234] à Llundein et enterrez-la en cet endroit le visage tourné vers la France. Vous serez longtemps en route. À Harddlech vous resterez sept ans à table, pendant que les oiseaux de Riannon chanteront pour vous. Ma tête sera pour vous une compagnie aussi agréable qu’aux meilleurs moments lorsqu’elle était sur mes épaules. À Gwales[235], en Penvro[236], vous passerez quatre-vingts ans. Jusqu’au moment où vous ouvrirez la porte qui donne sur Aber Henvelen[237], vers Kernyw, vous pourrez y séjourner et conserver la tête intacte. Mais ce sera impossible, dès que vous aurez ouvert la porte ; traversez droit devant vous. » Ils lui coupèrent la tête, et, l’emportant avec eux, partirent à travers le détroit tous les sept, sans compter Branwen[238].

Ils débarquèrent à Aber Alaw[239] en Talebolyon. Là ils s’assirent et se reposèrent. Branwen porta ses regards vers Iwerddon et sur l’île des Forts, sur ce qu’elle en pouvait apercevoir ; « Hélas, fils de Dieu, » s’écria-t-elle « maudite soit ma naissance ! Deux îles si belles détruites à cause de moi ! » Elle poussa un grand soupir et son cœur se brisa. On lui fit une tombe carrée et on l’enterra en cet endroit sur le bord de l’Alaw. Les sept hommes se dirigèrent vers Harddlech avec la tête. En chemin, ils rencontrèrent une troupe d’hommes et de femmes. « Avez-vous des nouvelles ? » dit Manawyddan. — « Pas d’autres, » répondirent-ils, « sinon que Caswallawn[240] fils de Beli a pris possession de l’île des Forts et qu’il est roi couronné à Lundein. » — « Qu’est-il arrivé, » dirent les sept, « à Caradawc, fils de Bran, et aux sept hommes qui ont été laissés avec lui dans cette île ? » « Kaswallawn les a attaqués et en a tué six ; le cœur de Caradawc s’est brisé de désespoir[241] lorsqu’il a vu l’épée tuer ses hommes sans savoir qui les frappait. C’était Kaswallawn qui avait revêtu un manteau enchanté, de sorte que personne ne le voyait les tuer : on n’apercevait que l’épée. Pour Caradawc, il ne voulait pas le tuer, parce que c’était son neveu, le fils de son cousin germain. Ce fut un des trois hommes dont le cœur se brisa de chagrin. Pendaran Dyvet qui était jeune valet avec les sept hommes s’est échappé dans un bois. » Ils se rendirent à Harddlech et s’y installèrent. Ils commencèrent à se pourvoir en abondance de nourriture et de boisson, et se mirent à manger et à boire. Trois oiseaux vinrent leur chanter certain chant auprès duquel étaient sans charme tous ceux qu’ils avaient entendus. Les oiseaux se tenaient au loin au-dessus de flots et ils les voyaient cependant aussi distinctement que s’ils avaient été avec eux. Ce repas dura sept ans ; au bout de la septième année, ils partirent pour Gwales[242] en Penvro. Ils y trouvèrent un endroit agréable, royal au-dessus des flots, et une grande salle. Deux des portes étaient ouvertes, mais la troisième étaient fermée, celle qui donnait sur Kernyw « Voilà, » dit Manawyddan, « la porte que nous ne devons pas ouvrir. » Ils y passèrent la nuit et au milieu de l’abondance et de la gaieté. Quoi qu’ils eussent vu de souffrances, quoi qu’ils en eussent éprouvé eux-mêmes, ils ne se rappelèrent rien, non plus qu’aucun chagrin au monde. Ils y passèrent quatre-vingt années de telle sorte qu’ils ne se rappelaient pas avoir eu un meilleur temps ni plus agréable dans toute leur vie. Ils n’étaient pas plus fatigués ; aucun d’eux ne s’apercevait que l’autre fût plus vieux de tout ce temps qu’au moment où ils étaient venus. La compagnie de la tête ne leur était pas plus pénible que pendant que Bendigeit Vran était en vie. C’est à cause des quatre-vingts années passées ainsi qu’on désigne ce temps sous le nom de Réception de la tête sacrée[243]. Le temps de l’expédition en Iwerddon s’appelle la réception de Branwen et de Matholwch. Mais voici ce que fit un jour Heilyn, fils de Gwynn. « Honte sur ma barbe, » s’écria-t-il, « si je n’ouvre pas cette porte pour savoir si ce qu’on dit est vrai. » Il ouvrit la porte et jeta ses regards sur Kernyw et Aber Henvelen. Aussitôt qu’il eut regardé, toutes les pertes qu’ils avaient faites, la mort de leurs parents et de leurs compagnons, tout le mal qui leur était arrivé leur revint en mémoire aussi clairement que si tout fût survenu à ce moment même, mais, par dessus tout, la perte de leur seigneur. À partir de ce moment, ils n’eurent pas de repos et partirent pour Llundein avec la tête.

Quelle qu’ait été la longueur de leur voyage, ils y arrivèrent et enterrèrent la tête dans Gwynn Vryn. Ce fut, quand on l’enterra, la troisième bonne cachette, et, quand on la découvrit, la troisième mauvaise découverte : aucun fléau ne pouvait en effet venir dans cette île, tant que la tête aurait été cachée en cet endroit. Voilà ce que dit l’histoire de leur aventure. Ce furent là les hommes qui revinrent d’Iwerddon.

En Iwerddon, il ne resta de vivant que cinq femmes enceintes, dans une grotte, dans le désert. Il naquit à la même époque à ces cinq femmes cinq fils. Elles les élevèrent jusqu’à ce qu’ils fussent de grands jeunes gens, qu’ils pensèrent aux femmes et les désirèrent. Alors chacun d’eux coucha avec la mère de l’autre. Ils gouvernèrent le pays, le peuplèrent et le divisèrent entre eux cinq : c’est de ce partage entre cinq que viennent les cinq divisions actuelles d’Iwerddon[244]. Ils examinèrent le terrain à l’endroit où avaient eu lieu les batailles ; il y trouvèrent tant d’or et d’argent qu’ils devinrent riches[245]. Voilà comment se termine cette branche du Mabinogi, traitant de la cause du soufflet donné à Branwen, le troisième des funestes soufflets donnés dans cette île ; de la réception de Bran quand il alla en Iwerddon avec les troupes des cent cinquante-quatre pays punir le soufflet de Branwen ; du souper à Harddlech pendant sept années ; du chant des oiseaux de Riannon, et de l’hospitalité de la tête comprenant quatre-vingt ans.


MANAWYDDAN[246], fils de Llyr

Voici la troisième branche du Mabinogi.


Lorsque les sept hommes dont nous vous avons parlé plus haut eurent enterré dans Gwynvryn à Llundein la tête de Bendigeit Vran, le visage tourné vers la France, Manawyddan, jetant les yeux sur la ville de Llundein et sur ses compagnons, poussa un grand soupir et fut pris de grande douleur et de grand regret. « Dieu tout-puissant, » s’écria-t-il, « malheur à moi ! Il n’y a personne qui n’ait un refuge cette nuit, excepté moi ! » ― « Seigneur, » dit Pryderi, « ne te laisse pas abattre ainsi. C’est ton cousin germain qui est roi de l’île des Forts. En supposant qu’il puisse avoir eu des torts vis-à-vis de toi, il faut reconnaître que tu n’as jamais réclamé terre ni possession ; tu es un des trois qui sont princes sans l’être. » ― « Quoique cet homme soit mon cousin, » répondit Manawyddan, « il est toujours assez triste pour moi de voir qui que ce soit à la place de mon frère Bendigeit Vran. Je ne pourrai jamais être heureux dans la même demeure que lui. » ― « Veux-tu suivre un conseil ? » ― « J’en ai grand besoin ; quel est-il ce conseil ? » – « Sept cantrevs m’ont été laissés en héritage ; ma mère Riannon y demeure. Je te la donnerai et avec elle les sept cantrevs. Ne t’inquiète pas quand même tu n’aurais pas d’autres possessions ; il n’y en a pas au monde de meilleurs. Ma femme est Kicva, la fille de Gwynn Gohoyw. Les domaines seront à mon nom, mais vous en aurez la jouissance, toi et Riannon. Si tu désirais jamais des domaines en propre, tu pourrais prendre ceux-là. » ― « Non jamais, seigneur : Dieu te rende ta confraternité ! » ― « Si tu veux, toute l’amitié dont je suis capable sera pour toi. » ― « J’accepte, mon âme : Dieu te le rende. Je vais aller avec toi voir Riannon et tes états. » ― « Tu as raison ; je ne crois pas que tu aies jamais entendu femme causant mieux qu’elle. À l’époque où elle était dans la fleur de la jeunesse, il n’y en avait pas de plus parfaite, et maintenant encore son visage ne te déplaira plus. »

Ils partirent aussitôt, et, quelle qu’ait été la longueur de leur voyage, ils arrivèrent en Dyvet. Ils trouvèrent festin préparé à leur intention en arrivant à Arberth ; c’était Riannon et Kicva qui l’avaient organisé. Ils se mirent tous à table ensemble et Manawyddan et Riannon causèrent. Cet entretien lui inspira pour elle de tendres sentiments et il fut heureux de penser qu’il n’avait jamais vu de femme plus belle ni plus accomplie. « Pryderi, » dit-il, « je me conformerai à tes paroles. » ― « Quelles paroles ? » demanda Riannon. ― « Princesse, » répondit Pryderi, « je t’ai donnée comme femme à Manawyddan fils de Llyr. » ― « J’obéirai avec plaisir, » dit Riannon. ― « Et moi aussi, » dit Manawyddan. « Dieu récompense celui qui me témoigne une amitié aussi solide. » Avant la fin du banquet, il coucha avec elle. « Jouissez, » dit Pryderi, « de ce qui reste du festin. Moi, je m’en vais aller porter mon hommage à Kasswallawn, fils de Beli, en Lloegyr[247]. » ― « Seigneur, » répondit Riannon, « Kasswallawn est en Kent. Tu peux terminer ce banquet et attendre qu’il soit plus près. » ― « Nous attendrons donc, » dit-il. Ils achevèrent le banquet et ils se mirent à faire leur tour de Dyvet, à chasser, à prendre plaisir. En circulant à travers le pays, ils constatèrent qu’ils n’avaient jamais vu pays plus habité, meilleur pays de chasse, mieux pourvu de miel et de poisson. Leur amitié à tous les quatre grandit ainsi à tel point qu’ils ne pouvaient se passer les uns des autres ni jour ni nuit.

Entre temps, Pryderi alla porter son hommage à Kasswallawn à Ryt-ychen[248]. Il y reçut un excellent accueil et on lui fut reconnaissant de son hommage. Lorsqu’il fut de retour, Manawyddan et lui se mirent aux festins et aux délassements. Le festin commença à Arberth ; c’était la principale cour et c’était toujours par elle que commençait toute cérémonie. Après le premier repas, ce soir-là, pendant que les serviteurs étaient en train de manger, ils sortirent tous les quatre et se rendirent avec leur suite au Tertre d’Arberth. Comme ils y étaient assis, un grand coup de tonnerre se fit entendre, suivi d’un nuage si épais qu’ils ne pouvaient s’apercevoir les uns les autres. La nuée se dissipa et tout s’éclaircit autour d’eux. Lorsqu’ils jetèrent les yeux sur cette campagne où auparavant on voyait troupeaux, richesses, habitations, tout avait disparu, maison, bétail, fumée, hommes, demeures ; il ne restait que les maisons de la cour, vides, sans aucune créature humaine, sans un animal. Leurs compagnons mêmes avaient disparu sans laisser de traces ; ils ne restaient qu’eux quatre. « Oh ! Seigneur Dieu ! » s’écria Manawyddan, « où sont les gens de la cour ? Où sont tous nos autres compagnons ? Allons voir. » Ils se rendirent à la salle personne ; à la chambre et au dortoir : personne ; à la cave à l’hydromel, à la cuisine : tout était désert. Ils se mirent tous les quatre à continuer le festin, à chasser, à prendre leur plaisir. Chacun d’eux parcourut le pays et les domaines pour voir s’ils trouveraient des maisons et des endroits habités, mais ils n’aperçurent, rien que des animaux sauvages. Le festin et les provisions épuisés, ils commencèrent à se nourrir de gibier, de poisson, de miel sauvage. Ils passèrent ainsi joyeusement une première année, puis une deuxième, mais à la fin la nourriture commença à manquer. « Nous ne pouvons en vérité, » dit Manawyddan, « rester ainsi. Allons en Lloegyr et cherchons un métier qui nous permettre de vivre. »

Ils se rendirent en Lloegyr et s’arrêtèrent à Henffordd (Hereford). Ils se donnèrent comme selliers. Manawyddan se mit à façonner des arçons et à les colorer en bleu émaillé comme il l’avait vu faire à Llasar Llaesgygwyd. Il fabriqua comme lui l’émail bleu, qu’on a appelé calch lasar[249] du nom de son inventeur, Llasar Llaesgygwyd[250]. Tant qu’on en trouvait chez Manawyddan, on n’achetait dans tout Henffordd à aucun sellier ni arçon ni selle ; si bien que les selliers s’aperçurent que leurs gains diminuaient beaucoup ; on ne leur achetait rien que quand on n’avait pu se fournir auprès de Manawyddan. Ils se réunirent tous et convinrent de tuer Manawyddan et son compagnon. Mais ceux-ci en furent avertis et délibérèrent de quitter la ville. « Par moi et Dieu, » dit Pryderi, « je ne suis d’avis de partir, mais bien de tuer ces vilains-là. » ― « Non pas, » répondit Manawyddan ; « si nous nous battions avec eux, nous nous ferions une mauvaise réputation et on nous emprisonnerait. Nous ferons mieux d’aller chercher notre subsistance dans une autre ville. »

Ils se rendirent alors tous les quatre à une autre cité. « Quel métier professerons-nous ? » dit Pryderi. ― « Faisons des boucliers, » répondit Manawyddan. ― « Mais y connaissons-nous quelque chose ? » ― « Nous essaierons toujours. » Ils se mirent à fabriquer des écus ; ils les façonnèrent sur le modèle des bons qu’ils avaient vus et leur donnèrent la même couleur qu’aux selles. Ce travail leur réussit si bien qu’on n’achetait un écu dans toute la ville que lorsqu’on n’en avait pas trouvé chez eux. Ils travaillaient vite ; ils en firent une quantité énorme ; ils continuèrent jusqu’à ce qu’ils firent tomber le commerce des ouvriers de la ville et que ceux-ci s’entendirent pour chercher à les tuer. Mais ils furent avertis ; ils apprirent que ces gens avaient décidé leur mort. « Pryderi, » dit Manawydan, « ces hommes veulent nous tuer. » ― « Ne supportons point pareille chose, » répondit-il, « de ces vilains ; marchons contre eux et tuons-les. » ― « Non point ; Kaswallawn et ses hommes l’apprendraient ; nous serions perdus. Allons dans une autre ville. » Ils arrivèrent dans une autre ville. « À quel art nous mettrons-nous maintenant, » dit Manawyddan ? ― « À celui que tu voudras de ceux que nous savons, » répondit Pryderi. ― « Non point ; faisons de la cordonnerie. Des cordonniers n’auront jamais assez d’audace pour chercher à nous tuer ou à nous créer des obstacles. » ― « Mais moi, je n’y connais rien. » ― « Je m’y connais moi, et je t’apprendrai à coudre. Ne nous mêlons pas de préparer le cuir, achetons-le tout préparé et mettons-le en œuvre. » Il se mit à acheter le cordwal[251] le plus beau qu’il trouva dans la ville ; il n’achetait pas d’autre cuir excepté pour les semelles. Il s’associa avec le meilleur orfèvre de la ville ; il lui fit faire des boucles pour les souliers, dorer les boucles, et le regarda faire jusqu’à ce qu’il eût appris lui-même. C’est à cause de cela qu’on l’a surnommé un des trois cordonniers-orfèvres[252]. Tant qu’on trouvait chez lui soulier ou chaussure, on n’en achetait chez aucun cordonnier dans toute la ville. Les cordonniers reconnurent qu’ils ne gagnaient plus rien. À mesure que Manawyddan façonnait, Pryderi cousait. Les cordonniers se réunirent et tinrent conseil ; le résultat de la délibération fut qu’ils s’entendirent pour les tuer. « Pryderi », dit Manawyddan,« ces gens veulent nous tuer. » ― « Pourquoi supporter pareille chose », répondit Pryderi, « de ces voleurs de vilains ? Tuons-les tous. » ― « Non pas », dit Manawyddan ; « nous ne nous battrons pas avec eux et nous ne resterons pas plus longtemps en Lloegyr. Dirigeons-nous vers Dyvet et allons examiner le pays. »

Quelque temps qu’ils aient été en route, ils arrivèrent à Dyvet et se rendirent à Arberth. Ils y allumèrent du feu, et se mirent à se nourrir de gibier ; ils passèrent un mois ainsi. Ils rassemblèrent leurs chiens autour d’eux et vécurent ainsi pendant une année. Un matin, Pryderi et Manawyddan se levèrent pour aller à la chasse ; ils préparèrent leurs chiens et sortirent de la cour. Certains de leurs chiens partirent devant et arrivèrent à un petit buisson qui se trouvait à côté d’eux. Mais à peine étaient-ils allés au buisson qu’ils reculèrent immédiatement, le poil hérissé et qu’ils retournèrent vers leurs maîtres. « Approchons du buisson, » dit Pryderi, « pour voir ce qu’il y a ». Ils se dirigèrent de ce côté, mais quand ils furent auprès, tout d’un coup un sanglier d’un blanc éclatant se leva du buisson. Les chiens excités par les hommes s’élancèrent sur lui. Il quitta le buisson et recula à une certaine distance des hommes. Jusqu’à ce que les hommes fussent près de lui, il rendit les abois[253] aux chiens sans reculer devant eux. Lorsque les hommes le serrèrent de près, il recula une seconde fois et rompit les abois. Ils poursuivirent ainsi le sanglier jusqu’en vue d’un fort très élevé, paraissant nouvellement bâti, dans un endroit où ils n’avaient jamais vu ni pierre ni trace de travail. Le sanglier se dirigea rapidement vers le fort, les chiens à la suite. Quand le sanglier et les chiens eurent disparu à l’intérieur, ils s’étonnèrent de trouver un fort là où ils n’avaient jamais vu trace de construction. Du haut du tertre, ils regardèrent et écoutèrent mais il eurent beau attendre, ils n’entendirent pas un seul chien et n’en virent pas trace. « Seigneur, » dit Pryderi, « je m’en vais au château chercher des nouvelles des chiens. » ― « Ce n’est pas une bonne idée, » répondit Manawyddan, « que d’aller dans ce château que tu n’as jamais vu. Si tu veux m’écouter, tu n’iras pas. C’est le même qui a jeté charme et enchantement sur le pays qui a fait paraître le château en cet endroit. » ― « Assurément, je n’abandonnerai pas mes chiens, » dit Pryderi. En dépit de tous les conseils de Manawyddan, il se rendit au château. Il entra et n’aperçut ni homme, ni animal, ni le sanglier, ni les chiens, ni maison, ni endroit habité. Sur le sol vers le milieu du fort, il y avait une fontaine entourée de marbre, et sur le bord de la fontaine, reposant sur une dalle de marbre, une coupe d’or attachée par des chaînes qui se dirigeaient en l’air et dont il ne voyait pas l’extrémité[254]. Il fut tout transporté de l’éclat de l’or et de l’excellence du travail de la coupe. Il s’en approcha et la saisit. Au même instant, ses deux mains s’attachèrent à la coupe et ses deux pieds à la dalle de marbre qui la portait. Il perdit la voix et fut dans l’impossibilité de prononcer une parole. Il resta dans cette situation.

Manawyddan, lui, attendit jusque vers la fin du jour. Quand le temps de nones touchait à sa fin et qu’il fut bien sûr qu’il n’avait pas de nouvelles à attendre de Pryderi ni des chiens, il retourna à la cour. Quand il rentra, Riannon le regarda : « Où est ton compagnon ? » dit-elle. « Où sont les chiens ? » ― « Voici l’aventure qui m’est arrivé, » répondit-il. Et il lui raconta tout. « Vraiment, » dit Riannon, « tu es un mauvais camarade et tu en as perdu un bien bon ! » En disant ces mots, elle sortit. Elle se dirigea vers la région où il lui avait dit que Pryderi et le fort se trouvaient. La porte était ouverte ; tout y était au grand jour. Elle entra. En entrant, elle aperçut Pryderi les mains sur la coupe. Elle alla à lui : « Oh ! Seigneur, » dit-elle, « que fais-tu là ? » et elle saisit la coupe. Aussitôt, ses deux mains s’attachèrent à la coupe, ses deux pieds à la dalle, et il lui fut impossible de proférer une parole. Ensuite, aussitôt qu’il fut nuit, un coup de tonnerre se fit entendre, suivi d’un épais nuage, et le fort et eux-mêmes disparurent.

Kicva, fille de Gwyn Gohoyw, voyant qu’il ne restait plus dans la cour que Manawyddan et elle, en conçut tant de douleur que la mort lui semblait préférable à la vie. Ce que voyant, Manawyddan lui dit : « Tu as tort, assurément, si c’est par peur de moi que tu es si affectée ; je te donne Dieu comme caution que je serai pour toi le compagnon le plus sûr que tu aies jamais vu, tant qu’il plaira à Dieu de prolonger pour toi cette situation. Par moi et Dieu, je serais au début de la jeunesse que je garderais ma fidélité envers Pryderi. Je la garderai aussi pour toi. N’aie pas la moindre crainte. Ma société sera telle que tu voudras, autant qu’il sera en mon pouvoir, tant qu’il plaira à Dieu de nous laisser dans cette situation pénible et cette affliction. » ― « Dieu te le rende », répondit-elle ; « c’est bien ce que je supposais. » La jeune femme en conçut joie et assurance. « Vraiment », dit Manawyddan, « ce n’est pas le moment pour nous de rester ici : nous avons perdu nos biens, il nous est impossible d’avoir notre subsistance. Allons en Lloeger[255], nous trouverons à y vivre plus facilement. » ― « Volontiers, seigneur, » répondit-elle ; « suivons ton idée. »

Ils marchèrent jusqu’en Lloegyr. « Quel métier professeras-tu, seigneur ? » dit-elle. « Prends-en un propre. » ― « Je n’en prendrai pas d’autre », répondit-il, « que la cordonnerie, comme je l’ai fait auparavant. » ― « Seigneur, ce n’est pas un métier assez propre pour un homme aussi habile, d’aussi haute condition que toi. » ― « C’est cependant à celui-là que je me mettrai. » Il se mit à exercer sa profession ; il se servit pour son travail du cordwal le plus beau qu’il trouva dans la ville. Puis, comme ils l’avaient fait ailleurs, ils se mirent à fermer les souliers avec des boucles dorées ; si bien que le travail des cordonniers de la ville était inutile ou de peu de valeur auprès du sien. Tant qu’on trouvait chez lui chaussure ou bottes, on n’achetait rien aux autres. Au bout d’une année de cette existence, les cordonniers furent animés de jalousie et de mauvais desseins contre lui ; mais il fut averti et informé que les cordonniers s’étaient entendu pour le tuer : « Seigneur, » dit Kicva, « pourquoi supporter pareille chose de ces vilains ? » ― « Laissons, » répondit Manawyddan, « et retournons en Dyvet. » Ils partirent pour Dyvet.

En partant, Manawyddan emporta avec lui un faix de froment. Il se rendit à Arberth et s’y fixa. Il n’avait pas de plus grand plaisir que de voir Arberth et les lieux où il avait été chasser en compagnie de Pryderi et de Riannon. Il s’habitua à prendre le poisson et les bêtes sauvages dans leur gîte. Ensuite il se mit à labourer la terre, puis il ensemença un clos, puis un second, puis un troisième. Il vit bientôt se lever le froment le meilleur du monde et le blé de ses trois clos grandir de même façon ; il était impossible de voir plus beau froment. Les diverses saisons de l’année passèrent ; l’automne arriva. Il alla voir un de ses clos : il était mûr. « Je moissonnerai celui-là demain. » dit-il. Il retourna passer la nuit à Arberth, et, au petit jour, il partit pour moissonner son clos. En arrivant, il ne trouva que la paille nue ; tout était arraché à partir de l’endroit où la tige se développe en épi ; l’épi était entièrement enlevé, il ne restait que le chaume. Il fut grandement étonné et alla voir un autre clos celui-là était mûr. « Assurément, » dit-il, « je viendrai moissonner celui-ci demain. »

Le lendemain, il revint avec l’intention d’y faire la moisson : en arrivant, il ne trouva que le chaume nu. « Seigneur Dieu », s’écria-t-il, « qui donc est ainsi à consommer ma perte ? Je le devine : c’est celui qui a commencé qui achève et ma perte et celle du pays. » Il alla voir le troisième clos ; il était impossible de voir plus beau froment, et celui-là aussi était mûr. « Honte à moi, » dit-il, « si je ne veille cette nuit. Celui qui a enlevé l’autre blé viendra enlever aussi celui-ci ; je saurai qui c’est. » Il avertit Kicva. « Qu’as-tu l’intention de faire ? » dit-elle, ― « Surveiller ce clos cette nuit, » répondit-il. Il y alla.

Vers minuit, il entendit le plus grand bruit du monde. Il regarda : c’était une troupe de souris, la plus grande au monde, qui arrivait ; il était impossible de les compter ni d’en évaluer le nombre. Avant qu’il ne pût s’en rendre compte, elles se précipitèrent dans le clos ; chacune grimpa le long d’un tige, l’abaissa avec elle, cassa l’épi et s’élança avec lui dehors, laissant le chaume nu. Il ne voyait pas une tige qui ne fût attaquée par une souris et dont elles n’emportassent l’épi avec elles. Entraîné par la fureur et le dépit, il se mit à frapper au milieu des souris, mais il n’en atteignit aucune, comme s’il avait eu affaire à des moucherons ou à des oiseaux dans l’air. Il en avisa une d’apparence très lourde, au point qu’elle paraissait incapable de marcher. Il se mit à sa poursuite, la saisit, la mit dans son gant, dont il lia les extrémités avec une ficelle, et se rendit avec le gant à la cour.

Il entra dans la chambre où se trouvait Kicva, alluma du feu et suspendit le gant par la ficelle à un support. « Qu’y a-t-il là, seigneur ? » dit Kicva. ― « Un voleur, » répondit-il, « que j’ai surpris en train de me voler. » ― « Quelle espèce de voleur, seigneur, pourrais-tu bien mettre ainsi dans ton gant ? » – « Voici toute l’histoire. » Et il lui raconta comment on lui avait gâté et ruiné ses clos, et comment les souris avaient envahi le dernier en sa présence. « Une d’entre elles, » ajouta-t-il, « était très lourde : c’est celle que j’ai attrapée et qui est dans le gant. Je la pendrai demain, et, j’en prends Dieu à témoin, je les pendrais toutes, si je les tenais. » ― « Seigneur, je le comprends. Mais ce n’est pas beau de voir un homme aussi élevé, d’aussi haute noblesse que toi, pendre un vil animal comme celui-là. Tu ferais bien de ne pas y toucher et de le laisser aller. » ― « Honte à moi, si je ne les pendais pas toutes, si je les tenais. Je pendrai toujours celle que j’ai prise. » ― « Seigneur, je n’ai aucune raison de venir en aide à cet animal ; je voulais seulement t’éviter une action peu noble. Fais ta volonté, seigneur. » ― « Si je savais que tu eusses le moindre sujet de lui venir en aide, princesse, je suivrais ton conseil, mais, comme je n’en vois pas, je suis décidé à le tuer. » ― « Volontiers, fais-le. »

Il se rendit à Gorsedd Arberth[256] avec la souris et planta deux fourches à l’endroit le plus élevé du tertre. À ce moment, il vit venir de son côté un clerc revêtu de vieux habits de peu de valeur, pauvres. Il y avait sept ans que Manawyddan n’avait vu ni homme ni bête, à l’exception des personnes avec lesquelles il avait vécu, lui quatrième, jusqu’au moment où deux d’entre elles encore avaient disparu. « Seigneur, » dit le clerc, « bonjour à toi. » ― « Dieu te donne bien, » répondit-il, « sois le bienvenu. D’où viens-tu, clerc ? » ― « Je viens de Lloegyr, où j’ai été chanter[257]. Pourquoi me le demandes-tu ? » ― « Parce que, depuis sept ans, je n’ai vu que quatre personnes isolées, et toi en ce moment. » ― « Eh bien, Seigneur, moi je me rends maintenant, à travers cette contrée, dans mon propre pays. À quoi es-tu donc occupé, seigneur ? » ― « À pendre un voleur que j’ai surpris me volant. » ― « Quelle espèce de voleur ? Je vois dans ta main quelque chose comme une souris. Il n’est guère convenable, pour homme de ton rang, de manier un pareil animal ; lâche-le. » ― « Je ne le lâcherai point, par moi et Dieu. Je l’ai surpris en train de me voler ; je lui appliquerai la loi des voleurs : je le pendrai ». ― « Seigneur, plutôt que de voir un homme de ton rang accomplir pareille besogne, je te donnerai une livre que j’ai recueillie en mendiant ; donne la liberté à cet animal. » ― « Je n’en ferai rien, et je ne le vendrai pas. » ― « Comme tu voudras, seigneur ; si ce n’était pour ne pas voir un homme de ton rang manier un pareil animal, cela me serait indifférent. » Et le clerc s’éloigna.

Au moment où il mettait la traverse sur les fourches, il vit venir à lui un prêtre monté sur un cheval harnaché. « Seigneur, » dit le prêtre, « bonjour à toi. » ― « Dieu te donne bien, » répondit Manawyddan : « ta bénédiction ? » ― « Dieu te bénisse. Et que fais-tu là, seigneur ? » ― « Je pends un voleur que j’ai pris en train de me voler. » ― « Quelle espèce de voleur est celui-là, seigneur ? » ― « C’est un animal, une espèce de souris ; il m’a volé ; il aura la mort des voleurs. » ― « Seigneur, plutôt que te voir manier pareil animal, je te l’achète ; lâche-le. » ― « J’en atteste Dieu : je ne le vendrai ni ne le lâcherai. » ― « Il est juste de reconnaître, seigneur, qu’il n’a aucune valeur. Mais, pour ne pas te voir te salir au contact de cette bête, je te donnerai trois livres ; lâche-le. » ― « Je ne veux, par moi et Dieu, pour lui aucune compensation autre que celle à laquelle il a droit : la pendaison. » ― « C’est bien, seigneur, fais à ta tête. » Le prêtre prit le large.

Manawyddan enroula la ficelle autour du cou de la souris. Comme il se mettait à l’élever en l’air, il aperçu un train[258] d’évêque avec ses bagages et sa suite. L’évêque se dirigeait vers lui. Il s’arrêta dans son œuvre. « Seigneur évêque, » dit-il, « ta bénédiction ? » ― « Dieu te donne sa bénédiction, » répondit-il. ― « Que fais-tu donc là ? » ― « Je pends un voleur que j’ai pris en train de me voler. » ― « N’est-ce pas une souris que je vois dans ta main ? » ― « Oui, et elle m’a volé. » ― « Puisque je surviens au moment où elle va périr, je te l’achète ; je te donnerai pour elle sept livres. Je ne veux pas voir un homme de ton rang détruire un animal aussi insignifiant que celui-là ; lâche-le donc, et la somme est à toi. » ― « Je ne le lâcherai pas, par moi et Dieu. » ― « Puisque tu ne veux pas le relâcher à ce prix, je t’offre vingt-quatre livres d’argent comptant. » ― « Je ne le lâcherais pas, j’en prends Dieu à témoin, pour le double. » ― « Puisque tu ne veux pas le lâcher à ce prix, je te donne tout ce que tu vois de chevaux dans ce champ, les sept charges et les sept chevaux qui les traînent. » ― « Je refuse, par moi et Dieu. » ― « Puisque tu n’en veux pas, fais ton prix toi-même. » ― « Je veux la liberté de Riannon et Pryderi. » ― « Tu l’auras. » ― « Ce n’est pas assez, par moi et Dieu. » ― « Que veux-tu donc ? » ― « Que tu fasses disparaître le charme et l’enchantement de dessus les sept cantrevs. » ― « Je te l’accorde ; relâche la souris. » ― « Je ne la lâcherai pas avant d’avoir su qui elle est. » ― « C’est ma femme, et si cela n’était, je n’essaierais pas de la faire relâcher[259]. » ― « Pour quoi est-elle venue à moi ? » ― « Pour piller. Je suis Llwyt, fils de Kilcoet[260]. C’est moi qui ai jeté le charme sur les sept cantrevs de Dyvet, et cela par amitié pour Gwawl, fils de Clut, et qui ai puni sur Pryderi le jeu du Blaireau dans le sac[261] que Pwyll, chef d’Annwn, avait fait subir à Gwawl dans la cour d’Eveydd Hen, par une mauvaise inspiration. Ayant appris que tu étais venu habiter le pays, les gens de ma famille vinrent me trouver, et me demandèrent de les changer en souris pour détruire ton blé. La première nuit, il n’y eut que mes gens à y aller ; la deuxième nuit, de même, et ils détruisirent les deux clos. La troisième nuit, ma femme et les dames de la cour me prièrent de les métamorphoser aussi. Je le fis. Elle était enceinte ; sans cela tu ne l’aurais pas atteinte. Puisqu’il en est ainsi, et que tu la tiens, je te rendrai Pryderi et Riannon ; je débarrasserai Dyvet du charme et de l’enchantement. Je t’ai révélé qui elle était ; lâche-la maintenant. » ― « Je ne le ferai point, par moi et Dieu. » ― « Que veux-tu donc ? » ― « Voici ce que je veux : qu’il n’y ait jamais d’enchantement, et qu’on ne puisse jeter de charme sur Dyvet. » ― « Je l’accorde ; lâche-la. » ― « Je n’en ferai rien par ma foi. » ― « Que veux-tu donc encore ? » ― « Qu’on ne tire jamais vengeance de ceci sur Pryderi, Riannon et moi. » ― « Tout cela, tu l’auras, et tu as été vraiment bien inspiré ; sans cela, tous les malheurs retombaient sur toi. » ― « Oui, et c’est pour l’éviter que j’ai ainsi précisé. » ― « Mets ma femme en liberté maintenant. » ― « Je ne la délivrerai pas, par moi et Dieu, avant d’avoir vu Pryderi et Riannon libres ici avec moi. » ― « Les voici qui viennent. » À ce moment parurent Pryderi et Riannon.

Manawyddan alla à leur rencontre, les salua, et ils s’assirent ensemble. « Seigneur, » dit l’évêque, « délivre maintenant ma femme ; n’as-tu pas eu tout ce que tu as indiqué ? » ― « Avec plaisir. » Et il la mit en liberté. L’évêque la frappa de sa baguette enchantée, et elle redevint une jeune femme, la plus belle qu’on eût jamais vue. « Regarde le pays autour de toi, » dit-il, « et tu verras les maisons et les habitations en aussi bon état que jamais. » Il se leva et regarda. Tout le pays était habité, pourvu de ses troupeaux[262] et de toutes ses maisons. « À quel service ont été occupés Pryderi et Riannon ? » dit Manawyddan. ― « Pryderi portait au cou les marteaux de la porte de ma cour. Riannon avait au cou, elle, les licous des ânes après qu’ils avaient été porter le foin. Voilà quelle a été leur captivité. » C’est à cause de cela qu’on a appelé cette histoire le Mabinogi de Mynnweir et de Mynordd[263]. Ainsi se termine cette branche du Mabinogi.


MATH[264], fils de Mathonwy

Voici la quatrième branche du Mabinogi.


Math, fils de Mathonwy, était maître de Gwynedd[265], et Pryderi, fils de Pwyll, de vingt et un cantrevs du Sud, c’est à dire des sept cantrevs de Dyvet, des sept cantrevs de Morganhwc[266] (Glamorgan), des quatre de Keredigyawn (Cardigan) et des trois d’Ystrat Tywi (Carmarthen)[267]. À cette époque, Math, fils de Mathonwy, ne pouvait vivre qu’à la condition que ses deux pieds reposassent dans le giron d’une vierge, à moins toutefois que le tumulte de la guerre ne s’y opposât[268]. La vierge qui vivait ainsi avec lui était Goewin, fille de Pebin, de Dol Pebin[269] en Arvon. C’était bien, à la connaissance des gens du pays, la plus belle jeune fille de son temps. Math résidait toujours à Caer Dathyl[270] en Arvon ; il ne pouvait faire le tour du pays, mais Gilvaethwy, fils de Don[271] et Eveydd[272], fils de Don, ses neveux, fils de sa sœur, ainsi que les gens de sa famille, le faisaient à sa place ; la jeune fille ne le quittait pas. Or, Gilvaethwy tourna ses pensées vers la jeune fille et se mit à l’aimer au point qu’il ne savait que faire à cause d’elle. Tel était son amour qu’il commença à dépérir, couleur, physionomie, aspect extérieur : c’est à peine si on l’aurait reconnu. Gwydyon[273], son frère, le regarda un jour attentivement. « Jeune homme, » lui dit-il, « que t’est-il arrivé ? » ― « Pourquoi cette question ? » répondit-il. « Que remarques-tu en moi ? » ― « Je vois que tu as perdu ton air et tes couleurs : qu’as-tu ? » ― « Seigneur frère, ce qui m’est arrivé, je ne serai pas plus avancé de le confesser à qui que ce soit. » ― « Qu’est-ce, mon âme ? » ― « Tu connais le privilège de Math, fils de Mathonwy : la moindre conversation entre deux personnes, chuchotée aussi bas que possible, si le vent l’atteint[274], il la sait. » ― « C’est bien, n’en dis pas plus long, je connais ta pensée : tu aimes Goewin. »

En voyant que son frère connaissait sa pensée, Gilvaethwy poussa un soupir le plus profond du monde. « Cesse de soupirer, mon âme, » dit Gwydyon ; « ce n’est pas ainsi que l’on vient à bout d’une entreprise. Je ferai soulever, puisqu’il n’y a pas d’autre moyen, Gwynedd, Powys[275] et le Sud[276] pour pouvoir aller chercher la jeune fille. Sois joyeux ; je ferai cela pour toi. »

Ils se rendirent aussitôt auprès de Math, fils de Mathonwy. « Seigneur, » dit Gwydyon, « j’ai appris qu’il était arrivé en Dyvet une espèce d’animaux comme il n’y en a jamais eu dans cette île. » ― « Comment les appelle-t-on ? » répondit Math. ― « Des hob[277], (cochons) seigneur. » ― « Quel genre d’animaux sont ceux-là ? » ― « Ce sont de petites bêtes, mais dont la chair est meilleure que celle des bœufs. Ils sont de petites taille. Ils sont en train de changer de nom. On les appelle moch (porcs), maintenant. » ― « À qui appartiennent-ils ? » ― « Ils ont été envoyés d’Annwn à Pryderi, fils de Pwyll, par Arawn, roi d’Annwn. » (on a encore conservé quelque chose de ce nom : Hannerhwch, Hannerhob)[278]. ― « Eh bien ! de quelle façon pourrait-on les avoir de lui ? » ― « J’irai, seigneur, moi douzième, avec des compagnons déguisés en bardes, demander les cochons. Mon imagination n’est pas mauvaise : je ne reviendrai pas sans les porcs. » ― « Volontiers, pars. » Il alla, avec Gilvaethwy et dix autres compagnons, jusqu’en Keredigyawn[279], à l’endroit qu’on appelle maintenant Ruddlan Teivi[280], où se trouvait la cour de Pryderi.

Ils entrèrent sous l’aspect de bardes. On leur fit bon visage. Ce soir-là, Gwydyon fut placé à côté de Pryderi. « Nous serions heureux, » dit Pryderi, « d’entendre un récit de ces jeunes gens là-bas. » ― « Notre coutume, » répondit Gwydyon, « le premier soir que nous nous rendons auprès d’un personnage important, c’est que le Pennkerdd[281] prenne la parole. Je te raconterai volontiers une histoire. » Gwydyon était le meilleur conteur qu’il y eût au monde. Cette nuit-là, il amusa si bien la cour par des discours récréatifs et des récits que tout le monde fut charmé de lui et que Pryderi prit plaisir à causer avec lui. En finissant, Gwydyon dit : « Seigneur, quelqu’un pourrait-il mieux remplir ma mission auprès de toi que moi-même ? » ― « Oh ! non, » répondit-il ; « c’est une langue pleine de ressources que la tienne. » ― « Voici quelle est ma mission, seigneur : j’ai à te demander les animaux qui t’ont été envoyés d’Annwvyn. » ― « Ce serait la chose du monde la plus facile sans la convention qui existe à leur sujet entre le pays et moi ; il est convenu que je ne m’en dessaisirai pas avant que leur nombre ici n’ait doublé. » ― « Je puis, seigneur, te libérer de ta parole. Voici comment : ne me les donne pas ce soir, mais ne me les refuse pas non plus. Demain, je te proposerai des objets d’échange à leur place. » Cette nuit même, Gwydyon et ses compagnons se rendirent à leur logis pour se concerter. « Hommes, » dit-il, « nous n’obtiendrons point les porcs en les demandant. » ― « Assurément, » répondirent-ils. « Par quel artifice pourrons-nous les avoir ? » ― « J’y arriverai, » dit Gwydyon.

Il eut recours alors à ses artifices et commença à montrer sa puissance magique. Il fit apparaître douze étalons, douze chiens de chasse noirs ayant chacun le poitrail blanc, avec leurs douze colliers et leurs douze laisses que tout le monde eût pris pour de l’or. Les douze chevaux portaient douze selles, et partout le fer était remplacé par de l’or ; les brides étaient en rapport avec les selles. Il se rendit auprès de Pryderi avec les chevaux et les chiens. « Bonjour à toi, seigneur, » dit-il. ― « Dieu te donne bien, » répondit, Pryderi ; « sois le bienvenu. » ― « Seigneur, je t’apporte un moyen de te libérer de la parole que tu as donnée, disais-tu hier soir, au sujet des porcs, à savoir que tu ne les donnerais ni les vendrais. Tu peux les échanger pour quelque chose de mieux. Je t’offre ces douze chevaux avec leur équipement, tel que tu le vois, leurs selles et leurs brides, ces douze chiens de chasse avec ces colliers et ces laisses, ainsi que ces douze boucliers dorés. » Ces écus, c’étaient des champignons qu’il avait transformés[282].

« Eh bien » dit Pryderi, « nous allons tenir conseil. » Ils décidèrent de donner les porcs à Gwydyon, en échange des chevaux, des chiens et des écus. Les gens du Nord prirent congé, et se mirent en route avec les porcs. « Compagnons, » dit Gwydyon, « il nous faut marcher en toute hâte. Le charme ne dure que d’une période d’un jour à l’autre. » Cette même nuit ils marchèrent jusqu’à la partie la plus élevée de Keredigyawn, à l’endroit qu’on appelle encore, pour ce motif, Mochdref.(la ville aux porcs)[283]. Le lendemain, ils mirent en route, traversèrent Elenit[284], et, à la nuit, se trouvèrent entre Keri et Arwystli[285], dans la ville qu’on appelle aussi, depuis, Mochtref. Ils reprirent leur marche, et arrivèrent, à la nuit, dans un cymwd de Powys, qu’on appelle, pour cette raison, Mochnant[286]. Puis ils atteignirent le cantrev de Ros[287], et passèrent la nuit dans la ville connue encore sous le nom de Mochtref. « Hommes, » dit Gwydyon, « réfugions-nous, avec ces animaux, au cœur de Gwynedd ; on lève des armées à notre poursuite. » Ils se rendirent à la ville plus élevée d’Arllechwedd[288], et y construisirent des écuries pour les porcs, ce qui a. valu à la ville le nom de Creuwyryon[289]. Les écuries faites, il se rendirent auprès de Math, fils de Mathonwy, à Kaer Dathyl. Lorsqu’ils y arrivèrent, on était en train d’appeler le pays aux armes. « Qu’y a-t-il de nouveau, » dit Gwydyon ? » ― « Pryderi, » lui fut-il répondu « est en train de réunir les gens de ses vingt et un cantrevs pour vous poursuivre. Nous avons été étonnés de la lenteur de votre marche. Où sont les animaux que vous avez été chercher ? » ― « Ils sont, » dit Gwydyon, « dans l’autre cantrev, là-bas, où nous leur avons fait des écuries. » À ce moment, ils entendirent les trompettes appelant les gens du pays aux armes. Ils s’armèrent et marchèrent jusqu’à Pennardd[290], en Arvon. Gwydyon, fils de Don, avec Gilvaethwy, son frère, se rendit, lui, à Kaer Dathyl il fit coucher Gilvaethwy avec Goewin, dans le lit de Math, fils de Mathonwy, après avoir jeté dehors outrageusement les autres pucelles. Gilvaethwy coucha avec elle cette nuit-là malgré elle. Le lendemain, dès qu’ils virent poindre le jour, ils se rendirent auprès de Math, fils de Mathonwy et ses troupes. On allait justement tenir conseil pour savoir de quel côté on attendrait Pryderi et les hommes du Sud. Ils prirent part à la délibération. Il fut décidé qu’on attendrait au cœur de Gwynedd. Ils attendirent, en effet, juste au milieu des deux ' maenawr[291] de Pennardd et de Coet Alun[292]. Pryderi vint les y attaquer.

C’est là qu’eut lieu la rencontre, et le massacre fut grand des deux côtés ; les hommes du Sud furent forcés à la retraite. Ils reculèrent jusqu’à l’endroit qu’on appelle encore, aujourd’hui, Nantcall[293], poursuivis par leurs adversaires. Alors eut lieu un carnage indescriptible. Ils battirent ensuite en retraite jusqu’à Dol Penmaen[294], où ils se concentrèrent et demandèrent la paix. Pryderi donna des otages ; les otages étaient Gwrgi Gwastra[295] et vingt-trois autres fils de chefs. Ils s’avancèrent ensuite en paix jusqu’à Traeth Mawr[296] ; mais, quand ils se retrouvèrent réunis à Melenryt[297], on ne put empêcher les gens de pied de se lancer des flèches. Pryderi envoya des messagers demander à Math d’arrêter ses gens, et de laisser l’affaire se vider entre lui et Gwydyon, fils de Don, l’auteur de tout ce qui se passait. Quand Math, fils de Mathonwy, eut entendu son message, il dit : « Par moi et Dieu, si Gwydyon, fils de Don, le trouve bon, je le permets volontiers ; je ne forcerai personne à combattre au lieu de faire nous-mêmes de notre mieux. » ― « En vérité, » dirent les messa­gers, « Pryderi, trouve qu’il serait bien, à l’homme qui lui a fait pareil tort, d’opposer son corps à corps, et de laisser en paix sa famille. » ― « J’en atteste Dieu, » dit Gwydyon, « je ne demande pas aux hommes de Gwynedd de se battre pour moi, lorsque je puis lutter seul à seul avec Pryderi. J’opposerai mon corps au sien volontiers. » La réponse fut apportée à Pryderi. « Je ne demande, » dit-il, « le redressement de mes torts à personne autre qu’à moi-même. » On les laissa seuls à l’écart ; ils s’armèrent et se battirent. Par l’effet de sa force et impétuosité, de sa magie et de ses enchantements, Gwydyon l’emporta, et Pryderi fut tué. Il fut enterré à Maentyvyawc[298], au-dessus de Melenryt ; c’est là qu’est sa tombe.

Les gens du Sud se dirigèrent vers leurs pays en faisant entendre des chants funèbres ; ce qui n’avait rien de surprenant : ils avaient perdu leur seigneur, beaucoup de leurs meilleurs guerriers, leurs chevaux et leurs armes en grande partie. Les hommes de Gwynedd s’en retournèrent pleins de joie et d’enthousiasme. « Seigneur, » dit Gwydyon à Math, « ne ferions-nous pas un acte de justice en rendant aux gens du Sud leur seigneur qu’ils nous ont donné en otage pour la paix ? Nous n’avons pas le droit de le tenir en captivité. » ― « Qu’on le mette en liberté, » répondit Math. On laissa Gwrgi et les autres otages aller rejoindre les hommes du Sud. Math se rendit à Kaer Dathyl, tandis que Gilvaethwy, fils de Don, et tous les gens de la famille qui l’accompagnaient auparavant se mirent à faire, comme d’habitude, le circuit de Gwynedd, en laissant de côté la cour. Arrivé dans sa chambre, Math fit préparer un endroit où il pût s’accouder et reposer ses pieds dans le giron de la pucelle. « Seigneur, » dit Goewin, « cherche une vierge pour supporter tes pieds maintenant : moi, je suis femme. » ― « Qu’est-ce que cela veut dire, » répondit-il ? « On m’a assaillie, seigneur, et cela en cachette. Je ne suis pas restée silencieuse : il n’y a personne à la cour qui ne l’ait su. L’attaque est venue de tes neveux, des fils de ta sœur, Gwydyon et Gilvaethwy, fils de Don. Ils m’ont fait, à moi violence, et à toi honte. On a couché avec moi, et cela dans ta chambre et dans ton propre lit. » ― « Eh bien, » répondit-il, « je ferai de mon mieux. Je te ferai tout d’abord avoir satisfaction, et je chercherai ensuite celle qui m’est due. Je te prendrai comme femme, je remettrai entre tes mains la propriété de mes États. » Cependant, les deux fils de Don ne se rapprochaient pas de la cour ; ils continuaient à circuler à travers le pays ; ils se tinrent à l’écart de lui (c’est-à-dire Math) jusqu’au moment où il fut interdit de leur donner nourriture et boisson. Alors, seulement, ils se rendirent auprès de lui. « Seigneur, » dirent-ils, « bonjour à toi. » ― « Oui, » dit-il, « est-ce pour me donner satisfaction que vous êtes venus ? » ― « Seigneur, » répondirent-ils, « nous sommes prêts à faire ta volonté. » ― « S’il en avait toujours été ainsi, je n’aurais pas tant perdu d’hommes et de chevaux ; ma honte, vous ne pouvez me la réparer, sans parler de la mort de Pryderi. Puisque vous êtes venus vous mettre à ma disposition, votre châtiment va commencer » Il prit sa baguette enchantée, et, d’un coup, transforma Gilvaethwy en une biche de bonne taille ; puis instantanément, il prévint toute fuite de la part de l’autre, en le frappant de la même baguette, et en fit un cerf. « Comme vous êtes maintenant liés, » dit Math, « vous marcherez ensemble, vous formerez un couple, et vous aurez les instincts des animaux dont vous avez la forme. Vous aurez un petit à l’époque accoutumée pour eux. Dans un an, vous reviendrez auprès de moi[299]. »

Au bout d’un an, jour pour jour, on entendit un grand bruit contre les parois de la chambre, ce qui excita aussitôt les aboiements des chiens. « Allez voir, » dit Math, « ce qu’il y a dehors. » ― « Seigneur, » dit quelqu’un, « je viens d’aller voir, il y a là un cerf, une biche et un faon. » Il se leva aussitôt et sortit ; il aperçut, en effet, trois bêtes : un cerf, une biche et un faon vigoureux. Il leva sa baguette en disant : « Que celui d’entre vous qui a été biche l’année dernière soit sanglier cette année, et que le cerf soit une truie. » Et il les frappa de sa baguette. « Le petit, je le prends, » ajouta-t-il ; « je le ferai élever et baptiser. » On lui donna le nom de Hyddwn [300]. « Allez, » dit-il ; « vous serez l’un sanglier mâle, l’autre femelle, et vous aurez les mêmes instincts que les porcs des bois. Dans un an, trouvez-vous sous les murs de cette maison avec votre petit. » Au bout de l’année, les aboiements des chiens se firent entendre sous les murs de la chambre, et toute la cour accourut de ce côté. Il se leva lui-même et sortit. Dehors, il aperçut trois bêtes : un sanglier mâle, un sanglier femelle et un petit très fort pour l’âge qu’il paraissait. « Celui-ci » dit-il, « je le garde, et je le ferai baptiser. » Et, d’un coup de sa baguette, il en fit un bel adolescent brun et fort. On l’appela Hychtwn[301]. « Que celui d’entre vous, » ajouta-t-il, « qui a été sanglier mâle l’année dernière, soit louve cette année, et que la truie soit loup. » En disant ces mots, il les frappa de sa baguette et ils devinrent loup et louve. « Ayez, » dit-il, « les instincts des animaux dont vous avez la forme. Soyez ici, sous ces murs, dans un an, aujourd’hui. »

Un an après, jour pour jour, il entendit un grand tumulte, des aboiements de chiens sous les murs de sa chambre. Il se leva et sortit. Dehors, il aperçut un loup, une louve et, avec eux, un fort louveteau. « Celui-ci, » dit-il, « je le prends et je le ferai baptiser. Son nom est tout trouvé : ce sera Bleiddwn[302]. Vous avez trois fils, et ces trois les voilà : Les trois fils de Gilvaethwy le traître ; trois guerriers éminents et fidèles : Bleiddwn, Hyddwn, Hychtwn Hir (le Long). » Et, d’un coup de sa baguette, ils se trouvèrent dans leur propre chair. « Hommes, » dit Math, « si vous m’avez fait tort, vous avez assez souffert et vous avez eu la grande honte d’avoir des enfants l’un de l’autre. Donnez à ces hommes un bain, faites-leur laver la tête et donner des habits. » On exécuta ces ordres. Quand ils furent équipés, ils revinrent auprès de lui. « Hommes, » dit Math, « la paix, vous l’avez eue, l’affection, vous l’aurez aussi ; conseillez-moi : quelle pucelle prendrai-je ? » ― « Seigneur, » répondit Gwydyon, « rien de plus facile : Aranrot[303], fille de Don, ta nièce, la fille de ta sœur. » On alla la lui chercher : la jeune fille entra. « Jeune fille, » dit Math, « es-tu vierge ? » ― « Pas autre chose, seigneur, » répondit-elle, « à ma connaissance. » Alors, il prit sa baguette et la courba. « Passe par-dessus, » dit-il, « et, si tu es vierge, je le reconnaîtrai. » Elle fit un pas par-dessus la baguette enchantée et, en même temps, elle laissa après elle un enfant blond et fort. Aux cris de l’enfant, elle chercha la porte, et aussitôt elle laissa encore quelque chose après elle, comme un petit enfant, mais, avant que personne ne pût l’apercevoir une seconde fois, Gwydyon saisit l’enfant, l’enroula dans un manteau de paile et le cacha au fond d’un coffre, au pied de son lit. « Eh bien, » dit Math, fils de Mathonwy, en parlant de l’enfant blond, « je vais faire baptiser celui-ci, et je lui donnerai le nom de Dylan. » On le baptisa. À peine fut-il baptisé qu’il se dirigea vers la mer. Aussitôt qu’il y entra, sur le champ il en prit la nature et devint aussi bon nageur que le plus rapide des poissons. Aussi l’appela-t-on Dylan Eil Ton[304] (Dylil an, fils de la vague). Jamais vague ne se brisa sous lui. Le coup qui causa sa mort partit de la main de Govannon[305] son oncle, et ce fut un des trois coups funestes.

Comme Gwydyon était un jour au lit mais éveillé, il entendit des cris dans le coffre qui était au pied de son lit ils étaient tout juste assez forts pour être entendus de lui. Il se leva précipitamment et ouvrit le coffre. Il aperçut un petit garçon remuant les bras du milieu du manteau et le rejetant. Il prit l’enfant dans ses bras se rendit avec lui en ville, dans un endroit où il savait trouver une femme pouvant donner le sein et fit marché avec elle pour nourrir l’enfant. On le nourrit une année. Au bout de l’année, il était d’une taille qui eût parut forte même pour un enfant de deux ans. Au bout de la seconde année, c’était un grand enfant capable d’aller tout seul à la cour. Quand il fut à la cour, Gwydyon veilla sur lui ; l’enfant se familiarisa avec lui et l’aima plus que personne. Il fut élevé à la cour ainsi jusqu’à l’âge de quatre ans ; il eût été bien assez développé pour un enfant de huit ans. Un jour, il alla se promener au dehors à la suite de Gwydyon. Celui-ci se rendit avec lui à Kaer Aranrot. En le voyant entrer, Aranrot se leva pour aller à sa rencontre, lui souhaiter la bienvenue et le saluer. « Dieu te donne bien, » dit-il, ― « Quel est donc, » dit-elle, « cet enfant qui te suit ? » ― « Cet enfant c’est ton fils, » répondit Gwydyon. ― « Homme, » s’écria-t-elle, « quelle idée t’a pris de m’outrager ainsi, de poursuivre et de maintenir aussi longtemps mon déshonneur ? » ― « Si tu n’as pas d’autre déshonneur que celui de voir nourrir par moi un enfant aussi beau que celui-ci, ce sera peu de chose. » ― « Quel est le nom de ton fils ? » ― « Eh bien, je jure qu’il aura cette destinée qu’il n’aura pas de nom avant d’en avoir reçu un de moi. » ― « J’en atteste Dieu ; tu es une femme de rien ; l’enfant aura un nom quand même tu le trouverais mauvais, et toi, tu ne retrouveras plus jamais celui que tu es si furieuse d’avoir perdu, celui de pucelle. » En disant ces mots, il sortit furieux et retourna à Kaer Dathyl où il passa la nuit.

Le lendemain il se leva, prit l’enfant avec lui et alla se promener sur les bords de la mer, entre l’Océan et Aber Menei. Il fit paraître par enchantement un navire à l’endroit où il aperçut des algues et du varech ; il transforma les algues et le goémon en cordwal en grande quantité ; il lui donna diverses couleurs au point qu’on ne pouvait voir de plus beau cuir. Il mit à voile et se rendit lui et l’enfant à la porte de l’entrée de Kaer Aranrot. Puis il se mit à façonner des souliers et à les coudre. On le remarqua du fort. Aussitôt qu’il s’en aperçut, il changea ses traits et ceux de l’enfant pour qu’on ne pût les reconnaître. « Quels hommes sont à bord de ce navire ? » dit Aranrot. ― « Ce sont des cordonniers, » lui fut-il répondu. ― « Allez voir quelle espèce de cuir ils ont et comment ils travaillent. » On se rendit auprès d’eux, et on trouva Gwydyon en train de colorer le cuir : il le dorait. Les messagers allèrent le rapporter à Aranrot. « Eh bien dit-elle, « portez la mesure de mon pied à ce cordonnier et dites-lui de me faire des souliers. » Il façonna les souliers, mais non d’après sa mesure il les fit plus grands. On apporta les souliers : ils étaient trop grands. « Ils sont trop grands, » dit-elle ; « je les lui paierai, mais qu’il en fasse une paire de plus petits. » Que fit-il ? Il lui en façonna une paire beaucoup trop petite pour son pied et la lui envoya. « Dites-lui, » dit-elle, « que ceux-ci ne me vont pas non plus. » On lui rapporta ces paroles. « Eh bien, » s’écria-t-il, « je ne lui ferai pas de souliers avant d’avoir vu son pied. » On alla le lui dire. « Eh bien, » s’écria-t-elle, « je vais aller jusqu’à lui. » Elle se rendit au navire : il était en train de tailler et le jeune garçon de coudre. « Princesse, » dit-il, « bonjour à toi. » ― « Dieu te donne bien, » répondit-elle. « Je suis étonnée que tu ne puisses arriver à me faire des souliers sur mesure. » ― « C’est vrai, mais je le pourrai maintenant. » À ce moment, un roitelet se dressa sur le pont du navire. L’enfant lui lança un coup et l’atteignit entre le nerf de la jambe et l’os. Elle se mit à rire. « En vérité, » s’écria-t-elle, « c’est d’une main bien sûre que le lleu[306] l’a atteint. » ― « Eh bien, » dit Gwydyon, « il a un nom, sans que nous ayons à prier Dieu de t’en récompenser, et le nom n’est pas mauvais désormais, il s’appellera Lleu Llaw Gyffes. » Aussitôt, tout ce qu’il avait fait se transforma en algue et en goémon, et il ne continua pas plus longtemps ce travail, qui lui valut d’être appelé un des trois eurgrydd (cordonniers-orfèvres)[307]. « En vérité, » dit-elle, « tu ne te trouveras pas mieux de te montrer méchant envers moi. » ― « Je ne l’ai pas été, » répondit-il. Et il rendit à l’enfant ses traits. « Eh bien, » dit-elle, « je jure que l’enfant aura pour destinée de n’avoir pas d’armure avant que je l’en revête moi-même. » ― « Par moi et Dieu, » dit Gwydyon, « tu peux être aussi perverse que tu voudras, il aura des armes. » Ils se rendirent à Dinas Dinllev[308]. Il y éleva l’enfant jusqu’à ce qu’il fût en état de monter n’importe quel cheval et qu’il eût atteint tout son développement comme visage, taille et corpulence. Gwydyon s’aperçut qu’il était humilié de n’avoir pas de cheval ni d’armes, il l’appela auprès de lui. « Garçon » lui dit-il, « nous irons en expédition demain toi et moi : sois donc plus joyeux que cela. » ― « je le serai, » répondit le jeune homme. Le lendemain, ils se levèrent dans la jeunesse du jour et remontèrent la côte jusqu’à Brynn Aryen[309]. Arrivés au haut de Kevyn Clutno[310], ils s’équipèrent eux et leurs chevaux, et se dirigèrent vers Kaer Aranrot. Ils changèrent leurs traits et se rendirent à l’entrée sous l’aspect de deux jeunes gens, Gwydyon ayant pris toutefois un visage plus grave que son compagnon. « Portier, » dit-il, « rentre et dis qu’il y a ici des bardes de Morgannwc. » Le portier obéit. « Qu’ils soient les bienvenus au nom de Dieu, » dit-elle ; « laisse-les entrer. » On leur fit le meilleur accueil. La salle fut préparée et ils se mirent à table. Quand on eut fini de manger, elle causa avec Gwydyon de contes et histoires. Gwydyon était bon conteur. Quand ce fut le moment de cesser de boire, on leur prépara une chambre et ils allèrent se coucher. Gwydyon se leva de grand matin et appela à lui sa magie et son pouvoir. Un grand mouvement de navires et un grand bruit de trompettes auxquels répondirent de grands cris dans la campagne, se firent entendre. Quand le jour vint, ils entendirent frapper à la porte de la chambre, et Aranrot demander qu’on lui ouvrît. Le jeune homme se leva et ouvrit. Elle entra suivie d’une pucelle[311]. « Gentilshommes, » dit-elle, « nous sommes dans une mauvaise situation. » ― « Oui, » répondirent-ils ; « nous entendons le son des trompettes et les cris ; que t’en semble. » ― « En vérité, » dit-elle, « il est impossible de voir les flots, tellement les navires sont serrés les uns contre les autres. Ils se dirigent vers la terre de toute leur vitesse. Que faire ? » ― « Princesse, il n’y a pas autre chose à faire que de nous renfermer dans le fort et le défendre du mieux que nous pourrons. » ― « Dieu vous le rende. Défendez-le ; vous trouverez ici des armes en abondance. »

Elle alla leur chercher des armes. Elle revint avec deux pucelles, apportant chacune une armure « Princesse, » dit Gwydyon, « revêts son armure à ce jeune homme ; moi je revêtirai l’autre avec le secours des deux pucelles. J’entends le tumulte de gens qui arrivent. » ― « Volontiers, » répondit-elle. Elle le revêtit avec empressement d’une armure complète. « As-tu fini, » dit Gwydyon à Aranrot, « d’armer ce jeune homme ? » ― « C’est fait, » répondit-elle.

― « J’ai fini moi aussi. Tirons maintenant nos armures ; nous n’en n’avons plus besoin. » ― « Oh ! pourquoi ? Voici la flotte autour de la maison. » ― « Non, femme, il n’y a pas la moindre flotte. » ― « Que signifiait donc toute cette levée ? » ― « C’était pour rompre le sort que tu as jeté sur ce jeune homme et lui procurer des armes, et il en a eu sans que tu aies droit à des remerciements. »

― « Par moi et Dieu, tu es méchant homme. Il se pourrait que bien des jeunes gens perdissent la vie à cause de la levée que tu as occasionnée dans ce cantrev aujourd’hui. Je jure que ce jeune homme aura pour destinée de n’avoir jamais une femme de la race qui peuple cette terre en ce moment. » ― « En vérité, » dit-il, « tu as toujours été une femme de rien, que personne ne devrait soutenir. Il aura une femme quand même. » Ils se rendirent auprès de Math, fils de Mathonwy, et se plaignirent d’Aranrot avec la plus grande insistance. Gwydyon lui apprit comment il avait procuré une armure au jeune homme. « Eh bien, » dit Math, « cherchons, au moyen de notre magie et de nos charmes à tous les deux, à lui faire sortir une femme des fleurs. » Il avait alors la stature d’un homme et c’était bien le jeune homme le plus accompli qu’on eût jamais vu. Ils réunirent alors les fleurs du chêne, celles du genêt et de la reine des prés, et, par leurs charmes, ils en formèrent la pucelle la plus belle et la plus parfaite du monde. On la baptisa suivant les rites d’alors et on la nomma Blodeuwedd[312]. Lorsqu’ils eurent couché ensemble, pendant le festin, Gwydyon dit : « Il n’est pas facile de s’entretenir sans domaines. » ― « Et bien, » répondit Math, « je lui donnerai le meilleur cantrev qu’un jeune homme puisse avoir. » ― « Quel cantrev, seigneur ? » ― « Celui de Dinodig. » (Ce cantrev porte aujourd’hui les noms d’Eivynydd et Ardudwy)[313]. On lui bâtit une cour à l’endroit qu’on appelle Mur y Castell[314], dans la partie escarpée d’Ardudwy. C’est là qu’il habita et régna. Tout le monde fut content et accepta avec plaisir sa domination.

Un jour, il se rendit à Kaer Dathyl pour faire visite à Math, fils de Mathonwy. Ce jour-là, Blodeuwedd se mit à se promener dans l’enceinte de la cour. Le son d’un cor se fit entendre, et aussitôt elle vit passer un cerf fatigué poursuivi par les chiens et les chasseurs. Après les chiens et les chasseurs venait toute une troupe de gens à pied, « Envoyez un valet, » dit-elle, « savoir à qui est cette troupe-là. » Un valet sortit et demanda qui ils étaient. ― « La troupe de Gronw Pebyr[315], seigneur de Penllynn[316], » répondirent-ils. Le valet revint le lui dire. Pour Gronw, il continua à poursuivre le cerf, l’atteignit sur les bords de la rivière Kynvael et le tua. Il fut occupé à l’écorcher et à donner la curée aux chiens jusqu’à ce que la nuit vînt le surprendre.

Quand il vit le jour s’en aller et la nuit approcher, il passa devant l’entrée de la cour. « Il est bien sûr, » dit Blodeuwedd, « que nous ferons mal parler de nous par ce seigneur, si nous le laissons, à une pareille heure, aller à un autre endroit sans l’inviter. » ― « Assurément, princesse, » répondirent ses gens, « il vaut mieux l’inviter. » Des messagers allèrent lui porter l’invitation. Il accepta avec plaisir et se rendit à la cour. Elle alla au devant de lui pour lui souhaiter la bienvenue et le saluer. « Princesse, » dit-il, « Dieu te récompense de ton bon accueil. » Il se désarma et ils s’assirent. Blodeuwedd le regarda et, à partir de ce moment, il n’y eut pas une place dans tout son être qui ne fut pénétrée de son amour. Il jeta lui aussi les yeux sur elle et il fut envahi par les mêmes sentiments. Il ne put lui cacher qu’il l’aimait ; il le lui dit. Elle en fut toute réjouie. L’amour qu’ils avaient conçu l’un pour l’autre fut l’unique sujet de leur entretien ce soir-là. Ils ne tardèrent guère à s’unir : cette nuit même ils couchèrent ensemble. Le lendemain, il voulut partir. « Non, assurément, » dit-elle, « tu ne t’en iras pas d’auprès de moi ce soir. » Ils passèrent la nuit ensemble et se concertèrent pour savoir comment ils pourraient vivre réunis. « Il n’y a qu’un moyen, » dit-il, « il faut que tu cherches à savoir de lui comment on peut lui donner la mort, et cela sous couleur de sollicitude pour lui. » Le lendemain il voulut partir. « Vraiment, » dit-elle, je ne suis pas d’avis que tu t’en ailles d’auprès de moi aujourd’hui. » ― « Puisque tel est ton avis, je ne m’en irai pas, » répondit-il, « je te ferai seulement remarquer qu’il est à craindre que le seigneur de cette cour ne revienne à la maison. » ― « Eh bien, demain, je te permettrai de t’en aller. » Le lendemain, il voulut partir, et elle ne s’y opposa pas. « Rappelle-toi, » dit-il, « ce que j’ai dit ; presse-le de questions, et cela, comme en plaisantant, par tendresse ; applique-toi à savoir de lui comment la mort pourrait lui venir. »

Lleu Llaw Gyffes revint chez lui ce soir-là. Ils passèrent le temps en causeries, musique, festin, et dans la nuit, allèrent coucher ensemble. Il lui adressa la parole une fois, puis une seconde, sans obtenir de réponse. « Qu’as-tu, » lui dit-il, « tu n’es pas bien ? » ― « Je réfléchis, » répondit-elle, « à une chose qui ne te viendrait jamais à l’esprit à mon sujet : je suis soucieuse en pensant à ta mort au cas où tu t’en irais avant moi. » ― « Dieu te récompense de ta sollicitude ; mais si Dieu lui-même ne s’en mêle, il n’est pas facile de me tuer. » – « Voudrais-tu, pour l’amour de Dieu et de moi, m’indiquer de quelle façon on pourrait te tuer ? car, pour ce qui est des précautions, j’ai meilleure mémoire que toi. » ― « Volontiers. Il n’est pas facile de me tuer en me frappant : il faudrait passer une année à faire le javelot dont on se servirait et n’y travailler que pendant la messe le dimanche. » ― « Est-ce sûr ? » ― « Bien sûr. On ne peut me tuer dans une maison, on ne le peut dehors ; on ne peut me tuer, si je suis à cheval ; on ne le peut, si je suis à pied. » ― « Eh bien, de quelle façon peut-on donc te tuer ? » ― « je vais te le dire : il faut me préparer un bain sur le bord d’une rivière, établir au-dessus de la cuve une claie voûtée, et ensuite la couvrir hermétiquement, amener un bouc, le placer à côté de la cuve ; il faudrait que je misse un pied sur le dos du bouc et l’autre sur le bord de la cuve quiconque m’atteindrait dans ces conditions, me donnerait la mort. » ― « J’en rends grâces à Dieu, c’est là une chose facile à éviter. » Elle n’eut pas plutôt obtenu la révélation qu’elle la fit parvenir à Gronw Pebyr. Gronw s’occupa de la fabrication de la lance, et, au bout de l’année, jour par jour, elle fut prête. Il le fit savoir, le jour même, à Blodeuwedd. « Seigneur, » dit celle-ci à Lleu, « je me demande comment pourrait se réaliser ce que tu m’as dit. Voudrais-tu me montrer comment tu te tiendrais sur le bord de la cuve et sur le bouc, si je prépare moi-même le bain ? » ― « Je te le montrerai, » répondit-il. Elle envoya vers Gronw et l’avertit de se tenir à l’abri de la colline qu’on appelle maintenant Brynn Kyvergyr[317] sur les bords de la rivière Kynvael. Elle fit rassembler tout ce qu’elle trouva de chèvres dans le cantrev et les amena de l’autre côté de la rivière en face de Brynn Kyvergyr.

Le lendemain, elle dit à Lleu : « Seigneur, j’ai fait préparer la claie et le bain : ils sont prêts. » ― « C’est bien, » répondit-il, « allons voir. » Ils allèrent voir le bain. « Veux-tu aller dans le bain, seigneur, » dit-elle ? ― « Volontiers, répondit-il. Il y alla et prit son bain. « Seigneur, » dit-elle, « voici les animaux que tu as dit s’appeler boucs. » ― « Eh bien, » répondit-il, « fais en prendre un et fais-le amener ici. » On amena le bouc. Lleu sortit du bain, mit ses chausses et posa un pied sur le bord de la cuve, et l’autre sur le dos du bouc. Gronw se leva alors, à l’abri de la colline qu’on appelle Brynn Kyvergyr, et, appuyé sur un genou, il frappa de la lance empoisonnée, et l’atteignit si violemment dans le flanc, que la hampe sauta, et que le fer resta dans le corps. Lleu s’envola sous la forme d’un oiseau en jetant un cri strident, affreux, et on ne le revit plus.

Aussitôt qu’il eut disparu, ils se rendirent, eux, à la cour, et, cette nuit même, couchèrent ensemble. Le lendemain, Gronw se leva et pris possession d’Ardudwy. Après s’en être rendu maître, il le gouverna et devint seigneur d’Ardudwy et de Penllyn[318]. L’histoire parvint aux oreilles de Math, fils de Mathonwy. Math en conçut profonde douleur et grand chagrin, et Gwydyon beaucoup plus encore. « Seigneur, » dit Gwydyon, « je ne prendrai jamais de repos avant d’avoir eu des nouvelles de mon neveu. » ― « Bien, » dit Math, « Dieu te soit en aide. » Il partit et se mit à parcourir le pays ; il erra à travers Gwynedd et Powys d’un bout à l’autre. Ensuite il se rendit en Arvon, et arriva à la maison d’un serf qui habitait le maenawr de Pennardd. Il descendit chez lui et y passa la nuit. Le maître de la maison et les gens de sa famille rentrèrent. Le porcher arriva le dernier. Le maître lui dit : « Valet, ta truie est-elle rentrée ce soir ? » ― « Oui répondit-il ; « en ce moment elle est venue rejoindre les porcs. » ― « Quel trajet fait donc cette truie, ? » demanda Gwydyon. ― « Tous les jours, aussitôt qu’on ouvre l’écurie, elle sort et on ne la voit plus ; on ne sait quel chemin elle a pris, pas plus que si elle allait sous terre ! » ― « Voudrais-tu, » reprit Gwydyon, « me faire plaisir de ne pas ouvrir la porte de l’écurie avant que je ne sois avec toi à côté ? » ― « Volontiers. » Ils allèrent se coucher.

Au point du jour, le porcher se leva et réveilla Gwydyon. Il se leva, s’habilla, alla avec le porcher, et se tint auprès de l’écurie. Le porcher ouvrit la porte ; au même moment, la truie s’élança dehors et se mit à marcher d’une allure vigoureuse. Gwydyon la suivit. Elle prit sa course en remontant le cours de la rivière, se dirigea vers le vallon qu’on appelle maintenant Nant y Llew (le Ravin du Lion) ; là, elle s’arrêta et se mit à paître. Gwydyon vint sous l’arbre et regarda ce que mangeait la truie. Il vit que c’étaient de la chair pourrie et des vers. Il leva les yeux vers le haut de l’arbre et aperçut un aigle au sommet. À chaque fois que l’aigle se secouait, il laissait tomber des vers et de la chair en décomposition que mangeait la truie. Gwydyon pensa que l’aigle n’était pas autre que Lleu, et chanta cet englyn :

Chêne qui pousse entre deux glens, l’air et le vallon sont sombres et agités : si je ne me trompe, ces débris décomposés sont ceux de Llew[319]. L’aigle se laissa aller jusqu’au milieu de l’arbre. Gwydyon chanta un second englyn :

Chêne qui pousse sur cette terre élevée, que la pluie ne peut plus mouiller, n’a pas amolli, qui a supporté cent quatre-vingts tempêtes : à son sommet est Lleu Llaw Gyffes. L’aigle se laissa aller jusque sur la branche la plus basse de l’arbre. Gwydyon chanta un troisième englyn :

Chêne qui pousse sur la pente… si je ne me trompe, Lleu viendra dans mon giron. L’aigle se laissa tomber sur les genoux de Gwydyon. D’un coup de sa baguette enchantée, Gwydyon lui rendit sa forme naturelle. On n’avait jamais vu quelqu’un présentant plus triste aspect : il n’avait que la peau et les os.

Gwydyon se rendit avec lui à Kaer Dathyl. On amena, pour le soigner, tout ce qu’on put trouver de bons médecins en Gwynedd. Avant la fin de l’année, il était complètement rétabli. « Seigneur, » dit-il alors à Math, fils de Mathonwy, « il est temps que j’aie satisfaction de l’homme dont j’ai eu souffrance. » ― « Assurément, » répondit Math, « il ne peut se maintenir sans te rendre satisfaction. » ― « Le plus tôt que j’obtiendrai satisfaction sera le mieux pour moi. »

Ils rassemblèrent toutes les troupes de Gwynedd et marchèrent sur Ardudwy. Gwydyon, qui était à leur tête, se dirigea sur Mur y Castell. Blodeuwedd, à la nouvelle de leur approche, pris ses suivantes avec elle, et se dirigea, à travers la rivière Kynvael, vers une cour située sur la montagne. Leur terreur était telle qu’elles ne pouvaient marcher qu’en retournant la tête ; elles tombèrent ainsi dans l’eau sans le savoir, et se noyèrent toutes à l’exception de Blodeuwedd. Gwydyon l’atteignit alors, et lui dit « Je ne te tuerai pas, je ferai pis[320]. Je te laisserai aller sous la forme d’un oiseau. Pour te punir de la honte que tu as faite à Lleu Llaw Gyffes, tu n’oseras jamais montrer ta face à la lumière du jour, par crainte de tous les autres oiseaux. Leur instinct les poussera à te frapper, à te traiter avec mépris partout où ils te trouveront. Tu ne perdras pas ton nom, on t’appellera toujours Blodeuwedd. » On appelle en effet le hibou Blodeuwedd, aujourd’hui encore[321]. C’est ainsi que le hibou est devenu un objet de haine pour tous les oiseaux.

Gronw Pebyr, lui, retourna à Penllynn, d’où il envoya une ambassade à Lleu Llaw Gyffes pour lui demander s’il voulait, pour prix de son outrage, terre, domaines, or ou argent. « Je n’accepte pas, » répondit-il, « j’en atteste Dieu. Voici le moins que je puisse accepter de lui : il se rendra à l’endroit où je me trouvais quand il me donna le coup de lance, tandis que moi je serai à la même place que lui, et il me laissera le frapper d’un coup de lance. C’est la moindre satisfaction que je puisse accepter. » On en informa Gronw Pebyr. « Eh bien, » dit-il, « je suis bien forcé de le faire. Nobles fidèles, gens de ma famille, mes frères de lait, y a-t-il quelqu’un de vous qui veuille recevoir le coup à ma place ? » ― « Non pas, » répondirent-ils. C’est à cause de cela, parce ce qu’ils ont refusé de souffrir un coup à la place de leur seigneur, qu’on n’a cessé de les appeler depuis, la troisième famille déloyale[322]. « Eh bien, » dit-il, « c’est donc moi qui le supporterai. »

Ils se rendirent tous les deux sur les bords de la rivière de Kynvael. Gronw se tint à l’endroit où était Lleu Llaw Gyffes quand il le frappa, tandis que Lleu occupait sa place. Grown Pebyr dit alors à Lleu : « Seigneur, comme c’est par les artifices pervers d’une femme que j’ai été amené à ce que j’ai fait, je te prie, au nom de Dieu, de me laisser mettre entre moi et le coup, cette pierre plate que j’aperçois sur le bord de la rivière. » ― « Je ne refuserai pas cela, assurément, » répondit Lleu. ― « Dieu te le rende. » Gronw prit la pierre et la tint entre lui et le coup. Lleu darda sa lance, traversa la pierre de part en part, et Gronw lui-même, au point qu’il lui rompit le dos. Ainsi fut tué Gronw Pebyr. Il y a encore là, sur le bord de la rivière Kynvael, une pierre percée d’un trou ; et, en souvenir de ce fait on l’appelle encore aujourd’hui Llech Gronw[323]. Lleu Llaw Gyffes reprit possession du pays, et le gouverna heureusement. D’après ce que dit le devint ensuite seigneur de Gwynedd. Ainsi se termine cette branche du Mabinogi.


Notes

<references>

  1. Voir plus bas : Introduction, p. 15-16.
  2. Au point de vue intellectuel, les Lois sont le plus grand titre de gloire des Gallois. L’éminent jurisconsulte allemand, Ferd. Walter constate qu’à ce point de vue les Gallois ont laissé bien loin derrière eux les autres peuples du moyen âge (Das alte Wales, p. 354). Elles prouvent chez eux une singulière précision une grande subtilité d’esprit, et une singulière aptitude à la spéculation philosophique.
  3. Sur la grande valeur littéraire des romans gallois, voir plus loin, Introduction, p. 41 et suiv.
  4. The Mabinogion, mediæval welsh romances, translated by lady Charlotte Guest, with notes by Alfred Nutt and published by David Nutt. London, 1902, in-vol, in-12.
  5. J’emploie brittonique pour gallois, cornique et breton, et Brittons pour les Gallois, Cornouaillais insulaires et Bretons Armoricains. Breton amenait une confusion au profit de ces derniers. Le nom national d’ailleurs est au singulier Britto et au pluriel Brittones.
  6. The mabinogion from the Llyfr Coch o Hergest, and other ancient Welsh Mss. with an English translation and notes, 1838.
  7. Le mabinogi de Pwyll avait paru avec une traduction dans le Cambrian Register I, p. 177, en 1795 et 1796 ; une reproduction en fut faite dans le Cambro-Briton II, p. 271 (1821) ; les mêmes passages ont été supprimés dans cette traduction et dans celle de lady Charlotte Guest. Peu après, en 1829, le mabinogi de Math ab Mathonwy était donné avec une traduction dans le Cambrian Quarterly, I, p. 170. Y Greal avait donné le texte seulement du songe de Maxen, en 1806, p. 289, L’Aventure de Lludd et Llevelis avait été insérée dans le Brut Tysilio et le Brut Gruffydd ab Arthur publiés dans la 1re édition du vaste répertoire de poésie et de prose du moyen âge connu sous le nom de Myvyrian Archaeolugy of Wales. Une version du même récit avait paru en 1805 dans Y Greal, p. 241, provenant d’une source différente d’après lady Charlotte Guest. Le rév. Peter Roberts en avait donné une traduction dans The Chronicle of the Kings of Britain. Le célèbre Owen Pughe, autour d’un dictionnaire gallois-anglais, encore indispensable à consulter, malgré ses sérieux défauts et ses lacunes, avait préparé une édition complète avec notes explicatives. Son travail devait même commencer à paraître en 1831, comme il ressort d’une lettre de son fils Aneurin Owen (Archaeol Cambrensis IV, 3e série, p. 210).
  8. Die Arthur Sage, and die Mährchen des Rothen Buches, 1841.
  9. Die Arthur Sage, and die Mährchen des Rothen Buches, 1841.
  10. Les romans de la Table Ronde et les contes des anciens Bretons. Paris, 1842.
  11. L’enfance de Lez-Breiz qui manque avant l’apparition de la traduction de lady Charlott Guest, dans le Barzas-Breiz, y a été introduit ensuite. (Cf. J. Loth : Deux nouveaux documents pour servir à l’étude de Barzas-Breiz. Revue Celt., XXVII, 343 ; XXVIII, 122.)
  12. Mabinogion o Lyfr coch Hergest : deux fascicules. Wrexbam. 1896 et 1900. Dans sa préface, l’auteur déclare les quatre Mabinogion plus vieux que l’Évangile, et antérieurs aux Anglo-Saxons et aux Romains. Il a laissé de côté le Songe de Maxen, Kulhwch et Olwen, mais ajouté Taliesin.
  13. À la fin du premier, Pwyll, prince de Dyved, il y a le pluriel : ainsi se termine cette branche des Mabinogion.
  14. Feniarth 14 : la partie qui contient cette version du De Infantia Christi est de la seconde moitié du xive siècle, (Gwenogvryn Evans, Report on mss. in the Welsh Language, vol. I, Part. II, p. 332, 116).
  15. Ibid., p. 305, 309, XIII. Cf. The White Book Mobinogion, p. XXVI.
  16. The text of the Red Book Mabinogion, p. VIII.
  17. Ce sens est donné avec précision dans les Jolo manuscripts, p. 211, collection fort curieuse mais disparate et dont les sources sont fort troubles. D’après ce curieux passage, le barde ayant ses grades officiels, devait prendre avec lui trois disciples (mabinogion, mebinogion). Ils avaient à passer trois degrés avant de devenir bardes à chaire. Les études du mabinog comprenaient : l’étude du gallois (orthographe, syntaxe, formation et dérivation) ; la connaissance de la métrique (allitération consonnantique elvocalique, rime, pieds, strophes, avec des compositions originales) ; l’étude des généalogies, lois, coutumes, histoire. Taliesin se vante de ses connaissances bardiques, qui se rapportent justement à certaines traditions conservées dans nos Mabinogion. Les poètes gallois, au xii-xiiie siècle, se vantent parfois de la pureté de leur langue.
  18. En tête de Branwen : Lbyma yr eil gaine ôr mabinogi, voici la seconde branche du mabinogi (p. 26). En tête de Manawyddan (p. 44) : Hyma y dryded gaine or mabiwogi, voici la troisième branche du mabinogi ; en tête de Math (p. 59) : honn yw y bedwared geine or mabinogi, celle-ci est la quatrième branche du mabinogi.
  19. D’après les Jolo Mss., Blegywryd, archidiacre du Llandav (v. plus bas, p. 73) est le mebydd de ce monastère. Le sens est des plus évidents dans le composé cyn-vebydd, premier ou principal professeur. Les trois cyn-vebydd, d’après une triade (Myss. Arch., p. 409, triade 93) sont : Tydain Tadawen (père de l’inspiration), Mynw Hen et Gwrhir, barde de Teliaw à Llandav. Le surnom de tat-awen dans Nennius (tad-aguen) est donné à Talhaearn.
  20. La revue le Cambre-briton, vol. II, p. 75, contient un index complet de son contenu. Ce manuscrit se compose de 362 folios de parchemin à deux colonnes.
  21. The Text of the Mabinogion and other welsh tales from the Red Book of Hergest. Oxford, 1887. C’est le premier volume de la collection des Old welsh Texts.
  22. Cette bibliothèque a été généreusement donnée récemment par les héritiers de W. R. M. Wynne, à la Bibliothèque nationale galloise d’Aberystwyth.
  23. The White Book mabinogion: welsh Tales and Romances reproduced from Peniarth manuscripts : edited by J. Gwenogvryn Evans Pevllheli, 1907. C’est le volume 7 de la collection des Old welsh Texts.
  24. Du commencement jusqu’à la page 94, ligne 14 du texte publié du Livre Rouge.
  25. Le premier fragment correspond au texte du Livre Rouge, de la page 163, ligne 17, à la page 169, l. 21 ; le second, au texte de la page 184, l. 1, à la page 188, l. 23.
  26. Cf. Livre Rouge, de la page 100, l. 1, à la page 128, l. 11.
  27. Gwenogvryn Evans ; Report on manuscripts in the Welsh Language, vol. I, part II : Peniarth.
  28. Pour Branwen : cf. L. Rouge, p. 36, l. 25, p. 38, l. 18 ; Manawyddan : L. R. p. 49, l. 20, p. 51, l. 10.
  29. Cf. L. Rouge, de la page 280, l. 21, à la page 282, l. 18 ; de la page 294, l. 8, à la fin (p. 295).
  30. Cf. L. Rouge, de la page 261, l. 21, jusqu’à la fin.
  31. M. 71 : cf. L. Rouge, p. 193, l. 18-232, l. 6. — m. 14 : L. R. p. 193, l. 1-202, l. 14.
  32. Sur ces questions de texte, cf. Gwenogvryn Evans. Report ; cf. Préface du White Book Mabinogion. Il est regrettable que l’auteur n’ait pas donné d’une façon explicite, lorsqu’il n’y a pas de date précise, les raisons de sa chronologie.
  33. Cf. miss Mary R. Williams, Essai sur la composition du roman gallois de Peredur. Paris, 1909 : p. 30-37.
  34. e pour y (i bref) devait être fréquent dans l’archétype, ainsi : Peniarth 4, p. 20, donne Wynt pour le pays de Gwent (ar Wynt), tandis que le Livre Rouge a correctement Gwent (ar Went).
  35. J. Loth, L’élégie du Black Book of Chirk (Revue celt., 1911, p. 203).
  36. W pour u voyelle apparaît déjà dans la seconde moitié du xiie siècle. On ne le trouve pas dans les privilèges de l’Église de Llandav ; mais il apparaît dans le texte latin le plus ancien des Lois et le Black Book of Chirk.
  37. Dans la partie la plus ancienne de Peniarth 16 (Hengwrt 54), qui est au début du xiiie siècle et dont la calligraphie est identique à celle du manuscrit de Dingestow Court contenant le Brut Gruff Arthur, on trouve aб surtout dans les diphtongues ; б est aussi employé encore pour v (Report on welsh mss, n° 11, I, p. 377 ; The Bruts, p. 13, de même dans le mss. Peniarth 17.
  38. J. Loth. La principale source des poèmes des xiie-xiiie siècles dans la Myv. Arch. (Revue celt., XXII, p. 13).
  39. Livre Blanc p. 457; Le Livre Rouge, p. 104, n’a pas : yssydynt genhym. Pour les lecteurs peu familiarisés avec les caractères du vieux gallois, il est nécessaire de savoir qu’en vieux gallois, les occlusives sourdes p t c, les sonores b d (g parfois) m, intervocatiques, sont intactes dans l’écriture, tandis qu’en moyen gallois (plus ou moins régulièrement), p t c évoluent en h d g, et b m en v (d, dans l’écriture, est le plus souvent écrit d), vieux gallois genhim, moyen gall. genhyv (m est intervocalique en vieux celtique).
  40. White Book, Préface, p. XII. La graphie ou du pluriel pour eu se trouve encore à la fin du xie siècle, par exemple dans les quatre vers écrits par Johannes, fils de Sulgen, évêque de Saint-David en 1071-1089 (Archæol. Camb. 1874, p. 340) ; ou dans oulodeu, représenteraient ai, ae moderne. Cette hypothèse soulève plus d’une difficulté ; il me paraît plus probable que oulodeu est à rapprocher de ovlydu, se décomposer.
  41. V. plus loin, traduction et notes critiques au texte. J’ai rectifié le texte des englyn dans ma première traduction : I, p. 331, note à la page 78, I. I7, traduction, p. 148. Cf. J. Loth, Métrique galloise, II, 1re partie, p. 227.
  42. La graphie oi pour ui existe sporadiquement en vieux gallois : loinou, buissons, pour luinou ; toimn pour tuimn, etc. L’u de la diphtongue ou avait un son voisin de u français ou y gallois du xie siècle. Il n’est guère possible à cette date de supposer une forme dialectale analogue à celle qui est en usage près de Carnarvon : deu lo, les deux mains, pour dwy lo. On peut, il est vrai, supposer que deu lynn est pour deu glynn et dans le vers suivant, lire : awyr a llynn (pour un plus ancien awyr ac lynn).
  43. Pen. 3 (White Rook : p. 60 a gymerhaf ; 483 ny surha ; 124 a vynhaf ; 482 mwynha ; 122 a vynho ; 141 a blinho ; 151 a talho ; 163 a tynho ; 456 rotho ; 457 ranhwyf ; 135 tra barahei ; 174 mynhei ; 474 a delhei ; 136 kyweirher, etc…
  44. Pen. 4. White Rook : p. 22 rydodet (L. Rouge : a dodet) ; 145 ryderyw L. R. a deryw) ; 158 y ryvum ; rygael (L. R. y deuthum ; kaffael) ; 140 o ryllad (L. R. llad), 143 ar ladassei (L. R. ladassei) ; 474 rywascut (L. R., a wascut) ; 475 ryladawd (L.R. a ladawd), etc.
  45. Il présente (White B., p. 204) les deux intéressantes formes suivantes : ar neb a welhei y vorwyn yn y wisc honno, ef a welei… Peniarth 4 et L. Rouge ont au lieu de a welhei : welsei.
  46. Les proverbes gallois ont souvent conservé des tournures anciennes (il y en a qui remontent sûrement au xiie siècle, malgré des formes orthographiques modernisées). Je relève (Myv. Arch., p. 772-1) : ni elwir cywrain ni gynnydd ; on n’appelle pas habile celui qui ne prospère pas : ni gynnydd au lieu du moderne : ni chynnydd. Le recueil de Welsh Proverbs de H. Vaughan (London, 1809), n° 2560, en a conservé un autre exemple : nid ergyd ni gywirer, ce n’est pas un coup, celui qui n’a pas son effet.
  47. Cawd se trouve peut-être avec une forme en -s- dans le ri-ceus du 2e poème à Juvencus (ixe siècle).
  48. Cf. L, Aneurin, F. a.-B. of Wales, II, p. 97 : noc a dele…
  49. Cf. la construction de la copule avec l’attribut en vieil irlandais (Vendryès, Grammaire du vieil irl., 55, 573).
  50. Cf. The Book of Llandav, éd. Rhys-Evans, pp. 247-249.
  51. Sur les vieux poèmes gallois, v. J. Loth, Revue Celtique, XXI, 28, 328 ; XXII, 438 ; XXIII, 203 ; XXVIII, 4. Métrique galloise, passim.
  52. V. plus bas, trad. et notes.
  53. V. trad. et notes : se référer à l’Index.
  54. Ibid., note à Arthur.
  55. V. plus bas, I, Kulhwch.
  56. Le manuscrit de Shirburn 18, de la première moitié du xiiie siècle et les manuscrits de la même classe de la version galloise de Gaufrei la donnent, mais elle manque dans le manuscrit de Dingestow Gourt et ceux de sa classe ; or le manuscrit de Dingestow est au commencement du xiiie siècle (Gwenogvryn Evans, The Bruts. Préface, p. XII-XV). On trouve quelques variantes de Shirburn 18 dans l’édition d’Ifor Williams du Cyfranc Lludd a Llevelis. Bangor, 1910.
  57. D’Arbois de Jubainville, L’épopée celt. en Irlande, pp. 80-149. On peut comparer dans Cuchulain malade (ibid., p. 179), la peinture des femmes d’Ulster et surtout celle de Cuchulainn irrité à celle de personnages grotesques de la cour d’Arthur. (V. plus bas, trad.)
  58. On attendrait Kadarn fils de Nerth, et Erw fils de Llawr.
  59. La parodie proprement dite ne se développe que beaucoup plus tard ; cf. J. Loth, Une parodie des Mabinogion, Revue celt. XIX 308.
  60. Il ne se trouve pas dans l’Yvain de Chrétien de Troyes.
  61. D’Arbois de Jubainville, L’épopée celtique en Irlande, p. 156. Dans le Perlesvaus (Potvin, I, p. 61, 62) Perceval a eu mains trois javelots, ce qui est probablement une mauvaise interprétation. La mère de Perceval lui en fait enlever deux parce que ce serait trop gallois, c’est-à-dire barbare. (V. t. II, trad. note à Peredur. Cf. J. Loth. « Un trait de l’armement des Celtes », Revue celt., 1910).
  62. Il y a eu des établissements de Gaëls dans l’île de Bretagne, même après l’ère chrétienne, au iiie siècle par exemple ; il y en a eu également et de durables de la part des Brittons en Irlande, (J. Loth, « Bretons insulaires en Irlande » Revue celt., XVIII, 304 ; XXVIII, 417.) Les inscriptions oghamiques de Galles, de Cornawall (on en trouve jusqu’à Silchester), n’ont pas, à mon avis, du tout la signification qu’on leur attribue et n’indiquent nullement une conquête. Sur les rapports des Gaëls et des Brittons, cf. Kuno Meyer. Early relations between Gaël and Brython (y Cymmrodor, 1896). — John Rhys, Archaeolagia cambrensus, 1898 ; Celtic Follkore, p. 541 et suiv. — Rev. Celt., XVIII, 344 ; XXXVIII, 417.
  63. Livre de Taliessina, F. a. B; of Wales, II, p. 198.
  64. On trouvera, à ce point de vue, quelques remarques suggestives dans le travail d’Anwyl : The four branches of the Mabinogi (Zeitschrift für celtische Philologie, I, p. 277 ; II, p. 124 ; III, p. 123).
  65. Kulhwch suffit à montrer que la légende arthurienne existait avant Gaufrei. Ce dernier a pétri, taillé à sa guise une matière qu’il n’a pas inventée. Il ne faut pas nier cependant qu’il n’ait commis de véritables faux.
  66. J’emploie français au lieu de normand ou anglo-normand ; c’est plus juste et plus exact ; de plus, les Gallois ignoraient à peu près complètement les Normands et ne connaissaient que les Français.
  67. L’épisode des Nichelungen où Kriemhild reconnaît le meurtrier de Siegfried parce qu’en sa présence le sang a jailli de ses plaies, paraît bien emprunté aux traditions arthuriennes : c’est là un trait qui ne s’est retrouvé jusqu’ici que dans l’Yvain de Chrétien et le Morien néerlandais. (V. plus bas, tome II, Owen). E. Philipot m’apprend que Lachmann déclare l’épisode des Niebelungen postérieur à Hartmann d’Aue, et qu’il y a une preuve de l’existence de la croyance à la cruentation en France. Elle paraît néanmoins populaire surtout en Angleterre et en Écosse (Carew Hazlitt, Dictionary of Faiths and Myth, 2 vol., 1909 : I: Blood-Portents).
  68. Les artistes, parmi lesquels au premier rang les bardes, sont mis sur le même pied que les fils de roi, dans Kulhweh (V. plus bas, trad.). Les bardes du Glamorgan paraissent aussi avoir été particulièrement appréciés. (Ibid. Math.)
  69. Le meilleure édition du Chevalier au Lion et d’Erec et Enide, est celle de M. Foerster, tomes 2 et 3 de son édition compléte des œuvres de Chrétien : Der Lôwenritter (Yvain) von Chrétien von Troyes, herausgegeben von Wendelin Foerster, Halle, 1887. Erec und Enide, Halle, 1890, 2e éd. en 1909.
  70. Perceval le Gallois (Le conte del Graal), édition Potvin, Mans, 1866-1871, 6 volumes : Pertevaux, roman en prose, forme le tome premier. Cf. Le saint Graal, éd. Hucher. Le Mans, 3 vol., 1875-1878.
  71. Sur Chrétien de Troyes, ce qu’on sait de sa vie et ses œuvres, voir surtout Gaston Paris, Journal des Savants, 1902.
  72. Jessie L. Western, Wauchier de Denain as a continuator of Perceval and the Prologue of the Mons ms. (Romania, XXXIII, p. 333).
  73. C’est le manuscrit 12.560, suppl. fr. 210, xiie siècle ; ms. G. de l’édition de Foerster (Der Löwenritter, Einleitung, VIII). Cf. G. Paris, Histoire litt. de la France, XXX, p. 170.
  74. L’édition la plus récente est celle de Bech, Leipzig, 1893.
  75. Edit. par Kölbing (Riddarasögur, 1872). Cf. Ivens saga. Halle, 1898. Cf. Foerster. Der Löwenr, Eint, Cf. XVII-XVIII.
  76. Ueber Sage, Quellen und Kompasilion des Chevalier au Lyon des Crestien de Troyes, Paderborn, 1883. Ce travail mérite l’attention. Pour l’auteur, le noyau du récit est un conte populaire localisé en Bretagne armoricaine. Le sujet est une fontaine qui se venge sur son profanateur. Le châtiment est personnifié plus tard dans le chevalier Ivain. Chrétien a entendu ce récit d’un barde breton, et la version galloise repose sur une forme française du conte breton. Le roman était donc arrêté par les bardes dans ses grandes lignes. Chrétien y a ajouté, il a enrichi le dialogue, introduit les manières courtoises de son temps. Il n’a pas tout compris. (Cf. Brown, Ivain, p. 2).
  77. Die Quellen des Ivain (Zeitschr. f. rom. Phil., XXI, 1897).
  78. Ivain. A Study in the origins of Arthurian romances. (Studies and notes in Phil. and Lit. Harvard Univ., VIII, 1909).
  79. Sur l’origine du chevalier au Lion (Mélanges offerts à Carl Wahlund, 1896, pp. 289-304).
  80. The Fountain defended (Mod. Phil. VII, 14).
  81. Le roman du chevalier un Lion (Annales de Bretagne, VIII, 1892-1893).
  82. Parzival, éd. E. Martin. Halle, 1900. Il a été traduit en anglais par J.-L. Weston (Parzival of Wolfram von Eschenbach. 2 vol., London, 1894.
  83. Ed. J.-O. Halliwell (The Thornton romances, 1844). - J -L. Weston, The Legend of sir Perceval, 2 vol. Grimm Library, vol. XVII et XIX, 1906-1909).
  84. Lanceloet, éd.de Jouckbloet : Perceval, tome I, 36948-42540.
  85. Kölbing, Riddarasögur, I-IV, I.71.
  86. The Legend of the Holy Grail. Folk-Lore Society, XXIII, 1885.
  87. Chrestiens Conte del Graal in seiner Verhällung zum wälschen Peredur and zum englischen sir Perceval (Sitzungsber. d. Königl. bayr. Akad. der Wissensch., 1890. Philos. Hist. Klasse II. Parzival und der Gral, in deutscher Sage des Mittelallers und der Neuzeit, 1908. (Walhalla IV).
  88. Artur und der Graal. Zeitschr. f. r. Ph. XIX, 1895.
  89. The legend of sir Perceval : Studies upon its original scope and signification. London, 1898.
  90. Essai sur la composition du roman gallois de Peredur.(Thèse de doctorat de l’Univ. de Paris). Paris, 1909. Voir les comptes rendus de ce consciencieux travail : Revue Celt., 1910, p. 381. (Anwyl) Annales de Bretagne, 1910, p. 253. (J. Loth) ; Modern Language notes, december 1910 (Nitze).
  91. The Bleeding Lance, 1910 (repr. from the Public. of the mod. lang. Assoc. of America., XXV, I).
  92. Ed. Bech, Leipzig, 1893.
  93. Erec saga, éd. Cederchiöld. Copenhague. 1880.
  94. Ueber Chrestien von Troyes und Hartmann’s. Erec und Enide Germania, VII, 1862).
  95. Das verhältniss von Chrétiens Erec und Enide zu dem Mabinogi des roten Buches von Hergest, « Garaint ab Érbin ›, Köln, 1889 (G. Paris, Romania X et XII : compte rendu).
  96. Hartmann von Ane’s Erek and seine alfr. Quelle. Königsb. Prog. 1893.
  97. Zum Erec (Zeistschr. f. d. Phil. XXVII, 1894).
  98. Un épisode d’Erec et Enide (Romania XXV, 1896).
  99. Étude sur Hartmann d’Aue. Paris (Thèse pour le doctorat), 1898.
  100. Erec-Gereint. Der Chrétiensebe Versroman und das Wälsche Mabinogi. Inaug. Diss. Rostock, 1910. On y trouvera une comparaison minutieuse des deux romans.
  101. Voir par exemple (trad.) dans Peredur, l’épisode du jeu d’échecs.
  102. Gaston Paris, Histoire de la litt. française du moyen âge, éd. de 1890, p. 88 ; Journal des Savants, 1902, p. 304.
  103. Mélusine V, 217-224 ; 241-244 VI 74-75.
  104. Le roman du chevalier au lion (Annales de Bretagne, VIII, p. 56).
  105. Yvain, p. 132, note 3.
  106. C’est au fond l’opinion de Gaston Paris, développée dans divers écrits : Histoire littéraire de la France, XXX, p. 1-270 ; Romania, X, p. 465 et suiv. : XII, p. 459, etc. Cf. Histoire de la littérature française du moyen âge.
  107. Ce serait un souvenir de l’époque même du Gereint historique, roi de Dumnonia, c’est-à-dire du Devon et du Cornwall.
  108. Ce serait un souvenir de l’époque même du Gereint historique, roi de Dumnonia, c’est-à-dire du Devon et du Cornwall.
  109. Cependant il est d’une grande importance de relever une remarque du narrateur gallois de Geraint, à propos du chevalier accompagné d’un nain discourtois (Voir trad.) : il portait une armure étrangère qui ne laissait pas voir son visage. Voilà un trait qui assurément ne peut être français (Cf. J. Loth. Des nouvelles théories. Rev. celt. XIII, p. 498).
  110. L. Rouge, p. 187, l. 28 ; Livre Blanc, p. 256.
  111. Dans Perlesvaux on a la curieuse étymologie : perd le val. Si Perceval a été compris de même, ce serait une forme picarde : per(d)ce val au lieu de per(d) le val. Le sens de Peredur est inconnu.
  112. Ferd. Lot, Erec (Romania, XXV, p. 588) ; v. plus bas.
  113. On a prétendu que la conception de la chevalerie errante était étrangère aux Celtes. Alfred Nutt a fait remarquer à plusieurs reprises et établi que l’esprit de la chevalerie errante était au contraire dominant dans la littérature de l’ancienne Irlande et entretenu par des institutions tout à fait analogues — dans leur essence, à celles de la chevalerie du moyen-âge. Esprit et institution florissaient sûrement chez les anciens Brittons aussi bien que chez les Irlandais.
  114. Archæol. Cambr., XIX, 3e sér., p. 147. Cf. Stephens, Literature of the Cymry, p. 413.
  115. On trouvera un certain nombre de rapprochements de ce genre dans nos notes. Cf. J. Loth, Rapprochements entre l’épopée irlandaise et les traditions galloises. (Revue celtique, XI, 345.) On peut consulter particulièrement à ce point de vue, outre les ouvrages cités d’Alfred Nutt, Brown, Nitze et d’autres qui seront mentionnés plus bas. les ouvrages suivants de John Rhys : Lectures on the origin and Growth of religion as illustrated by celtic Heathendom, London, 1888 ; Arthurian Legend, Oxford, 1891 ; Celtic Folklore, welsh and manx, 2 vol., Oxford, 1901.
  116. J’ai publié depuis dans la Revue celtique divers articles sur ce sujet (Revue celtique, XVV, 94, 267 ; XXIII, 349 ; v. aussi Romania, XIX, 435 ; XXIX, 121 ; XVIII, 281). J’ai commencé récemment. la publication d’une série de Contributions à l’étude des romans de la Table Ronde. Cinq ont paru : I Le drame moral de Tristan et Iseut est-il d’origine celtique ? — II. Le bouclier de Tristan. — III. Les noms de Tristan et Iseut. (Revue celtique, XXX, 270 ; ibid., XXXII, 2° et 3° fasc.). — IV. Remarques diverses au Mabiu. — V. Le Cornwall et le Roman de Tristan. Revue Celt. 1912).
  117. Pour les travaux de Gaston Paris, v. plus haut., p 43, note7 ; p. 51, note 2 ; p. 53. note 1 ; p. 55, note 1. Pour ceux d’E. Philipot, v. p. 48, note 1 ; 56, note 7.
  118. Celtica (Romania, XXIV, 321) - Études sur la provenance du cycle arthurien (ibid., XXIV, 417 ; XXV, 588) Nouvelles théories sur la provenance du cycle arthurien (ibid., XXVII, 529 ; XXVIII, 1, 21 ; XXX, 1) -Nouveaux essais sur la prov. du cycle d’Arthur (ibid, XXVIII. 1). Études sur Merlin, Rennes. 1900.
  119. Le roman de Tristan de Thomas, 2 vol., Paris, 1902.
  120. Le roman de Tristan de Béroul, Paris, 1903.
  121. Les derniers travaux allemands sur la légende du saint Graal (Revue celt., XII, p. 181). Folklore Journal, II, IV, V etc. The voyage of Bran, son of Febail to the land of Living, an essay upon the irish vision of the happy Other-World and the celtic doctrine of Rebirth, 2 vol, London, 1395-1397.
  122. Welsh traditions in the Layamon’s. Brut (University of Chicago Press) — The round Table before Wace (Studies and notes, VII, p. 189). V. plus haut. p. 48, not. 3 ; p. 49, notes 9 ; 52, note 2 ;
  123. The lay of Guingamor (Harvard studies and notes, IV, 1895. V.236 — The lays of Graelent and Lanval, and the story of Wayland (repr. from the public. of the modern Lang. Assoc. of America, XV, n° 2). Baltimore, 1900 — Chaucer’s Franklin’s. Tale (ibid, XVI, n° 3). Baltimore, 1901 — English litterature from the Norman Conquest to Chaucer, 1906 — Studies on the Li beaus Desconnens (Harvard studies, IV, 1895).
  124. Arthur and Gorlagon (repr. from the Studies and Notes in Phil. and Liter., VIII). Boston, 1903.
  125. The legend of the holy Grail. Cambridge, man. 1902. King Arthur and the Round Table, 2 vol., 1897). (Je cite à titre de document, les opinions de l’auteur étant insoutenables).
  126. Studies in the fairy mythology of Arthurian Romances, Boston. 1902.
  127. The Legend of sir Perceval, Studies upon its origin. development and position in the Arthurian cycle, 2 vol., London, 1906-1909. — Arthurian Romances unrepresented in Malory ; 4 vol., London, 1898-1902 (I. Sir Gawain and the Green Knight. II. Tristan and Iseult. III. Guingamor, Lanval, Tyolet, the Werewolf. IV. Morien : Tristan et Iseult est traduit de Gottfried de Strasbourg, les 4 lais sont traduits du français ; Morien est traduit du hollandais) — The legend of sir Lancelot du Lac. London, 1901.
  128. Arthurian material in the chronicles (Studies and notes X).
  129. Beziehungen zwischen französ und Kellische litter. in Mittelalter. Zeitschrift für vergl. Litterat. Geschichte, 1890. LII. Parzival und der Grall, München. 1908. V. plus haut., p. 49, note 5. — Tristan und Isolde, in der Dichtungen des Mittelutters und der neuen zeit. Leipzig, 1907.
  130. Principalement : Bretonische Elemente in der Arthursage des Gollfried von Monmouth Zeitschr. für franzos. Spr. XII, 1) — Beiträge zur Namenforschung in den allfranzös. Arturepen (ibid., 189). Cf. Göting. gel. Anzeigen (10 juin 189O ; 1er octobre 1890). Nennius vindicatus, Berlin, 1893 (Cf. J. Loth, Revue celt., X. 357 ; XVI, 267).
  131. L’idée de le guérison du roi Pêcheur parla vengeance est profondément celtique. En vieil irlandais, l’idée de payement, acquittement d’une dette est exprimée par le même mot : iccaim signifie : je paye et je guéris ; de même iachau en gallois (Anc. L. I, p. 466).
  132. Hartland, Primitive paternity, 1909, tome I, p. 183.
  133. Sur ces questions, v. J. Loth, Des théorie nouvelles sur l’origine des romans arthuriens. Revue celt., XIII, p. 502-503.
  134. D’après Cligès, Chrétien a fait un voyage en Angleterre. Gaston Paris n’est pas éloigné de croire qu’il en a fait deux. En tout cas, ce n’est pas dans la région où se placent les trois romans qu’il a voyagé. À part deux ou trois exceptions, il ne connait avec précision que le sud-est et les environs de Londres. Cf. G Paris, Journal des Savants, 1902, p.302.
  135. À remarquer que dans Gereint, il est dit que les Français et les Saxons appellent Gniffret, Guvffret Petit, et les Cymry (Gallois) y Brenin vychan, (le petit Roi). V. plus bas ; Cf. J. Loth. Des théories nouvelles … Revue celt., XIII, p. 298-301.
  136. Eliduc (Aliduc) est connu de Gaufrei (Historia X, 146) qui le place à Tintagol. La forme Tintaiol (aujourd’hui on prononce Tintadjol), indique une source française ou anglaise.
  137. J. Loth, Cornoviana I. Revue celt., 1911 ; fascicule 3.
  138. J. Loth, Le brittonique en Somerset (Revue celt., XX, 349). Cf. mots latins, p. 17-18, 17, note 3 ; p. 32, note 1.
  139. J’en ai donné des preuves dans mon article : Des nouvelles théories… Revue celt., XIII, p. 485-488 ; cf. Les études celtiques. Revue Intern. de l’Ens. sup., 1911, p. 23. Dans un texte de 960 (B. of Landav, p. 219), deux des fils de Nogui portent des noms saxons : Birtulf et Britilm. Il y avait des esclaves saxonnes chez les Gallois. Riataf (ibid., p. 1857), du temps de l’évêque Berthguin, achète une terre pro XXIIII et saxonica muliere, etc.
  140. À l’appui, Nutt compare le début de la Dame de la Fontaine jusqu’à la fin du récit et Kynon, au début. de Chrétien. Il est certain que la comparaison est tout à l’avantage du conteur gallois. En revanche, il y a un passage charmant dans le Perceval de Chrétien qui manque dans Peredur : c’est la promenade matinale de Peredur adolescent dans la forêt. Cependant nulle part, le sentiment de la nature n’est aussi profond que chez les bardes gallois. D’ailleurs le conteur gallois n’exprime-t-il pas d’un mot ce qu’a développé Chrétien lorsqu’il nous montre ses héros partant dans la jeunesse du jour ?
  141. Silvan Evans, Llythyraeth y Cymry, p. 7.
  142. Literature of the Cymry, p. 408. Stephens, se fondant sur la description exacte, à ce qu’il paraît, de Cardiff dans Gereint et Enid, suppose qu’il était l’auteur du roman ; ce qui est impossible.
  143. Gaston Paris, Hist. litt. de la France, XXX, p. 10.
  144. The Book of Llandav, éd. Gwenogvryn Evans, avec la coopération de John Rhys, Oxford, 1893, p. 247-252 ; 312-352.
  145. Historia, IIL, 19. Ce nom peut être rapproché de celui de Blegywryd, architecte de Llaudav, jurisconsulte et savant éminent, qui fut chargé par Howel Dda, de la rédaction du code de lois qui porte son nom (Ancient Laws and Institutes of Wales, éd. Auneurin Owen, p. I, p.343). La forme du Book of Llandav est Bledecuirit et Bledcuvrit (p. 222, 230) : p. 219. Il est aussi qualifié de famosissimus ille vir Bledcuirit (année 960). La forme plus ancienne serait Bled-cobrit ou Bled-cowrit.
  146. Wauchier de Dennin and Bleheris, Romania, 1905, p. 1011-106.
  147. Sur l’identité de Bledri, v. Revue Celtique, 1911, p.5 et 1912.
  148. Cf. J. Loth, Triades humoristiques, morales et politiques des Gallois, texte et tradition, dans Annales de Bretagne, V, 506, 632.
  149. Iolo manuscrits, a selection of ancient welsh manuscripts, made by the late Edward Williams (Iola Morganwg), with english translation and notes, by his son, Taliesin Williams, Llandovery, 1838.
  150. Pwyll. Il est encore question incidemment de ce personnage dans le Mabinogi de Manawyddan ab Llyr ; v. trad. Taliessin fait allusion à Pwyll dans un poème curieux connu sous le nom de Preiddieu Annwn ; le poète semble lui attribuer, à lui et à son fils Pryderi, la prison de Gwair (v. Kulhwch et Olwen, note). Dans le même poème est mentionné le chaudron de Pen Annwvyn, qui ne fait pas bouillir la nourriture du lâche (cf. Kulhwch et Olwen, note. Voir ce poème dans Skene, Four ancient books of Wales, II, p. 181, vers 9-24). Les Triades (Mabinogion, éd. Rhys-Evans, p : 807, l. 7) citent, parmi les trois puissants porchers de l’île, son fils Pryderi ; les porcs de Pryderi n’étaient autres que les sept animaux que Pwyll Pen Annwnn avait amenés en Dyved : d’après le Mabinogi de Math, fils de Mathonwy, ils auraient été envoyés en présent à son fils Pryderi par son ami Arawn, roi d’Annwvyn. Pwyll, d’après les Triades, les aurait donnés à Pendaran Dyvet, son père nourricier (v. trad. plus loin). Le nom propre Pwyll se retrouve en Armorique : Poyll. Cart. de Quimper, Bibl. nat., 9891., fol. 40 v°, XIVème siècle.
  151. Dyvet tire son nom du peuple des Demetae. Les Demetae occupaient le territoire qui a formé les comtés actuels de Carmarthen, de Pembroke et de Cardigan. Il en est question dans la vie de saint Samson (Mabillon, Acta SS., I, p. 165 ; Paul Aurélien, Revue celt., V. p. 413 et suiv., ch. II). Demett est le nom d’une paroisse importante de notre Cornouailles. (Cart. de Landevennec, p. 45) ; plus tard, au XIVème siècle, Ploe-Demet, auj. Plo-Zevet, près Quimper. L’étendue du territoire de Dyved a beaucoup varié. Il n’y avait à porter proprement ce nom que la partie comprise entre la Teivi, au nord-ouest, et la Tywy, au sud-est (Ancient laws, éd. Aneurin Owen, 1, 339, note ; Iolo mss p. 86). L’évêché de Menevie ou Saint-David’s s’étend sur à peu près tout l’ancien territoire des Demetae. Les Triades nous ont aussi conservé le souvenir de la puissance des Demetae lorsqu’elles mentionnent que les peuples de Cardigan et de Gwyr étaient des branches des Demetae. D’après notre Mabinogi, Pryderi, fils de Pwyll aurait ajouté à Dyved, trois cantrevs de Caermarthen et quatre de Cardigan. Mais, d’après le Mabinogi de Math (Trad. franç., plus bas), sa domination se serait étendue sur vingt et un cantrevs, ce qui supposerait à peu près tout le territoire de l’ancien royaume de Dinevwr ou Sud-Galles, moins Brycheiniog ou Breconshire (Powell, History of Wales, p. 17 et suiv. ). Les sept cantrevs propres de Pwyll ne comprennent que le comté actuel de Pembroke (cf. Giraldus Cambrensis, Itiner, I, 12), mais, au XIIIème siècle, Dyved a huit cantrevs (Myv. arch., 2e éd., p. 737). Les poètes désignent Dyved sous le nom de Bro yr hud, « le pays de la magie », expression qui trouve son explication dans le Mabinogi de Manawyddan ab Llyr (Cf. Dafydd ab Gwilym, poète du XIVème siècle, 2° éd., p. 320). Llewys Glyn Cothi, poète du XVème siècle, appelle aussi Dyved, Gwlad Pryderi ou le pays de Pryderi (p. 136, v. 150).
  152. Cantrev, mot à mot, cent habitations ou villas : Giraldus Cambrensis, Cambriae Descript., c. 4 : « Cantredus autem, id est cantrev, a cant quod centum, et tref, villa : composito vocabulo tam britannica quam hibernica lingua dicitur tanta terrae portio, quanta centum villas continere potest. » Le cantrev se subdivisait en cymmwd. Au XIIe siècle, Gwynedd ou le Nord-Galles comprenait 12 cantrevs, Powys 6, le sud du pays de Galles 29, parmi lesquels les 7 de Dyved (Girald. Cambr., Itiner., 1, 12). Sur l’étendue primitive du cantrev, v. Ancient Laws, I, p. 185-186 ; sur des traces certaines de cette division en Armorique, v. J. Loth, l’Émigration bretonne en Armorique, p. 228. Paris, Picard, 1883. Le Cymmod est devenu généralement le manor et le cantrev la Hundred.
  153. Arberth, cour princière, au sud-est du comté de Pembroke, sur les limites du Carmarthenshire. Un poète du XIIIe siècle, Einiawn Wann, appelle Llywelyn ab Iorwerth Llyw Arberth, ou le chef d’Arberth (Myv. arch., p. 233, col. 2). La hundred moderne de Narberth est formée de l’ancien cymmwd (commote en anglais) de Coed Rhath dans le cantrev de Penvro (Penbroke) et aussi du district d’Evelvre ou Velvrey dans le cantrev Gwarthaf, ainsi peut-être que d’un lambeau de terre à l’extrême nord-ouest qui n’appartenait à aucun de ces districts. Il n’y a jamais eu de hundred ancienne de Narberth (Egerton Phillimore, Owen’s Pembrokeshire p. 48, note 2).
  154. Glynn Cuch. La Cuch ou Cych est une rivière qui coule entre les comtés de Pembroke et de Carmarthen et va se jeter dans la Teivi entre Cenarth et Llechryd. Le glynn indique proprement un vallon étroit et boisé. Glen, en breton armoricain moyen, indique la terre, opposée au ciel.
  155. Llwyn Diarwya. Le mot llwyn signifie buisson, fourré (vieil armoricain, loin ; pluriel, loeniou. v. J. Loth, Chrestomathie bret. Annales de Bretagne, t. II, p. 401).
  156. Cette expression paraît correspondre à prime dans nos romans français de la Table Ronde, c’est-à-dire à la période de trois heures qui suit le lever du soleil.
  157. C’est là un trait bien gallois ; la réparation pour dommage offense, meurtre était tarifée dans les. lois, suivant le rang de l’intéressé.
  158. Annwvyn, ou Annwvn, ou Annwn, proprement un abîme, et souvent la région des morts, l’enfer (Kulhwch et Olwen, trad. franç. ; cf. Silvan Evans, Welsh dictionary). D’après lady Guest, on parle encore, en Galles, des chiens d’Annwvn ; on les entend passer, aboyant dans l’air, à la poursuite d’une proie.
  159. Arawn. Ce personnage figure à la bataille mythologique de Cat Goddeu. Il y est battu par Amaethon, fils de Don (v. Kulhwch et Olwen, trad., note).
  160. Le terme de compagnonnage serait plus exact, dans le sens qu’on lui attribuait assez souvent au moyen âge. Les compagnons étaient des chevaliers qui faisaient entre eux une association tant pour l’attaque que pour la défense de leurs personnes.
  161. Paile, drap de soie brochée, appelé souvent pane alexandrin, parce que c’est Alexandrie qui en était le dépôt, en usage surtout aux XIe et XIIe siècles (V. Quicherat, Hist. du costume, p. 153). La forme palis apparaît dans la Passion ; pali dans le Lai du Fresne.
  162. Cette expression a été probablement imitée de nos romans français : Raoul de Cambrai, v. 2468 : Plaine sa lance l’abat mort en l’erbois. (Société des anciens textes français.)
  163. On dirait un souvenir du vers de Virgile : Parcere subjectis et debellare superbos.
  164. Teulu ou llwyth, dans l’ancien pays de Galles, indique un véritable clan. D’après les Triades de Dyvnwal Moelmut, la famille comprenait tous les parents jusqu’au neuvième degré (Myv. arch., p. 927, 88).
  165. Le mot gallois gorsedd signifie proprement siège éminent, mais il désigne souvent un tertre qui servait de tribunal, comme le fait remarquer lady Guest. Le mont appelé Tynwald en Man a servi longtemps de siège aux assemblées judiciaires. La motte islandaise désignait à la fois l’assemblée, et la motte sur laquelle elle se tenait.
  166. Valet. Ce terme, dans notre traduction, n’a pas le sens actuel ; nous l’employons dans le sens qu’il avait au moyen-âge, de « jeune homme de condition honorable ». « La domesticité au XIIe siècle, » dit justement Paulin Paris, « dans les familles nobles, était une sorte d’apprentissage de la chevalerie réservée aux jeunes amis et aux parents du chevalier qui les entretenait. Au XVIIe siècle encore, l’emploi de fille de chambre et de compagnie était de préférence donné aux parentes les moins fortunées. (Les romans de la Table Ronde mis en nouveau langage, V, p. 186, note).
  167. On pourrait traduire l’expression galloise yrof i a Duw par entre moi et Dieu.
  168. Elle est donnée en mariage, après la mort de Pwyll, à Manawyddan ab Llyr, par son fils Pryderi. Le chant de ses oiseaux merveilleux qui charme pendant sept ans Manawyddan et ses compagnons au festin de Harddlech, dans le Mabinogi de Branwen, fille de Llyr, est célèbre dans les légendes galloises. Les Triades de l’avare disent : « Il y a trois choses qu’on n’entend guère : le chant des oiseaux de Rhiannon, un chant de sagesse de la bouche d’un Anglais et une invitation à dîner de la part d’un avare » (Myv. arch., p. 899, 29). Goronwy Gyriawg, poète du xive siècle, compare, pour la générosité, une certaine Gwenhwyvar à Rhiannon (Myv. arch., p. 333, col. 1).
  169. Heiveidd hen ou le vieux. Il y a plusieurs personnages de ce nom. On trouve dans le Mab. de Kulhwch et Olwen un Hyveidd unllen ou à un seul manteau (trad. française), mentionné aussi dans le Songe de Rhonabwy ; un Hyveidd, fils de Don, dans le Mab. de Math, fils de Mathonwy (trad. franç.) ; un Heveidd hir ou le Long, dans le Mab. de Branwen ; un Heveidd, fils de Bleiddig, dans les Triades ; ce dernier serait fils d’étranger et aurait régné dans le sud de Galles (Triades Mab., p.308, 20) ; il serait devenu saint. Les Annales Cambriae signalent à l’année 939 la mort d’un Himeid (= Hyveidd), fils de Clitauc. Un guerrier du nom de Hyveidd est célébré par Taliesin (Skene, Four ancient books of Wales, II, p. 150, v. 7 ; 190, 25 ; 191, 26). Dans le Gododin (Skene, Four ancient books, II, p. 64), il s’agit de Heveidd hir.
  170. D’après le Linguæ britannicæ dictionar. duplex, de Davies, ce jeu consistait à essayer de fourrer son adversaire dans un sac. C’est encore une expression proverbiale (v. Richards, Welsh dict., p. 251 : Chwareu broch ynghod) Dafydd ab Gwilym, dans une satire contre Gruffydd Gryg, lui dit que lui, Davydd, s’il veut aller dans le Nord, sera partout choyé ; « si toi, » ajoute-t-il, « tu viens dans le Sud, tu seras broch y’nghod, blaireau dans le sac, braich anghadarn, ô bras sans force » (p. 174).
  171. À en juger par les Mabinogion, les Gallois devaient faire grand usage de bains ; c’est confirmé par plusieurs passages des Lois, un notamment. Il n’est pas dû d’indemnité pour un incendie causé par un feu d’enneint (bains), si l’établissement est distant de 7 brasses des autres maisons du hameau (Ancient Laws, I, p.258). Le Brut Tysilio mentionne un établissement de bains chauds fondé à Caer Vaddon (Bath) par Bleiddyt (Myv. arch., p.441, col. 1). C’était un reste probablement des usages introduits par les Romains.
  172. Presseleu, aujourd’hui Presselly, désigne la plus haute chaîne de collines du comté de Pembroke. Il en est encore question dans Kulhwch et Olwen, Il s’agit ici d’un endroit précis dans le voisinage. C’est peut-être aujourd’hui Preselwy, nom d’une maison dans le voisinage de Neath. Il y a échange parfois entre les terminaison eu et wy (Ma[w]deu, pour Mawdwy. Oxford Bruts,. p. 408 : cf. Eg. Phil. dans Owen’s Pembrok., t. I, p. 448, note 2 : cf. trothwy et trotheu. ; aswy, aseu, etc.
  173. V. notes critiques.
  174. Gwent s’étendait depuis l’Usk jusqu’au pont de Gloucester (Iolo mss. p. 86), et se divisait en trois cantrevs : Gwent is coèd, ou « plus bas que la forêt ; » Gwent uch coed, ou plus haut que la forêt, et cantrev coch, ou « le rouge, » appelé aussi cantrev coch yn y Dena, ou « dans la forêt de Dean » (Myv. arch., p. 137). Gwent comprenait donc le Monmouthshire ; une partie du Ilerefordshire et du Gloucestershire. Le nom de Gwent vient de Venta (Venta Silurum).
  175. Teyrnon est un dérivé de Tiern, = vieux celtique Tigernos, « chef de famille, chef. » (Pour les dérivés armoricains, voy. Annales de Bretagne, 1887, t. II, p. 422. Cf. Rhys, Lectures on welsh. Philology, 2 édit., p. 33.) Twryf signifie bruit ; vliant est pour bliant, nom d’une étoffe dont il est souvent question dans les Mabinogion, sorte de toile fine ou de batiste. La forme bliant est insulaire ; en vieux français, c’est bliatt ou bliaut. On trouve en vieil anglais blihant, blihand et plus récemment, bleaunt. Le mot désigne, d’après Murray (a new engl. Dict.) une tunique ou vêtement de dessus, et aussi une étoffe de prix pour la confection de ce vêtement. Ce surnom bizarre vient d’une erreur du scribe (v. plus haut. Introd. ; cf. John Rhys, Arthurian Legend p. 283) ; il faut lire Twryv Liant, bruit des flots.
  176. Calan est un mot emprunté par tous les Bretons à l’époque de l’occupation romaine, et désigne le premier jour du mois (cf. le nom propre Kalan-hedre, Cart. de Redon). Cf. J. Loth, L’année celtique, p. 13 et suiv.
  177. Gwallt, « cheveux ; » euryn, « d’or. » Voy. la note à Pryderi.
  178. Ce passage est d’accord avec les lois. C’est à trois ans que le poulain devait être dompté et utilisé (Ancient laws, I, p. 262).
  179. Cylchaw Dyvet. Le cylch était une sorte de voyage circulaire du roi ou chef avec ses principaux officiers à travers ses Etats. C’étaient les tenanciers qui en faisaient tous les frais. Les hommes libres contribuaient seulement aux frais du circuit annuel que faisait après Noël le Penteulu, chef de famille, ou major domus. Les hommes d’Arvon et de Powys en étaient exempts (Voy. Ancient Laws, I, p. 16, 106, 359 ; II, 746 ; cf., sur ces usages, Ferdinand Walter, Das alte Wales, Bonn, 1859, p. 191, 199, 212, 213). Il y a une très curieuse pièce de vers du prince-barde de Powys, Owen Cyveiliog (1150-1197) sur le cylch de sa maison (Myv. arch., p. 192).
  180. La famille ou tribu de Pendaran est donnée comme une des trois familles de Cymry ou Gallois ; la première est celle des Gwenhwysson, ou hommes de Gwent ; la seconde, celle des Gwyndydiaid, ou hommes de Gwynedd et Powys ; la troisième, celle de Pendaran Dyved, c’est-à-dire des hommes de Dyved, Gwyr (Gower) et Ceredigiawn (Cardigan) (Myv. arch., p. 402, col. 2). Une autre triade nous apprend que Pryderi garda les porcs de Pendaran Dyved, son père nourricier, à Glynn Cuch (Myv. arch., p. 317, 7).
  181. Pryderi, « souci » (Breton arm. prederi). Il devient le compagnon de Manawyddan dans le Mabinogi de ce nom, et lui donne sa mère en mariage. Il est tué par Gwydion ab Don dans le Mab. de Math, fils de Mathonwy, sur les bords de la Cynvael, dans le Merionethshire, et enterré à Maen Tyvyawc. Le Livre Noir place sa tombe à Abergwenoli (Skene, Four ancient books, II, p. 29, 8). D’après les triades, c’est un des trois gwrddveichyat ou rudes porchers de l’île il garde pour Pendaran les sept porcs que son père Pwyll a donnés à Pendaran (v. la note à Pwyll). Le titre de porcher ne paraît avoir eu rien de dégradant (cf. le nom propre Winmochiat, Cart. de Redon, Annales de Bret., 1887, t. II, p. 430). Son nom est associé à celui de Manawyddan par Taliesin (Skene, Four ancient books, II, p. 155, v. 9 ; cf. ibid., p. 181, v. 10). Davydd ab Gwilym appelle Dyved la terre de Pryderi (O Fon hyd Bryderi dir, p. 170), de Mon (Anglesey), jusqu’à la terre de Pryderi), ainsi que Llewis Glyn Cothi. Les Iolo manuscripts font aussi mention de Pryderi, p. 258. Cynddelw, poète de la seconde moitié du XIIe siècle, compare Owain, fils de Madawc, roi de Powys, à Pryderi (Myv. arch., p. 159, col. 2.
  182. Cf. p. 110. note.
  183. Nourrir ici indique une éducation complète. Comme chez les Irlandais (voy. O’Curry, On the manners and the customs of the ancient Irish, II, p. 355 et suiv.) ; chez les Gallois l’habitude était d’envoyer l’enfant hors de la famille, au sens étroit de ce mot. L’éducation dans un autre clan devenait souvent l’origine d’une véritable alliance du nourri avec ceux qui avaient été élevés avec lui ; les Mabinogion le montrent en maint endroit. Quelque chose de semblable a existé sur le continent. On appelait, en vieux français, nourri celui qui avait passé sa jeunesse dans la maison d’un parent, ami ou patron (Paulin Paris, Les Romans de la Table Ronde, IV, appendice).
  184. Ystrad Tywi ou la vallée de la Tywi
  185. Ceredigyawn ou Seisyllwch. De même que Morganhwc tire nom de Morgant, Seissylwc ou Seissyllwch doit tirer son nom de Seisyll, ou plus anciennement Sitsyllt. Il y a plusieurs. personnages de ce nom ; le plus connu est Seisyll, roi de Nord-Galles, dont le fils Llywelyn joue un rôle important (voy. Brut a Tywysogion, à l’année 1020, Monum. hist. brit.). Une triade nous dit que Cynan Meiriadawc (Conan Meriadec) emmena au Lydaw des hommes de Seissyllwc et autres contrées (Myv. arch., p. 402, 14, Ceredigawn tire son nom de Ceretic. Voir t. II, app. généalogies, XXXII.
  186. Gwynn, « blanc ; » gohoyw, « enjoué, animé. »
  187. Gloyw, « clair. transparent » : gwallt lydan « chevelure étendue. »
  188. Casnar est aussi un. nom commun signifiant rage, fureur (v. Taliesin, ap. Skene, II, p. 123, 29) Gwledic dérivé de gwlat, « contrée, domaines, » arm. moy. gloat, « royaume ». gloedic, chef, duc (Revue celt., 1912, fasc. 2), a varié comme signification, mais a généralement le sens de roi, chef suprême. Llywelyn Vardd, qui vivait entre 1260-1280, fait descendre le célèbre prince Liywelyn ab lorwerth de Llary, fils de Casnar (Myv. arch., p. 247, col. 1).
  189. Le même terme est usité dans les romans français de la Table Ronde. Le mot gallois ceing signifie proprement une branche d’arbre. Un poète du XIVe siècle, Davydd y Coet, appelle l’Elucidarius, eur-ddar, « chêne d’or ou précieux, » (Eur-ddar y Lucidarius, Myv. arch., p. 398, col. 1.)
  190. Branwen. Il y a eu, disent les Triades, trois soufflets causés par la colère : celui que donna l’Irlandais Matholwch à Branwen, celui de Gwenhwyvach, à Gwenhwyvar, femme d’Arthur, ce qui amena la bataille de Camlan ; le soufflet de Golyddan Vardd, ou le barde, à Cadwaladyr le béni (Triades Mabin., p. 301, I. 16 ; la triade 51, Myv. arch., p. 392, fait donner le deuxième soufflet à Medrawt par Arthur. (Voy. la note à Arthur, dans le Mab. de Kulhwch et Olwen). Un poète de la fin du XIVe siècle, Yr Iustus Llwyd, fait une allusion aux noces de Branwen (Myv. arch., p. 367, col. 2). Dafydd ab Gwilym compare le teint d’une de ses maîtresses à celui de Bronwen, fille de Llyr. Lady Guest rapporte, d’après le Cambro-briton, II, p. 71,1821, qu’on découvrit, en 1813, sur les bords de l’Alaw, en Anglesey, dans un endroit appelé Ynys Bronwen, ou l’île de Bronwen, sous un tumulus, une urne funéraire contenant des cendres et des ossements.
  191. Bran le béni doit son surnom, d’après les Triades, à ce qu’il apporta le premier la foi chrétienne aux Kymry, de Rome, où il avait passé sept années comme otage avec son fils Caradawc (Caratacos), pris par les Romains à la suite de la trahison d’Aregwedd Voeddawg. Les deux autres inspirés et bénis sont : Lleirwg ab Coel ab Cyllin, surnommé Lleuver mawr, grande lumière, qui bâtit la première église à Llandaf, et Cadwaladr le béni, qui accorda un refuge sur ses terres et sa protection aux chrétiens fuyant les Saxons (Myv. arch., p. 401, 35). Il est rangé aussi à côté de Prydain ab Aedd Mawr, et Dyfnwal Moelmut, parmi les trois fondateurs et législateurs du royaume de Bretagne (Ibid. ; p. 404, 36). Le Mabinogi de Branwen, plus bas, nous le montre ordonnant de lui couper la tête, et de la cacher dans la colline blanche, à Londres. Ce fut, disent les Triades, une des trois bonnes cachettes, avec les os de Gwerthevyr (cf. Nennius, Hist., 47 ; cf. Gaufrei de Monm., Hist., VI, 14) enfouis dans les principaux ports de l’île, et les dragons cachés par Lludd à Dinas Emreis (voy. le Mab. de Lludd et Llevelys). Ce fut une des trois mauvaises découvertes, quand on la découvrit. Ce fut Arthur qui la déterra, ne voulant devoir la défense de l’île qu’à sa valeur : il ne devait pas y avoir d’invasion tant qu’elle resterait cachée. Ce fut Gwrtheyrn qui, par amour pour la fille de Hengist, déterra les dragons et les os de Gwerthevyr (Triades Mabinog., p. 300). Bran est la tige d’une des trois grandes familles de saints ; Cunedda et Brychan sont les deux autres (Rees, Welsh saints, p. 77 ; Iolo mss., p. 100, p. 8, p. 40). Un poème des Iolo mss., p. 307, attribué à Rhys Goch, poète du XIVe siècle, fait cacher la tête de Bran dans le bois de Pharaon, ou Dinas Emrys, près Beddgelert, Carnarvonshire, et non les dragons. Son nom revient souvent chez les poètes (Livre Noir, ap. Skene, Four anc. books, p. 55 : dans le dialogue de Gwyn ab Nudd et de Guiddnev, un des interlocuteurs dit qu’il a été là où Bran fut tué). Taliesin prétend qu’il a été avec Bran en Iwerddon, et qu’il a vu tuer Morddwyd Tyllon, (Skene, 154, 27) ; Llywarch ab Llywelyn, poète du XIIe siècle, compare Gruffudd ab Cynan à Bran, fils de Llyr, (Myv. arch., p. 205, col. 1). Bran, corbeau, est un nom fort commun chez tous les Celtes (On trouve sept ou huit Bran et des noms qui en sont dérivés dans le Cartul. de Redon).
  192. Llyr Lledieith, ou au demi-langage, ou au langage à moitié étranger, est un personnage dont il est fréquemment question. D’après les Triades (Mab., II, p. 306, 9), c’est un des trois principaux prisonniers de l’île de Bretagne (Voir Kulhwch, et Olwen, note à Mabon, fils de Modron). Il aurait été emprisonné avec sa famille par Euroswydd et les Romains. Les Iolo mss. lui font chasser les Romains du sud de l’île, les Gaëls du nord du pays de Galles, les Armoricains de Cornouailles (p. 83). On distingue plusieurs Llyr : Llyr Lledieith, Llyr Merini, et enfin Llyr, fils de Bleidyt, que Gaufrei de Monmouth a popularisé, surtout grâce à l’histoire de ses filles Gonorilla, Regan et Cordélia (Hist., II, 11 ; Brut. Tysilio, Myv. Arch. p. 440 et suiv.). L’histoire des enfants de Lir est une des trois histoires douloureuses chez les Irlandais (O’Curry. On the manners, II, p. 325). Llyr, chez les Gaëls comme chez les Bretons, signifie les flots, la mer. Était-ce le Neptune celtique ? Le passage cité plus haut, du Livre Noir, tendrait à le confirmer : « Bran, fils de Y Werydd, à la gloire étendue. » Y Werydd signifie l’Océan, et semble s’appliquer plus spécialement au canal de Saint-Georges.
  193. Voir le début du Mab, de Lludd et Llevelys.
  194. Harddlech, aujourd’hui Harllech, sur la côte, dans le Merionethshire. Suivant lady Guest, Harlech porterait aussi le nom de Twr Bronwen, ou la tour de Bronwen.
  195. Ardudwy était un cymwd faisant partie du cantrev de Dinodic en Arvon (Myv. arch., p. 735). Silvan Evans, dans son English-Welsh Dict., donne à l’article sea-side, à Ardudwy, le sens de bord de la mer.
  196. Voy. le Mabinogi qui porte son nom.
  197. Beaucoup d’écrivains gallois, lady Charlotte Guest notamment, ont identifié ce personnage avec le général romain Ostorius ; l’identification des deux noms est phonétiquement impossible. Voy. la note à Llyr.
  198. Beli le Grand, fils de Mynogan, aurait régné en Bretagne trente-neuf ou quarante ans. C’est le père de Lludd et de Caswallawn, dont on peut identifier le nom avec celui de Cassivellaunus. De la mort de Beli jusqu’à Llyr, dont le fils apporta la foi en Bretagne, il se serait écoulé cent vingt ans (Iolo mss. p. 37, 38 ; Brut Tysilio, Myv, p. 448, col. 1 ; Gaufrei de Monmouth, Hist., III, 20). Une triade lui attribue l’honneur d’avoir étouffé une conspiration contre la sûreté de l’île (Myv. arch., p. 401, 11). Taliesin le célèbre (Skene, Four ancient books of Wales, 204, 28) ; il lui attribue sept fils (ibid., 202, 9). Voy. le début du Mabinogi de Lludd et Llevelys.
  199. Iwerddon est aujourd’hui le nom gallois de l’Irlande. Il dérive de la même forme vieille celtique que le nom que les Irlandais eux-mêmes donnent à leur pays : nominatif Ériu, accus. Erinn.
  200. Mot à mot, le soc : swch, proprement soc de charrue et primitivement aussi probablement groin, comme l’irlandais socc. Dans l’épopée irlandaise le bouclier dans le combat mugit. V. J. Loth. Revue celt. 1911 : Le bouclier de Tristan.
  201. Voir la note à Branwen, et le Mabinogi de Math.
  202. Ynys y Kedyrn, « l’île des Forts. » Ce nom revient souvent dans les Mabinogion, et semble ailleurs d’un emploi assez rare. Suivant une triade (Myv. arch., p. 400, 1), l’île a porté trois noms : celui de Clas Merddin avant d’être habitée ; celui de Y vel ynys, « l’île de miel », après, et enfin, le nom de Ynys Prydein, après sa conquête par Prydain ab Aedd mawr. D’après une autre triade (Myv. arch., p. 388, 1), on lui donna, après sa colonisation par Bryt (Brutus), le nom d’Ynys Bryt.
  203. Les Triades ne la nomment pas parmi les dames célèbres de l’île.
  204. Aberffraw, au sud de l’île d’Anglesey, à l’embouchure d’une petite rivière comme l’indique le mot aber, « embouchure », a été au moins depuis le VIIIe siècle jusqu’à la chute de l’indépendance galloise, la résidence principale des rois de Gwynedd ou Nord-Galles. C’était le chef-lieu d’un cantrev du même nom. Mon, que les Anglais appellent Anglesey, avait une importance considérable surtout à cause de sa fertilité qui, au témoignage de Giraldus Cambrensis, l’avait fait surnommer la mère de la Cambrie.
  205. Evnys, en gallois, signifie hostile, ennemi, fâcheux.
  206. Il faut peut-être lire Anarawt, nom bien connu. Les Iolo mss., p. 258, mentionnent un roi de Gwynedd, ou Nord-Galles de ce nom. D’après une triade, c’est un des trois taleithiawc, « roi porte-diadème, » avec Cadell, roi de Dinevwr ou du Sud, et Mervin, roi de Mathraval ou Powys (Myv. arch, p. 405, col. 2). Les Annales Cambriae mentionnent la dévastation de Cereticiawn et de Ystrattui. (Ystrad Tywi) par Anarawt et les Saxons. Anarawt meurt en 915 ; d’après le Brut y Tywysogion, c’est un fils de Rodri ; il est qualifié de Rex Britonum (Monum. Hist. brit., p. 846, 847).
  207. Unic, « seul, unique ; » glew, « vaillant ; » ysgwydd, « épaule »
  208. Wyneb-werth, mot à mot prix du visage. Visage et honneur sont synonymes chez les Celtes (voy. Kulhwch et Olwen). La compensation s’appelait, en Irlande, log enech, « prix du visage ; » l’enech ruice ou outrage était proprement la rougeur du visage causée par un acte attentatoire à l’honneur de la famille ; enechgris, qui a un sens analogue, indique que le visage devient pâle ou blanc par suite d’une injure. La forme bretonne armoricaine de wynep-werth est, au ixe siècle, enep-uuert [h] (Cart. de Redon) ; mais ce mot avait chez nous un sens moins général : c’était le don offert par le mari à sa femme après la consommation du mariage, la compensation pour la virginité. Le mot actuel enebarz, « douaire », est le représentant moderne d’enep-werth. Comme l’a fait remarquer lady Guest, le Mabinogi est ici à peu près d’accord avec les lois ; la compensation pour un outrage fait au roi d’Aberffraw ou du Nord-Galles consistait en : cent vaches par cantrev, avec un taureau blanc aux oreilles rouges par cent vaches ; une verge d’or aussi longue que lui et aussi épaisse que son petit doigt ; un plat d’or aussi long que son visage et aussi épais que l’ongle d’un laboureur qui laboure depuis sept ans (Ancient Laws, I, p. 7). On a ici wyneb-warth ; il semble qu’il y ait là une tentative d’étymologie populaire : gwarth, en effet, en gallois, signifie honte, déshonneur.
  209. Voyez le Mabinogi de Kulhwch et Olwen ; voir plus haut la note à Pwyll Penn Annwvyn.
  210. Voy. la note au mot cantrev, p. 82.
  211. L’auteur y voit le mot tal, « payement, » et ebolyon, « poulains » (armor. ebeul). Chez un poète du xiie-xiiie siècle, Davydd Benvras, on trouve la forme Tal y bolion (Myv. arch., p. 222. col. 1. ) Talybolion ou Talebolion était un cymmwd du cantrev de Cemais on Mon (Anglesey), d’après Powell. La Myv. arch., range Cemais ou Cemmaes avec Talebolion parmi les Cymmwd du cantrev d’Aberffraw (Myv. arch., p. 735).
  212. Un épisode semblable se trouve dans le morceau épique irlandais, Mesca Ulad or The Intoxication of the Ultonians, Todd Lectures ser., vol. I, part. I. (J. Loth. Revue Celt., 1890, p. 345.)
  213. Aber Menai, l’embouchure de la Menai, ou du détroit entre l’île d’Anglesey et le continent. Aber Menai désigne la sortie sud du détroit.
  214. Kymry ou Kymru, et non Kymri, le pays de Galles. Le singulier est Kymro, qui suppose en vieux celtique Com-brox, pluriel Com-broges, « gens du même pays, compatriotes », nom que se sont donné, vers le VIIe siècle, les Bretons en lutte avec les Saxons. Kymry a compris non seulement le pays de Galles actuel, mais encore le nord de l’Angleterre breton jusqu’à la Clyde ; le nom de Cumberland en vient. Cette extension du pays des Kymry a amené les auteurs des romans français de la Table Ronde à placer en Nord-Galles des villes du nord de l’Angleterre, Longtown, par exemple (Longuetown), qui est située à l’extrémité septentrionale du Cumberland (Paulin Paris, Les Romans de la Table Ronde, I, p. 280). Sur Kymro et Kymry, v. J. Loth. Revue celt. XXX, p. 384.
  215. Le corwc ou corwg était un léger bateau en usage chez les pêcheurs de Galles, d’Écosse et d’Irlande. Il avait la forme ovale, était fait d’osier ou de baguettes entrelacées et recouvert de cuir, de peau de cheval ou de toile goudronnée. Assis au milieu, le pêcheur pouvait ramer d’une main et manier ses filets de l’autre. Arrivé à terre, il emportait son corwc sur son dos. Ce canot était en usage sur les rivières surtout (Richards, Welsh Dict. ). Le mot irlandais est curach.
  216. Dans le lai de Milun de Marie de France, Milun se sert d’un cygne pour le même ministère (éd. Warncke, p. 158).
  217. Ce nom désigne une ancienne forteresse romaine, près de la ville actuelle de Carnarvon. La rivière à l’embouchure de laquelle est située cette ville, porte le nom de Seint. Seint a été plus anciennement Segeint (Nennius ap. Petrie, Mon. hist. brit., p. 54), qui représente exactement le Segontium de l’époque romaine.
  218. Arvon, ou le territoire en face ou auprès de Mon (Mon, Anglesey) ; le mot est composé comme Arvor, territoire près de la mer. Arvon formait une des trois subdivisions de Gwynedd ou Nord-Galles ; les autres étaient Mon et Meirionydd (Merioneth). Arvon répond au Carnarvonshire actuel.
  219. Cradawc ou Caradawc = Caratâcos ; ce nom a été maladroitement changé, par les éditeurs, en Caractacus. On a confondu sans doute plusieurs personnages sous ce nom. Les chroniqueurs gallois n’ont pas manqué de l’identifier avec le Caratacus ou Caractacus de Tacite et de Dion Cassius, le fils de Cunobelinos, le brave et généreux chef des Silures, livré au Romains par la reine des Brigantes, Cartismandua (Tacite, Ann., XII, 33-7 ; Dion Cassius, IX, 20, 21). Dans les Triades, c’est un des trois monarques de l’île, choisis et établis par serment, avec Caswallawn ab Ludd ab Beli et Owen ab Macsen Wledig (Myv. arch., p. 402, 17 ; ab ou ap a le sens de map, fils). D’après une autre triade (ibid., p. 404, 34), c’est pour diriger la défense contre les Romains qu’on lui donna la royauté. C’est aussi un des trois braves de l’île avec Cynvelyn (Cunobelinos) et Arthur (ibid., p. 403) ; un des trois chefs de guerre avec Caswallawn, fils de Beli, et Gweirydd, fils de Cynvelyn (ibid., p. 403, 24). Il est livré aux Romains par Aregwedd Voeddawg, fille d’Avarwy ab Lludd, que les chroniqueurs ont identifiée avec Cartismandua (ibid., p. 403, 22). Une triade, qui est l’écho d’une tradition semblable à celle que nous a conservée notre Mabinogi, nous dit que c’est un des Cynweisiaid ou premiers serviteurs (cf. Taliesin ap. Skene, 156, 9) de l’île. Notez qu’ici comme ailleurs, lorsque Skene est cité sans autre référence que les chiffres suivant son nom, il s’agit des Four anc. Books of Wales, tome II) que les ) de l’île ; les autres sont Cawrdaf, fils de Caradawc Vreichvras, et Owain ab Macsen Wledig ; on les appelait ainsi parce qu’il n’y avait pas en Bretagne un homme qui ne se levât à leur appel et qui ne fût prêt à les suivre (ibid., p. 404, 41). Caradawc est le héros d’un curieux récit des Iolo mss., p. 185 et suiv. Il est roi d’Essyllwg, pays des Silures, et bat les Romains. Ceux-ci attribuant leur défaite à la constitution du pays qui est couvert de bois et de fourrés, il détruit les bois pour leur montrer qu’il ne doit le succès qu’à sa seule vaillance. Manawyddan ab Llyr bâtit, à l’intention des traîtres, une prison avec les os des Romains tués (voy. Kulhwch et Olwen, note à Caer Oeth et Anoeth. )
  220. Edeirnion, kymmwd du Cantrev y Barwn en Powys (Myv. arch., p. 35).
  221. 'Seith marchawc : seith a aussi le sens de saint ; aussi le sens de Saint Marchawc, pourrait bien être le sens véritable et ancien. Saint Marchoc a donné son nom à Lo-marec en Crach (Morbihan).
  222. Voy. Manawyddan, fils de Llyr
  223. Ce passage, singulier, si le texte n’est pas altéré, me semble éclairci par un poème de Iorwerth Beli, poète de la seconde moitié du XIVe siècle, à l’évêque de Bangor. Il se plaint à lui de ce qu’il néglige les poètes pour les musiciens. Il lui rapporte pour prouver la supériorité des poètes sur les musiciens, que Maelgwn, se rendant à. Caer Seion, emmena avec lui tout ce qu’il y avait de chanteurs et de musiciens (a oedd o gerdd arwest ar gerddorion), et qu’il força tous les gens de sa suite à nager pour atteindre Caer Seion. Les harpistes, dit le poète, ne valaient plus rien après cette épreuve, tandis que les poètes composaient tout aussi bien. (Myv. arch., p. 317, 318).
  224. Le récit épique irlandais. Togail Bruidne Dá Derga, présente un épisode semblable (J. Loth, Rev. celt., 1890, p. 347-348).
  225. C’est la Shannon ; en irlandais Sinon. D’après des expériences faites au collège de France, ll gallois (l sourd), au début de son articulation, donne le tracé de s. Il est remarquable aussi que des enfants, en Galles, jusqu’à l’âge de 2 à 3 ans, prononcent s au lieu de ll.
  226. Ce proverbe se trouve encore dans tous les recueils de proverbes gallois (A vo pen bid pont, Myv. arch., p 839, col. 1). Il y a trace d’une croyance semblable dans la littérature boudhique de l’Inde. Un chef de singes sauva sa troupe en lui faisant de son corps un pont (Henri Kern, Aus des Ind. und der Kelt. Sagenwelt, Rev celt., 1896, p, 295).
  227. Gwyddyl, singulier Gwyddel, est le nom que les Gallois donnent aux gens de race gaëlique (Irlandais, Écossais des hautes terres et habitants de l’île de Man). C’est le nom national de ces peuples, vieil irlandais Góidel, irl. moderne Gaedheal, qui se prononce à peu près comme Gael. On voit que ce nom n’a rien à faire avec celui de prétendus Galls qui auraient envahi la Gaule avant les non moins fabuleux Kymry.
  228. Englyn, épigramme, stance, un des trois principaux mètres gallois (V. Dosparth Edeyrn Davod aur, LXVI, LXVII). La Myv. arch., p. 331, col. 2, nous donne une version de deux Englyn, au lieu d’un, tirés eux aussi des Mabinogion, d’une autre source par conséquent. Le premier ne semble pas se rapporter directement à ce passage : « J’ai entendu une grue jeter des cris dans le marais, loin des maisons ; celui qu’on n’écoute pas peut se taire ( ?) »
  229. Il y a peut-être ici la même idée que dans le Gododin (Skene, Four, anc. books, II, p. 100, 26) : Pan esgynnei bawp, ti disgynnut. « Quand chacun montait à cheval, toi tu descendais », c’est-à-dire, quand on se retirait en hâte, quand on fuyait, toi, tu restais.
  230. Morddwyd, cuisse ; armoricain ; morzed ou morzad ; tyllion parait être un dérivé de twll, trou. Taliesin fait allusion à ce personnage : « J’ai été avec Bran en Iwerddon, j’ai vu tuer Morddwyt Tyllon (Skene, Four ancient books ; II, p. 275).
  231. V. les notes critiques. Gwern est le nom du fils de Mathollwch.
  232. Eil Taran, fils de Taran ; taran, tonnerre ; le dieu gaulois du tonnerre était Taranus.
  233. Taliessin ou Teliessin penbeirdd, Taliesin, chef des bardes. D’après Nennius, éd. Petrie, Monum. hist. brit., p. 75, Taliesin aurait vécu au VIe siècle. On ne sait de sa vie rien de certain. Dans un curieux poème du Livre noir, où il converse avec Ygnach, il dit qu’il vient de Caer Seon, près Carnarvon, se battre avec Itewon (les Juifs ?) et qu’il va à Caer Lew et Gwydyon. Ygnach l’appelle penhaw o’r gwyr, le premier des hommes (Skene, Four anc. books, p. 56, xxxv). Dans les poèmes donnés sous son nom et qui sont peut-être, à certains égards, les plus curieux de la littérature galloise, il célèbre surtout Urien, Elphin, Kynan, dont le premier au moins passe pour avoir été un roi des Bretons du nord. Il y est souvent question aussi de Gwydyon, roi de Gwynedd du Nord-Galles, personnage mystérieux, plutôt mythologique que réel. Il n’est pas sans intérêt de remarquer qu’il célèbre un héros irlandais, Conroi, fils de Daere. Si tous les poèmes mis sous son nom lui appartiennent, il est sûr qu’il a vécu eu milieu des Gaëls, ce qui confirmerait la légende d’après laquelle il aurait été esclave en Irlande. Pour plus de détails, voir sa vie annexée par lady Guest aux Mabinogion, III. Taliesin est un nom propre connu aussi on Armorique (Petrus dictus Taliesin, Cart. de Quimper, bibl. nat., 9892, fol. 23 v°, année 1325 ; Petrus Yvonis Talgesini, ibid., fol. 21 r°, 1331 ; Talgesin, ibid., fol. 79 r°, t. III, 14).
  234. ’Brynn, colline, armor. bren ; et gwynn, blanc, arm. anc. win, auj. gwen. Le féminin gallois est gwen (gwynn = vindos ; gwenn = vindā (Rhys, Lectures on Welsh Philology, 2ème éd., p 115). D’après lady Guest, ce serait la Tour de Londres. Un poète de la fin du XIIe siècle, Llywarch ab Llywelyn, plus connu sous le nom de Prydydd y Moch, en parle comme d’un lieu célèbre (Myv. arch., p. 200, col. 1).
  235. Gwales parait bien être Gresholm en Pembrokeshire (Rhys, Arthurian Legend, p. 269, 394, note).
  236. ’Penvro (mot à mot bout du pays). Le comté primitif de Pembroke (Pem-brog), paraît avoir correspondu à peu près à la hundred actuelle de Castlemartin, qui comprend deux des trois cymmwd dont se compose l’ancien cantref de Penvro, ceux de Penvro et de Maenor Byr (Manorbeer) : Cf. Egerton Phillimore Owen’s Pembrok. I, p. 153, note 3. Il y avait un autre Pembro en Cornwall : c’était le nom laïque de la paroisse de Saint-Breage.
  237. Aber Henvelen, ambassadeur. Les ms. portent Henveleu. Egerton Phillimore (Owen’s Pembrok. II, p. 410 note 42), suivant en cela John Rhys, l’identifie avec Clovelly, au nord du Devon : Clovelly pour clodd velly (gallois, clawdd (tranchée) ; hen serait l’article cornique en. Le cornique répondrait à la terminaison eu par ow ; hen est également invraisemblable pour en. Je n’ai pas hésité à lire Henvelen, à cause de deux textes où cette lecture est assurée. Taliesin (F. A. B. of Wales II, p. 153. 32) nous dit : J’ai chanté devant les enfants de Llyr à Ebyr (pluriel d’aber) Henvelen : la rime finale est en -en. De même Cynddelw, dans la seconde moitié du XIIe siècle nous parle des flots de Henvelen : Henvelen rime avec Maxen et Wryen Myv. Arch. 162. 1).
  238. Voir sur cet épisode, Introduction, p.65.
  239. Aber Alaw, embouchure de l’Alaw, rivière d’Anglesey.
  240. Caswallawn est identique comme forme au nom de l’époque romaine Cassivellaunus. Il est donné, dans les Triades, comme un des chefs luttant contre les Romains, comme un des chefs de guerre des Bretons ; les deux autres sont Gweirydd, fils de Cynvelyn et Caradawc ab Bran (Myv. arch., p. 403, 24). Il organise une expédition de soixante et un mille hommes pour aller enlever Flur, la fille de Mynach Gorr, à Mwrchan, prince gaulois ; il passe en Llydaw (Armorique), bat les Romains, reprend Flur et reste en Gwasgwyn, où ses descendants sont encore (Myv. arch., p. 402, col. 1 ; cf. Brut Tysilio, ibid., p. 449 et suiv. ; Gaufrei de Monmouth, Hist., III, 20 ; IV, 2, 3, 7, 9). C’est aussi un des trois amoureux de l’île ; il est, lui, amoureux de Flur ; les deux autres sont Trystan ab Tallwch, amant d’Essyllt, femme de March ab Meirchion, son oncle, et Kynon, amant de Morvudd fille d’Urien de Reged (Myv arch., p. 392, 53). C’est encore un des trois eurgrydd ou cordonniers-orfèvres, v. la note à Manawyddan, p.151. Le cheval de Caswallawn s’appelle Melynlas (jaune pâle), Livre noir, 10, v. 15.
  241. 'Notes critiques, à la page du texte 41 l.15
  242. Ce nom de Gwales représente l’anglo-saxon Wealas, Wales, nom sous lequel les Saxons désignaient les Bretons avec lesquels ils étaient en lutte. Les Germains ont appliqué en général cette dénomination à toutes les peuplades soumises à l’empire romain. Elle dérive de Volca, nom d’une population gauloise qui semble avoir joué un rôle très important dans les rapports des Celtes avec les Germains (Vieux-haut all., Walah = Volca) ; de Wales nous avons fait Galles (V. d’Arbois de Jubainville, Cours de littérature celtique, I. p. 11, d’après Gaston Paris). Ici Gwales désigne Gresholm (v. plus haut, note à Gwales).
  243. Réception ou hospitalité : v. Notes critiques.
  244. L’Irlande, anciennement, a été divisée en cinq parties Meath, Connacht, Ulster, Leinster et Munster (O’ Curry, On the manners, I, p. XCIX ; Joyce, a social history of Ireland, I. p. 36 et suiv. ).
  245. Comme les Scandinaves en Irlande, les Gallois fouillaient les tombeaux préhistoriques pour y trouver de l’or ; nous en avons la preuve, dans un document du XIIe siècle, le Livre noir de Carmarthen (Skene, F. a. b. II, p. 35, vers 5).
  246. C’est le même personnage que le Manannan, fils de Lir, des Irlandais (V. sur ce personnage O’Curry, On the manners, II, p. 198). Son nom dérive de Manaw, nom gallois de l’île de Man, qui désigne aussi une portion du territoire des Otadini (Manaw Gwotodin). Dans les Triades, c’est un des trois princes lleddv, obliques, ainsi appelés parce qu’ils ne recherchaient pas de domaines et qu’on ne pouvait cependant leur en refuser (Myv. arch., 304, 20 ; 404, 38) ; les deux autres étaient Llywarch Hen ab Elidir Lydanwen, et Gwgawn Gwron ab Eleufer Gosgorddvawr. Des poèmes des Iolo mss. (p. 263) lui attribuent la construction de la prison d’Oeth et Anoeth (v. Kulhwch et Olwen, p. 255, note 2). Dans le Livre Noir il devient compagnon d’Arthur et on y vante la sagesse de ses conseils (Skene, Four ancient books, II, p. 51, 7). Comme dans ce Mabinogi, il est donné par les Triades comme un des trois eur-grydd ou cordonniers-orfèvres : « Les trois cordonniers-orfèvres sont : Caswallawn, fils de Beli, quand il alla chercher Flur à Rome ; Manawyddan ab Llyr, pendant l’enchantement jeté sur Dyved ; Llew Llaw Gyffes, quand il alla avec Gwydyon chercher à avoir un nom et des armes d’Aranrot, sa mère » (Triades Mabin, p. 308, I. 14). Son nom paraît être associé à celui de Pryderi, sous la forme Manawyt, dans un poème de Taliesin (Skene, Four ancient Books, p. 155, v. 9).
  247. Lloegr ou Lloegyr est le nom que les Gallois donnent à l’Angleterre proprement dite, au sud de l’Humber.
  248. Nom gallois d’Oxford. Le terme gallois signifie gué des bœufs, et paraît une interprétation du nom anglo-saxon Oxnaford
  249. 'Calch lasar, émail. Calch signifie chaux, du latin calx, calcis. et aussi haubert (v. notes cric. ; cf. Myv. arch., p. 161, col. 2 ; 167, col. 2). L’étymologie donnée à lasar est une pure fantaisie.
  250. Poniarth : Llaesgygnwyt
  251. Cuir de Cordoue ; en vieux français cordouan.
  252. L’usage de peindre, gaufrer, dorer le cuir est ancien. D’après Viollet-le-Duc, on en trouve des exemples dès les premiers siècles du moyen âge. (Viollet-le-Duc, Dict., rais. du mob. fr, I.) Pour les trois cordonniers-orfèvres, v. la note à Manawyddan.
  253. Les expressions galloises de vénerie sont en général des traductions du français. À chaque pause que fait le porc Trwyth dans Kulhwch et Owen (voir les notes de ce conte), le texte dit rodes ar gyvarthva. Cette expression est inintelligible sans le secours des termes français de vénerie ; c’est la traduction galloise de l’expression rendre les abois, terme classique en usage quand le cerf ou le sanglier n’en peut plus et se repose (V. La Vénerie, par Jacques du Fouilloux, réimpression de 1844, Angers).
  254. Cf. tome II, la description de la fontaine enchantée dans Owen et Lunet.
  255. Dans les formes Lloegyr ou Lloeger, y et e sont de simples voyelles de résonance et n’ont rien d’étymologique.
  256. Au Tertre d’Arberth
  257. 'Canu, chanter : ce passage est intéressant, il semble indiquer que les Gallois allaient chanter en pays saxon, mais canu a ausi le sens de réciter : canu y pader, réciter le pater. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un clerc.
  258. Je traduis train : le gallois rwtter est clairement l’anglais rutter (routiers) ; sur ce mot, cf. John Rhys, Arthur. Legends, p. 289, note 1. C’est un dérivé du français route, qui peut avoir le sens de troupe en marche (Chrétien, Perceval, chez Potvin, t. II, p. 207 : une route de chevaliers parmi la lande voit trespasser). Il a ici le sens collectif.
  259. V. notes critiques.
  260. Ce personnage paraît avoir été assez célèbre. Dafydd ab Gwilym, voulant vanter un brave, le compare à Llwyd, fils de Celcoet. Il est question dans le roman de Kulhwch, (plus bas. p. 216), de Llwydeu, fils de Kitcoet. Le nom de Cilgoet est conservé dans le nom d’un ruisseau qui prend sa source près de Ludchurch (Eglwys Lwyd), en Pembrokeshire (Eg. Phillimore, Owen’s Pembrok., t. I, p. 906, note 2.)
  261. Voir plus haut, Mabin. de Pwyll.
  262. Le mot gallois alavoed, pluriel de alav n’a, dans les dictionaires, que le sens de richesses ; son sens propre est troupeaux. Alanot dans le L. Rouge a pour correspondant dans Pen. 4 Alavoed (v. t. II, p. 185 note à 205, l. 9), pl. de alav, bétail. Pour l’équivalence de richesses et troupeaux, voir plus loin, p. 260, note 1.
  263. Mynweir, collier pour les bêtes de somme ; Mynordd, d’après le Mabinogi, est composé de myn = mwn, « cou, » avec la dégradation vocalique habituelle, parce que l’accent est sur le second terme, et de ordd, actuellement donné à tort sous la forme gordd, marteau, dans les dictionnaires. Un autre personnage a porté le surnom de Mynweir, d’après ce passage de Taliessin : bum Mynawc Mynweir, « J’ai été Mynawc Mynweir » (Skene, Four ancient books, II, 156, v.22).
  264. ’Math. « Les trois premières magies, » disent les Triades, « sont : celle de Math, fils de Mathonwy, qu’il apprit à Gwydyon, fils de Don, celle d’Uthur Pendragon, qu’il apprit à Menw, fils de Teirgwaedd, celle de Rudlwm Gorr, qu’il apprit à Coll, fils de Collvrewi son neveu. » (Triades Mab., p 302, 1. 20 ; cf. Skene, Four anc. books, append. II, p. 460 : Rudlwm est remplacé par Gwidolwyn Gorr). Taliesin parle de la baguette enchantée de Mathonwy (Skene. Four anc. books, p. 947, 25), et fait aussi une allusion à la magie de Math (ibid., p. 200, v. 1). « J’ai été, » dit aussi un poète du Livre Rouge, « avec des hommes artificieux, avec le vieux Math et Govannon (Skene, Four ancient books, p. 303, v. 20 ; le texte donne gan Vathheu, il faut lire gan Vath hen). » Dafydd ab Gwilym nomme comme les trois maîtres en magie, Menw, Eiddilic Corr le Gaël, et Maeth (sic), sans qu’il soit possible de supposer une erreur de l’éditeur pour Math (p. 143). M. Rhys en fait une sorte de Plutus ou Pluton gallois (Lectures on welsh philology, 2e édit., p. 413, 414). Il est évident. que les. trois noms de Math, Mathonwy, Matholwch dérivent de la même racine. Zimmer a voulu tirer Mathonwy d’un nom irlandais au génitif Mathgamnai (auj. Mahony). C’est invraisemblable pour bien des raisons. (Zimmer, Götting. Gelehrte Anz., 1890, p. 512). Les dérivés en -onwy sont fréquents en gallois : Daronwy, Gronwy, Gwynonwy, Euronwy, etc.
  265. Gwynedd. Cette expression désigne tout le nord du pays de Galles compris entre la mer, depuis la Dee à Basingwerk jusqu’à Aber Dyfi, au nord et à l’ouest ; la Dyfi au sud-ouest ; au sud et à l’est, les limites sont moins naturelles ; Gwynedd est séparé de Powys en remontant jusqu’à la Dee tantôt par des montagnes, tantôt par des rivières. Gwynedd comprenait donc Anglesey, le Carnarvonshire, le Merlonethshire, une partie du Flintshire et du Denbighshire. Suivant M. Rhys, Gwynedd, à une certaine époque, aurait désigné spécialement la partie comprenant la vallée de la Clwyd et le district à l’est de cette vallée et au nord de la Mawddach. Gwynedd est identique à l’irlandais Fine, « tribu » (Zeuss, Grammatica celtica, 2e édit., VIII, note 1). Le nom des Veneti, aujourd’hui Gwenet en breton armoricain, appartient peut-être à la même racine, mais n’a pas le même suffixe (Sur les autres formes de ce nom, voy. Rhys, Lectures, p. 369-370).
  266. Voy. la note à Dyved, Pwyll, p. 81. Ce qui est digne de remarque, c’est que le mabinogi attribue sept cantrevs à Morgannwc qui n’en comptait, au XIIIe siècle, que quatre (Myv., arch., p. 737) cf. The Book of Llandav, éd., Rhys-Evans p. 247 249). C’est exactement l’étendue du royaume de Iestin ab Gwrgan, roi de Glamorgan de 1043 à 1091 (Iolo mss., p. 22). Le Liber Landavensis, d’après un document disparu mais d’accord en principe avec les Iolo mss., nous donne également sept cantrevs pour Morgannwc. Outre Gwent, les deux documents donnent à Morgannwc Ystrad Yw, dans le Brecknockshire, et Euyas dans le Herefordshire. Ces deux districts auraient été adjugés par le roi Edgar à Morgan Hen et à son fils, contre Howell Dda (Book of Llandav, p. 248 ; cf. Myv. arch., p. 739, col. 2). Morgan Hen (le vieux) mourut en 980. Le comté actuel de Glamorgan (pour Gwlad Morgan, le pays de Morgan), ne représente pas exactement l’ancien Morgannwg : sur ce comté cf. Egerton Phillimore, Owen’s Pembrok., p. 208, note 1.
  267. En gros, Ystrad Tywi (vallée de la Tywi), représente le comté actuel de Carmarthen. Il y a cependant deux modifications importantes : le Carmarthenshire ne comprend pas le Cymmwd de Gower qui est actuellement en Glamorganshire ; il comprend, en exceptant le petit district de Velfrey, tout le Cantref Gwarthaf, le plus considérable des sept Cantrefs de Dyfed (Egerton Phillimore, Owen’s Pembrok. I, p. 216, note 1).
  268. Parmi les fonctionnaires de la cour, figure, dans les Lois, le Troediawc ou porte-pied. Son office consiste à tenir le pied du roi dans son giron, depuis le moment où il s’esseoit à table jusqu’au moment où il va se coucher ; il doit gratter le roi, et défendre le roi tout ce temps contre tout accident. Il a sa terre libre, sa toile et son drap du roi, et un cheval aux frais du roi. Il mange au même plat que le roi, le dos tourné au feu. Son sarhaet « compensation pour outrage, » est de cent vingt vaches payées en argent. Sa valeur personnelle est de cent vingt-six vaches, avec augmentation possible. Il peut protéger un coupable en le faisant sortir depuis le moment où le roi met le pied dans son giron jusqu’au moment où il se retire dans sa chambre (Ancien Laws, 1, p. 622, 660, 678).
  269. Dol, pré ou vallon fertile, souvent sur les bords d’une rivière. Dol Pebin est entre Llanllyfni et Nantlle Lakes en Carnarvon (Egerton Phillimore, Owen’s Pembrokeshire, II, p. 351.
  270. Caer Dathl, ou, avec une voyelle irrationnelle ou euphonique, Caer Dathyl et Dathal ; est encore un nom de lieu du Carnarvonshire. Le caer ou fort se trouvait sur une éminence près de Llanrwst (Lady Guest, d’après le Cambro-Briton, II, p. 3). Il en est souvent question dans les Mab. et ailleurs (Myv. arch., p. 151 col. 1 ; Llewis Glyn Cothi, IV, 1, 7).
  271. Les enfants de Don sont Amaethon, Gilvaethwy, Govannon, Heveydd, Gwydyon et Aranrot. Ce mabinogi fait de Don leur mère. Suivant les Iolo mss., il y a eu un Don roi de Llychlyn (Scandinavie) et de Dulyn (Dublin) qui, vers 267 après J.-C., amena les Gaëls en Gwynedd. Ils y restèrent pendant cent vingt-neuf ans, jusqu’à l’époque où ils furent chassés par les fils de Cunedda venant du nord de l’Angleterre (p. 81). Il y a eu encore ici probablement confusion entre un personnage mythologique et un personnage réel. Chez les Irlandais, il y a aussi un Don, l’aîné des fils de Milet, personnage mythologique, et un Don Dess, roi de Leinster, dont les fils ravagèrent, avec un roi des Bretons, la plus grande partie des côtes de Bretagne (O’Curry, On the manners, II, 189 ; III, 136, 13-1).
  272. Eveidd, appelé Euuyd chez Taliesin (Skene, p. 200, v. 1).
  273. Gwydyon est le plus célèbre des fils de Don, et un personnage des plus fameux dans la légende galloise. Suivant les Iolo mss., il était roi de Mon et de Gwynedd. Ce serait lui qui, le premier, aurait appris la lecture et les sciences des livres aux Gaëls de Mon et d’Irlande. Il aurait appelé auprès de lui Maelgyn Hir, barde de Landaf, qui aurait remporté tous les prix et aurait péri victime de la jalousie des Gaëls (77, 78). Dans les Triades, c’est un des trois astrologues avec Idris Gam et Gwynn ab Nudd (Myv. arch., p. 409, col. 1) ; c’est un grand magicien ; il apprend la magie de Math (voy. la note à Math) ; c’est par sa magie qu’il gouverne Gwynedd, aidé en cela des conseils de Mor ap Morien (Iolo mss., p. 263, 20). C’est un des trois grands bergers de l’île ; il garde son troupeau de deux mille vaches à lait en Gwynedd, au-dessus de Conwy ; les deux autres sont Benren, qui garde les troupeaux de Caradawc ab Bran et Llawfrodedd Varvawc, qui garde les troupeaux de Nudd Hael. Le Livre Noir mentionne Caer Lew et Gwydyon (Skene, Four ancient books, II, p. 57, 3). Taliesin le mentionne souvent (Skene, Four ancient books, II, p. 138, 29 ; 154, 25 : « J’ai été au combat de Goddeu avec Llew et Gwydyon »). Un de ses poèmes est, à ce sujet, particulièrement intéressant : « L’homme le plus habile dont j’aie entendu parler est Gwydyon ap Don, aux forces terribles – je lis dygynnertheu au lieu de dygynuertheu ; on pourrait aussi supposer dygynwyrtheu, « aux prodiges terribles », – qui a tiré par magie une femme des fleurs, qui emmena les porcs du Sud ; car c’est lui qui avait la plus grande science (Kan bu idaw disgoreu, « leg. Kan bu idaw disc goren)… qui forma du sol ( ? ) de la cour des coursiers et des selles remarquables » (Skene, p. 158, vers 13-21). Plus loin, le poète nous dit qu’il a vu, le dimanche, une lutte terrible dans laquelle était engagé Cwydyon à Nant Ffrangcon (près de Carnarvon) ; le jeudi ils vont à Mon (ibid., v. 27). Le Livre Rouge vante aussi l’habileté de Lleu et Gwydyon (Skene, II, p. 302, v. 8). Llewis Glyn Cothi fait allusion à Caer Gwydyon qui, d’après les éditeurs, serait la voie lactée (p. 254, vers. 1). Gilvaethwy n’est guère connu.
  274. V. le mabinogi de Lludd et Llevelys : les Corranicit, race étrangère, avaient ce privilège.
  275. Une des trois grandes divisions du pays de Galles. Powys, à l’époque de sa plus grande étendue, était borné à l’ouest et au nord-ouest, par Gwynedd ; au sud, par le Cardiganshire et la Wye, et à l’est, par les marches d’Angleterre, depuis Chester jusqu’à la Wye, un peu au-dessus d’Hereford. La capitale avait d’abord été Pengwern, aujourd’hui Shrewsbury, appelée par les Gallois maintenant Amwythic. Les empiètements des Saxons firent transporter la capitale de Pengwern plus à l’intérieur, à Mathraval. Suivant Powel, ce transfert aurait eu lieu en 796, après l’achèvement du fossé d’Offa : mais les Iolo mss., p. 30, donnent encore Pengwern comme capitale du temps de Rhodri le Grand qui mourut en 877.
  276. Le Sud (Deheubarth), formant le royaume de Dinevwr, comprenait tout le reste du Pays de Galles, c’est-à-dire tout l’ancien pays des Demetae et des Silures représentés par les deux évêchés de Saint-David et de Llandaf.
  277. Hob. Ce mot n’est plus usité. Il a été conservé dans une chanson très populaire dont la ritournelle est hob y deri dando.
  278. Le texte de ce passage n’est pas certain. Il semble qu’on soit ici en présence d’une glose du copiste du xive siècle, à en juger par le dictionnaire de Davies au mot hob ; après avoir renvoyé à ce passage de notre mabinogi, Davies ajoute : « hinc usitatum hannerhob. » Hannerhwch = hanner « moitié ; » hwch « truie ». Hannerhob aujourd’hui encore, a le sens de tranche de lard.
  279. Keredigyawn ou pays de Ceretic (V. trad. II, p.323, XXXIII), correspondait à peu près exactement au comté actuel de Cardigan.
  280. Rhuddlan Teivi, Rhuddlan, sur les bords de la Teivi, pour le distinguer d’autres Rhuddlan (plus anciennement Ruddglan, « la rive rouge »). C’est peut-être Glan Teivy, d’après lady Guest, à un mille et demi de Cardigan Bridge. Il y a des villages de Rulann en Bretagne armoricaine aussi.
  281. Penkerdd, « chef du chant ou des musiciens. » Le pencerdd est, à l’époque où les lois de Gwynedd et de Dyved ont été écrites, le même personnage que le barde à chaire ; cela est dit expressément dans les lois de Dyved (Ancient laws, I, p. 382, 9). Le huitième personnage de la cour est le barde de la famille. Il a sa terre libre, son cheval aux frais du roi, son habit de toile de la reine et son habit de laine du roi. Il s’assied auprès du Penteulu, ou chef de la maison royale, aux trois principales fêtes de l’année et celui-ci lui met la harpe en main. Quand on désire de la musique, c’est au barde à chaire ou au chef des bardes, comme dans notre mabinogi, à commencer. Il a droit à une vache et à un bœuf sur le butin fait par le clan dans une contrée voisine, après que le tiers a été donné au roi ; pendant le partage des dépouilles, il chante Unbeynyaeth Prydyn, « monarchie de Bretagne. » Sa valeur est de 123 vaches (Ancient laws, I, p. 33-34).
  282. Voir plus haut la note à Gwydyon.
  283. Moch, « porcs ; » trev, « habitation, ville. » Ce nom se retrouve très vraisemblablement en Armorique dans Motreff, près Carhaix, Finistère.
  284. Elenit. Lady Guest suppose que c’est une erreur pour Melenidd, montagne entre Llan Ddewi et Enni dans le Radnorshire. On pourrait supposer aussi Mevenydd, dans le comté de Cardigan.
  285. Keri était un cymmwd du cantrev de Melienydd, relevant de Mathraval, et faisant partie de Powys. Arwystli était un cantrev de Meirionydd. Ceri et Arwystli sont actuellement dans le comté de Montgomery.
  286. Mochnant, « le ravin ou le ruisseau aux porcs » (Cf. amoricain ant, la fosse entre deux sillons : an ant pour an nant. Cf. an env pour an nenv). Il y avait deux cymmwd de Mochnant en Powys ; Mochnant uch Raiadyr, dans le cantrev de Y Vyrnwy et Mochant Is Raiadyr dans le cantrev de Raiadyr (V. Powel, History of Wales ; Myv. arch., p. 736). On trouve dans cette région aussi un Castell y Moch.
  287. Ros. Ce cantrev était en Gwynedd, dans la région appelée y Berveddwlad, « le milieu du pays. » Il fait partie actuellement du Denbighshire. Le Mochdrev de Ros est actuellement un village entre Conway et Abergele.
  288. Arllechwedd était un cymmwd d’Arvon, divisé en deux parties : uchav et isav, le plus haut et le plus bas. On les appelle maintenant simplement Uchav et Isav, dit lady Guest. Ils faisaient partie du cantrev d’Aber.
  289. Creuwyryon. L’auteur voit dans ce mot une forme ou un dérivé de creu craw, « toit à porcs ; » armor., craou, « étable, écurie. »
  290. Pennardd, à l’ouest de la rivière Seint, en face Caernarvon. Cet endroit a eu une certaine célébrité (V. Ancient laws, I, p. 103). D’après les lois, Pennardd était la principale cynghellawrdref ou villa de chancelier de tout le pays de Galles (Ancient laws, II, p. 584). Il y a une commune de Pennars près Quimper.
  291. Maenawr ou maynawl, subdivision du cymmwd. D’après les Lois, il y aurait eu d’abord deux maenawr et deux trevs dans chaque cymmwd (Ancient laws, I, 90, 7-13)
  292. Coet Alun ou le bois d’Alun, transformé aujourd’hui, par de malencontreux archéologues, en Coet Helen ou le bois d’Hélène, l’impératrice, près de la ville de Caernarvon, de l’autre côté de la rivière.
  293. Nantcall est actuellement, d’après lady Guest, un ruisseau qui traverse la route de Dolpenmaen et de Caernavon, à neuf milles de cette dernière ville.
  294. Dol Penmaen (penmaen, tête de pierre), dans l’ancien cantrev de Dunodig, aujourd’hui dans le district d’Eivionydd.
  295. Il y a plusieurs Gwrgi ; le plus célèbre est le frère de Peredur et le fils d’Eliffer Gosgorddvawr (Myv. arch., p. 392, col. 1 ; v. la note à Peredur, dans le Mab. de ce nom). I1 y a un Gwrg Garwlwyd qui ne mangeait que de la chair humaine ; il était allié d’Edelfled, roi des Saxons ; il fut tué par Diffedell, fils de Dysgyvedawg (Myv. arch., p. 405, 45, 46).
  296. Traeth mawr ou le grand Traeth. Traeth indique proprement une étendue sablonneuse de rivage couverte par les flots à la haute mer seulement (arm. treaz, sable, rivage sablonneux). Le Traethmawr est une sorte d’estuaire sur les confins d’Arvon et de Merioneth. Le Traeth bach ou petit Traeth est un peu plus bas en Merioneth.
  297. Melenryt. Sa situation m’est inconnue ; ryt signifie gué.
  298. Lady Guest a lu Maen Tyryawc, qu’elle identifie avec le Maentwrog actuel, Merionethshire, ce qui est impossible.
  299. Sur le changement de sexe dans les contes celtiques, v. H. Gaidoz (Revue de l’hist. des religions, LVII, p. 317-332).
  300. Hyddwn ; l’auteur le fait dériver de hydd, « cerf, » armoric., heiz.
  301. Hychtwn. Hych en composition, non accentué = hwch, « porc, truie, » arm. houch.
  302. Bleiddwn, dérivé de bleidd, arm. bleiz, « loup. » Le passage en italiques est en vers du genre englyn dans le texte.
  303. Aranrot ou Arianrhod : « Les trois aimables ou heureuses dames de l’île sont Creirwy, fille de Ceritwen ; Arianrhod, fille de Don, et Gwenn, fille de Cywryd ap Crydon » (Myv. arch., 392, 73 ; cf. ibid., 410, col. 21. Taliesin célèbre aussi l’illustration d’Aranrot (Skene, II, p. 159, v. 2. Sur ce nom, v. Rhys, Lectures, p. 374, 426). Il y a aussi une Aryanrot, fille de Beli (Triades Mab., p. 298). Arianrod est le nom de la constellation Corona Borealis, de même que Cassiopée porte le nom de Llys Don, la cour de Don, suivant lady Guest, on ne voit pas sur quelle autorité (cf. Silvan Evans, Welsh Dict.
  304. Dylan, « fils de la vague » : « c’est le bruit des vagues contre le rivage voulant venger Dylan, » dit Taliesin (Skene, 146 – 8). Un autre passage du même poète a trait à cet épisode de notre mabinogi : " Je suis né avec Dylan Eil Mor (fils de la mer), au milieu d’une assemblée ? entre les genoux des princes (Skene, II, 142, v. 30).
  305. Govannon, un des enfants de Don, a donné son nom à Kaer Govannon. Taliesin dit qu’il est resté un an à Kaer Ovannon (Skene II, p. 103, 3). Son nom est associé à celui de Math, fils de Mathonwy, dans un poème de Llywarch Hen (Skene, II, p. 303). Il est question de lui dans le Mab. de Kulhwch et Olwen.
  306. Lleu Llaw Gyffes. Il n’y a pas à hésiter à rétablir Lleu au lieu de Llew. Dans l’englyn de la p. 130 (v. notes critiques à la page 78 I.30 du Livre Rouge), la rime suffirait à le démontrer. On en trouvera d’autres preuves aux notes critiques de la page 71, I. 5. Le scribe du Livre Rouge copiait un manuscrit où eu représentait ew, eu et ev. De même le scribe de Peniarth 4. Ce dernier a été moins logique ; il donne Lleu dans le titre et même dans l’exclamation d’Arianrod : Lleu. Ailleurs il a Llew, mais le caractère qu’il emploie a eu, à une certaine époque, par exemple dans les Privilèges de Llandav, la double valeur u et w. Le sens s’oppose aussi à l’interprétation llew, lion. Il faudrait au moins un qualificatif. Quel est ici le sens de lleu ? Le seul sens connu est brillant, lumière (en composition dans go-leu). Il ne peut être juste ici. On pourrait peut-être songer à l’irlandais moyen lû, petit (Arch. für celt. Lexic., p. 791 : lû : gach mbecc (tout ce qui est petit) ; id. p. 771. Pour l’identité de û final irlandais et eu gallois, cf. cnû, noix, gall. cneu ; crû, sang, gall. creu. C’est un des trois eurgrydd ou cordonniers orfèvres (v. plus haut la note à Gwydyon). C’est aussi un des trois ruddvoawc ou ruddvaawc, ainsi nommés parce que là où ils passaient, pendant une année entière, il ne poussait ni herbe ni plante ; les deux autres étaient Run, fils de Beli, et Morgan Mwynvawr (sur Run Ruddvoawg, cf. Myv. arch., p. 221, col. 1, XIII) ; Arthur l’était encore plus qu’eux : rien ne poussait après lui pendant sept ans (Triades Mab., 303, 5 ; cf. Skene, II, app., p. 458 : ici Llew est supprimé et remplacé par Arthur). Le Livre Noir mentionne sa tombe : « La tombe de Llew Llawgyffes est sous un havre (ou lieu protégé près de la mer), là où a été son intime… (y gywnes." pour cyvnes cf. irl. comnessam) : c’était un homme qui ne donna jamais justice à personne (Skene, II, p. 31, 23).
  307. V. p. 151, note 1.
  308. Dinas Dinllev ou la forteresse ou ville forte de Dinllev, citadelle de Lleu, aujourd’hui Dinas Dinlle, à trois milles environ au sud-ouest de la ville de Caernarvon, sur la côte, dans la paroisse de Llandwrog. Il y a encore des restes très visibles de la forteresse. Dinas est dérivé de din, « citadelle, » irlandais dun, vieux celtique dùnos (cf. les noms gaulois en dunum. Dinastet, dans le dict. vannetais de Cillart de Kerampoul, traduit palais et suppose un singulier dinas ? ; cf. Dinan).
  309. Brynn Aryen ou la colline d’Aryen.
  310. Kevyn Clutno, le promontoire, ou la colline arrondie de Clutno. Cevyn signifie proprement dos (arm. kein)
  311. Pucelle. J’emploie ce mot dans ma traduction avec les sens qu’il avait au moyen âge, de femme non mariée et de suivante.
  312. Blodeuwedd, v. la note à la page 208
  313. Cette phrase parait une glose. introduite dans le texte. Au XIIIe siècle encore, parmi les cantrevs de l’Arvon, on donne le cantrev de Dunodig (pour Dunoding) avec les deux kymmwd d’Eivionydd et d’Ardudwy. Après la conquête définitive du pays de Galles et sa réorganisation par le roi Edouard Ier, il n’est plus question du cantrev de Dunodig ; Evionydd reste au contraire un des cymmwd dépendant du vicomte de Caernarvon, le cymmwd d’Ardudwy est sous la main du vicomte de Meirionydd (V. Statuts de Rothelan, :Ancient laws, II, p. 708 ; les statuts de Rothelan, ou mieux Rhuddlan, ont été promulgués en 1284). J’écris Eivynydd, le w ayant parfois encore la valeur d’un v ; cf. Cynwael = Cynvael. Le ms. a Eiwynyd. L’original portait probablement Eivyonyd ou Eivonyd.
  314. Mur y Castell, « le mur ou rempart du château, » appelé aussi Tomen y Mur, sur les confins d’Ardudwy, est, d’après lady Guest, à deux milles au sud de la Cynvael ou rivière de Festiniog, et à trois milles de Llyn y Morwynion, ou lac des jeunes filles, où les pucelles de Blodeuwedd se noyèrent.
  315. Gronw le Fort, v. p. 208, note 2.
  316. Penllynn était un cantrev de Meirionydd (Myv. arch., p. 735), qui devint, par le statut de Rothelan, un cymmwd sous l’autorité du vicomte de Meirionydd (Ancient laws, II, p. 908).
  317. Brynn Kyvergyr ou la colline de la rencontre, du combat.
  318. Ardudwy touche Penllyn à l’Ouest.
  319. V. notes critiques.
  320. Sur le châtiment ou la réparation en cas d’adultère, cf. J. Loth, Le roman de Tristan et Iseut est-il d’origine celtique ? (Rev. Celt. XXX, p. 280).
  321. Cette tradition fait le sujet d’un poème de Dafydd ab Gwilym, connu sous le titre de Achau y Dylluan, ou la généalogie du hibou. Le poète lui demande son nom ; l’oiseau lui répond qu’on 1’a appelée Blodeuwedd, et qu’elle était fille d’un seigneur de Mon. « Qui t’a métamorphosée ? » reprend le poète. « C’est Gwydyon, fils de Don, des abords de Conwy, qui, avec sa baguette magique, – il n’y en a plus eu de son espèce, – m’a fait passer de ma beauté dans le triste état où tu me vois, m’accusant d’avoir aimé, soleil éclatant d’une race brillante, Goronwy, le jeune homme vigoureux (Le texe gallois dit Goronowy fab Pefr Goronhir : Goronowy le fils vigoureux de Goronhir, ;il y a une syllabe de trop, il est vrai qu’on peut lire Gronwy ou Gronow), le seigneur de Penllynn, le beau, le grand. » (2ème éd., p. 158.)
  322. Les trois principales familles ou tribus déloyales de l’île de Bretagne sont : la famille de Gronw Pevyr de Penllynn, dont les hommes refusèrent à leur seigneur de le remplacer en face de la lance empoisonnée de Lleu Llawgyffes ; la tribu de Gwrgi et de Peredur, qui abandonna ses seigneurs à Kaer Greu, lorsqu’ils avaient rendez-vous de combat le lendemain avec Edin Glingawr (ou au genou de géant) : ils furent tués tous deux ; la troisième, la tribu d’Alan Fergan, qui abandonna en secret son seigneur sur la route de Camlan ; le nombre des combattants de chaque famille était de cent vingt hommes (Triades Mab., p. 305, I. 13). Les Triades de Skene (I1, p. 361) mentionnent que Lleu se trouvait à Lechorenwy, ou la pierre de Goronwy, à Blaenn Kynvael, ou au sommet, vers la source de la Cynvael. On y lit aussi Alan Fyrgan ; les Triades de Rhys-Evans ont Ar lan Fergan. faute évidente du scribe pour Alan Fergan. Dans le mabinogi de Kulhwch, il est fait mention d’un Isperyn, fils de Fergan, roi du Llydaw ou Bretagne armoricaine. Alain Fergant ou Fergent est Alain VI, qui régna en Bretagne de 1101 à 1119. Parmi les Alan de Bretagne, les plus célèbres sont Alain le Grand (877-907) et Alain Barbe-Torte, qui revint de Grande-Bretagne pour écraser définitivement les Normands (937-952). Sur le dévouement au chef de clan, v. J. Loth, Le drame moral de Tristan et Iseut. (Revue celt., XXX, p. 280 et suiv.)
  323. Llech Gronw ou « la pierre plate de Gronw. »