Les Fontaines

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Les Fontaines

Véro, d‘après E. Hoffmann-Krayer, H. Bächtold-Stäubli, 1932


Le mot fontaine ici n’est pas à prendre dans son sens strict (fontaine communale par exemple) mais plutôt au sens large : eau qui jaillit. J’ai travaillé sur un texte allemand qui fait référence à un passé souvent lointain. Or, là bas, jusqu’au 15ème siècle les mots „source“ et „fontaine“ ne faisaient qu’un. Tout ce qui suit concernera donc l’eau qui jaillit, que ce soit naturellement ou avec l’aide de la main de l’homme.

Depuis la nuit des temps l’eau est considérée comme merveilleuse et guérisseuse, nous l’avons déjà dit. Elle est particulièrement puissante à certaines périodes de l’année : nouvel an, solstices, 1er mai, carnaval, Pâques, Pentecôte, le jour de la St Pierre et Paul, de la Ste Marie Madeleine etc…Elle est la plus puissante à l’endroit où elle jaillit du giron de la terre mère. Certaines sources sont réputées soigner des maux bien précis. Dans une ville appelée Mecklenburg l’eau de la source faisait tellement de tort au commerce des médecins qu’ils ont convaincu un berger d’y jeter son chien afin qu’elle soit dorénavant impropre à la consommation. Et puis il y a les sources qui „apportent“ les bébés.

Les fontaines ne délivrent évidemment pas qu’une eau bêtement basique. Dans une certaine région les jeunes filles y cherchent ce qu’elles appellent l’eau d’or. C’est à dire qu’elle y vont au petit matin pour s’y laver et cela les rendra belles. Mais les filles étant ce qu’elles sont, la première arrivée a tendance à „polluer“ l’eau avec du son, afin que nulle autre n’en profite !

On parle aussi de certaines fontaines qui donneraient non pas de l’eau, mais du vin, ou du lait.

Ce qu’il y a de magique avec les sources, ou les fontaines, c’est qu’elles nous renvoient une image, un reflet, et parfois, dans la nuit celle ci n’est pas ce qu’on s’attend à voir. Ce sont aussi des entrées (ou des sorties) vers le royaume d’en dessous, elles peuvent s’assécher, ou déborder, elles peuvent changer leur cours. Autant de raisons pour voir en elles un moyen de divination.

A tel point qu’en 731 le pape Grégoire III interdit officiellement le fontium auguria.


Divination

Le seul fait de boire peut vous permettre de voir l’avenir : si durant le temps que sonnent les cloches de la première messe de Noël vous pouvez boire à 3 fontaines, et à votre retour à l’église (toujours pendant que les cloches sonnent) vous jetez un regard par dessus votre épaule gauche, vous verrez l’avenir.

Les célibataires boivent à la fontaine et attendent à la porte de l’église, le premier ou la première à sortir, sera leur promis(e). Ca m’amuse, car chez moi quand j’étais petite, c’était toujours le pasteur qui sortait en premier….Parfois c’est plus compliqué : il faut boire 3 gorgées à 7, 9 ou 11 fontaines, entre 23 et 24h.

On peut prendre un glaçon comme il y en a autour des fontaines l’hiver, le mettre dans une coupe au grenier. Et au matin il aura pris la forme du visage du promis.

Ailleurs la jeune fille pourra voir son promis si elle se mire dans l’eau à une certaine heure, revêtue d’un voile de mariée, et éclairée par une bougie qui aura servi à un mariage.

Si on boit à 11 fontaines, en y allant toujours à reculons, à la 11ème on verra le visage du promis (ça les travaillait vraiment cette affaire)

Si une jeune fille se lave dans 3 sources qui coulent vers l‘est, la nuit entre 11 h et minuit, et qu’elle va à l’église ensuite, un jeune homme l’y attendra avec une serviette. Ce sera son aimé.

Mais les sources n’annoncent pas que les bonnes choses.

Si certaines s’assèchent (on les appelle les sources de la famine) la récolte sera mauvaise

L’inverse est plus rare.

Si une source change son cours il y aura bientôt la guerre

Si un malade de passage demande de l’eau de la fontaine il y aura bientôt un mort dans le village.


Précautions d'usage

Evidemment ces croyances au sujet de l’aspect néfaste des eaux sont liées aux risques bien réels : boire trop froid quand on est en nage peut être préjudiciable, de l’eau croupie ou polluée peut rendre malade, on peut se noyer dans une fontaine.

Ainsi donc déconseillait on de boire dans la fontaine d’un autre village. Tout pouvait arriver sinon.

On ne lavait pas le puits le dimanche sinon le bétail tombait malade, les femmes n’allaient pas à la fontaine au Carnaval sinon les poules ne pondaient plus, on ne cherchait pas d’eau au puits à Noël ou Nouvel an sous peine d’attirer le malheur sur la famille, il y a même une source à Böhmen dont il ne faut même pas toucher la surface sous peine de mourir, et si du brouillard se lève de cette nappe précise il y aura de la grêle et du mauvais temps. Il ne faut pas construire sa maison au dessus d’une source, sinon quelqu’un mourra bientôt.

Mais pourquoi tant de haine me direz vous ?

Parce que de tous temps les eaux ont été habitées par des esprits, bons ou mauvais. Ils sont nombreux, et comme „en dessous“ tous les cours d’eau, étangs, mers, sont reliés, les démons peuvent aisément aller d’ici à là bas. Parfois ils sortent par là, parfois c’est l’entrée pour leur royaume (pensez à Frau Holle : on entre dans son royaume en passant par un puits, et c’est par là qu’elle livre les bébés)

Ces fameux démons se laissent voir parfois, mais ils prennent le visage qu’on espère quand on fait de la divination. Parfois ils cachent et gardent des trésors. Cette croyance vient sans doute du fait que durant les guerres on immergeait l’or, les bijoux, parfois même les cloches des églises, et que parfois quelque chose remontait à la surface.

Les esprits aquatiques sont le plus souvent féminins. Les sirènes, si on les voit, annoncent de bonnes fenaisons. Et puis il y a les lavandières invisibles. On ne les voit pas, mais les clapotis de l’eau sont le signe de leur activité, s’il y a du brouillard c’est qu’elles ont mis leur lessive à sécher sur les buissons.

D’autres esprits sont représentés par des animaux : crapaud, crabe, truite etc… qui gardent l’eau propre. Si par contre il y a des émanations dangereuses (toxiques) c’est l’œuvre d’un ver venimeux qui s’appelle Lindwurm. Parfois ces esprits féminins vous apportent la fièvre. Il n’y a alors qu’un moyen de guérir : à une certaine heure de la nuit il faut ôter sa chemise et la jeter par dessus le toit de sa maison. Si on y arrive du premier coup la fièvre partira aussitôt, sinon il faudra un peu plus longtemps. Mais dans ce cas il faudra éviter de se laisser voir au dehors durant la nuit jusqu’à guérison complète, sinon les esprits seraient susceptibles de se venger. Dans certaines régions il faut éviter de regarder dans les puits, car les esprits pourraient vous attirer tout au fond de ceux ci.

L’eau étant précieuse, un tel don doit être entretenu. Le nettoyage des sources se fait selon les cas à la Pentecôte ou à la Saint Jean.

Il arrive que ce soient les garçons du village qui le fassent, ils nettoient, puis répandent du sel et les jeunes filles doivent leur sécher les pieds.

Parfois aux solstices on couvre les sources afin de les protéger du dragon, on le fait aussi aux éclipses car ces jours là du poison tombe du ciel.

La nuit de Noël ou du nouvel An, dans certaines régions, on tire un coup de fusil dans l’eau pour éloigner les démons, ou on y jette des bradons pour la protéger contre les sorcières, parfois c’est une jeune fille nue qu’on descend dans le puits pour qu’elle y jette du fer et des pierres à feu, cela protégera la maison de la foudre.

Si une femme puise de l’eau pendant quelle a ses règles elle asséchera la source à coup sûr. Il en va de même si elle est enceinte. Et durant les 6 semaines qui suivent la naissance. Et avant de pouvoir puiser de l’eau à nouveau après cette période, elle devra jeter une pièce de monnaie dans l’eau, ou un croûton de pain, ou un peu de sel. Cela dépend des régions.

Dut elle ne pas respecter ces façons de faire qu’elle s’exposerait à rendre l’eau impropre à la consommation, elle même tomberait malade, son enfant souffrirait d’énurésie.

Les enfants ne doivent pas jeter de cailloux dans les fontaines (ils les jetteraient dans l’œil de Dieu)


Légendes

L’Eglise, avec un grand E, n’avait que deux solutions face à ces croyances : combattre ou remplacer par des saints fabrication maison. La seconde solution étant la plus simple c’est celle qu’elle adopta, avec plus ou moins de succès. Elle décida aussi que les sources ne menaient plus au monde d’en bas, mais à l’Enfer (avec un grand E), et forcément les esprits qui remontaient n’étaient plus que des créatures démoniaques.

Exit les sirènes et autres lavandières fantômes.

Parfois ces puits sont si profonds qu’on pourrait „y mettre une église entière, avec son clocher“ , qu’on y a versé „des centaines de charrettes de pierres“ sans pouvoir en discerner le fond, que lorsqu’on les a creusé on „est allé si loin qu’on a entendu des cris d’animaux (venant de l’autre côté de la terre)“ Comment ne pas voir là des entrées de l’enfer alors ?

Il arrivait même que sortent de certaines sources souterraines des êtres vêtus de vert, montés sur des chevaux.

Encore aujourd’hui on croit que sous la Cathédrale de Strasbourg se trouve une voûte cachée qui donne accès à un lac immense et mystérieux. A partir de cet endroit on peut aller à travers divers couloirs et canaux jusqu’à un puits construit en 1576. Le Fischbrunnen (le puits du poisson).

La nuit quand tout est silencieux, de nombreuses personnes ont déjà entendu le clapotis de l’eau, et le bruit des rames, maniées par les fous. Tous ceux qui l’ont entendu sont emplis de crainte.

En face de la Cathédrale, sous la maison à côté de ce qui fut la pharmacie du cerf, (et qui est devenu la „maison de la culture“) se trouve également une entrée secrète pour cet endroit. C’est un grand trou fermé par une très lourde porte de bois.

Beaucoup ont essayé de passer par là et d’arriver au bord du lac, mais personne n’y est arrivé. Aussitôt qu’ils ouvraient la porte des courants d’airs très violents et glacés soufflaient, éteignant aussitôt les torches des courageux. De même il fut sans effet de sonder le gouffre avec de longues perches pour trouver où sont les limites de la caverne

Quand à côté, l’Ill subit une montée des eaux, il en va de même dans le lac souterrain. Ainsi à chaque fois des serpents, des crapauds, des salamandres et d’autres monstres étranges aux yeux rouges, sortaient de leur repaire souterrain et semaient la panique alentour. Aussi fut il décidé finalement de murer définitivement cette porte d’accès.

Nul homme ne pourrait supporter ce qu’il verrait s’il descendait effectivement au lac.

Et encore aujourd’hui si on passe vers minuit place de la Cathédrale on peut entendre le bruit des flots, le bruit des barques et les cris et gémissement des êtres qui vivent là dessous.

Alors on n’a qu’une hâte : quitter prestement ces lieux et rentrer chez soi bien au chaud et à l’abri.

L’origine de toutes ces sources a trouvé dans les légendes des explications assez poétiques : selon le cas c’est la foudre, une épée, une lance, une prière, un coup de sabot de cheval, le feu d’un dragon, la larme d’une colombe, qui ouvre le rocher et libère l’eau


Offrandes et Rites Magiques

Etant donné leurs pouvoirs, les esprits des fontaines doivent recevoir des offrandes afin qu’ils nous voient d’un bon œil. Ce pouvaient être des sacrifices humains comme à Friedberg (pour info Friedberg signifie la montagne de la paix !), ou un animal. A Böhmen l’Eglise a officiellement interdit les sacrifices qui avaient lieu à chaque printemps.

Mais comme il faut tout de même faire en sorte que les sources ne tarissent pas, on y jette alors des pièces de monnaies les jours saints, et au solstice d’hiver, la parturiente le fait sur le chemin de l’église, et (nous l’avons vu plus haut) la première fois qu’elle retourne au puits. Sinon on offre des victuailles.

On peut par exemple certains jours précis mettre du pain dans le tuyau de la fontaine, ainsi coulera-t-elle toute l’année. Si on creuse un nouveau puits on y jette du sel. Sinon de toute manière, à Pâques et Noël on y dépose du sel, du pain, du miel, du fromage, le tout dans une assiette. Lors des mariage on peut y jeter de l’argent et des rubans, ou du millet. On peut y jeter un sucre pour demander un bébé (chez nous, en Alsace, on mettait un sucre sur le rebord de la fenêtre pour la cigogne car c’est elle qui apporte les bébés)

Il y a quantité d’offrandes très diverses qui ont pour but de soigner autant de maladies. Clous, viande séchée, un morceau de tissu, etc…. Si une jeune mère n’a pas de montée de lait une vieille femme ira tremper dans trois fontaines, sans parler (pour ne pas réveiller les nymphes) une galette de blé. La jeune mère mangera cette galette afin que son lait « coule comme l’eau de la fontaine ».

Vous aurez sans doute noté au fil des textes sur ces croyances populaires que le chiffre trois (ou ses multiples) revient souvent.

Le berger qui monte son troupeau à l’alpage pour la première fois s’arrêtera à la fontaine pour prier afin que ses bêtes reviennent.

A certaines dates on fait trois fois le tour de la fontaine, d’ouest en est, ceci est une magie de fertilité.

D’autres rites, comme le fait de laisser des jeunes hommes sauter (trois fois) dans la fontaine au mercredi des cendres (voir le texte à ce sujet) sont de la magie de pluie. Dans le même esprit, jusqu’à la fin du 19ème siècle, le fou du jour, s’immergeait dans la fontaine. Cela fut remplacé par une poupée de paille que l’on noyait ou brûlait. Ou bien on sautait par dessus la fontaine à cheval.

Certains jours les nouveaux mariés de l’année se lavaient dans la fontaine, ou bien ceux qui avaient fini leur apprentissage se lavaient dans la fontaine, pour laisser derrière eux tout ce qui avait trait à leur vie d’avant. Une autre magie de fertilité consiste à décorer les fontaines, en mai ou à Pâques, à la Pentecôte, avec des fleurs. On y fait alors boire le bétail. On peut aussi planter l’arbre de mai à côté de la fontaine, pour s’assurer qu’elle coulera toute l’année.

Dans bien des endroits on continue des coutumes, sans même se souvenir à quoi elles riment. On lave les puits, on se jette dans l’eau des fontaines, on les décore. Et ensuite on fait la fête.