Les Anciens Dieux (Texte de Doreen Valiente)

De Wiccapedia

Les Anciens Dieux

Doreen Valiente

Traduit et adapté de l'anglais par Iridesce


Les Dieux des sorcières sont les plus vieux de tous. Ils sont les mêmes que ces divinités qui étaient réelles pour les hommes de l’Age de Pierre, qui les représentaient en les peignant sur les murs de leurs cavernes sacrées.

Les hommes d’église et d’autres écrivains qui ont dénigré la sorcellerie et les pratiques païennes des sorcières, ont décrit dans leurs livres deux déités que, selon eux, les sorcières vénéraient en lieu et place du Dieu chrétien. Il s’agit d’un être cornu, mi homme mi bête, qui prenait place sur le trône lors des Sabbats, dans la lumière diffuse des flammes du feu rituel, pendant que les sorcières dansaient autour de lui ; et à son côté, d’une belle fille nue, que l’on traitait comme la Reine du Sabbat, probablement parce qu’elle représentait et incarnait Diane, la Déesse de la Lune, ou sa fille Aradia. Ces deux personnages centraux de la vénération, qui étaient de simples êtres humains, pourtant un masque dans le cas du Dieu cornu, menaient parfois des danses orgiaques et sauvages à certains moments traditionnels de l’année, des festivals saisonniers dont personne ne pouvait se rappeler l’origine. C’étaient les traits centraux du culte des sorcières, attestés par d’innombrables témoins hostiles.

Ces deux divinités, le Dieu cornu et la Déesse nue, se retrouvent dans les peintures et gravures rupestres de nos ancêtres préhistoriques en Europe de l’Ouest. On peut aussi retrouver le Dieu cornu dans l’art religieux des cités pré-aryennes de la vallée de l’Indus, de Mohenjo-Daro et de Harappa. La ressemblance est très précise, jusqu’à la représentation d’une torche fixée entre les deux cornes, si souvent décrite par les auteurs de l’ancien temps qui dissertaient sur les abominations de la sorcellerie. On pense que la civilisation de ces anciennes cités d’Inde remonterait au 3ème millénaire avant J.C.


L’image d’une tête cornue portant une torche entre les cornes a survécu dans le culte tantrique secret de l’Inde moderne. Dans le Mahanirvana Tantra, qui décrit la vénération de la Déesse suprême, Adya Kali, par le biais du rituel Panchatattva, où l’on lui dédie du vin, de la farine, du poisson, du grain et une relation sexuelle dans un cercle consacré, nous apprenons comment il convient de lui sacrifier un animal cornu mâle. L’animal doit être décapité d’un seul et bref coup de couteau sacrificiel ; ensuite, la tête tranchée est offerte avec une lumière placée entre les cornes, et ces mots : « Cette tête, avec la lumière dessus, je l’offre à Devi avec obéissance. »

Avant d’accuser les tantriques de cruauté envers les animaux, nous devons prendre en compte le fait qu’ils croient que l’animal sacrifié sera libéré par cet acte des liens de sa vie en tant que bête, et pourra progresser à un stade plus élevé d’existence. Une prière spéciale est récitée sur l’animal à cet effet avant de procéder à sa mise à mort. Il ne semble pas trop fantaisiste de supposer que l’animal sacrifié représente le Dieu cornu préhistorique de l’Inde pré-aryenne. Beaucoup de commentateurs des écritures appelées Tantras ont suggéré qu’elles incorporent des concepts religieux extrêmement anciens, bien que le matériau que nous possédions actuellement ait été remodelé par des Brahmanes et des Bouddhistes en accord avec leurs idées plus tardives.

Toujours plus à l’Ouest, nous trouvons d’effrayants Dieux cornus représentés dans l’art du Tibet, du Népal et des territoires adjacents, qui bien qu’ostensiblement bouddhistes, contiennent évidemment des éléments bien plus anciens qui ont été adaptés pour s’insérer dans la religion bouddhiste. La plus notoire de ces déités, représentée à la fois par des statues et des tapisseries richement colorées appelées tankas, est Yamantaka, montré tantôt avec une tête de taureau , tantôt avec les énormes cornes incurvées du yak tibétain. Il est accompagné de sa contrepartie femelle, nommée sa prajna ( sagesse ), et entouré d’une aura de flammes. En dépit de sa terrible apparence, cependant, il n’est pas considéré par les Bouddhistes comme un être maléfique, mais comme l’une des déités colériques qui agissent comme gardiens de la religion bouddhiste ; il est aussi appelé le « Destructeur de la Mort. »

Le fait que Yamantaka était aussi vénéré et invoqué par les adeptes tibétains de la religion Bon, pré-bouddhiste, nous donne un indice sur ses origines réelles et sur son ancienneté. La religion Bon est d’une sorte beaucoup plus primitive, mettait l’accent sur la magie et sur les esprits et Dieux de la nature, et dérivait probablement de l’ancien chamanisme des régions reculées de l’Asie, comme le Nord du Tibet ou la Mongolie. Une description d’invocation de Yamantaka par des prêtres-magiciens Bon est donnée par Idries Shah dans son livre Magie orientale. Il est évident qu’après l’invasion du Tibet par la Chine, il convenait de se mettre à parler des traditions tibétaines au passé ; mais il se peut fort bien que, dans quelque forêt ou montagne reculée, Yamantaka soit encore secrètement vénéré de nos jours, exactement comme les sorcières après l’expansion du christianisme en Europe, se sont rassemblées clandestinement pour vénérer leurs anciens Dieux païens.


En Europe, la version la plus connue du Dieu cornu est Pan. Il était le Dieu des fermiers et des bergers d’Arcadie, la partie la plus rurale de l’ancienne Grèce. Bien que plus vieux et plus primitif que les divinités sophistiquées du Mont Olympe, il était très aimé par les gens de la campagne, qui le considéraient comme un vecteur de fertilité. Il était l’incarnation de la force vitale de la nature, et connu sous les noms de Pamphage ou Pangenetor ( Celui qui dévore tout, Celui qui engendre tout ). De la même façon, Osiris en Egypte était le symbole du retour de la force vitale, et en même temps le Dieu de la mort et de l’au-delà. Pour les anciens, la vie et la mort étaient les deux faces de la même pièce.


Quand il est offensé, Pan peut inspirer la terreur, notre mot « panique » dérive d’ailleurs de son nom. La nature est majestueuse, inspire la crainte et se montre parfois terrible. Le mot Pan veut aussi dire « tout ». Certaines représentations de lui le montrent comme un Dieu universel, à l’image de son corps, en partie humain et en partie animal. La peau de faune mouchetée qui recouvre ses épaules représente les étoiles du ciel. Ses cheveux hirsutes symbolisent les bois et les forêts. Ses puissants sabots sont à l’image des rochers. Ses cornes sont des rayons de lumière ; et la flûte à sept tuyaux avec laquelle il joue la mélodie mystique de la vie, qui enchante tous ceux qui l’écoutent, est l’emblème de son règne sur les sept corps célestes, le Soleil, la Lune et les cinq planètes visibles. Dans l’art sacré oriental, on représente le Dieu Krishna, dont l’apparition dans sa forme universelle est décrite dans le Bhagavad Gita, d’une façon similaire.


Les sorcières de Thessalie, en Grèce antique, vénéraient le Dieu Pan. On disait qu’il était le secret amant de la Déesse lunaire Artémis, la version grecque de Diane. Il convoquait ses adorateurs nus à ses rituels à la lueur de la Lune, tout comme l’on raconte que les sorcières dansaient nues à leurs Sabbats des siècles plus tard.

Le Dieu Pan est passé depuis les Grecs chez les Romains, ainsi que beaucoup d’autres Dieux et Déesses ; ils l’ont nommé Faunus, ou Sylvanus. Son escorte était faite de nymphes des bois et de satyres, les personnifications de la vie cachée de la nature. Son animal sacré était un bouc, qui devint plus tard le bouc du Sabbat. Ses tendances joyeuses et luxurieuses, et l’absence de toute gêne ou complexe, l’ont évidemment rendu ignoble aux yeux des premiers Chrétiens, pour lesquels ce monde était déchu de l’état de grâce et sous l’emprise du péché. Par conséquent, il fournit le modèle à partir duquel le personnage de Satan, cornu et doté d’une queue, fut élaboré. Par un tour de passe passe bien connu des étudiants en religions comparées, le Dieu de l’ancienne foi devint le démon de la nouvelle.

Les Bouddhistes, comme nous l’avons vu, étaient plus subtils pour gérer leurs rapports avec les dieux cornus primitifs de leurs pays. Au lieu de les traiter de démons, ils les ont incorporés dans le Bouddhisme en tant que gardiens de leur foi.


La version celtique du dieu Pan était Cernunnos, qui veut dire « Le Cornu ». Ce nom a été découvert sur un autel qui lui est dédié et qui est à présent au Musée de Cluny, à Paris. Cet autel a été trouvé près de ce qui est à présent le site de la Cathédrale de Notre Dame. Le sanctuaire de la nouvelle religion a probablement été délibérément construit sur ce qui était jadis un lieu sacré païen.

D’autres représentations connues de Cernunnos sont : le groupe de statues datant de l’époque Gallo-Romaine, désormais au musée de Reims, et celle trouvée sur le splendide chaudron d’argent connu comme le Chaudron de Gundestrup, découvert dans une tourbière au Danemark en 1891. Les statues, influencées de façon évidente par les idées romaines, montrent Cernunnos avec Apollon et Mercure ; mais il est le personnage le plus imposant, et se tient dans son attitude caractéristique, assis en tailleur, exactement comme son prototype ancien de la vallée de l’Indus. La figure du Chaudron de Gundestrup est montrée de façon similaire, et entourée de représentations d’animaux variés, peut-être pour montrer qu’il est une sorte d’esprit régnant sur la nature. Cette magnifique œuvre d’art celtique ( bien que trouvée au Danemark ), figure désormais au Musée national de Copenhague. Elle date du second ou premier siècle avant J.C.

Un dessin d’une caverne étrange et numineuse de Val Carmonica, en Italie, est plus brut et plus ancien que ces dernières, datant du IV-IIIème siècle avant J-C. Ici Cernunnos est une figure imposante, couronnée d’andouillers de cerf et semble être vêtue d’une longue robe. Il apparaît à un adorateur, un homme nu qui lève les bras en posture d’invocation. Sur les bras du Dieu figurent deux bracelets-torques qui apparaissent aussi sur d’autres représentations de lui ; ils symbolisent probablement la richesse. A ses côtés figure une étrange créature également représentée sur le Chaudron de Gundestrup : un serpent cornu, peut-être un symbole phallique.

Lorsque Margaret Murray a écrit au sujet de Cernunnos dans son livre Le Dieu des Sorcières, elle a affirmé que la plupart du savoir que nous détenons sur le Dieu cornu dans les îles britanniques vient des textes écrits par les moines et les prêtres, car le peuple qui le vénérait était illettré et n’a laissé aucune trace écrite. Depuis ce temps, toutefois, beaucoup de représentations de Cernunnos ont été retrouvées en Grande Bretagne. Il ne devrait plus y avoir de doute sur le fait que le dieu cornu celtique était vénéré et invoqué dans ces îles, comme il l’était en Gaule et partout ailleurs en Europe de l’Ouest. L’explication de Margaret Murray sur la sorcellerie en tant que survivance clandestine de la vieille religion païenne est, sur ce point, étayée par des preuves.


De l'âge de pierre à la Bretagne celtique ; de la Thessalie au Tibet ; les traces que nous retrouvons montrent l'universalité et la persistance de la figure archétypale du Dieu cornu, l'esprit actif de la vie. On pourrait en rajouter d'autres : par exemple l'ancien Dieu égyptien Khnum, que l’on montre muni de la tête et des cornes d’un bélier, en train de créer le premier être humain sur un tour de potier ; ou le Dieu suprême Amoun, parfois dépeint comme un vrai bélier, exalté sur un piédestal ou un autel et couronné des attributs de la royauté.

Pourquoi, cependant, ces deux figures cultuelles, le Dieu cornu et sa compagne, la Déesse de la Lune, ont eu une telle importance que seuls, de toutes les divinités païennes, ils ont survécu comme divinités des sorcières ?

La réponse me semble résider dans leurs natures primordiales. Le Dieu cornu et la Déesse nue, cette dernière parfois seule ou parfois sous forme triple, se retrouvent tous deux, comme je l’ai déjà indiqué ci-dessus, dans l’art sacré le plus ancien des humains, dans ses plus antiques sanctuaires, les cavernes de l’Age de Pierre. La triple forme de la Déesse est reliée au trois phases de la Lune, croissante, pleine et décroissante. Sa relation avec la fertilité humaine est vitale, puisque le cycle menstruel féminin de 28 jours en moyenne coïncide avec la durée d’un mois lunaire, un fait que l’homme primitif aura indubitablement remarqué. En effet, certains archéologues pensent que certaines inscriptions datant de l’Age de Pierre sont des observations et des enregistrements des phases lunaires, la première tentative de l’homme pour établir un calendrier et une astronomie.

La virilité des grands animaux cornus, le cerf et le bison, dont dépendaient les chasses des hommes ; la beauté et le mystère de la lumière de la Lune, qui marque le temps et règne sur les flux de l’océan et des femmes ; ce sont des choses primitives et fondamentales. Les païens, qui célébraient le divin manifesté dans la nature, les ont personnifiés en tant que premières divinités que nous ayons connues.

Ils voyaient, comme les peuples de l’Orient le font encore, le jeu incessant de forces opposées et cependant complémentaires, sans lesquelles aucune manifestation ne peut avoir lieu. Ces pouvoirs fondamentaux sont appelés Yin et Yang, dans l’ancien système chinois du Yi Jing ou Livre du Changement. Le Yang est la force active et masculine, et le Yin, la force passive et féminine.

Selon ce vénérable traité, qui est très certainement l’un des plus anciens livres au monde, toutes choses naissent de cette polarité du Yin et du Yang ; leur union forme le symbole connu sous le nom de T’ai Chi, l’Absolu, l’ultime réalité. Il est représenté comme un cercle divisé en deux parties égales par une courbe en son centre ; une partie est noire et l’autre blanche.


La Kabbale des Hébreux, que son traducteur S.L. MacGregor Mathers soupçonne de dériver de l’ancienne Egypte, montre une idée fondamentalement similaire avec ses piliers jumeaux de la Miséricorde et de la Sévérité, équilibrés par le pilier central de la Beauté et de l’Harmonie. Le pilier de Miséricorde est couronné par Chokmah, le principe archétypal masculin ; le pilier de Sévérité est couronné par Binah, l’archétype féminin ; le pilier central porte la plus haute couronne de tous, la brillance blanche et divine de Kether, la première émanation.

Le symbolisme a été perpétué dans les piliers jumeaux de la Franc Maçonnerie, Jachin et Boaz, dont on dit qu’ils se tiennent de part et d’autre de la porte du temple de Salomom. Ils représentent en fait la polarité fondamentale et divine sous-jacente à toute la nature manifestée, les deux opposés dont l’union constitue le Grand Œuvre symbolique de l’alchimie. Cette polarité est également indiquée dans le symbolisme alchimique par le Soleil masculin et la Lune féminine.

Le symbolisme est le langage naturel de la pensée, comme nous le prouve l’importance psychologique de nos rêves. Le grand pionnier dans ce domaine était Carl Gustav Jung, le psychologue qui débuta en tant qu’élève de Freud, mais perçut rapidement les limites du point de vue matérialiste de son enseignant. Jung découvrit que les humains n’ont pas simplement une pensée inconsciente personnelle, mais ont également d’autres niveaux plus profonds qui les mettent en contact avec l’inconscient collectif de la race, dans lequel on peut trouver des images, pleines de significations numineuses, qui semblent stockées là depuis que l’homme a émergé sur cette planète.

Jung peut cependant n’avoir fait que redécouvrir ce que les hiérophantes des anciens cultes à mystères savaient déjà très bien. En effet, ce point de vue est étayé par l’affirmation dans le Livre des Morts tibétain, le Bardo Thodol – qui traite non seulement de l’au-delà mais aussi d’autres choses cachées derrière le voile de la matière – qui affirme à ses étudiants que tout ce qu’ils voient, et que toutes les déités qu’ils peuvent rencontrer, qu’elles soient paisibles ou colériques, sont nées de leurs propres esprits.

Dans l’inconscient collectif de notre race, demeurent éternellement les images des Dieux. Ils sont la personnification des forces de la nature, et tous sont des modifications à partir du couple primordial, la Grand Père et la Grande Mère. Dans l’ancienne Egypte, tous les Dieux et Déesses étaient simplement différentes formes du plus haut des Dieux, Amon, dont le nom signifie « Celui qui est caché », et de sa compagne Amonath. Dans les temples d’Inde, le symbole sacré est le lingam-yoni, une représentation du phallus du mâle et du vagin de la femelle. Ceci ne représente pas seulement la sexualité humaine, mais l’interaction de la force de vie sous toutes ses formes.


Dans la Grande Bretagne préhistorique, les grands temples du Néolithique que sont Stonehenge et Avebury montrent la même polarité symbolique, mais dans une forme plus subtile et plus austère. Au plus ancien de ces temples, Avebury, les pierres massives sont de formes alternées, un grand pilier phallique et une pierre plus large, grossièrement taillée en forme de losange, qui véhiculent les significations du mâle et de la femelle. Deux des plus grandes de ces pierres sont connues par les locaux sous les noms de « Adam et Eve ». A Stonehenge, nous avons le grand cercle, la matrice réceptrice, et à l’extérieur, dans l’avenue, la Pierre Hele, un menhir phallique au sommet duquel le Soleil semble se reposer à Midsummer. Une version plus petite de ce schéma peut être vue aux Rollright Stones, où la grande Pierre du Roi se tient à l’extérieur d’un cercle de pierres, et est associée à des légendes locales de sorcellerie et de magie de fertilité.

Un écrivain occulte a réalisé la véritable signification des anciens Dieux, et leur rôle archétypal dans l'inconscient collectif : Dion Fortune ( 1891-1946 ). On retrouve souvent dans ses écrits la phrase : "Tous les Dieux ne sont qu'un, toutes les Déesses ne sont qu'une, et il y a un initiateur." L'initiateur est le plus haut degré d'être de tout un chacun, avec lequel la personnalité devient de plus en plus intégrée lorsque l'on suit le chemin de l'évolution spirituelle. C'est ce à quoi Bouddha faisait référence quand il disait à ses disciples de "Prendre le Soi comme une lampe".

Dion Fortune a écrit uen remarquable série de romans occultes, dont eux en particulier, The Goat-Foot God et The sea priestess, se rapportent à notre sujet, puisque le premier traite des pouvoirs du dieu cornu, et le second de ceux de la déesse lunaire. Dans ces livres, le dieu cornu s'appelle Pan et la déesse lune Isis ; mais il est très clair que ces déités sont en fait universelles.

Le savoir ésotérique contenu dans ces romans ( et il y en a énormément, pour ceux qui savent lire entre les lignes ) est développé par son traité sur la tradition ésotérique occidentale nommé la Kabbale mystique. Dans ce livre, Dion Fortune, qui était initiée de cette tradition, discute de la nature réelle des Dieux comme "images magiques", non pas faites de bois ou de pierres, mais façonnées par les pensées de l'humanité avec la substance du plan astral, qui est affecté par les énergies de l'esprit.

Ce que le grand psychologue Jung découvrit à force de recherches et d'observations, le poète avant lui l'avait su instinctivement. Les auteurs inconnus du Livre des Morts tibétain le savaient longtemps auparavant. Les Dieux et les Déesses sont les personnifications des pouvoirs de la nature ; ou peut-être, devrait-on dire, de la surnature, les pouvoirs qui gouvernent et apportent la vie dans notre monde, qu'elle soit manifestée ou cachée. En d'autres termes, nous vivons dans un plan de formes, surmonté d'un plan de forces, sur lequel se meuvent les Dieux, car en personnifiant ces forces comme nos Dieux nous pouvons établir une relation avec elles.

D'ailleurs, quand une telle image magique a été bâtie et renforcée par la vénération et les rituels pendant des siècles, elle devient puissante par elle-même, car la personnification acquiert une âme. La forme peut avoir commencé dans l'imagination, mais lorsque ce qu'elle personnifie devient réel, l'imagination devient, en vérité, la faculté de créer des images. Toute oeuvre d'art doit d'abord être perçue dans l'esprit de l'artiste, dans l'imagination. Une forme-pensée subjective conçue par une personne peut être passagère ; mais pour les formes-pensées de toute une race, c'est bien différent. D'ailleurs, comme Jung l'a démontré, certaines formes-pensées, comme "la Grande Mère", "le Vieil Homme Sage" ou "l'Enfant Divin", qui demeurent dans l'inconscient collectif de l'humanité, apparaissent en rêve et dans des visions - y compris celles des artistes - sont si universels qu'il les appelle des archétypes.

Les visions, qu'elles soient induites ou spontanées, ont toujours joué un rôle important dans l'expérience religieuse. "Là où il n'y a pas de vision, le peuple périt." Les visions spontanées viennent sous forme de rêves significatifs, ou d'expériences spirituelles, ces dernières se manifestant parfois avec tant de puissance qu'elles peuvent changer la vie entière de quelqu'un. Les visions induites peuvent venir par le biais de techniques de transe ou d'extase. De tels états et les techniques pour les déclencher ont été un dispositif basique de la toutes les religions du monde, de la plus primitive à la plus sophistiquée. Nous pouvons noter l'étymologie du mot "extase" ; il vient du grec "ekstasis", qui signifie être temporairement en dehors de soi-même, avoir brisé les liens avec le monde du quotidien et être entré dans un nouvel état d'existence. Le plus ancien et le plus primitif des extatiques est le chaman. Le chamanisme semble très probablement avoir été la forme de religion la plus ancienne un peu partout dans le monde. Il a été défini par Mircéa Eliade, dans son livre sur le sujet, comme une "technique de l'extase". ( Chamanisme : techniques archaïques de l'extase ). Le chaman ( un mot qui nous vient du Russe, mais semble tirer ses originesdans les dialectes de l'Asie du Nord ) peut être homme ou femme, dans ce dernier cas on parle de chamanesse. Il ou elle communique avec les esprits humains et non humains, et accomplit toutes sortes de magies ; mais le trait distinctif du chamanisme est son "vol magique" dans d'autre royaumes d'existence, où l'on peut recueillir des informations pour les rapporter ensuite dans ce monde. La relation entre cette idée et le supposé pouvoir de voler des sorcières, que ce soit sur le traditionnel balai ou sur un autre type de bâton, est évidente.

Le moyen d'obtenir ces vols magiques, toujours utilisé par des chamans contemporains comme le professeur de Carlos Castaneda, Don Juan Matus, était très souvent des drogues hallucinogènes dérivées de plantes ou de champignons. Les chamans de l'Asie du Nord utilisaient l'Amanita muscaria, qui pousse partout en Europe du Nord et de l'Ouest, et dans les îles britanniques. De nos jours, beaucoup d'encre a coulé sur les "champignons magiques", et on fait pas mal de recherches sur leurs effets ainsi que ceux d'autres hallucinogènes naturels. Il en résulte que ces chercheurs commencent à considérer d'un oeil neuf les descriptions écrites de la sorcellerie européenne, avec ses onguents de sorcières et sa connaissance traditionnelle des herbes.

Un autre moyen d'atteindre l'extase chamanique est induit par la danse effrénée et rythmée, le genre de danses dont il était notoire qu'elles étaient utilisées pendant les Sabbats des sorcières. Dans l'état d'extase, le chaman "rencontre les Dieux" ; c'est-à-dire qu'il entre dans le monde qui se trouve derrière le voile de la matière, qu'on l'appelle le plan astral ou l'inconscient collectif.

En gardant ceci en mémoire, on peut reconsidérer le passage fameux des lois canoniques de l'Eglise chrétienne, trouvé dans des collections de telles lois remontant au 10ème siècle de notre ère :

"Certaines mauvaises femmes, perverties par le Diable, séduites par les illusions et fantasmes des démons, croient et disent qu'elles chevauchent certaines bêtes dans les heures de la nuit avec Diane, la déesse des païens, ou avec Hérodias et une multitude innombrable de femmes, et qu'elles traversent les grands espaces de la terre dans le silence de mort de la nuit, pour obéir au commandement de leur maîtresse, et pour répondre à sa convocation pour la servir lors de certaines nuits."

D'autres comptes rendus d'auteurs anciens parlent de Sabbats fantastiques durant lesquels le Démon cornu et portant sabots apparaissait en personne, entouré par des apparitions elfiques en tous genres. C'est devenu un sujet de prédilection pour certains artistes, notamment Hans Baldung, David Teniers, Frans Francken et Goya, spécialisés dans les peintures sabbatiques ; avec la Nuit sur le mont chauve, le compositeur Moussogsky tenta la même tâche en musique, avec grand succès.

De telles visions du Sabbat doivent être distinguées des comptes-rendus de véritables réunions, bien plus sobres, et ne contenant rien qui ne puisse pas passer pour naturel, étant donné que l'acteur principal, le supposé "démon", était en fait un homme vêtu d'un masque à cornes et d'un costume en peau d'animal, exactement comme le danseur masqué dessiné par quelque artiste de l'Age de Pierre dans la Caverne des Trois Frères, en Ariège.

Il existe aussi un bon nombre de comptes-rendus d'anciens investigateurs qui ont entendu des confessions de sorcières avouant avoir assisté à des réunions fantastiques et sauvages, auxquelles elles se sont rendues par la voie des airs, puis dont elles sont revenues par le même moyen chez elles.Ces comptes-rendus racontent toujours la même histoire, à savoir que la sorcière devait s'oindre elle-même d'un onguent mystérieux après s'être déshabillée, puis tomber dans un profond sommeil de transe dont elle s'éveillait finalement en se rappelant avoir vécu certaines aventures au Sabbat. Parfois, nous dit-on, une sorcière plutôt simple d'esprit refusait vraiment de croire le témoignage d'observateurs lui assurant qu'elle n'avait pas du tout volé dans les airs. ( J'utilise le pronom "elle" par convenance mais de telles histoires ont aussi été rapportées concernant des sorciers ).

On pourrait penser, avec toutes ces preuves, que les chasseurs de sorcières auraient pu réaliser que c'était l'onguent des sorcières, et non pas Satan, qui les transportait dans ce qu'elles percevaient comme un envol, spécialement quant on sait que les ingrédients de tels onguents étaient connus, notamment par Giovanni Battista Porta qui en fit part dans son livre Magiae Naturalis. Toutefois, le fanatisme de ces hommes était tel qu'ils niaient la possibilité qu'un onguent ait de tels effets et insistaient pour tout attribuer à l'ingérence de Satan dans les affaires humaines. Ce point est remarqué et apparemment approuvé par le pieux Montague Summers dans son Histoire de la Sorcellerie et de la Démonologie.

Les temps ont cependant changé, depuis que Montague Summers a publié son livre viscéralement subjectif mais approuvé par les universitaires. On peut trouver, par exemple, un symposium extrêmement intéressant intitulé "hallucinogènes et chamanisme", édité par Michael J. Harner, et qui contient une section intitulée "le rôle des plantes hallucinogènes dans la sorcellerie européenne", écrite par M. Harner lui-même, professeur associé d'anthropologie de la Graduate Faculty of the New School for Social Research. ( Faculté diplômée de la Nouvelle Ecole pour la Recherche Sociale, ndt : ouf... ). M. Harner remarque que les plantes traditionnelles citées par Porta et d'autres comme entrant dans la composition des onguents de sorcières sont de la famille des Solanacées, qui inclut, outre les pommes de terres, les tomates, le tabac et d'autres plantes très humbles et très connues, des herbes hallucinogènes dangereuses comme la Datura ( Datura stramonium ), la Jusquiame Noire ( Hyoscyamus niger ), la Mandragore ( Mandragora ), et la Belladone ( Atropa belladonna ). Il affirme que ces variété de plantes se trouvent aussi bien en Europe qu'aux Amériques, et qu'elles ont été utilisées par les peuples chamaniques des temps primitifs jusqu'à ce jour.

Un fait particulièrement intéressant noté par M. Harner et ses camarades universitaires, est que les personnes qui usent de plantes hallucinogènes, que ce soit sous la forme de breuvage ou d'onguent, dans le but de faire un "trip", tendent généralement à voir des choses similaires ou identiques en fonction du milieu culturel dans lequel ils vivent. En d'autres termes, les gens qui prennent de telles drogue seront fortement influencés par leurs préjugés et croyances antérieures, par la natures et les circonstances de la prise de drogue, l'environnement immédiat, etc, dans les visions et expériences qu'ils vivront.

Ainsi, des Indiens Sud Américains qui croyaient en leurs Dieux païens tribaux pouvaient voir ces Dieux durant leurs expériences chamaniques ; et d'autres Indiens "missionarisés", c'est à dire exposés à l'influence de missionnaires chrétiens, pouvaient voir des symboles chrétiens mêlés à des symboles païens.

Certains visions semblent cependant spécifiques à certaines drogues. Dans cette optique, M. Harner prend note de l'expérience du Dr. Will-Erich Peukert de l'Université de Gottingen, en Allemagne, qui il y a quelques années a testé une recette d'onguent de vol du 17ème siècle, et a expérimenté une transe de 24 heures durant laquelle il lui a semblé participé aux orgies sauvages du Sabbat légendaire. La recette contenait de la Belladone, de la Jusquiame Noire et de la Datura.

Une autre caractéristique recueillie auprès de nombreux témoins originaires d'un peu partout, est la sensation que l'âme ou l'esprit se sépare du corps et vole à travers l'espace lors de l'usage chamanique de drogues hallucinogènes. Elle assiste alors à distance à des scènes se déroulant sur terre, ou dans une autre dimension. Tout ceci est très étonnant pour les anthropologues ; tout particulièrement quand de simples Indiens qui n'ont jamais vu de cité d'homme blanc ou d'automobile, affirment visiter de telles cités en état de transe et demandent ce que sont ces étranges choses qui voyagent si rapidement le long des routes ? Pour l'occultiste familier des concepts de projection astrale, c'est à dire, la capacité du corps astral à se détacher du corps physique et à voyager dans d'autres dimensions d'existence, une explication en ces termes viendrait tout naturellement. M. Harner annonce en commentaire que les universitaires aussi bien que les membres de covens de sorcières actuel n'ont en général pas compris la grande importance des plantes hallucinogènes dans la sorcellerie européenne des temps anciens. Toutefois, d'après ma propre expérience, je puis dire que ce n'est pas vrai dans tous les covens ; mais ceux aui possèdent des informations pratiques sur ces sujets préfèrent généralement garder un secret absolu. Ils tiennent leurs savoirs de vieilles sources traditionnelles, plutôt que de ces sorcières modernes qui cherchent à jouer les vedettes grâce aux mass-médias ; et ils soulignent le fait que ces substances hallucinogènes sont dangereuses à gérer, qu'il s'agisse de plantes ou de champignons. Ils ne veulent pas porter la responsabilité en encourageant des personnes téméraires à expérimenter des mélanges pouvant s'avérer mortels. Je voudrais également abonder dans ce sens, en disant qu'à moins d'avoir un savoir spécifique ou d'être supervisé avec prudence par quelqu'un, l'expérimentation pratique de ces substances est tout sauf sage.

J'ai déjà fait référence à l'histoire de Francis King, qui vient de son ami Louis Wilkinson, de la survivance du Coven de New Forest dans lequel Gerald Gardner a été initié à l'origine, et qu'on peut lire dans son livre Ritual magic in England. M. King affirme que ce coven faisait usage du champignon nommé Amanite tue-mouche ( Amanita muscaria ) en tant qu'hallucinogène, en l'ingérant à très petites doses. Ils utilisaient également un onguent, mais c'était simplement une substance graisseuse pour protéger leurs corps nus du froid lors des rituels en extérieur. M. King dit qu'il s'agissait pour la plus grande part de "graisse d'ours" ( bear fat ), mais je laisse sur cela un doute respectueux. Il n'y a sûrement pas d'ours à New Forest ? Il me semble plus probable que ce soit de la graisse de sanglier ( boar fat ) ; en d'autres termes, de la graisse de porc ordinaire, la base habituelle des onguents d'apothicaire. On y ajoutait généralement du benjoin pour améliorer son odeur et la faire mieux tenir.

L'usage de l'amanite tue-mouche met les pratiques de ce coven dans la droite lignée de l'ancien chamanisme de l'Asie du Nord, l'endroit d'où vient le mot "chamane". Ce champignon semble également avoir une connexion traditionnelle avec le monde de la Féerie. Presque tous les livres de contes de fées contiendront quelque part une image de ces champignons aux couleurs vives, au chapeau rouge à points blancs.Il n'est pas aussi commun qu'il y a quelques siècles, et c'est dû à l'urbanisation toujours croissante des campagnes ; mais on peut toujours en trouver dans la nature, particulièrement sous les bouleaux.

Le monde de Féerie est le monde des âmes des morts païens, des esprits de la nature et des Dieux païens. C'est une évidence dans la mythologie celtique des îles britanniques et de l'Europe. C'est aussi le monde du Petit Peuple, ces races obscures qui précédaient les envahisseurs et les colons celtiques. Ils étaient sombres et de petite stature, mais pas assez minuscules ou éloignés des humains pour ne pas pouvoir se mélanger aux nouveaux arrivants. Ils étaient le mystérieux et quelquefois dangereux Petit Peuple, dotés d'un héritage de magie aborigène.

Au fil des cultures se succédant les unes aux autres, les Dieux et Déesses qui étaient des personnifications des pouvoirs originels furent toujours vénérés, par des rites divers, simplement parce que ces pouvoirs sont primordiaux : vie, fertilité, mort, et ce qui vient après. L'Eglise chrétienne a bâti ses sanctuaires sur les lieux sacrés païens. Son festival central, Pâques ( Easter ) tire son nom d'Eostre ou Ostara, la Déesse païenne du Printemps. Le gui des Druides décore encore nos maisons à Noël. La veillée celtique de Samhain devint la Veille de tous les sains, Hallowe'en. Le folklore peut nous fournir des douzaines d'exemple de ce type, où ce qui était jadis la religion de la région est devenue, littéralement, les légendes du peuple.

La vénération des anciens Dieux n'a jamais touché à sa fin ; elle a plutôt changé de forme ou est passée dans la clandestinité. Ceux qui auraient jadis été prêtres ou prêtresses, l'église chrétienne des temps anglo-saxons commença à les appeler "sorcières".