La conception de Cúchulainn

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La Conception de Cuchulainn

Compert Conculaind Lebor na hUidre

Version A

Trad. Louis Duvau


Ci-dessous, l'histoire de la Conception de Cuchulainn, tirée du Livre au dos de neige.

1. Un jour que les nobles d'Ulster étaient réunis autour de Conchobar à Emain Macha, une troupe d'oiseaux s'abattit dans la plaine d'Emain, et dévora tout, ne laissant sur la terre ni la racine d'une seule plante ni un seul brin d'herbe. Les Ulates, désolés de voir dévaster leur pays, attelèrent neuf chars pour poursuivre les oiseaux le jour même : car ils avaient l'habitude de la chasse des oiseaux. Conchobar s'assit donc dans son char : avec lui était sa soeur Dechtiré, déjà grande fille. C'était elle qui servait de cocher à son frère. Les autres guerriers Ulates étaient aussi dans leurs chars : il y avait là Conall le Triomphateur, Fergus fils de Roech, Loégairé le Vainqueur, Celtchair, fils d'Uithecar, et tous les autres. Bricriu était aussi avec eux.

2. Ils chassèrent devant eux les oiseaux, à travers l'espace désolé, au delà de Sliab Fuait, au delà de Muirthemne, et d'Edmann et de Breg. — En ce temps-là, il n'y avait en Irlande ni fossé, ni clôture, ni mur autour de la terre; et ce fut ainsi jusqu'au temps des fils d'Aéd Slâné : il n'y avait que la plaine tout unie. C'est alors qu'à cause du grand nombre des familles, ils entreprirent de tracer les limites des champs en Irlande[1]. — Gracieuse et belle était la troupe d'oiseaux... [2]. Ils étaient neuf fois vingt, et réunis deux à deux par une chaîne d'argent : ils allaient par groupes de vingt, et il y avait neuf de ces groupes ; et en tête de chaque groupe volaient deux oiseaux au plumage multicolore, réunis par un joug d'argent.[3] Trois oiseaux volèrent séparément jusqu'à la nuit : ils allèrent devant les chasseurs jusqu'à l'extrémité de la contrée. Et là la nuit arriva sur les guerriers d'Ulster. Il tombait une neige épaisse[4]. Conchobar dit à ses gens de dételer les chars et de se mettre à la recherche d'une habitation.

3. Conall le Triomphateur et Bricriu se mirent en quête, et trouvèrent une maison toute neuve. Ils y entrèrent[5] et y virent un homme et une femme qui leur souhaitèrent la bienvenue. Ils retournèrent vers leurs compagnons[6]. Bricriu dit qu'il n'était pas digne d'eux d'aller dans cette maison, où ils ne trouveraient ni manteaux, ni vivres; elle était de toute façon insuffisante. Ils y allèrent cependant, et amenèrent leurs chars avec eux. A peine furent-ils dans la maison avec leurs chars, et leurs chevaux et leurs armes, qu'il leur vint toute sorte de biens, et des mets ordinaires et extraordinaires , connus et inconnus : de sorte qu'ils n'eurent jamais de meilleure nuit. Et alors ils virent quelque chose : un jeune guerrier, très beau , à la porte de la cuisine, devant eux. Et il leur dit : « Quand vous plaira-t-il de faire les parts? » — « Il y a longtemps que cela nous plairait, » dit Bricriu[7]. Ils reçurent à manger et à boire ; et après cela ils furent ivres, et ils furent rassasiés. L'homme dit alors aux Ulates que sa femme était à la cuisine, dans les douleurs de l'enfantement : Dechtiré alla la trouver; la femme accoucha d'un fils. A la porte de la maison était une jument, qui mit au monde deux poulains. Les Ulates prirent l'enfant[8] ; le père lui donna les poulains pour s'amuser. Dechtiré éleva l'enfant.

4. Lorsque vint le matin, ils virent quelque chose; ils étaient là sans maison, sans les oiseaux, à l'orient du pays. Ils retournèrent à Emain Macha, emmenant l'enfant, et la jument avec ses poulains[9]. Là fut élevé l'enfant; il devint grand. Une maladie le saisit alors. Il en meurt. On célèbre ses funérailles. Grande fut la tristesse de Dechtiré à la mort de son pupille.

5. Elle demanda à boire en revenant des funérailles; elle demanda à boire dans un vase d'airain. On lui apporta à boire. De quelque manière qu'elle portât le vase à ses lèvres, elle sentait une petite bête venir avec la boisson. Et lorsque la bête était éloignée de ses lèvres, personne ne voyait plus rien. Enfin, la bête sauta tout à coup, entraînée par l'haleine de Dechtiré. Dechtiré dormit ensuite, et pendant la nuit elle vit quelque chose : un homme vint près d'elle et lui adressa la parole. Il lui dit qu'elle était enceinte de lui. C'était lui qui l'avait emmenée avec ses compagnes[10] dans le pays[11] ; c'est par lui qu'elles avaient été conduites sous forme d'oiseaux. C'était lui l'enfant qu'elle avait élevé; et maintenant c'était lui qui allait dans son ventre[12], et qui prendrait le nom de Setanta[13]. Lui-même était Lug, fils d'Ethniu.

6. La jeune fille devint donc enceinte. Il y eut à ce sujet une grande discussion chez les Ulates , car on ne lui connaissait point de mari. Ils craignaient que Conchobar, dans un moment d'ivresse, n'eût rendu sa soeur enceinte : car elle couchait auprès de lui. Conchobar fiança alors sa soeur à Sualdam, fils de Rôeg. Grande fut sa honte, d'aller vers son mari, étant enceinte. Elle alla alors à l'arbre de lin (?) , elle vomit, et perdit le germe qu'elle portait dans son sein ; et ainsi, redevint vierge. Elle alla ensuite vers son mari , et devint de nouveau enceinte. Elle mit au monde un fils; et ce fils était l'enfant des trois années[14]. Et il porta le nom de Setanta. Les Ulates étaient réunis à Emain Macha au moment de la naissance de l'enfant. Ils discutèrent pour savoir qui d'entre eux élèverait l'enfant, et firent décider la chose par (littéralement : « allèrent en jugement de ») Conchobar.


Bibliographie

  • Louis Duvau, Revue Celtique 9


Sources

Il existe plusieurs versions de ce textes, nommées A, B, Eg, LU.

<references>


Sources :

  1. Cette longue parenthèse manque dans Eg. Elle n'appartenait évidemment pas à la rédaction primitive de notre légende ; c'est sans doute une note marginale de quelque lecteur érudit, introduite ensuite par erreur dans le texte. — Selon Tigernach, les fils d'Aéd Slâné, Diarmaid et Blathmac auraient régné de 654 à 665; d'après le Chronicum Scotorum, ils seraient morts en 661.
  2. 2. Ici vient, dans les deux ms., une phrase inintelligible. On peut seulement comprendre que dans Eg. il s'agit du chant des oiseaux.
  3. 3. « Par une chaine d'or rouge » selon Eg.
  4. Cette phrase manque dans Eg.
  5. Ces trois mots manquent dans Eg.
  6. « Et leur parlèrent de la maison. » Eg.
  7. Au lieu de ce dialogue, LU porte simplement : « Quand il fut temps de leur apporter la nourriture, il leur fut fait bon accueil, etc. »
  8. Ces cinq mots manquent dans Eg.
  9. Tout le début de ce paragraphe est traduit sur le texte d'Eg.
  10. Le texte de LU et celui de Eg., quoique tous deux altérés, semblent bien signifier : « elles ont été (vous avez été) emmenées » (au pluriel). Il y a donc ici une allusion à l'enlèvement de Dechtiré et de ses cinquante compagnes, enlèvement qui n'est raconté que dans la version B.
  11. La région éloignée où Conchobar a été conduit par les oiseaux merveilleux.
  12. Avalé en même temps que la boisson; cf. ci-dessus, p. 17.
  13. C'est-à-dire que l'enfant qui naîtrait portera le nom de Setanta.
  14. Nouvelle allusion à la version B (manque dans LU).