La Grotte des korrigans

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La grotte des korrigans est un lieu réel : elle fait partie de la vingtaine de grottes dissimulées dans les anfractuosités des rochers, sur la côte du Pouliguen, en Loire-Atlantique. Comportant deux entrées, l'une côté plage et l'autre côté océan, cette grotte n'est accessible qu'à marée basse. Selon les légendes locales, elle cacherait un passage secret jusqu'à la cité médiévale de Guérande. Les korrigans seraient les gardiens de la grotte.

Ce conte figure dans un petit ouvrage, paru en 1975 aux éditions des Paludiers, à la Baule, intitulé "Le Bourg de Batz, tradition et actualité", dont l'auteur est Renée Guillemin. Cet éditeur n'existe plus, et l'ouvrage n'a pas été réédité. L'action de cette histoire, qui se situe en partie dans la Grotte des Korrigans sur le territoire du Pouliguen, a pour héros principal un paludier du Bourg-de-Batz, aujourd'hui Batz S/Mer, en Loire-Atlantique.


La Grotte des korrigans

Ce soir-là, la tempête soufflait si fort et l'eau du ciel tombait avec une telle abondance qu'on aurait pu se croire à la veille d'un cataclysme. Chacun se terrait chez soi, attendant dans l'inquiétude la fin de la tourmente. Chez Pierre Cavalin, dix petits enfants se serraient autour de la table sur laquelle leur maman avait déposé un chaudron plein de bouillie de blé noir; le onzième, tout petit bébé, dormait dans son berceau au pied du lit de ses parents. L'appétit était grand, mais le menu était maigre. Pierre Cavalin n'avait que peu d'œillets de marais salants et il n'était pas possible de servir sur la table familiale une belle poularde au sel, bien juteuse et dorée, comme cela se faisait chez les riches paludiers du bourg. Sa femme et lui en étaient bien tristes.

Un maigre feu de branches mortes ramassées sur la grève éclairait la pièce et les quelques meubles rouges brillaient d'un éclat sombre.Cependant les enfants commençaient joyeusement leur repas, ne remarquant pas, avec l'insouciance de leur âge, que leurs parents s'en privaient. Les coups de boutoir du vent ébranlaient furieusement la grosse porte de bois noir que le paludier avait dû caler pour qu'elle ne s'ouvrît pas. - Il me semble que l'on frappe à la porte, dit la femme. - C'est le vent qui veut entrer chez nous... Entre deux rafales, on entendit pourtant quelques petits coups répétés contre l'huis. - Est-ce possible, un chrétien dehors par ce temps !

Quand Pierre Cavalin ouvrit, le vent s'engouffra avec une telle puissance que la flamme du foyer vacilla. Délaissant leurs écuelles de terre brune, les enfants se précipitèrent autour de leur mère. Apparut alors, s'appuyant sur un bâton, une vieille femme vêtue de haillons, ruisselants de pluie. D'âge, on ne pouvait lui en donner. Cent ans, peut-être ? Dans son visage raviné, ses yeux imploraient une charité. Plein de pitié pour cette pauvresse errant dans l'obscurité au milieu des éléments déchaînés, Cavalin et sa femme la firent asseoir tout de suite près du foyer dans lequel ils jetèrent quelques sarments bien secs. La vieille tendit ses mains squelettiques vers le feu et commença à se réchauffer. Une légère vapeur s'éleva de ses vêtements noirâtres. Pendant ce temps, le paludier était allé quérir de la farine dans sa maie, et tandis que sa femme rassurait les enfants, il prépara une pleine écuelle de bouillie pour la vieille pauvresse. Il étendit sur le sol un matelas de varech bien sec pour qu'elle pût se reposer.

Le lendemain matin, le temps était clair, le ciel était bleu, et les premiers rayons du soleil répandaient une douce chaleur. La vieille parla alors pour la première fois. - Votre voisin qui a une maie et un charnier bien garnis m'a refusé l'hospitalité hier soir. Vous m'avez recueillie et nourrie. Je suis la reine des korrigans et je veux vous récompenser. Le trésor de mes sujets se trouve dans une grotte de la côte. Voici une clef que je te donne Cavalin et qui te permettra d'entrer dans la grotte. Voici un anneau magique que tu glisseras à ton doigt et qui te rendra invisible la nuit. Tu pourras prendre tout ce que tu voudras; l'or et les joyaux y sont en abondance. Mais, malheur à toi si tu te trouvais encore dans la grotte au lever du jour !

Cavalin et sa femme étaient remplis d'étonnement, leur geste de charité leur semblait si naturel qu'ils se demandaient s'ils n'avaient pas rêvé. Et pourtant Cavalin avait bien dans sa large main tannée par le sel la grosse clef et un léger anneau doré. Il attendit le soir avec impatience., s'occupant à de menus travaux. Au cours de la soirée les nuages s'étaient amoncelés de nouveau et le soir venu l'obscurité était très opaque. Cavalin passa par-dessus son sarreau blanc la bretelle d'une grande besace de toile et se dirigea vers la grotte. Au cours de son trajet, l'incrédulité le reprit. Il trouva bien à l'endroit indiqué l'énorme porte qui fermait l'entrée du royaume des korrigans. L'anneau d'or passé au doigt, étreint par l'émotion, il introduisit la grosse clef et la porte tourna silencieusement sur ses gonds.

Une lumière qui ne saurait se décrire le frappa à la face et le fit presque défaillir. Eclairée par plus d'un millier de bougies, la grotte était remplie de tas d'or, de pierres précieuses qui jetaient des feux de toutes les couleurs. Les korrigans s'affairaient dans leur antre, travaillant, ciselant le métal jaune. Invisible, Cavalin emplit sa besace et ses poches le plus qu'il pût et alla cacher son trésor au pied d'un menhir. Il fit ainsi plusieurs voyages, ployant sous la charge. La nuit allait s'achever, déjà les ténèbres commençaient à se dissiper. Mais la tentation était si forte que le paludier crut pouvoir faire encore un dernier chargement. Et pourtant le soleil allait bientôt bondir au-dessus de l'horizon; un peu de rose colorait déjà la crête des vagues. Une poignée d'or, encore une, encore une, encore... et le soleil darde ses premiers rayons.

Cavalin, à cet ultime instant , se trouvait encore dans la grotte, mais son anneau magique avait perdu son pouvoir avec l'apparition de l'aurore. Aussitôt, les korrigans qui avaient tout de suite remarqué sa présence se ruèrent sur lui, et sans qu'il pût esquisser un geste de défense, le trainèrent devant leur roi, assis sur son trône d'or constellé de rubis et de saphirs.

- Cet homme a été pris en train de nous voler; voici la besace qu'il remplissait !

- Enterrez-le sous un tas d'or, c'est le sort qu'il mérité !

A ces mots, Cavalin, glacé par l'effroi, pensa ne jamais revoir sa femme et ses enfants.Pour avoir voulu leur assurer la richesse, il les plongerait par sa mort dans une affreuse misère.

Mais une ravissante jeune femme qui siégeait à côté du roi prit la défense du condamné.

- Cet homme n'est pas mauvais. Je demande sa grâce. Qu'il retourne dans son village ! Voici un plat d'étain qui donnera en tous temps une bonne et abondante nourriture à ta famille. Lorsque tu le placeras sur ta table, il se remplira des mets désirés. Mais le trésor que tu as caché au pied du menhir est perdu pour toi. Tu ne le retrouveras jamais !

Cette princesse n'était autre que la pauvresse que Cavalin avait recueillie. Trop heureux de s'en tirer à si bon compte, Cavalin se sauva à toutes jambes , son plat d'étain bien serré sous son bras.

- Quoi ! Un plat d'étain ! Où sont les joyaux et l'or que tu devais rapporter ? s'étonna la femme.

Après lui avoir narré son aventure et le terrible péril qu'il avait couru, le paludier posa le plat sur la petite table rectangulaire. Les enfants qui avait écouté le récit de leur père souhaitèrent avoir de belles crêpes. Aussitôt une bonne odeur de beurre fondu se répandit et le plat d'étain se remplit d'une pile de belles crêpes bien chaudes et bien dorées. Puis, pour le déjeuner, on demanda une bonne soupe aux choux, avec jambon fumé, saucisses... Tous les jours, le plat se remplissait de mets succulents et copieux, et Pierre Cavalin put élever dignement sa grande famille.

Nul n'a jamais retrouvé le trésor enfoui au pied du menhir. On raconte que la reine des korrigans en fera bénéficier un jour quelqu'un l'ayant mérité.

Autres versions

Yann Brekilien propose une autre version intitulée "Le trésor des korrigans" dans ses "Contes et légendes du pays breton" [1], où le héros est un cordonnier, le mégalithe un dolmen, et la pauvresse une "gwrac'h", c'est-à-dire une sorcière en breton, qui va se transformer en un personnage féerique, reine des korrigans, à la fin du récit. Là encore, en guise de consolation, il est offert au héros qui a manqué sa chance de devenir riche, un plat qui se remplit magiquement de nourriture trois fois dans la journée.

Une version de ce conte, un peu différente, a également été publiée par Evelyne Brisou-Pellen, dans son livre "Contes traditionnels de Bretagne", aux éditions Milan. [2]

Dans la version adaptée par Jean Muzi sous le titre "L'antre des korrigans", le héros est un chaudronnier. La vieille femme sorcière y est nommée Katel.[3]

Articles connexes


Sources

<references>

  1. Yann Brekilien, Contes et légendes du Pays breton, p. 181.
  2. E. Brisou-Pellen, Contes traditionnels de Bretagne, Editions Milan.
  3. Jean Muzi, 12 contes de Bretagne. Castor poche Flammarion, collection Contes, légendes et récits.