La Passion de l’Ecriture
Seasaidh, peux-tu dresser à nos
lecteurs un rapide portrait de toi ?
Née il y a un quart de siècle, je suis
une fleur fragile et étrange qui s’épanouit
au coeur de la nuit, sous les
rayons de la lune. J’ai souvent été
piétinée, mais jamais écrasée. Quelques-
uns de mes pétales se sont fanés,
mais mes épines sont mordantes.
Je suis celle qui tombe mais qui
se relèvera toujours.
Il me semble que tu as fait partie
pendant un temps d’un groupe de
musique Underground, comment
as-tu vécu cette expérience ?
Oui, j’ai été choriste pendant un an pour
un groupe underground français, dont
la réputation est aujourd’hui européenne.
Cette expérience a été très belle et
enrichissante sur le plan personnel.
J’ai retrouvé confiance en moi grâce
à la scène. J’ai appris beaucoup de
choses. Je me suis aussi remise
en question sur certains points. Le
chant et la musique sont des clefs
qui ouvrent des portes tant sur le
plan psychologique que spirituel.
De quelle tradition ou dans
quelles directions orientes-tu ta
spiritualité ?
Je suis fille de la Terre-Mère. Je célèbre
les saisons lors des solstices et
des équinoxes, les anciennes fêtes
celtiques du feu et les lunaisons. Je
suis la voie de la Déesse sans pour
autant renier le Dieu. Je m’intéresse
à chaque branche spirituelle honorant
le divin dans la nature sacrée.
Quel est le sens de la recherche
spirituelle que tu mènes ?
Ce n’est pas tant la destination que
le voyage en lui-même qui compte.
Et quelque soit le chemin emprunté,
on finit toujours, tôt ou tard, par
rentrer chez soi. Je veux avant tout
retrouver mes racines. Déterrer ce
qui a été enfoui sous terre et oublié.
La route sera longue et fastidieuse
mais c’est cela qui est intéressant.
Se battre pour être soi, parvenir à
briser les masques imposés qui défigurent
ceux qui les portent. Comment
savoir où je vais si je ne sais
pas d’où je viens ? Je désire plus
que tout faire la paix avec la petite
Jessie. Poursuivre la Déesse, c’est
me traquer moi-même et rattraper la
petite fille sauvage.
Que t’apporte-t-elle dans ta vie ?
Plein de bonnes choses : l’espoir,
la joie, l’amour, la patience, la force,
la sagesse, l’inspiration… Elle me
permet d’être meilleure au quotidien
avec l’autre et envers moi-même.
Elle m’offre un soutien réconfortant
et m’a permis de vaincre mes plus
anciennes peurs.
Parle-nous un peu de tes activités
littéraires ?
J’ai écris trois nouvelles à ce jour.
Deux d’entre elles ont été publiées
dans un fanzine de littérature gothique,
La Salamandre. J’écris sous
mon vrai nom, Jessica Radigue.
Ta troisième nouvelle devrait
paraître à la rentrée, quel en est
le thème ?
Pour cette nouvelle, je me suis inspirée
d’un rêve. Il a été mon point de
départ, plantant une ambiance et une
esthétique visuelle. Puis j’ai incorporé
des éléments du mythe osirien,
arrangés à ma façon dans cette atmosphère
fantastique pour constituer
l’histoire. Enfin, j’ai essayé de retranscrire
ma propre interprétation de
ce mythe, en donnant mon point de
vue quant au concept de l’éternité, ce
qui rend éternel, plus précisément.
Est-ce que ta spiritualité est une
source d’inspiration dans ton
activité d’auteure ?
Oui, à travers les mythes des civilisations
anciennes que j’étudie avec grande
curiosité et soif d’apprendre. Je passe
beaucoup de temps à me délecter
de mythologie et de folklore. Les dieux
ont de si jolies histoires à nous conter.
Cette envie d’écrire vient-t-elle
de loin ? On dit que l’écriture
permet de faire sortir «ce que
l’on a de plus profond en soi»,
est-ce que tes nouvelles puisent
dans ton vécu ?
J’ai toujours préféré m’exprimer par
écrit. Je parle très mal en public. Je
me trompe souvent dans le choix
de mes mots, parle trop vite et on
a parfois du mal à comprendre ce
que je dis. Par écrit, j’ai le temps
de me poser, de revenir en arrière
si nécessaire, les mots me viennent
plus facilement, je suis plus à l’aise
pour faire passer ce que je ressens
ou pense. Je puise dans mes rêves,
mes réflexions personnelles et
ma spiritualité pour écrire. Je traîne
aussi mes fantômes derrière moi, et
ils ont plein de choses à dire.
Comment vois-tu l’avenir ? Astu
des projets pour le futur ?
Pour l’instant je vis le moment présent.
Je ne me projette pas, j’ai du
mal avec ça. J’espère juste être
comme le vin et m’améliorer, de manière
générale, avec le temps.
As-tu quelque chose à ajouter ?
«Carpe Diem, Carpe Noctem !»
Aujourd’hui nous voulons vous présenter une jeune artiste talentueuse, une jeune femme qui unit la spiritualité, la
musique et l’écriture dans une même quête de l’artistique et du spirituel. Nous espérons par l’intermédiaire de cet
interview pouvoir vous faire découvrir son oeuvre naissante.
inuit sonna à l’horloge de l’église. Les portes
du cimetière claquèrent sous le passage du
vent. Et une ombre apparut subitement, là,
tout contre le mur de pierre qui encerclait
l’espace sacré. Une silhouette enfantine. Elle resta
un moment à genoux, paressant perdue. Le ciel était
dépourvu de lune et d’étoiles. La brume s’était levée.
Puis, comme si elle répondait à un appel qu’elle seule
pouvait entendre, l’apparition se releva, s’avançant
doucement vers l’entrée du dortoir des morts, ses traits
devenant de plus en plus distincts. C’était une fillette. Elle
portait une chemise de nuit de coton blanc. Ses cheveux
noirs s’envolèrent derrière elle, pris dans un ballet aérien.
La brise glaciale giffla ses joues pâles et la neige qui
recouvrait la terre de son fin manteau mordit ses pieds
nus. Mais elle poursuivit tout de même son chemin. Elle
parvint aux portes forgées du cimetière et s’immobilisa,
hésitant une seconde avant de fixer ses mains sur la
clenche pour la presser et entrer. Elle ne distingua tout
d’abord que les croix qui s’élevaient au-dessus de la
brume. Elle se fia à son instinct pour éviter les tombes,
marchant tantôt sur une herbe craquante, tantôt sur du
gravier. Elle se sentait de plus en plus engourdie au fur et
à mesure de sa lente avancée, prise de vertiges, luttant
contre l’évanouissement qui semblait vouloir l’emporter.
Sa respiration intense rythmait ses pas. Un croassement
de corbeau la fit tressaillir, son coeur s’emballa, elle ne
devait plus être très loin, désormais. Bientôt elle allait
savoir. Elle tendit ses bras devant elle et s’agenouilla.
Elle remarqua que la brume s’était épaissie autour d’elle,
l’aveuglant. Elle ne vit pas que la brume s’échappait
de sa propre bouche, à chaque nouvelle expiration. De
ses mains, elle chercha et trouva une pierre tombale.
Elle suivit son contour du bout des doigts et reconnut un
croissant de lune.
Extrait de «Cruelle innocence» parue dans La Salamandre
numéro 3.
n cette nuit hivernale, le ciel paraissait déchiré
sous la lumière tonitruante. L’océan rageait en
choeur avec lui, ses soubresauts comme des
échos à sa furie. Et son corps gisait là, sur le
sable. Elle semblait reposer entre les bras de Morphée.
Le vent s’était levé, violent, et balayait ses longs cheveux
noirs. Son étreinte glaciale avait gelé les gouttes d’eau
salées qui perlaient sur tout son être figé, pareil à une
statue. Ses yeux bleus étaient cernés de noir dont les
coulures évoquaient de minces branches d’arbres. Ses
lèvres étaient peintes d’un rouge obscur qui contrastait
avec son teint diaphane. Sa peau, d’ailleurs, rappelait le
marbre tant elle laissait transparaître ses veines bleuies.
Les eaux avaient rendu sa robe blanche vaporeuse qui,
à présent, masquait en vain sa nudité.
A portée de sa main gauche, un ours en peluche
blanc, tâché par le sang qui s’était échappé de la plaie
qui logeait dans sa paume. Elle avait le charme d’une
antique poupée de porcelaine. Le feu du ciel miroitait sur
son visage mais on aurait dit que c’était ce dernier qui se
reflétait dans les cieux brisés. Elle s’appelait Narcisse…
Extrait de «Narcisse» (renommée «Reflet d’une fleur
noyée») parue dans la Salamandre numéro 5.
e ne prendrai pas ce bus. J’ai décidé de rester
ici, à Londres. Je ne retournerai pas en enfer.
J’ai trop souffert là-bas à cause de lui. Je fuis ma
douleur. Il m’a abandonnée. Il ne reviendra pas.
Il était un dieu pour moi. Un dieu cruel qui a rejeté avec
rage la plus belle des offrandes que j’aurais jamais pu lui
faire. Je n’ai plus rien. Je veux oublier qui je suis et d’où
je viens. Ce qui est certain, c’est que ce pays ne m’a pas
vue naître. Je serai chez moi n’importe où dorénavant.
Alors, pourquoi ne pas faire de cette terre, que j’ai su
apprivoiser, mon asile ? Il est tard, je devrais rentrer mais
quelque chose me retient à l’extérieur. J’ignore de quoi il
s’agit. Je sais seulement que je dois poursuivre encore
un temps mon errance dans les rues noires et pluvieuses
de cette cité. Je me rappelle ce qui s’est passé la veille à
l’hôtel. Mon sommeil trop léger m’a rendue dépendante
des somnifères. Ce soir là, je les ai pris trop tôt, juste avant
mon bain. J’avais fini de me laver et j’étais en train de me
laisser aller à la rêverie lorsque ma tête est soudainement
devenue lourde. J’ai tenté de lutter contre ces yeux qui
se fermaient d’eux-mêmes mais le marchand de sable a
été le plus fort de nous deux. Je pouvais sentir ses mains
enfoncer ma tête sous l’eau. Jusqu’à ce que, comme
par magie, j’émerge, crachant ce mélange aqueux de
crasse et de savon, m’accrochant de toutes mes forces
au rebord afin de me sortir de là, peinant misérablement
à reprendre cette putain de respiration. J’ai bien failli
crever dans cette saleté de baignoire aussi étroite qu’un
cercueil.
Extrait de «Le souffle d’éternité» parue dans la Salamandre
numéro 9.