Le Panthéon celtique : à la recherche de la Triple Déesse
Le panthéon celtique : à la recherche de la triple déesse
Manon Dufour
Bien que Françoise Le Roux et Christian-J. Guyonvarc'h usent d'une très grande finesse d'analyse pour démontrer le caractère monothéiste de la religion des Celtes en étudiant les documents romains, nous adhérons avec conviction à la plupart des travaux de spécialistes qui concluent au polythéisme du druidisme. II serait intéressant de réviser à travers le panthéon celtique quelle pourrait être la véritable puissance primordiale trop rapidement associée à Lug (Mercure d'après César) pour qui une fête est célébrée au calendrier celte, soit la Lugnasad (le ler août). D'abord, précisons que la Lugnasad est présidée par un roi et non par un dieu. Ce qui remet en perspective le pouvoir divin associe à Lug qui a été considéré à tort comme le dieu des dieux. En considération du déroulement de la fête célébrée en son nom, Lug serait le dieu-roi ou le dieu des rois, mais d'aucune façon il n'a pu régner sur le panthéon celtique puisqu'il ne pouvait s'agir d'un système impérialiste. Faut-il rappeler que tout ce que nous détenons d'information sur cette structure archétypale nous vient de Jules César. Et qu'elle risque fort d'avoir été empreinte de l'unique référence religieuse que possédait ce grand homme militaire, à savoir le panthéon romain. De plus, l'étude de César sur les dieux celtes s'est fait en territoire continental et non insulaire. II est plus que probable que les archétypes irlandais aient différé considérablement des représentations gauloises à l'origine des recherches de César.
La correspondance ne se fait pas si facilement lorsqu'on étudie un tant soit peu la mythologie irlandaise et plusieurs ambiguïtés nous apparaissent. Notamment en ce qui concerne le rôle de Brigitt que la plupart des auteurs reconnaissent comme étant la mère de tous les dieux. Avec la christianisation du druidisme, Brigitt la déesse est devenue sainte Brigitte ; ce qui démontre, du moins en partie, I'impor- tance de cet archétype pour les Celtes d'Irlande. En effet, ils ont tenu à conserver cette représentation féminine. C'est qu'à l'origine de la culture irlandaise, Brigitt se révèle sous les traits de la Terre-Mère et du territoire irlandais lui-même.
Elle est la Triple Brigitt, mère de tous les dieux, la "Déesse-mère par excellence", la trois fois Muse, la poétesse, fille du Dagda, la triade révérée "par les poètes, les médecins, les forgerons", déesse de la poésie, de la santé, de la forge, englobant ainsi les trois fonctions de type indo-européen. » Persigout a applique plus précisément ces principales fonctions à Brigitt.
1. patronne des poètes, filid et médecins, guérisseuse et déesse de la divination, elle incarne la subtilité intellectuelle ;
2. son aspect guerrier est souligné par sa participation à la fabrication des armes forgées ;
3. patronne des artisans, de l'habileté technique - bronziers, forgerons -, elle veille au feu sacré de la tribu et sur celui du foyer domestique, elle est la fécondité et préside aux accouchements.
Considérant l'étendue et la diversité de ses attributs divins, Brigitt incarne la triple-déesse irlandaise dont on a retrouvé plusieurs représentations archéologiques en territoires celtes, continental et insulaire. Mais ses trois visages varient selon l'auteur ancien et ses origines religieuses. Ainsi, une correspondance a la grande déesse grecque a été établie avec Artémis, Aphrodite et Hécate ou encorePerséphone, Déméter et Gaia. On s'explique difficilement la complexité archetypale de Brigitt mais sa tripartition demeure et reste a explorer comme de nombreuses autres triades des archétypes féminins celtiques. Néanmoins, une association avec des archétypes féminins gallois établie par Thibaud suggère une intéressante piste de réflexion.
Les déesses sont ainsi la manifestation de la Triple Déesse, ou déesse aux trois visages, illustrées par Blodeuwedd (le principe jeune), Arianrhod (le principe mature), et Cerridwen la Truie Blanche (le principe âgé préparant le cycle futur).
La perspective de cet auteur souligne toute la nécessité du mouvement et de la transition des différents cycles de la vie si chers à la philosophie druidique. D'ailleurs, la fête d'lmbolc, caractérisée par I'initiation; la transition d'un passage important et la purification, est célébrée en l'honneur de Brigitt.
Divers "avatars" de Brigitt sont Boinn, Eiihné, Etaine, Bodbh, Tailtiu, la Morrigane, Macha, toutes triples déesses, Rhiannon, Epona, peut-être Airmed, Sirona, Arianrod puis Melusine et ... sainte Brigitte.
Ces archétypes féminins sont irlandais, gallois, gaulois et armoricains, mais toujours des triparties celtiques du féminin. Brigitt incarne donc par ses fonctions et son rôle archétypal le fondement et l'ensemble de l'organisation sociale de la civilisation celtique : le principe féminin et la Terre-Mère.