Gitans, Crapauds et Connaissance du Crapaud
Gitans, Crapauds et Connaissance du Crapaud
Charles Godfrey Leland
Traduction Tof
Le crapaud joue un rôle important dans la sorcellerie gitane (comme dans d'autres). Dans la plupart des dialectes Gitans, le même mot désigne un crapaud, une grenouille et le diable. Alexander G. Paspati déclare que le crapaud fait penser à Satan, mais je pense qu'il doit y avoir un mot aryen qu’on ne connaît pas encore, (« beng » peut être ?) qui désigne le diable et que le mot allemand « Bengel » qui désigne un fripon vient de là.
Les gitans et des crapauds sont « proches » les uns des autres et parfois leurs enfants en ont comme animal de compagnie, ce qui fait penser aux déclarations faites en Suède lors de procès de sorcières, où les sorcières ont prétendu avoir été au Blockula, ou Sabbat, où les jeunes enfants des sorcières ont joué aux bergers, leurs troupeaux étant des crapauds.
Des gitans m’ont dit que les crapauds pouvaient vraiment faire des prédictions inexplicables sur des gens et des lieux.
Ce qui suit m’a été raconté par une fille dans la forêt d’Epping en Roumanie il y a quatorze ans :
« Vous savez monsieur, les gens qui vivent tout le temps dehors, comme nous le faisons, voient et savent beaucoup au sujet de telles créatures. Un jour nous sommes allés dans une ferme et avons trouvé la femme presque morte car elle pensait avoir été ensorcelée par une femme qui venait chaque jour à sa porte sous forme d'un grand crapaud et qui regardait à l’intérieur. Alors qu’elle parlait le crapaud est arrivé et la femme a été prise d'une telle peur que j'ai pensé qu'elle allait mourir. Mais cela m’a fait sourire car je savais que les crapauds faisaient souvent de la sorte et peuvent non seulement être apprivoisés, mais souvent s’apprivoisent presque tout seuls. Ainsi nous les gitans en avons parlé ensemble en roumain et nous avons ensuite dit que nous pourrions enlever le sort si elle nous procurait une paire de ciseaux et une tasse de sel. Nous avons alors attrapé le crapaud et l’avons lié aux ciseaux en forme de croix et avec cette croix nous avons jeté le crapaud au feu et y avons versé le sel. Le charme était rompu et la femme nous a offert un bon repas et dix shillings ». (Une poésie Gitane parle de cela dans : « English Gypsy Songs » Trübner and Co., 1875).
Il y a un conte épouvantable raconté par R. H. Stoddard, dans un poème, où un jour un homme a accidentellement marché sur un crapaud et l'a tué. En entendant à cet instant un cri perçant dans les bois non loin de là, suivi d’un tumulte, il est allé voir ce qui se passait et a trouvé un camp de gitans qui pleuraient la mort soudaine d'un enfant. En regardant le cadavre il fut horrifié de constater que le corps semblait avoir été piétiné à mort, ses blessures étaient les mêmes que celles infligées au crapaud. Cette histoire m’a été racontée par la gitane, elle ne doutait aucunement de sa véracité, elle en était horrifiée.
(…)
En 1610 l’Association des Sorcières espagnoles était très liée aux crapauds (voir Lorent, « Histoire de l'Inquisition »). Un membre de cette Association a raconté qu’au moment de l'initiation, une marque ressemblant à un crapaud était appliquée sur la paupière de l’initié et qu'il recevait un vrai crapaud qui avait le pouvoir de rendre son maître invisible, de le transporter au loin et de le métamorphoser sous la forme d’une grande variété d'animaux.
Il y a une expression allemande ou une malédiction « Kroten-Düvel! » Ou « Diable Crapaud », qu'on pense provenir de ce qui suit : Lorsque l'Empereur Charlemagne est arrivé chez les Saxons de l'Est et leur a demandé qui ils adoraient, ils ont répondu, « Krodo est notre Dieu » ce à quoi l'Empereur a répondu « Krodo est comme Kroten-Düvel! » Et il leur a fait payer amèrement par l'épée et la corde pour le crime de nommer Dieu dans leur langue, d’un nom différent de celui qu'il utilisait lui. Il a mis des milliers d'entre eux à mort, comme par exemple le Roi Olof de Norvège, pour montrer que sa foi était « humilité et pitié ».
Il n’est pas bon de les regarder. L'apparition d’un crapaud est un mauvais présage dans les mythologies de tous les peuples. Les Indiens Algonkin - qui, comme Napoléon et Slawkenbergius, appréciaient les hommes au grand nez - après avoir étudié la physionomie plate du crapaud, ont décidé qu’il avait tous les vices et ont fait du crapaud la mère de toutes les sorcières. Rien ne pouvait être plus critique, car dans leur religion - comme dans celle des Accadiens, des Lapons et des Esquimaux - on voyait la sorcellerie comme quelque chose de sombre et d’horrible, où les sorcières étaient liées aux mauvais esprits. Elles étaient là avant leur propre Chamanisme, mais ces ennemis de l'humanité ont été vaincus par la magie des chamans. Le Grand Crapaud était impliqué dans une conspiration où Glooskap, le Dieu Chamanique de la Nature, devait être détruit. Glooskap a passé sa main sur le visage du Crapaud et du Porc-épic (qui avait aussi conspiré) et désormais leurs nez sont plats, au grand mépris de tout honnête indien. Les anciens Persans ont fait du crapaud le symbole et l'animal d'Ahriman, l'adversaire de la lumière et on a déclaré que son familier avait pris cette forme lorsqu’ils persécutaient Ormuzd. Au Tyrol le crapaud est envieux on dit : « Envieux comme un crapaud ». Au Moyen âge, pour les artistes et dans de nombreuses légendes catholiques, le crapaud est l’Avide ou l'Avare : Il y a, même de nos jours, en un certain lieu mystérieux sur la rive droite du Rhin entre Laufenberg et Binzgau, un tas de charbon sur lequel est assis un crapaud. Pour tout le monde il s’agit de charbon. Mais en réalité il s’agit d'or pur et le crapaud est un diable qui en a la garde mais il y a un sort que l’on peut prononcer pour chasser le sinistre gardien. Menzel (« Christliche Symbolik », vol. I. P. 530) raconte qu’il y a bien longtemps vivait un avare épouvantable, qui une fois âgé s’est repenti et voulait laisser son argent aux pauvres. Mais lorsqu’il a ouvert son grand coffre de fer, il a constaté que chaque pièce de monnaie s’était transformée en un crapaud horrible aux dents pointues. Il a raconté cette histoire à son confesseur, le prêtre y a vu le châtiment divin et lui a dit que Dieu ne prendra pas son argent - non, qu'il serait dur avec lui pour sauver son âme. Et comme il était prêt à tout pour se laver du péché, il a fermé le coffre à clef en enfermant les crapauds. Mais le jour suivant lorsqu’il a rouvert le coffre les crapauds l’ont dévoré ne laissant plus que les os.
Au Tyrol on croit que les crapauds sont de pauvres pécheurs, subissant leur pénitence sous la forme de « Hoetschen » ou « Hoppinen » - comme ont les appelle là-bas - pour les actes qu’ils ont commis sous leur forme humaine. Ils sont donc considérés avec pitié et sympathie par tous les bons Chrétiens. Et il est bien connu que dans l'église Saint Michel à Schwatz, le soir avant les grandes fêtes, lorsqu’il n’y a personne, un crapaud gigantesque vient en rampant devant l'autel, où il se met à genoux et prie en pleurant amèrement. On raconte que les crapauds sont pour la plupart des gens qui ont fait voeux de faire un pèlerinage et sont morts avant de réaliser ce vœu. Donc les pauvres créatures sautent égarées, abasourdies et perplexes, luttant pour retrouver leur chemin vers les lieux saints qui ont par hasard cessé d'exister depuis longtemps. Une fois un crapaud a mis sept ans pour aller de Leifers à Weissenstein, et quand il a atteint l'église il s’est soudainement changé à une colombe blanche resplendissante qui s’envolant jusqu'au ciel, à disparu sous les yeux de tous ceux qui s’étaient réunis là et qui ont témoigné du miracle. Un jour un conducteur de diligence allait d'Innsbruck à Seefeld, alors qu’il faisait une pause sur le côté un crapaud est venu en sautant et semblait vouloir entrer dans la diligence. Comme il était brave homme, il l'a aidé à monter et lui a laissé une place à côté de lui sur le siège. Il était là assis comme un tout autre passager respectable, jusqu'à ce qu'ils soient arrivés au chemin qui mène à l'église de Seefeld; quand un miracle s’est accompli! Le crapaud s’est soudainement métamorphosé en une très belle jeune fille vêtue de blanc, qui, remerciant le cheminot de sa bonté pour elle lorsqu’elle n'était qu'un pauvre batracien, lui a dit qu'elle fut autrefois une demoiselle qui avait juré de faire un pèlerinage vers l'église de Seefeld.
Comme la grenouille, le crapaud est un emblème de fécondité et on l’assimile à la passion érotique. J'ai un collier où il y a des crapauds en argent. Il est de facture arabe. Il était fait pour être porté par les femmes qui voulaient devenir mères.
Dans l’Ancien Monde comme dans le Nouveau, il apparaît que le crapaud recherche sincèrement le contact avec les hommes. Ainsi il est arrivé à un jeune homme d'Aramsach, près de Kattenberg, d’être un jour tout seul près d’un lac, de l’eau il était observé par ce qu’il a pris pour une demoiselle mais qui était en fait un affreux crapaud. Il a donc conversé avec la « demoiselle ». La conversation était amicale et agréable, car l’étrange créature parlait très bien. Pensant qu’il pouvait avoir faim, elle lui a demandé s'il voulait manger quelque chose de particulier. Pour plaisanter il a parlé d’une sorte de gâteaux; elle a alors plongé dans le lac et lui en a ramené qu'il a mangé. Ils se sont rencontrés plusieurs fois; et chaque fois qu'il souhaitait quoi que ce soit, elle le lui rapportait. Finalement, malgré sa laideur épouvantable, le jeune homme est tombé amoureux de la créature et lui a proposé le mariage qu’elle a accepté avec joie. Mais à peine la cérémonie s’est achevée qu'elle s’est transformée en une femme d’une beauté merveilleuse, et le prenant par la main, elle l'a conduit au lac où ils ont plongé et, « on ne les a plus jamais revus dans cette vie ». Cette légende apparemment est liée à la connaissance de la grenouille. Dans une autre version, le crapaud après le mariage va à un lac, y « lave » sa laideur et revient au château du jeune marié sous la forme d’une magnifique jeune fille, où ils vécurent dans le plus parfait bonheur.
J'ai aussi un très vieil anneau d'argent, où figure un crapaud artistiquement taillé dans de l’hématite ou pierre de sang. C’était une amulette encore célèbre il y a deux ou trois cents ans.