Conte : La Déesse bénit toutes les formes d'amour
La Déesse bénit toutes les formes d’amour
in Circle round : rising children in the Goddess tradition
Traduit et adapté de l'anglais par Iridesce.
Tric trac, un conte dans mon sac, je vais vous raconter une histoire au sujet du tout premier Mât de Mai…
Il était une fois, il y a bien longtemps – ou peut être, dans un temps qui n’existe pas encore – un printemps où aucune plante ne fleurit.
Les pruniers et les cerisiers ne montrèrent pas le moindre pétale rouge blanc, rose ou rouge. Aucune jonquille ne perça le sol froid ; aucun bourgeon de rose ne se forma. Les lilas ne parfumèrent pas l’air, aucune fleur n’ouvrait ses pétales éclatants au vent. Et le pire de tout était que personne ne semblait le remarquer.
Sauf une petite fille nommée Vivian.
« Où sont toutes les fleurs ? » demandait-elle à tous les gens qu’elle rencontrait, et tout le monde la regardait bizarrement.
« Les fleurs ? Quelles fleurs ? » demanda la femme qui distribuait le courrier. « Je n’ai pas le temps de me soucier des fleurs, j’ai du travail et un long chemin à parcourir. »
« Peut-être qu’elle veut dire « fleur de farine ?», dit l’homme qui tenait la superette du coin. « Peut-être qu’elle veut faire un gâteau. »
« J’ai entendu parler de fleurs », dit la bibliothécaire. « Je sais que j’ai une référence qui en parle quelque part. »
« J’ai un super jeu vidéo avec des fleurs », dit son frère. « Y’a pas besoin de creuser dans la terre quand on peut faire pousser son jardin virtuel. »
« Elle a peut-être besoin d’aller au lit plus tôt », dit sa mère. « Elle a peut-être des soucis de digestion. »
« Les fleurs ne manquent à personne, alors ? » Vivian se mit à pleurer.
« Elle est confuse », dit son instituteur, « Il faut être gentil avec elle. »
« Elle est malade », dit le docteur. « Il faut la guérir. »
« Elle est folle ! » dirent les autres enfants, garçons et filles, et ils se moquèrent d’elle jusqu’à ce qu’elle aille si mal qu’elle se mit à courir hors de l’école pour s’enfoncer dans les bois.
Elle courut, et courut, jusqu’à ne plus pouvoir mettre un pied devant l’autre. Elle se laissa tomber dans un cercle d’herbe et pleura.
« Personne ne m’aime ! » s’écria-t’elle. « Personne ne fait attention aux fleurs ! Personne ne fait attention à moi ! »
« C’est exactement ce que je ressens aussi », dit une petite voix près de son oreille. Vivian baissa la tête et vit une petite fleur de pissenlit à l’apparence assez minable, minuscule. Ses pétales étaient écrasés, sa tige penchée, et il semblait qu’elle était prête à s’effondrer à tout moment. Mais c’était la seule fleur qu’elle avait vue depuis le début de l'année, et elle en fut remplie d’excitation.
« Oh, pissenlit ! » s’écria-t’elle. Je suis si heureuse de te voir ! Tu es si belle ! »
« Pas vraiment », dit modestement le pissenlit, mais il se redressa quand même un peu.
« Pourquoi n’y a-t’il pas eu de fleurs au printemps cette année ? Pourquoi elles ne manquent à personne ? » demanda Vivian.
« Exactement pour ça », répondit le pissenlit. « Les fleurs ne manquent à personne, alors pourquoi pousserions-nous ? Un amour particulier a quitté ce monde, alors les esprits de la terre sont malades, et les fleurs ont disparu. Mais avec le bon type d’amour, on peut les faire revenir. »
« Quel genre d’amour faut-il ? » demanda Vivian.
Mais le pissenlit lui répondit seulement : « Tu penses réellement que je suis belle ? Après tout, je suis la plus commune des fleurs. »
« Je te trouve magnifique ! » dit Vivian.
Le pissenlit soupira. « Alors, je peux mourir heureuse ! » Elle s’effondra sur le sol, et, un par un, ses pétales se recroquevillèrent et disparurent.
« Pauvre fleur ! » se recueillit Vivian. « Tu étais vraiment belle ! » Puis elle s’assit et sécha ses larmes. Car à présent elle savait qu’avec le bon type d’amour, elle pourrait ramener les fleurs.
Elle finit d’essuyer ses larmes et rentra chez elle.
« Oh, Vivian ! Je me suis fait tellement de souci pour toi ! » pleura sa mère.
« Je t’ai cherchée partout ! » dit son père.
« Je surfais sur le web pour essayer de te localiser », dit son frère.
« Vous m’aimez ? » demanda Vivian.
« Bien sûr » dirent ses parents.
« Je crois, ouais », dit son frère.
« Alors aidez-moi à faire revenir les fleurs ! Aidez-moi à trouver la bonne forme d’amour ! »
Ses parents grommelèrent et haussèrent les sourcils, mais ils suivirent tout de même Vivian en ville. Son frère roula des yeux mais vint aussi.
« Vivian ! Où est-tu partie ? » s’écrièrent toutes les filles et tous les garçons.
« J’ai été chercher les fleurs. Et maintenant je sais que si nous pouvons trouver la bonne forme d’amour, on pourra les faire revenir ! »
« Des fleurs, toujours des fleurs ! » dit l’une des filles. « Tu as des fleurs dans le cerveau ! »
« Elle est perturbée », dit l’instituteur. « Il faut être patient avec elle. »
« Elle va mal », dit le docteur. « Il ne faut pas la mettre mal à l’aise. »
Ils laissèrent donc Vivian les placer tous en cercle au centre de la ville. Ils fermèrent les yeux et se tinrent les mains mais rien ne se passa.
« Le cercle n’est pas assez grand », s’écria Vivian. « On a besoin de plus de formes d’amour ! »
« Je vais aller chercher mon oncle Donald et mon oncle Rick ! » s’écria l’une des filles. « Ils s’aiment ! »
« Tu penses que leur type d’amour peut ramener les fleurs ? » lança l’un des garçons.
« On a besoin de tous les types d’amour », dit Vivian. « Nous ne savons pas lequel est le bon. »
« Je vais aller chercher mes mamans », dit l’un des garçons. « Elles s’aiment l’une l’autre, et elles m’aiment aussi. »
« J’aime mon travail », dit la factrice en entrant dans le cercle. « J’aime apporter aux gens leur courrier. »
« J’aime mes voisins », dit le patron de la superette, en lui prenant la main.
« J’aime les arbres », dit une vieille femme qui vivait dans les bois.
« J’aime lire », dit la bibliothécaire.
« J’aime mon jardin », dit un grand homme portant une pelle.
« J’aime mon chien ! » dit un tout petit garçon.
« Ton chien ?! » tous les enfants rirent. « Tu penses que ton chien va ramener les fleurs ? »
« Mon chien m’aime mieux qu’aucun d’entre vous ! » dit le garçon, et il courut le chercher.
Le cercle s’agrandit, encore et encore.
« Ce n’est pas encore assez grand ! » cria Vivian.
« Aucun cercle d’amour ne pourra jamais être assez grand pour contenir toutes les formes d’amour », entendit-elle une voix murmurer. Une belle femme tenait sa main, ses cheveux étaient couronnés de toutes les fleurs de l’été, ses yeux étaient profonds comme des puits, dansant dans la lumière comme la surface étincelante d’un cours d’eau chantant. Son visage était à la fois vieux et jeune, et semblait changer sous les yeux de Vivian. Durant un instant, elle était sombre comme une pensée veloutée, à d’autres elle était pâle comme un lys blanc. Elle était aussi jeune, fraîche et délicate qu’une rose nouvellement éclose, puis ancienne et ridée comme un vieux noisetier.
« Qui es-tu ? » demanda Vivian.
« Je suis la Déesse », dit la femme. « La Reine de Mai. Tu m’as appelée et fait revenir de l’Autremonde avec ton cercle d’amour. »
« Alors, on a trouvé la bonne forme d’amour ! »
La Reine de Mai sourit. « Il n’y a pas de bonne forme d’amour », dit-elle. « La Déesse bénit toutes les formes d’amour. Chaque fois que vous vous rejoignez dans un cercle en parfait amour et parfaite confiance, vous m’appelez. »
« Alors comment fait-on revenir les fleurs ? » demanda Vivian.
« Voici ce qu’il faut faire », dit la Reine de Mai. Elle désigna le centre du cercle, où se dressait un grand mât. « Mon arbre de vie est devenu du bois mort, mais tu peux le ressusciter. Fais un cercle avec tes bras, comme si tu voulais enlacer l’air. » Vivian le fit, et se retrouva en train d’enlacer un grand anneau d’argent. « Ceci est mon cercle de renaissance. Accroche-le en haut de l’arbre et fixe bien le mât au sol. » Elle secoua la tête, et des rubans brillants de toutes les couleurs tombèrent de sa chevelure sur le sol. « Et voici les rubans de l’amour, chacun d’entre eux représente une forme d’amour particulière, et sans la totalité de ces rubans, mon cercle n’est pas complet. »
« Voici l’amour que les parents ont pour leurs enfants… »
« Et voici l’amour que tu ressens envers ta meilleure amie… »
« Et voici l’amour que tu as pour tes grands-parents… »
« Et voici celui que tu éprouves pour ton animal familier… »
« Et celui-là, c’est l’amour et la passion qu’une femme et un homme peuvent ressentir l’un pour l’autre… »
« Et voici l’amour que tu ressens pour un ami avec qui tu t’es battu, puis réconcilié… »
« Et là, c’est l’amour libre et dévoué entre deux hommes… »
« Celui-ci, c’est l’amour que tu éprouves pour un enseignant vraiment formidable… »
« Voici l’amour que tu éprouves envers tes frères et sœurs… »
« Et voici l’amour envers tes frères et sœurs quand ils t’embêtent et te rendent folle... »
« Là, c’est l’amour que tu as pour tes oncles et tes tantes… »
« Et celui-là, c’est l’amour de la musique et des arts… »
« Voici l’amour qui crée les enfants et appelle de nouvelles âmes à s’incarner… »
« Et voici l’amour que les gens éprouvent les uns pour les autres lorsqu’ils travaillent dur ensemble… »
« Et là, c’est l’amour qui crée de nouvelles idées… »
« Prenez tous mes rubans, et dansez autour de mon arbre, enroulez l’amour dans toutes ses couleurs autour de l’arbre de vie, et les fleurs reviendront. »
Ainsi, les gens construisirent un Mât de Mai et dansèrent autour toute la journée. Et tandis qu’ils dansaient, des bourgeons blancs et roses commençaient à éclore sur les pruniers et les cerisiers. Les jonquilles perçaient le sol, et les boutons de roses apparaissaient. Le parfum des lilas emplit l’air, et partout des pétales éclatants s’ouvraient au vent.
Lorsque la danse fut terminée, la Reine de Mai rassembla tous les enfants autour d’elle. « Je dois vous quitter maintenant », dit-elle, « mais les fleurs resteront, dans toute leur gamme de couleurs, de formes et de senteurs, pour vous rappeler d’honorer toutes les formes d’amour. Et comme c’est l’amour d’une enfant qui m’a ramenée parmi vous, je vais vous donner, à vous les enfants, trois présents : que bien des formes d’amour viennent à vous, chacune en son temps ; que vous soyez capables de dire oui à l’amour qui est bon pour vous ; que vous soyez capables de dire non à l’amour qui n’est pas bon pour vous. Car, si toutes les formes d’amour sont bénies, vous êtes les seuls à savoir quelles formes d’amour sont bonnes pour vous. Et maintenant, je dois partir, mais chaque année, quand vous danserez autour du Mât de Mai, je serai avec vous, que vous me voyiez ou non. Car je suis comme l’amour. »
Et à ces mots, elle disparut.
Mais les fleurs restèrent tout l’été. Et après cela, à chaque printemps, les gens dansèrent autour du Mât de Mai avec des rubans de couleurs vives, en l’honneur des fleurs, et de toutes les couleurs de l’amour.