Iannick Coquart
Première version
I
Iannik Coquart, de Ploumilliau,
Est le plus beau fils de paysan qui soit dans le pays ; C’est la fleur des jeunes gens, Le petit cœur des demoiselles.
Quand Ervoanik Coquart allait à la lieue de grève,
Les jolies filles accouraient sur le seuil de leurs maisons. En se disant l’une à l’autre : — C’est Ervoanik Coquart qui passe ! —
Ervoanik Coquart a dit
A ses parents, en arrivant à la maison : — Mon père et ma mère, si vous êtes contents, J’épouserai une jolie fille ;
J’épouserai Marie Tili,
On donne avec elle une dot considérable : On lui donne sept métairies, Et plein un boisseau d’argent,
Plein la grande jatte de fil blanc,
Une charrette ferrée et un attelage ! — Le vieux Goauart répondit Alors à son fils Iannik :
— Vous n’épouserez pas Marie Tili,
Car on la reprocherait à vous et à nous ; On la reprocherait à nous et à vous, Car vous épouseriez une lépreuse ! —
— Mon père et ma mère, au moins,
Laissez-moi aller au pardon ; Laissez-moi aller au pardon, Au Folgoat ou à Sainte-Anne, —
— Si vous allez au pardon au Folgoat,
Que Dieu vous donne bon voyage ; Que Dieu vous donne bon voyage, Et de bonnes nouvelles à vos parents, à la maison !
II
Comme il passait par Morlaix,
Il rencontra sa Lépreuse. — Iannik Coquart, mon bien-aimé, Où allez-vous ainsi ? —
— Je vais au pardon du Folgoat,
Sans chaussure, sans bas et à pied. — — Iannik Coquart, mon bien-aimé, Permettez-moi de vous accompagner,
Pour demander à Dieu la grâce
De coucher tous les deux dans le même lit ; Coucher dans le même lit, Et manger dans la même écuelle. —
De Morlaix à Plouvorn,
Ils sont allés en se tenant par la main. Marie Tili disait, En passant devant la porte de son père :
— Cher Iannik, attendez un peu
Que j’entre pour parler à ma mère, Pour lui demander si elle a de quoi Pour nous donner à souper à tous les deux. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
— Ma fille chérie, j’ai entendu dire
Que Iannik Coquart est marié ; Quand il sera à table, à souper, Ma fille, demandez-le lui ;
Et suivant ce qu’il dira, s’il est chrétien,
Donnez-lui sa croix d’extrême-onction ; Donnez-lui sa croix d’extrême-onction, Avec un cerceuil de quatre planches ! —
— Iannik Coquart, mon bien-aimé,
Avouez-moi la vérité ; Avouez-moi la vérité, Avez-vous femme et enfants ? —
— Oui, j’ai femme et enfants, [1][3]
Et je voudrais être auprès d’eux. — — Iannik Coquart, mon bien-aimé, Acceptez à boire de moi ;
Je ne vous donnerai pas de vin blanc.
De crainte qu’il ne vous monte à la tête ; Je vous verserai du vin clairet, Qui vous donnera des forces pour marcher. —
III
Quand Iannik Coquart allait chercher de l’eau,
Il ne savait pas qu’il était malade ; Il ne savait pas qu’il était malade, Jusqu’à ce qu’il eut regardé dans l’eau.
Quand il regarda dans la fontaine,
(Il vit) qu’il était pourri de lèpre ! Iannik Coquart disait A son père et à sa mère, en arrivant :
— Mon père et ma mère, si vous m’aimez,
Vous me bâtirez une maison neuve ; Bâtissez-moi une maison neuve sur le bord de la lande, Près du chemin qui mène à Saint-Jean ;
Et faites une fenêtre dans le pignon,
Pour que je puisse voir la procession, Avec la grande bannière de Ploumilliau, Allant vers saint Cado.
La grande bannière autour du cimetière,
Que de fois ne l’ai-je pas portée ! Oui, je l’ai portée bien souvent, Mais je ne la porterai plus, hélas ! —
Son père et sa mère disaient A Iannik Coquart, en ce moment : — Iannik Coquart, dites-nous, Qu’est-ce qui vous a donné la lèpre ? —
— C’est en buvant du vin, à plein verre,
Versé par une jeune fille que j’aimais ; En buvant du vin empoisonné Par une lépreuse maudite ! —
IV
Marie Tili disait,
En arrivant à Morlaix : — J’ai aimé dix-huit clercs, Et je leur ai donné la lèpre à tous ;
Mais Iannik Coquart, le dernier,
Me brise le cœur ! Une goutte de sang de mon petit doigt, Donnerait la lèpre à cent, comme à un seul ! —
Recueilli par P. Proux, en la commune de Plouigneau, près Morlaix. — 1863.