Aradia ou l'évangile des sorcières
ARADIA OU L’EVANGILE DES SORCIERES
Charles G. Leland [1899]
Traduction / adaptation Véro
PREFACE
Si le lecteur a lu les travaux du folkloriste G. Pitré, ou les articles de "Madame Vere de Vere" parus dans le « Italian Rivista » italien, ou ceux de J. H. Andrews à « Folk-Lore », [Mars, 1897: "Neapolitan Witchcraft."] il se rendra compte qu'il y a en Italie un grand nombre de sorcières ou de diseuses de bonne aventure, qui prédisent l’avenir grâce aux cartes, exécutent d’étranges cérémonies dans lesquelles des esprits sont censés être appelés, qui fabriquent, vendent des amulettes, et ne se comportent génralement pas comme ce à quoi on pourrait s’attendre, qu’elles soient prêtresses noires Vaudou en Amérique ou sorcières ailleurs.
Mais la strega ou la sorcière italienne est à certains égards un personnage différent de ces derniers. Dans la plupart des cas elle vient d'une famille dans laquelle son pouvoir ou son art a été pratiqué depuis de nombreuses générations. Je n'ai aucun doute qu'il y ait des cas où cela remonte au moyen-age, à l’époque romaine voire même à celle des étrusques. Le résultat a été dans de telles familles la persistance de nombreuses traditions. Mais dans l’Italie du nord, comme les écrits l’indiquent malgré quelques petites collections de contes et de croyances populaires faites par des élèves, il n’y a jamais eu le moindre intérêt pour l’art sorcier étranger, pourtant il semblerait qu’elle inclue une incroyable quantité de mythes et légendes de la Rome antique , telles qu’ils furent rapportés par OVID, auquel, comme à tous les autres écrivains latins, beaucoup a échappé.. [Ainsi nous pouvons imaginer ce qu’il en aurait été des contes de fées allemands si rien n’avait survécu à part les ouvrages de Grimm et de Musaeus On pourrait alors croire qu’il s’agit là de la totalité des recueils du genre , alors qu’en fait ils ne représenteraient qu’une infime partie d’un ensemble. Et le savoir des sorcières était totalement inconnu des auteurs classiques de l’Antiquité, en vérité il n’y a chez aucun d’entre eux de preuve qu’il se mêlait au peuple pour y collecter des informations comme on le fait aujourd’hui. Ils se contentaient de rédiger leurs ouvrages à partir d’autres ouvrages quelque chose de ce genre de littérature nous reste encore aujourd’hui.
Ce manque de savoir était fortement encouragé par les sorcières et les magiciens, dans la mesure, où, par crainte des prêtres ils rendaient toutes leurs traditions extrêmement secrètes. En fait les prêtres ont aidé sans le savoir à cet état de faits, car l’interdit est un pouvoir d’attraction puissant et la magie, comme les truffes, se développe mieux, et se pare de ses meilleurs arômes, quand elle est cachée profondément.
Toutefois aujourd’hui, les prêtres, tout comme les magiciens, disparaissent avec une incroyable rapidité, il y a même un écrivain français qui a fait remarquer qu’un franciscain dans un train représente un anachronisme et dans quelques années, avec les journaux et les bicyclettes (le ciel seul sait ce qu’il adviendra lorsque qu’il y aura des machines volantes) ils seront tous irrémédiablement balayés de la surface de la terre.
Cependant, ils disparaissent lentement, et il y a encore des personnes âgées dans le Nord de l’Italie qui connaissent les noms étrusques des douze dieux, et les invocations à Bacchus, Jupiter, et Venus, Mercure, et les anciens esprits, et en ville des femmes fabriquent d’étranges amulettes, sur lesquelles elles murmurent des sorts, tous connus au temps des romains, elles peuvent étonner même les instruits par leurs connaissances des légendes des dieux latins, mélangées avec le savoir que l’on peut trouver chez Cato ou Théocrite. Je suis devenu intime avec l’une d’entre elles en 1886, et depuis j’ai rassemblé parmi ses consœurs toutes les anciennes traditions qu’elles connaissaient. Il est vrai que j'ai utilisé d'autres sources, mais cette femme de par une longue pratique a parfaitement appris ce que peu comprennent. Elle savait exactement ce que je voulais et comment l'obtenir de ses consœurs.
Parmi d'autres reliques étranges, elle a réussi, après plusieurs années, à obtenir « l'évangile » qui suit et dont je dispose d’une copie écrite de sa main. Un exposé complet sur sa nature avec de nombreux détails se trouve dans un appendice. Je ne sais pas de manière certaine si mon informatrice a obtenu ces traditions de sources écrites ou de récits oraux, mais je pense qu’il s’agit principalement de la seconde solution. Mais, il y a peu de magiciens qui copient ou préservent des documents relatifs à leur art. Je n'ai pas vu mon informatrice depuis que « l'évangile » m'a été envoyé. J'espère obtenir plus d’informations dans un futur proche.
En bref je peux dire que l’art des sorcières est connu de ses adeptes comme « la vecchia religione » ou l’ancienne religion. Diane est leur déesse, sa fille Aradia (ou Herodias) le Messie féminin, dans ce qui suit on trouvera comment cette dernière est née et est venue sur Terre, comment elle a créé les sorcières et la sorcellerie, et est alors retournée au ciel. On trouvera aussi les cérémonies et les invocations ou les incantations à adresser à Diane et à Aradia, l'exorcisme de Caïn, et le sort de la pierre sainte, et de la rue et de la verveine, constituant, comme le dit le texte, le rite régulier, qui doit être chanté ou dit aux réunions de sorcières. On trouvera également d’étranges incantations ou les bénédictions du miel, de la farine, et du sel, ou les gâteaux du dîner sorcier, qui est très fortement influencé par l’antiquité et est une évidente relique des mystères romains.
Le travail aurait pu se prolonger à l’infini en y ajoutant des cérémonies et des incantations qui font réellement partie des rites sorciers, mais on les retrouve tous ou presque dans mes travaux intitulés « Etruscan-Roman Remains » et « Legends of Florence», j'ai hésité à compiler un tel volume avant de m'assurer qu’il y avait un public assez nombreux intéressé par ce travail. Depuis que j’ai écris les ouvrages précités j’ai trouvé et lu un texte très intelligent et divertissant intitulé « Il Romanzo dei Settimani » de G. Cavagnari datant de 1889, dans lequel l’auteur, sous forme de roman, dépeint les coutumes, les manières de penser, et particulièrement la nature de la sorcellerie, et les nombreuses superstitions courantes parmi les paysans de Lombardie.
Malheureusement, malgré sa connaissance étendue du sujet, il ne semble jamais être apparu au narrateur que ces traditions puissent être autre chose qu’un non-sens ou une folie anti-chrétienne abominable. Que cela existe dans ce qui reste de la mythologie antique et le folklore, qui est la base de l'histoire, l’auteur l’occulte totalement comme le ferait Zoccolone ou un franciscain errant. On pourrait croire qu’un homme, qui savait qu'une sorcière a vraiment essayé de tuer sept personnes lors d’une cérémonie ou d’un rite, afin d'obtenir le secret de la richesse immense, aurait au moins pu penser qu’une telle sorcière doit connaître de merveilleuses légendes; mais de tout ce là n'existe aucune trace. Il est évident que l’idée ne lui a pas traversé l’esprit qu’il y avait derrière tout cela quelque chose de très intéressant.
Son livre, finalement, fait partie du grand nombre de livres sur les fantômes et la superstition depuis que le sujet est tombé en discrédit, et dans lesquels les auteurs se moquent de ce qu’ils considèrent comme vulgaire et erroné. Comme Sir Charles Coldstream, ils ont jeté un rapide coup d’œil dans le cratère de Vésuve après son éruption et n'y ont rien trouvé. Mais il y avait quelque chose; et le scientifique, que n’était pas Sir Charles, continue à faire des trouvailles dans les résidus, et l'antiquaire de Pompei ou d’Herculaneum continue à dire qu’il reste encore sept villes enfouies à déterrer. J'ai fait (bien peu il est vrai) ce que j’ai pu pour exhumer quelque chose du volcan éteint de la sorcellerie italienne.
Si c’est ainsi que la sorcellerie italienne est traitée par l'auteur le plus compétent qui l'a décrite, il n’est pas surprenant que peu s'inquiéteront de savoir s'il y a un véritable évangile des sorcières, qui est apparemment très ancien, c’est un corps de croyances d’une contre-religion étrange qui vient des temps préhistoriques jusqu’à nous. La « sorcellerie n’est que foutaises ou même pire» disent les anciens auteurs, « et tous les livres sur le sujet ne valent pas mieux. » Je crois sincèrement, que ces pages pourront tomber dans les mains de quelques-uns uns qui penseront autrement.
Je devrais, cependant, pour rendre justice à ceux qui explorent les voies sombres et surprenantes, expliquer clairement que le savoir sorcier est caché avec un soin scrupuleux et n’est conservé que par très peu en Italie, tout comme l’est le Chippeway Medas ou le Vaudou africain. Dans le roman sur la vie de I Settimani, un aspirant est représenté comme vivant avec une sorcière et acquérant ou reprenant difficilement, bribes après bribes, ses sorts et incantations pendant des années. Ainsi mon défunt ami M. Dragomanoff m'a dit qu’un homme en Hongrie, ayant appris qu'il avait rassemblé de nombreux sorts (publiés plus tard dans des journaux de folklore), les a volés dans la chambre de l’étudiant et les a copiés, ainsi l'année suivante quand Dragomanoff y est retourné, il a trouvé le voleur devenu magicien. En réalité il n'avait pas beaucoup d'incantations, à peine une douzaine, mais dans ce domaine on peut faire beaucoup avec peu et je pense pouvoir dire qu'il y a peu de sorcières en Italie qui en connaissent autant que ce que j'ai édité, dans la mesure où ce que j’ai assemblé assidûment vient d’un peu partout Tout ce qui est écrit sur ce sujet, est souvent détruit avec un soin scrupuleux par les prêtres ou les pénitents, ou les nombreux qui ont une crainte superstitieuse d'être dans la même maison que de tels documents, de sorte que je considère le sauvetage du Vangelo comme quelque chose qui est pour le moins remarquable.