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'''L'Après-midi d'un faune'''
''Poème de Stéphane Mallarmé''
''1876''


'''LE FAUNE'''
'''LE FAUNE'''
Ces nymphes, je les veux perpétuer.
Ces nymphes, je les veux perpétuer.


Si clair,
 
Si clair,
 
Leur incarnat léger, qu’il voltige dans l’air
Leur incarnat léger, qu’il voltige dans l’air
Assoupi de sommeils touffus.
Assoupi de sommeils touffus.


Aimai-je un rêve ?
 
Aimai-je un rêve ?
 


Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève
Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève
En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais
En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais
Bois mêmes, prouve, hélas ! que bien seul je m’offrais
Bois mêmes, prouve, hélas ! que bien seul je m’offrais
Pour triomphe la faute idéale de roses —
Pour triomphe la faute idéale de roses —


Réfléchissons…
Réfléchissons…


ou si les femmes dont tu gloses
 
ou si les femmes dont tu gloses
 
Figurent un souhait de tes sens fabuleux !
Figurent un souhait de tes sens fabuleux !
Faune, l’illusion s’échappe des yeux bleus
Faune, l’illusion s’échappe des yeux bleus
Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste :
Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste :
Mais, l’autre tout soupirs, dis-tu qu’elle contraste
Mais, l’autre tout soupirs, dis-tu qu’elle contraste
Comme brise du jour chaude dans ta toison ?
Comme brise du jour chaude dans ta toison ?
Que non ! par l’immobile et lasse pamoison
Que non ! par l’immobile et lasse pamoison
Suffoquant de chaleurs le matin frais s’il lutte,
Suffoquant de chaleurs le matin frais s’il lutte,
Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte
Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte
Au bosquet arrosé d’accords ; et le seul vent
Au bosquet arrosé d’accords ; et le seul vent
Hors des deux tuyaux prompt à s’exhaler avant
Hors des deux tuyaux prompt à s’exhaler avant
Qu’il disperse le son dans une pluie aride,
Qu’il disperse le son dans une pluie aride,
C’est, à l’horizon pas remué d’une ride,
C’est, à l’horizon pas remué d’une ride,
Le visible et serein souffle artificiel
Le visible et serein souffle artificiel
De l’inspiration, qui regagne le ciel.
De l’inspiration, qui regagne le ciel.




Ô bords siciliens d’un calme marécage
Ô bords siciliens d’un calme marécage
Qu’à l’envi des soleils ma vanité saccage,
Qu’à l’envi des soleils ma vanité saccage,
Tacites sous les fleurs d’étincelles, CONTEZ
Tacites sous les fleurs d’étincelles, CONTEZ
» Que je coupais ici les creux roseaux domptés
» Que je coupais ici les creux roseaux domptés
» Par le talent ; quand, sur l’or glauque de lointaines
» Par le talent ; quand, sur l’or glauque de lointaines
» Verdures dédiant leur vigne à des fontaines,
» Verdures dédiant leur vigne à des fontaines,
» Ondoie une blancheur animale au repos :
» Ondoie une blancheur animale au repos :
» Et qu’au prélude lent où naissent les pipeaux,
» Et qu’au prélude lent où naissent les pipeaux,
» Ce vol de cygnes, non ! de naïades se sauve
» Ce vol de cygnes, non ! de naïades se sauve
» Ou plonge…
» Ou plonge…
Inerte, tout brûle dans l’heure fauve
 
Inerte, tout brûle dans l’heure fauve
 
Sans marquer par quel art ensemble détala
Sans marquer par quel art ensemble détala
Trop d’hymen souhaité de qui cherche le la :
Trop d’hymen souhaité de qui cherche le la :
Alors m’éveillerais-je à la ferveur première,
Alors m’éveillerais-je à la ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Lys ! et l’un de vous tous pour l’ingénuité.
Lys ! et l’un de vous tous pour l’ingénuité.




Autre que ce doux rien par leur lèvre ébruité,
Autre que ce doux rien par leur lèvre ébruité,
Le baiser, qui tout bas des perfides assure,
Le baiser, qui tout bas des perfides assure,
Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure
Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure
Mystérieuse, due à quelque auguste dent ;
Mystérieuse, due à quelque auguste dent ;
Mais, bast ! arcane tel élut pour confident
Mais, bast ! arcane tel élut pour confident
Le jonc vaste et jumeau dont sous l’azur on joue :
Le jonc vaste et jumeau dont sous l’azur on joue :
Qui, détournant à soi le trouble de la joue,
Qui, détournant à soi le trouble de la joue,
Rêve, en un long solo, que nous amusions
Rêve, en un long solo, que nous amusions
La beauté d’alentour par des confusions
La beauté d’alentour par des confusions
Fausses entre elle-même et notre chant crédule ;
Fausses entre elle-même et notre chant crédule ;
Et de faire aussi haut que l’amour se module
Et de faire aussi haut que l’amour se module
Évanouir du songe ordinaire de dos
Évanouir du songe ordinaire de dos
Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos,
Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos,
Une sonore, vaine et monotone ligne.
Une sonore, vaine et monotone ligne.






Tâche donc, instrument des fuites, ô maligne
Tâche donc, instrument des fuites, ô maligne
Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m’attends !
Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m’attends !
Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps
Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps
Des déesses ; et, par d’idolâtres peintures,
Des déesses ; et, par d’idolâtres peintures,
À leur ombre enlever encore des ceintures :
À leur ombre enlever encore des ceintures :
Ainsi, quand des raisins j’ai sucé la clarté,
Ainsi, quand des raisins j’ai sucé la clarté,
Pour bannir un regret par ma feinte écarté,
Pour bannir un regret par ma feinte écarté,
Rieur, j’élève au ciel d’été la grappe vide
Rieur, j’élève au ciel d’été la grappe vide
Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide
Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide
D’ivresse, jusqu’au soir je regarde au travers.
D’ivresse, jusqu’au soir je regarde au travers.




Ô nymphes, regonflons des souvenirs divers.
Ô nymphes, regonflons des souvenirs divers.
» Mon œil, trouant les joncs, dardait chaque encolure
» Mon œil, trouant les joncs, dardait chaque encolure
» Immortelle, qui noie en l’onde sa brûlure
» Immortelle, qui noie en l’onde sa brûlure
» Avec un cri de rage au ciel de la forêt ;
» Avec un cri de rage au ciel de la forêt ;
» Et le splendide bain de cheveux disparaît
» Et le splendide bain de cheveux disparaît
» Dans les clartés et les frissons, ô pierreries !
» Dans les clartés et les frissons, ô pierreries !
» J’accours ; quand, à mes pieds, s’entrejoignent (meurtries
» J’accours ; quand, à mes pieds, s’entrejoignent (meurtries
» De la langueur goûtée à ce mal d’être deux)
» De la langueur goûtée à ce mal d’être deux)
» Des dormeuses parmi leurs seuls bras hazardeux :
» Des dormeuses parmi leurs seuls bras hazardeux :
» Je les ravis, sans les désenlacer, et vole
» Je les ravis, sans les désenlacer, et vole
» À ce massif, haï par l’ombrage frivole,
» À ce massif, haï par l’ombrage frivole,
» De roses tarissant tout parfum au soleil,
» De roses tarissant tout parfum au soleil,
» Où notre ébat au jour consumé soit pareil.
» Où notre ébat au jour consumé soit pareil.
Je t’adore, courroux des vierges, ô délice
Je t’adore, courroux des vierges, ô délice
Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse
Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse
Pour fuir ma lèvre en feu buvant, comme un éclair
Pour fuir ma lèvre en feu buvant, comme un éclair
Tressaille ! la frayeur secrète de la chair :
Tressaille ! la frayeur secrète de la chair :
Des pieds de l’inhumaine au cœur de la timide
Des pieds de l’inhumaine au cœur de la timide
Que délaisse à la fois une innocence, humide
Que délaisse à la fois une innocence, humide
De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.
De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.
» Mon crime, c’est d’avoir, gai de vaincre ces peurs
» Mon crime, c’est d’avoir, gai de vaincre ces peurs
» Traîtresses, divisé la touffe échevelée
» Traîtresses, divisé la touffe échevelée
» De baisers que les dieux gardaient si bien mêlée ;
» De baisers que les dieux gardaient si bien mêlée ;
» Car, à peine j’allais cacher un rire ardent
» Car, à peine j’allais cacher un rire ardent
» Sous les replis heureux d’une seule (gardant
» Sous les replis heureux d’une seule (gardant
» Par un doigt simple, afin que sa candeur de plume
» Par un doigt simple, afin que sa candeur de plume
» Se teignît à l’émoi de sa sœur qui s’allume,
» Se teignît à l’émoi de sa sœur qui s’allume,
» La petite, naïve et ne rougissant pas :)
» La petite, naïve et ne rougissant pas :)
» Que de mes bras, défaits par de vagues trépas,
» Que de mes bras, défaits par de vagues trépas,
» Cette proie, à jamais ingrate, se délivre
» Cette proie, à jamais ingrate, se délivre
» Sans pitié du sanglot dont j’étais encore ivre.
» Sans pitié du sanglot dont j’étais encore ivre.






Tant pis ! vers le bonheur d’autres m’entraîneront
Tant pis ! vers le bonheur d’autres m’entraîneront
Par leur tresse nouée aux cornes de mon front :
Par leur tresse nouée aux cornes de mon front :
Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre,
Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre,
Chaque grenade éclate et d’abeilles murmure ;
Chaque grenade éclate et d’abeilles murmure ;
Et notre sang, épris de qui le va saisir,
Et notre sang, épris de qui le va saisir,
Coule pour tout l’essaim éternel du désir.
Coule pour tout l’essaim éternel du désir.
À l’heure où ce bois d’or et de cendres se teinte
À l’heure où ce bois d’or et de cendres se teinte
Une fête s’exalte en la feuillée éteinte :
Une fête s’exalte en la feuillée éteinte :
Etna ! c’est parmi toi visité de Vénus
Etna ! c’est parmi toi visité de Vénus
Sur ta lave posant ses talons ingénus,
Sur ta lave posant ses talons ingénus,
Quand tonne un somme triste ou s’épuise la flamme.
Quand tonne un somme triste ou s’épuise la flamme.
Je tiens la reine !
Je tiens la reine !


Ô sûr châtiment…


Non, mais l’âme
Ô sûr châtiment…
 
 
Non, mais l’âme
 
 
De paroles vacante et ce corps alourdi


De paroles vacante et ce corps allourdi
Tard succombent au fier silence de midi :
Tard succombent au fier silence de midi :
Sans plus il faut dormir en l’oubli du blasphème,
Sans plus il faut dormir en l’oubli du blasphème,
Sur le sable altéré gisant et comme j’aime
Sur le sable altéré gisant et comme j’aime
Ouvrir ma bouche à l’astre efficace des vins !
Ouvrir ma bouche à l’astre efficace des vins !




Couple, adieu ; je vais voir l’ombre que tu devins.
Couple, adieu ; je vais voir l’ombre que tu devins.

Version actuelle datée du 17 janvier 2015 à 13:00

L'Après-midi d'un faune

Poème de Stéphane Mallarmé

1876


LE FAUNE

Ces nymphes, je les veux perpétuer.


Si clair,

Leur incarnat léger, qu’il voltige dans l’air

Assoupi de sommeils touffus.


Aimai-je un rêve ?


Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève

En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais

Bois mêmes, prouve, hélas ! que bien seul je m’offrais

Pour triomphe la faute idéale de roses —


Réfléchissons…


ou si les femmes dont tu gloses

Figurent un souhait de tes sens fabuleux !

Faune, l’illusion s’échappe des yeux bleus

Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste :

Mais, l’autre tout soupirs, dis-tu qu’elle contraste

Comme brise du jour chaude dans ta toison ?

Que non ! par l’immobile et lasse pamoison

Suffoquant de chaleurs le matin frais s’il lutte,

Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte

Au bosquet arrosé d’accords ; et le seul vent

Hors des deux tuyaux prompt à s’exhaler avant

Qu’il disperse le son dans une pluie aride,

C’est, à l’horizon pas remué d’une ride,

Le visible et serein souffle artificiel

De l’inspiration, qui regagne le ciel.


Ô bords siciliens d’un calme marécage

Qu’à l’envi des soleils ma vanité saccage,

Tacites sous les fleurs d’étincelles, CONTEZ

» Que je coupais ici les creux roseaux domptés

» Par le talent ; quand, sur l’or glauque de lointaines

» Verdures dédiant leur vigne à des fontaines,

» Ondoie une blancheur animale au repos :

» Et qu’au prélude lent où naissent les pipeaux,

» Ce vol de cygnes, non ! de naïades se sauve

» Ou plonge…

Inerte, tout brûle dans l’heure fauve

Sans marquer par quel art ensemble détala

Trop d’hymen souhaité de qui cherche le la :

Alors m’éveillerais-je à la ferveur première,

Droit et seul, sous un flot antique de lumière,

Lys ! et l’un de vous tous pour l’ingénuité.


Autre que ce doux rien par leur lèvre ébruité,

Le baiser, qui tout bas des perfides assure,

Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure

Mystérieuse, due à quelque auguste dent ;

Mais, bast ! arcane tel élut pour confident

Le jonc vaste et jumeau dont sous l’azur on joue :

Qui, détournant à soi le trouble de la joue,

Rêve, en un long solo, que nous amusions

La beauté d’alentour par des confusions

Fausses entre elle-même et notre chant crédule ;

Et de faire aussi haut que l’amour se module

Évanouir du songe ordinaire de dos

Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos,

Une sonore, vaine et monotone ligne.



Tâche donc, instrument des fuites, ô maligne

Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m’attends !

Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps

Des déesses ; et, par d’idolâtres peintures,

À leur ombre enlever encore des ceintures :

Ainsi, quand des raisins j’ai sucé la clarté,

Pour bannir un regret par ma feinte écarté,

Rieur, j’élève au ciel d’été la grappe vide

Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide

D’ivresse, jusqu’au soir je regarde au travers.


Ô nymphes, regonflons des souvenirs divers.

» Mon œil, trouant les joncs, dardait chaque encolure

» Immortelle, qui noie en l’onde sa brûlure

» Avec un cri de rage au ciel de la forêt ;

» Et le splendide bain de cheveux disparaît

» Dans les clartés et les frissons, ô pierreries !

» J’accours ; quand, à mes pieds, s’entrejoignent (meurtries

» De la langueur goûtée à ce mal d’être deux)

» Des dormeuses parmi leurs seuls bras hazardeux :

» Je les ravis, sans les désenlacer, et vole

» À ce massif, haï par l’ombrage frivole,

» De roses tarissant tout parfum au soleil,

» Où notre ébat au jour consumé soit pareil.

Je t’adore, courroux des vierges, ô délice

Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse

Pour fuir ma lèvre en feu buvant, comme un éclair

Tressaille ! la frayeur secrète de la chair :

Des pieds de l’inhumaine au cœur de la timide

Que délaisse à la fois une innocence, humide

De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.

» Mon crime, c’est d’avoir, gai de vaincre ces peurs

» Traîtresses, divisé la touffe échevelée

» De baisers que les dieux gardaient si bien mêlée ;

» Car, à peine j’allais cacher un rire ardent

» Sous les replis heureux d’une seule (gardant

» Par un doigt simple, afin que sa candeur de plume

» Se teignît à l’émoi de sa sœur qui s’allume,

» La petite, naïve et ne rougissant pas :)

» Que de mes bras, défaits par de vagues trépas,

» Cette proie, à jamais ingrate, se délivre

» Sans pitié du sanglot dont j’étais encore ivre.



Tant pis ! vers le bonheur d’autres m’entraîneront

Par leur tresse nouée aux cornes de mon front :

Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre,

Chaque grenade éclate et d’abeilles murmure ;

Et notre sang, épris de qui le va saisir,

Coule pour tout l’essaim éternel du désir.

À l’heure où ce bois d’or et de cendres se teinte

Une fête s’exalte en la feuillée éteinte :

Etna ! c’est parmi toi visité de Vénus

Sur ta lave posant ses talons ingénus,

Quand tonne un somme triste ou s’épuise la flamme.

Je tiens la reine !


Ô sûr châtiment…


Non, mais l’âme


De paroles vacante et ce corps alourdi

Tard succombent au fier silence de midi :

Sans plus il faut dormir en l’oubli du blasphème,

Sur le sable altéré gisant et comme j’aime

Ouvrir ma bouche à l’astre efficace des vins !


Couple, adieu ; je vais voir l’ombre que tu devins.