L’épiphanie : gâteaux, fertilité et mauvais esprits

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L’épiphanie : gâteaux, fertilité et mauvais esprits

Véro


L’Epiphanie est en quelque sorte le dernier jour de la petite année (les 12 jours), ou bien encore le soir d’une journée représentée par ces 12 jours (Noël serait le matin, Nouvel An le midi).

C’est à cette occasion qu’on élit le Roi. Cette tradition, bien que présente aussi en Angleterre, est surtout populaire en France. Et particulièrement dans l’est de la France.

Elle nous vient des corporations. Le 6 janvier elles se réunissaient et élisaient un roi éphémère avec le système de la fève. C’était le « malchanceux » qui payait le banquet. Ceci dura jusqu’à la Révolution. Mais dès 1421 les autorités de Colmar interdirent cette élection. Détail amusant, le « roi » avait en fait un titre différent selon les corporations. Par exemple, en 1436, à Sélestat, il y avait le Roi des vignerons, l’Empereur des pêcheurs, le Pape des paysans. En 1541 à Eguisheim il y avait trois rois : celui des enfants, celui des adolescentes et celui des adolescentes. Ces jeunes faisaient des défilés qui parfois troublaient l’ordre public. En général après qu’il y ait eu des problèmes entre deux bandes de gamins les parents s’y mettaient à leur tour et ça finissait en bagarre générale. De toute manière les élections chez les adultes étaient toujours suivies de beuveries et de ripailles. Ces dernières pour mettre toutes les chances de son côté pour que l’abondance soit présente tous les jours à venir.

Une tradition ancienne en Lorraine voulait que toute la famille se réunisse autour de la table, illuminée par une lampe suspendue. Si l’une quelconque des têtes des personnes présentes n’a pas son ombre sur le mur, c’est le signe qu’il ou elle mourra dans l’année. Puis le roi choisit sa reine, et ils se voient donner la place d’honneur à table. A chaque fois qu’ils portent leur verre à la bouche tous crient « le Roi boit, la Reine boit ». Le lendemain un énorme gâteau est partagé entre tous par le plus jeune convive. La première part est mise de côté pour « le Bon Dieu », la seconde pour la « Sainte Vierge » (elles seront données au premier individu qui frappera à leur porte). Celui qui trouvera la fève sera le nouveau Roi (ou la nouvelle Reine) et il devra inviter toute la compagnie à un banquet le dimanche suivant.

Lors d’une conférence j’ai entendu que la fève/légume avait été remplacée quelque part au Moyen Age par une fève en faïence parce que trop souvent les Rois préféraient l’avaler plutôt que de se voir couronner et de payer le festin.. Cette tradition du gâteau des rois remonte à très loin. Déjà au 13ème siècle les moines du Mont Saint Michel élisaient ainsi leur Roi. Il occupait un siège spécial aux trois messes de la journée.

Le même genre de tradition se retrouve toutefois en Hollande et en Allemagne. Et même en Italie.

A quoi peut on rapporter ce Roi ? Peut être au Roi des Saturnales de la Rome Antique ? Quant à la fève, elle semble avoir été un légume sacré dans les temps anciens. Déjà dans la Rome antique elle était associée aux esprits des morts (lémures). Pour s’en protéger on jetait des fèves derrière soi (par dessus son épaule gauche ?) Une histoire dit que le philosophe Pythagore, fuyant devant une armée ennemie arriva devant un champ de fève, et refusa d’aller plus loin, de peur d’écraser les plants. Ceci permit sa capture.

En 1850 une croyance populaire interdisait que durant les 12 jours on mange des fèves ou des haricots. On risquait sinon d’attraper des maladies de peau.

Dans l’Europe de l’Est il n’y a pas d’élection de Roi, mais il y a des traditions tournant autour de gâteaux. En Macédoine il y a le gâteau de saint Basile, partagé le soir du Nouvel An. C’est un genre de brioche dans laquelle on cache une pièce d’argent et une petite croix en brindilles vertes. Le gâteau est partagé, les premières parts revenant à St Basile, ou à la Sainte Vierge ; la seconde part est pour l’habitation ; la suivante pour le troupeaux et les animaux domestiques. Enfin on partage le reste. Celui qui trouvera la pièce ou la croix, prospérera durant l’année. A la fin du repas la table est poussée dans un coin, avec les restes du festin afin que St Basile puisse venir se servir. Il semblerait que l’Eglise l’ait « choisi » pour remplacer les âmes des défunts.

Dans le Herefordshire on fait un gâteau en forme de couronne, après le repas le maître de maison remplit une coupe avec de la bière et la boit, face à son meilleur bœuf, partageant plus ou moins un toast avec lui. Chaque invité fait de même avec un autre bœuf, l’appelant par son nom. A la fin le gâteau est passé sur l’une des cornes du premier bœuf.

En Alsace, au 18ème siècle les boulangers offraient les galettes à leurs clients. Mais dès 1828 ils décident de les vendre. Cela commença par Colmar, suivie l’année suivante par Strasbourg.

Une autre tradition est en rapport avec les arbres, pour honorer leur esprit et se garantir une bonne récolte à venir. Selon les endroits, ont boit du cidre et verse le reste du verre au pied de l’arbre, ou bien on dépose un morceau de pain sur ses racines. Au Tyrol c’est le soir de la Saint Thomas, après que les filles aient mis à cuire les gâteaux de Noël, elles vont au verger, les mains encore pleines de pâte, et entourent de leurs bras les troncs des arbres fruitiers. Ailleurs on se contente de danser autour d’eux ou bien on leur demandera carrément une bonne récolte. On peut même aller jusqu’à les menacer d’une hache si la récolte précédent n’a pas été suffisante. Le rapport avec l’Epiphanie ? ? ? la magie de fertilité. En Angleterre c’est le soir du 5 janvier que le fermier et ses servants se réunissent dans un champ semé de blé, où brûlent 13 feux, l’un plus grand que les 12 autres. Les gens forment un cercle autour de ces brasiers et tous boivent un verre de cidre à la future récolte. Puis, ceci fait, ils retournent à la ferme et festoient. Ils mangent des gâteaux qu’ils trempent dans le cidre. Les treize feux seraient une représentation du Christ et de ses douze apôtres. D’autres traditions incluant treize feux ont lieu ailleurs à l’Epiphanie.

Parfois ce ne sont que 12 flammes, comme à Leitrim où on couvre une planche avec de la bouse de vache. On y plante 12 bougies chacune représentant une personne présente. Selon la vitesse où elle se consumeront, on saura si la vie de celui qu’elles représentent sera plus ou moins longue. A la fin on fait une boule avec la bouse et la cire restante et on la place au dessus du portail de l’étable pour protéger le troupeau.

Après 1164, lorsque les reliques prétendues des Rois Mages eurent été rapportées de Milan à Cologne, ces trois personnages remplacèrent la Sainte Perchta jusque là fêtée le 6 janvier. Mais on n’efface pas aussi aisément les traces des anciennes croyances. Ainsi dans certaines régions de l’est des Alpes il y a une tradition qui perdure : le Berchtenlaufen. 200 à 300 femmes, étrangement masquées, avec des cloches, des fouets et toutes sortes d’armes, font un défilé en criant . On en trouve une trace écrite, en 1616 à Nuremberg, garçons et filles couraient alors dans le village et frappaient à toutes les portes (sans doute pour éloigner les mauvais esprits). Dans une localité près de Partenkirchen trois femmes seulement défilaient, la tête couverte de sacs de toile de lin, avec des trous pour les yeux et la bouche, l’une portait une chaîne, l’autre un râteau et la troisième un balai. Elles allaient de maison en maison, frappaient la porte avec la chaîne, passaient un coup de râteau sur l’allée et faisaient du bruit en donnant des coups de balai. Là encore on peut aisément penser qu’il s’agit d’éloigner les mauvais esprits.

La Perchta est si effrayante qu’elle est devenue une menace pour les enfants pas sages. On la dit sorcière, qui peut prendre la forme d’une crapaud, d’une vieille femme sans tête, en manteau tigré, et j’en passe. On dit qu’elle parcourt les airs assise sur un balai, et entre dans les maisons par la cheminée (elle laisse d’ailleurs parfois des traces de pas dans la cendre). Elle a des yeux comme des soucoupes et de très longues dents, elle est cannibale, elle porte des gantelets de fer. Elle enlève les enfants et les emmène sur son balai, il est arrivé qu’on retrouve les disparus, morts, dans la neige. Parfois on ne les retrouve pas du tout…

C’est pour lui ressembler que les femmes qui défilent le 5 janvier au soir se passent le visage à la suie, laissent pendre leurs cheveux et portent de grands chapeaux noirs, à larges bords. Il arrive même qu’elles se cachent un œil pour avoir l’air borgne. Dans la main droite elles portent un panier, dans la gauche un grande fourchette à deux dents sur laquelle sont piquées des saucisses. Quand elles entrent dans les maisons elles jettent, pour les enfants, des noix, ou des fruits secs qu’elles prennent dans leur panier. A leur vue les petits ont promis d’être sages, disent quelques prières apprise dans ce but. Si toutefois elles savent qu’ils ont été des garnements durant l’année elles ne leur laisseront que des navets ou des pommes de terre, et les piqueront un peu avec leur grande fourchette.

La croyance populaire voudrait que Berchta soit la fille du Roi Herode, et c’est parce qu’elle a demandé la tête de St Jean qu’elle a été transformée en cette horrible créature.

Dans certaines régions d’Allemagne on laisse sur la table du pain et des nouilles farcies à son attention. Si au matin elle les a prises l’année sera fructueuse.

Dans certains village on met en scène une chasse à la Perchta. Un jeune homme se déguise en vieille femme et court dans les rues, poursuivi par les autres, munis de cloches. A chaque porte elle frappe et appelle. La course traverse et contourne le village, va jusque dans les champs, les bois, cela protègera le village, le bétail, éloignera les loups, les ours et les mauvais esprits. On pense aussi que la Perchta représente l’hiver, qu’il faut chasser à présent.