Les Plantes d’Hécate
Les Plantes d’Hécate
S.Deste & D.Rankine
Lorsqu’on parle d’Hécate on fait aussi souvent référence aux plantes de mort comme les poisons et les plantes funéraires. De même ses prêtresse (ou filles) Médée et Circé étaient particulièrement associées avec la « pharmakeia », la magie des plantes, des drogues et des poisons. Mais en dépit de longues listes que l’on peut trouver dans des ouvrages païens contemporains, il n’y a que peu de preuves historiques venant de la Grèce et la Rome antiques en plus de celles citées ci-après de liens entre Hécate et des plantes spécifiques. De nombreuses attributions modernes semblent être des plantes liées à la mort ou ayant des propriétés psychoactives (les plantes qualifiées de « plantes sorcières »). Cela n’invalide pas le lien, cela en fait juste un ajout récent plutôt qu’une connexion antique.
Apollonios de Rhodes mentionne de nombreuses plantes dans « Les Argonautiques » comme poussant dans le jardin d’Hécate. Nous ne les avons listées ici uniquement lorsqu’on en trouve d’autres références ailleurs pour être certain qu’il y avait un lien plutôt qu’une simple licence poétique :
Au fin fond de l’enceinte il y avait un bosquet sacré, ombragé par des arbres fleurissant. Parmi eux il y avait de nombreux lauriers et cornouillers et de grands platanes. L’herbe était tapissée de plantes basses avec des racines robustes. La célèbre asphodèle, le beau cheveux de Vénus, la juncaceae, le galangal, la verveine délicate, la sauge, l’herbe aux chantres, le chèvrefeuille pourpre, la lavande officinale, le basilic des champs, la mandragore, le pouliot de montagne, ainsi que la fraxinelle duveteuse, le safran odorant, le thym, il y a aussi la prénanthe poupre, la salspareille, la camomille, le pavot noir, l’alcua, la brunelle, l’hellébore blanche, l’aconit et bien d’autres plantes toxiques poussent sur le sol. Au milieu il y un chêne au tronc robuste avec des branches qui s’étendent dans le ciel sur tout le bosquet. Sur une longue branche de ce chêne, il y a la toison d’or, sur laquelle veille un terrible serpent.
L'Aconit
L’une des plantes dont on sait le plus qu’elle était associée à Hécate est l’aconit (aussi appelée herbe-aux-loups ou casque de Jupiter). Diodore de Sicile a écrit qu’elle a été découverte par Hécate et testée sur des étrangers pour en découvrir son dosage. Il attribue des origines mortelles à Hécate tout en disant qu’elle est la mère de Circée et de Médée. On pensait que l’aconit avait été créée par la salive qui était tombée par terre des bouches des trois têtes de Cerbère le chien des Enfers lorsqu’il avait été traîné à la lumière du jour par le demi-dieu Hercule.
Ebène
Nous pouvons suggérer que le bois noir de l’ébène a été associé à Hécate à cause des portes à trois battants en ébène qui permettent l’accès à son jardin. L’ébène était particulièrement associée aux Enfers et à l’Hermès Chtonien. On y fait référence dans les Papyrus Magiques Grecs où on peut lire : « Je connais aussi ton bois : l’ébène. »
L’Ail
L’ail était l’une des substances offertes à Hécate lors du « deipnon » « le souper d’Hécate ». Depuis l’Egypte Antique, l’Ail avait la réputation d’être une plante conjurant le mauvais sort et apportant une protection contre les morts-vivants. Le naturaliste grec Théophraste fait référence à l’ail au carrefour dans son « Des Caractères » où il décrit l’Homme Superstitieux comme quelqu’un qui :
si d’aventure il voit quelqu’un qui se régale d’ail à un carrefour, il s’en ira, versera de l’eau sur sa tête et convoquera les prêtresses en leur disant de porter une jacinthe ou un coquelicot autour de lui pour le purifier.
La Mandragore
La présence de la mandragore dans le jardin d’Hécate dans « Les Argonautiques » n’était pas une surprise. Au quatrième siècle avant notre ère, dans « Recherches sur les plantes » Théophraste a décrit comment on traçait trois cercles autour de la mandragore avec une épée de fer avant de la cueillir ce qui fait penser aux pratiques contemporaines de rites nécromantiques et chtoniens. Au premier siècle de notre ère l’historien juif Flavius Josèphe a parlé de la mandragore dans l’un de ses textes et a été le premier à prescrire l’usage d’un chien pour déterrer la racine. Voilà l’origine de l’idée selon laquelle le chien est tué par le cri de la mandragore.
« Ils creusent tout autour d’elle (la mandragore), ne laissant qu’une portion de la racine recouverte, puis ils y attache un chien et l’animal qui se précipite pour suivre la personne qui l’a attaché, la déterre facilement mais meurt instantanément à la place de celui qui projetait de déterrer la plante. »
Le sacrifice du chien pour avoir la racine (qui était appelée « baara »), son utilisation pour faire un anneau pour chasser le démon lorsqu’il est question de possession, font clairement penser aux pouvoirs d’Hécate. Porter un anneau de mandragore pour chasser le démon était spécifiquement associé à Salomon. Cet anneau était décrit comme fait d’acier et de cuivre (un autre alliage à base de cuivre ayant l’apparence du bronze et souvent utilisé comme alternative au bronze). Une conséquence de ce lien avec Hécate peut avoir été la croyance médiévale voulant que la mandragore fût encore plus puissante si on la recueillait à un carrefour.
Le Chêne
On a souvent fait référence à Hécate lorsqu’il était question de serpents et de feuilles de chêne, ainsi il est possible que cette plante puisse lui être sacrée (comme elle l’était pour Zeus). Au cinquième siècle avant notre ère le tragédien grec Sophocle l’a décrit ainsi :
Elle qui est couronnée de feuilles de chêne
Et des spirales de serpents sauvages.
Cela peut fort bien avoir inspiré Apollonios lorsque Jason dans « Les Argonautiques » conjure Hécate en utilisant la méthode que lui avait enseignée Médée :
l’effrayante déesse, venue des plus grandes profondeurs au sacrifice du fils d’Aeson. Autour d’elle il y avait d’horribles serpents qui s’enroulaient autour des branches du chêne.
Plus loin il y a un chêne au centre du jardin d’Hécate dans « Les Argonautiques » sur lequel était accrochée la Toison d’Or et son gardien le serpent, conservant le lien entre l’arbre et le serpent.
Le Safran
Le safran était associé à la fois avec Hécate et avec sa cousine Artémis (à son temple de Brauron). Dans l’Hymne Orphique à Hécate elle est décrite la « déesse des cieux vêtue de safran ». Dans « Les Argonautiques » le safran figure aussi parmi les plantes du jardin d’Hécate. L’expression « teinté de safran »est utilisée trois dans les Papyrus Magiques Grecs. Certains des titres dans les charmes sont aussi utilisés pour Hécate. Le nom Brimo était aussi utilisé deux fois dans l’association d’images avec des charmes.
L’If
L’if est souvent décrit comme sacré pour Hécate même s’il n’y a que peu d’éléments pour soutenir cela dans les textes si ce n’est une référence dans « La Thébaïde » de Stace : Qu’elle les guide avec des torches d’if en flamme, qu’elle donne trois coups de ses puissants serpents et que les têtes de Cerbère ne soient pas un obstacle pour ceux qui sont privés de lumière. Cette association entre Hécate et l’if vient probablement de la longue association entre l’if et la mort, comme en témoigne la référence dans « l’Enéide », lorsque la Reine Didon préparait son suicide : « Tristes cyprès, verveine et if, composent la couronne, et toute verdure funeste indique la mort. » Le lien entre Hécate et l’if a été mis en avant par Shakespeare dans « Macbeth » et tout particulièrement lorsque Hécate a dit aux sorcières : « avec la rosée fraîchement tombée des ifs de cimetière, je vais oindre puis je vais chevaucher. » En plus il y avait la référence faite aux « brins d’if, argentés sous l’éclipse de lune » jetés dans le chaudron par les sorcières dans la fameuse scène du chaudron dans la pièce.
Plantes Indéterminées
A la fois Circée et Médée étaient célèbres pour leur habileté légendaire avec les plantes. Circé utilisait sa connaissance des plantes, qu’elle tenait disait-on d’Hécate, pour punir et transformer ceux qui croisaient son chemin. On le voit dans l’histoire rapportant ce qu’elle a fait lorsque Glaucus lui a préféré la jeune Scylla. Circée a transformé Scylla en un monstre hideux après que Gladus se soit vanté de l’aimer quoi qu’il arrive :
« Elle a fait un breuvage de plantes et en le cuisant elle chantait à voix haute des chants que lui avait enseignés Hécate. Elle chantait d’une façon qui aurait fait trembler n’importe quel mortel. »
Médée a aussi utilisé son savoir pour se venger, en empoisonnant la robe de mariée de Glaucé, la jeune mariée que lui avait préféré Jason.
« Mes prières ont été exaucées : Hécate a aboyé trois fois et levé le feu maudit avec sa lumière sinistre. Maintenant tout mon pouvoir est rassemblé, ici appelle mes fils que par leurs mains tu puisses envoyer ces dons coûteux à la mariée. » D’autres personnages féminins furent heureux d’utiliser les plantes magiques et vénéneuses associées à Hécate. La déesse Athéna utilisa des plantes magiques pour transformer Arachné, une demoiselle fanfaronne, en araignée suite à sa perte d’un concours de tissage entre les deux femmes :
Et en s’en allant elle lui a aspergé son visage avec les suintements des plantes sombres d’Hécate.
Cueillette des Plantes
« Les Herboristes », l’une des pièces perdues de Sophocle, parle des pratiques utilisées par Médée pour cueillir des plantes. Les citations fragmentaires font part d’une utilisation d’outils en bronze, ce qui convient parfaitement à une prêtresse d’Hécate, le bronze étant son métal sacré. Il est également intéressant de noter que Médée était décrite comme étant nue ce qui semble être plus une licence poétique, elle a des yeux fous et elle hurle, plutôt qu’une pratique habituelle.
« Médée a reçu le jus laiteux, qui suinte de la coupe, pendant qu’elle détourne les yeux de sa main, elle recueille le jus dans des jarres en bronze ... Ces paniers en écorce protègent et masquent les extrémités des racines que Médée coupe avec une serpe de bronze tandis que elle était nue, hurlant et les yeux hagards. "
Une autre pièce perdue de Sophocle « Les Colchidiennes » contenait, disait-on, une invocation à Hécate où Circé démontrait son savoir faire en matière de magie des plantes. La serpette de bronze à laquelle il était fait référence était peut être un outil standard pour la cueillette des plantes, il y avait certainement un lien avec les sorts d’Hécate. Virgile y fait aussi référence dans « L’Eneide » lorsqu’il décrit Didon qui cueille des plantes pour préparer son suicide :
Elle cueille des simples cendrés, trouvés à la lumière de Phoebe et récoltés avec des serpettes de bronze au cœur de la nuit puis elle mélange le jus funeste dans le bol.
On trouve dans « Les Argonautiques » une autre description de cueillette de plantes lorsque Médée cueille les plantes qu’elle va utiliser pour aider Jason à surmonter son épreuve : « Son jus sombre, semblable à la sève d’un chêne de montagne, qu’elle avait recueilli dans un coquillage de la mer Caspienne pour en faire le charme, après s’être d’abord baignée dans sept cours d’eau et invoqué sept fois Brimo, la nourrice de la jeunesse, Brimo qui erre la nuit, Brimo des enfers, la reine parmi les morts, dans l’obscurité de la nuit, vêtue de vêtements sombres. Et en dessous, la terre noire a tremblé et hurlé lorsque la racine Titanesque a été coupée. »
Il est clair que les détails de la collecte de plantes devaient être bien connus de l’audience antique, ainsi les auteurs n’étaient pas obligés d’en préciser les détails.