Feraferia (Texte de Hanz Holzer)

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Feraferia

H. Holzer

Traduction Tof


« Bienvenu dans la demeure d’Ishtar » dit une voix douce mais excitée. Un léger accent la rend encore un peu plus incongrue, car je me tiens devant le seuil d’une modeste maison qui est desservie par un chemin ombragé à Pasadena. Nous étions à la Veille de la Toussaint en 1969. Cela faisait longtemps que j’attendais de rendre visite aux Feraferia, un coven païen unique adorant les traditions grecques antiques.

J’ai regardé dans une semi obscurité et j’ai vu que la voix était celle d’une belle femme aux cheveux sombres qui portait une robe vaporeuse de prêtresse. Le tissu était fin et l’on voyait sa peau blanche au travers. Un collier délicat et un couvre-chef, des amulettes, des bracelets, des bracelets de chevilles comme je n’en avais encore jamais vus auparavant complétaient son costume. La maison, une vieille construction très confortable quelque peu éloignée de la rue tranquille était idéalement implantée pour un rituel secret même si, comme je l’avais déjà appris, des voisins curieux trouveront toujours le moyen de perturber ce qu’ils ne peuvent comprendre ou à quoi ils ne peuvent participer. Lorsque j’ai rencontré pour la première fois les membres de la Feraferia tout était serein, la nuit était calme et chaude.

J’avais entendu parler de Fred Adams et de son groupe païen par un ami commun, Mark Robert de Dallas. Après quelques échanges de lettres avec Richard Stanewick, le président de la Feraferia, j’ai finalement été invité à leur rituel automnal. Fred et Richard sont tous deux artistes professionnels. Svetlana la compagne de Fred, la femme qui m’a accueilli de façon si séduisante à la porte aimait créer des bijoux. Tout ce qui touchait la Feraferia, comme je l’ai rapidement appris, était fabriqué par ses membres selon une méthode unique en s’inspirant d’anciens modèles et idéaux. La Feraferia se décrit elle-même comme « une culture de l’amour du monde sauvage » et des concepts écologiques sont au cœur de son enseignement bien avant que l’écologie devienne une préoccupation en Amérique, bien avant qu’un pays inquiet prenne finalement conscience qu’il devait préserver ce qui restait de notre héritage naturel. Fred Adams vit et respire la préservation et le retour à une façon naturelle de vivre, il plante de jeunes arbres, il œuvre à empêcher la destruction de quartiers de la ville ainsi qu’au nettoyage et à la purification de zones rurales. Tout cela est aussi important pour lui et pour son groupe que le rituel païen le plus engagé, puisqu’ils adorent la « fille magique », la déité symbolique représentant le principe féminin dans la nature, la création, l’étincelle intérieure.

La Feraferia n’utilise pas le mot sorcellerie pour se définir. C’est bien plus que cela. Là où la Wicca ou des groupes de sorcellerie orientés vers le masculin pratiquent leurs rites pour exprimer symboliquement leurs désirs et par des incantations tâchent de modifier les choses pour eux ou pour d’autres, la Feraferia dépasse le rituel. Elle agit sur ce qui représente la nature véritable. Il y a les ballades, lorsque la météo le permet, dans la nature, là où le groupe communie avec la nature. Il y a des tentatives de rendre à des lieux négligés leur aspect naturel et, en conséquence, même le rituel est bien plus réaliste et vivant que les rituels de tant de groupes intellectuellement inspirés par le paganisme.

Richard m’a convoqué à sept heure trente précise à l’Hôtel Continental à Hollywood. La route jusqu’à Pasadena a pris environ trente ou quarante minutes. Nous avons très peu parlé en chemin. A proximité de Pasadena Richard a dit : « Vous connaissez nos principes, n’est-ce pas ? » J’ai fait signe que oui, j’ai lu quelques textes sur le sujet et j’étais prêt à en apprendre plus de première main. Bien sur, je n’étais pas venu en total novice. Fred savait que j’avais déjà connu plusieurs initiations Païennes de haut niveau et que j’étais probablement familier avec les aspects liés à la Grèce Antique de son groupe puisqu’à la base j’étais un archéologue classique. Je ne savais bien sûr pas jusqu’à quel point je serais le bien venu ce soir. Après tout, ils savaient que j’allais écrire au sujet du groupe même si j’avais promis de ne rien dévoiler qui trahirait la confiance qu’ils m’accordaient. Il y a certains mots dans tous les rituels magiques qui ne doivent être divulgués qu’à un initié qui les entendrait pour la première fois. Mais il y a d’autres choses, particulièrement les descriptions visuelles de certains rituels, qui peuvent sans risque être divulguées aux étrangers, surtout si l’on souhaite en dire plus sur un culte peu connu que d’autres pourraient avoir envie d’étudier. « Vous n’avez pas d’attache n’est-ce pas ? » Dick poursuit : « Certains de nos rites se pratiquent nus. » Je n’étais pas particulièrement surpris puisque la plupart des groupes Wicca pratiquent aussi nus. J’ai appris depuis longtemps que nudité ne signifiait pas nécessairement vice.

Il y avait déjà six ou sept personnes assemblées dans le salon de « la maison d’Ishtar. » Les lampes n’étaient pas trop puissantes mais suffisamment tout de même pour dévoiler une collection incroyable d’objets couvrant littéralement chaque centimètre carré des murs de la pièce. Il y avait des dessins, des peintures, des statues, des objets rituels, des feuilles, des guirlandes, de petits autels – la plupart ayant été réalisés par Fred Adams lui-même. Tous ces objets allaient bien ensemble et transformaient la pièce en une sorte de temple. Le temple intérieur, comme je l’ai appris plus tard, était bien plus petit et plutôt différent. Parmi les objets d’art le long des murs, nombreux représentaient de superbes jeunes femmes, puisque le « jardin magique » de ce culte est une jeune fille d’environ vingt-trois ans plutôt que la Déesse Mère un peu plus mature des autres cultes sorciers.

Dans la Feraferia tout est vibrant et orienté vers l’amour. La Feraferia n’a pas de rituel négatif. Alors que dans la Wicca il y a des incantations et des sorts pour se protéger des ennemis ou d’êtres humains malfaisants, la Feraferia n’a rien de tel. Ce groupe croit que seule la force positive les protègera. Dans la Feraferia, toutes les activités rituelles tournent autour du calendrier de la Grèce antique basé sur treize mois lunaires de vingt huit jours chacun. Chaque moment est soigneusement inclus par Fred Adams dans un calendrier subtil et complexe qu’il a conçu lui-même. Le secret principal de ce groupe Païen est d’être en parfait accord avec ce qui se passe dans la nature, de trouver le bon moment pour ce qu’on veut entreprendre, de le faire sous de bons auspices et de ne pas se contenter de jeter un rapide coup d’oeil à l’horoscope. Cela va bien plus loin que ce que fait normalement un astrologue. Une relation rythmique avec les propres mouvements internes de la terre est le but ultime des hommes et des femmes de la Feraferia. Ainsi, leur vie s’harmonise avec la nature et ils croient en une immersion totale, un accomplissement total et une façon de vivre différente de la vie citadine destructrice et mauvaise pour la santé dont Fred et ses amis estiment qu’elle est la cause de nombreuses maladies d’aujourd’hui.

A part la prêtresse dont l’habillement semble demander une plus grande préparation, les autres sont encore dans leurs « vêtements de tous les jours ». Il y avait un couple d’une communauté voisine, qui était des amis de Fred, un médecin local, une femme qu’il avait emmenée, une jeune fille avec de longs cheveux sombres qui semblait déjà connaître tout le monde, Fred, Dick et moi. J’étais la seule personne étrangère lors de cette rencontre. En tout il y avait neuf personnes, cinq hommes et quatre femmes. L’air de la pièce était chargé d’encens et les conversations allaient librement alors que ces personnes se saluaient et se racontaient ce qu’elles avaient fait depuis leur dernière rencontre.

A neuf heure précise, Fred a réclamé l’attention de tous : « Nous allons commencer » expliqua-t-il. « Les dames peuvent se changer dans la chambre à coucher, les messieurs dans la cuisine. » Rapidement les deux sexes se sont rendus dans leur « vestiaire » respectif et un peu plus tard tous sont réapparus, portant des tenues blanches. Je n’avais pas prévu de tels vêtements, ainsi Fred de façon fort aimable m’en a prêtés. Les tenues sont conservées dans le temple et comme certains membres du groupe n’étaient pas venus ce soir il y avait une tenue en réserve de disponible.

Après être retournés au salon on nous a demandé de nous coucher sur le sol, nos têtes se touchant, nos jambes tournées vers l’extérieur formant ainsi une étoile. En fixant le plafond, nous avons tenté tous ensemble une projection astrale. En réalité il s’agissait d’une sorte de relaxation collective, ce qui nous a permis d’oublier nos problèmes quotidiens et d’essayer de nous lier les uns aux autres, formant une partie d’une communauté plus grande. Je ne pense pas m’être envolé au plafond et être passé par la fenêtre comme on m’avait dit de faire mais j’ai expérimenté un sentiment calme de relaxation et ce fut un sentiment agréable un peu comme si on embrassait quelqu’un qu’on venait de rencontrer, mais sans la sensation d’être proche d’un étranger.

Ce fut suivi par des exercices respiratoires de yoga qui ont encore renforcé notre relaxation. Alors que nous étions assis par terre sur ce qui s’est révélé être une roue calendaire méticuleusement gravée, Fred s’est rendu à un petit autel dans un coin où il fut rejoint par Svetlana. Devant l’effigie de la fille magique, la déesse féminine Ishtar, ou Astar, le couple ecclésiastique a entonné la prière rituelle proprement dite où l’on demande à la déesse d’être présente lors de notre cérémonie.

A la gauche de l’autel il y avait une icône représentant Kore, le nom grec de la « fille magique » du monde sauvage alors que de l’autre côté il y avait une icône du même genre honorant Kouros, sa contrepartie masculine, le « jeune homme magique » du monde sauvage. Entre eux il y avait un symbole d’Awiya, aussi appelé Korythalia, le grand arbre du cosmos. Selon l’interprétation de la Feraferia, cet arbre est le siège de Sophia que Frederick Adams appelle « la déesse noire du mystère incommensurable, qui unit Kore et Kouros dans un amour, une danse, un jeu, un accomplissement du rêve sans fin ». En plus de ces représentations symboliques, à l’est de l’autel il y avait un instrument de musique représentant l’air, au sud un encensoir représentant le feu, un pilon et un mortier avec de la terre dedans représentant la terre à l’ouest, un récipient avec de l’eau placé au nord, quelques cailloux au centre représentant l’omphalos – ce qu’Adams appelle le « nombril de la terre-ciel » à la signification rituelle – une cloche pour appeler les esprit de la nature et finalement, par terre devant l’autel, divers talismans ou charmes pour marquer les quatre directions.

Un mouvement rituel particulier fut exécuté, presque une danse, devant l’autel pour débuter le rite. Ce mouvement est appelé « phytala » et se fait en commençant par joindre les paumes de ses mains puis de lever les mains au dessus de sa tête, de les écarter et de les ramener devant son plexus solaire inférieur, de laisser pendre ses mains de chaque côté du corps puis pour finir de les relever, paumes vers l’extérieur en signe de bénédiction. Dans cette posture un chant tonal est entonné : « fille magique, fille magique, evoe Kore, evoe Kouros, Awiya. » Evoe signifie « Salut ! » Il y a un autre chant en l’honneur de Kore qui peut aussi être chanté lors de cette occasion ainsi qu’à d’autres :

« O fille sacrée de l’étincelle inopinée, de la brume qui se lève et de l’écho singulier, la générosité innocente des arbres préserve ta chair féerique de frénésie, de merveille, de magie, de gaieté et d’amour. Ta beauté scelle notre union avec toute vie. La danse de ta verte pulsation fait sortir tous les corps de leur gangue de terre. »

De toute évidence tous avaient déjà participé à une telle cérémonie car ils répondaient immédiatement avec leur propre : « Evoe Kore, evoe Kouros, Awiya ! Salut, fille sacrée, salut garçon sacré, salut, grande dame du cosmos vivant, de la frénésie et de l’amour éternels. » Maintenant le prêtre nous indique de nous lever et de les suivre, lui et la prêtresse, à l’extérieur dans le jardin où nous procèderons à une cérémonie en plein air. Un par un nous passons par la porte arrière de la maison, descendons quelques marches et pénétrons dans un grand jardin derrière la maison. Légèrement penchés les arbres fruitiers laissent la place à un sanctuaire en plein air soigneusement bâti. « Voila notre Nemeton de nature » explique Fred alors que nous marchons derrière lui. Un peu comme un Stonehenge miniature, le sanctuaire formé de pierres marquant des moments spécifiques du calendrier. En fait, ce sanctuaire était surtout une reproduction du cosmos, dessinée à l’échelle et soigneusement tracée pour que chaque pas ait une signification parallèle en termes de nature, de cosmos et du calendrier.

Il commençait maintenant à faire plus froid et notre vêtement léger n’était plus suffisant pour nous éviter de frissonner, mais l’excitation de voir se dérouler un rituel de la Grèce antique, précisément comme il était conduit autrefois en Crète mille ans avant notre ère, éloignait la sensation de froid.

Comme il s’agissait de la fête de Samhain, plus connue sous le nom d’Hallowe’en, les incantations appropriées devaient être faites pour cette saison de l’année. Le Nemeton représente le cosmos dans son ensemble. Le chemin marquant la frontière autour du Nemeton représente l’horizon de la terre vue du centre, si quelqu’un se tenait là et regardait au loin.

Après avoir invoqué la déesse et les quatre directions et nous être, en un sens, dédiés à une communion avec l’esprit de la nature, une communion qui s’exprime dans cette cérémonie, nous rentrons dans la maison et nous rassemblons dans le salon. Fred et Svetlana nous ont laissé quelque temps pour préparer le temple, car la partie la plus importante de la soirée était encore à venir.

Pendant les dix ou quinze minutes suivantes nous avons parlé du besoin de sauver ce qui subsistait comme nature autour de Los Angeles du fait du développement de l’industrie et de la pollution. Fred est ensuite réapparu et nous a demandé de le suivre. Le temps des Mystères allait arriver.

Dans la Grèce antique, la sorcellerie, ou plutôt le culte religieux à Artémis, à la Diane du monde Celte et à Dionysos, l’office était appelé Mystères, non dans le sens d’histoire mystérieuse comme aujourd’hui, mais plus proche du mot mysticisme comme nous l’entendons de nos jours.

Certaines choses sont cachées et dévoilées à l’initié au moment adéquat. D’autres doivent rester dissimulées pour toujours. Pénétrer les Mystères est une expérience graduelle et émotionnelle. Dans un groupe aussi uni que la Feraferia même les pas préalables n’étaient pas possible avant que l’initié ait été correctement préparé par l’étude et surtout en comprenant la signification rituelle inhérente à la Feraferia.