Sorcières ?
Sorcières ?
Elliot Rose
Traduction Tof
De nos jours peu de personnes sont des sorcières ou alors si elles le sont, elles ne sont souvent pas prêtes à l’admettre. C’est bien dommage, non seulement parce qu’il y a bien des occasions où de nos jours une sorcière serait utile, mais aussi parce que cela signifie que pour la plupart d’entre nous il est impossible de trouver quoi que ce soit sur la sorcellerie par le biais de témoignages certains et directs. A vrai dire, lorsqu’il n’y a pas, pour des raisons pratiques, de sorcières et que tout ce qui et écrit sur elles est si vague, contradictoire ou hypothétique, nous n’avons même pas un clou pour y accrocher le mot « sorcière ». A défaut d’un tel clou, le mot est libre d’errer, et il erre, dans toutes les directions, à un point tel – et je parle par expérience – que dans une bibliographie lorsque deux livres sont placés l’un après l’autre, on n’est jamais certain qu’ils parlent vraiment du même sujet.
La même chose s’applique au mot « magie » et on ne pourra nier qu’il faudra définir ce que l’on entend par ces deux mots avant de traiter de la sorcellerie…
Ce que l’on peut prouver au sujet des sorcières, ou de toute autre chose, dépend de comment les termes sont définis. Lorsque l’utilisation commune d’un mot est imprécise, il est possible de prouver tout ce qu’on veut en se contentant de donner au mot une définition rapide et rigide. Mon propos ici n’est pas de prouver quoi que ce soit, mais de m’intéresser avec un esprit ouvert à la signification du mot sorcière (si le mot à bien une signification).
Le mot « sorcière » a été utilisé autrefois lorsque pratiquement tout le monde croyait en la sorcellerie ainsi qu’à une époque où pratiquement personne ne croyait en la sorcellerie. Le mot a été utilisé par des personnes plus ou moins éduquées et plus ou moins intelligentes. Les personnes les plus instruites furent souvent celles qui avaient le moins de connaissances en matière de sorcellerie. On a utilisé ce mot avec gravité ainsi que pour se moquer et notre compréhension du mot découle de tout cela. Pour les érudits les errements de ce mot ne se sont pas arrêtés ici. Les anthropologues l’ont exporté aux quatre coins du monde, les archéologues ont envoyé ce mot dans le passé le plus lointain. Le mot n’est pas ma propriété ni mon invention et je peux difficilement m’aventurer à le définir mais s’il n’est pas défini il évoque les voyages aériens et infernaux sur des balais de la sous-littérature, le caquètement des vieilles sorcières et les gibets.
Pour résoudre ce dilemme je propose de ne traiter qu’une fraction du sujet. Tout d’abord je me confinerai au « complexe culturel » d’Europe Occidentale, c’est une convenance, le mot « sorcière » a de nombreuses significations, mais les mots witch, hexe ou strega peuvent tous traduire « sorcière ». L’unité culturelle de l’Europe Occidentale est assez forte pour assurer que même si la sorcellerie a évolué énormément dans cet espace, dans le temps et géographiquement, les mêmes personnes auraient été considérées comme sorcières et la plupart des traditions à leur sujet qu’elles soient populaires ou littéraires qu’on retrouve dans toute l’Europe Occidentale furent répétées, mélangées et répandues.
Lorsque nous lisons des textes parlant de sorcellerie dans d’autres cultures nous ne pouvons être sûrs de rien. Les Bantu et les Babyloniens n’utilisaient pas notre mot « sorcière », les chercheurs modernes ont affirmé qu’ils l’auraient fait s’ils avaient parlé français. C’est une affirmation assez logique et l’idée derrière la magie primitive montre des similitudes remarquables dans le monde entier, mais il s’agit là d’une généralisation qui ne peut se vérifier dans le détail.
(…)
Dans les communautés empreintes de superstitions des gens tout à fait ordinaires, et pas uniquement des sorcières, emploient les formes les plus simples de magie et il ne s’agit que de « sorcellerie » faute de meilleur mot. Avec cette magie et avec les fées également il y a un lien mental commun via la « superstition » mais nous ne pouvons nous permettre de tracer aussi largement nos catégories. Si les sorcières n’étaient que de simples personnes qui connaissaient des charmes et des présages que tout le monde connaissait, alors tout le monde était plus ou moins sorcière. S’il s’agissait de personnes en contact avec les elfes et les lutins, alors personne n’était sorcière. Dans les deux cas il y a problème.
Je m’intéresse aux sorcières qui peuvent avoir existé et dont de non-sorcières pensent des choses qui peuvent être vraies mais qui ne sont pas clairement exactes. Dans ces limites et dans les frontières de l’Occident Européen, le problème principal saute aux yeux. Qu’est-ce qui se cache derrière la grande peur inspirée par les sorcières lors de la Renaissance et de la Réforme.
Bien sur, on ne peut répondre qu’à une moitié de la question à la fois. Nous devons nous demander si les victimes de cette chasse aux sorcières ont réellement employé une magie malveillante. D’un autre côté il est certain que dans toutes les sociétés ignorantes à toutes les époques et parmi elles celle des villages d’Europe au Moyen Age, ainsi que plus tard, certains se sont servi de la crédulité de leurs voisins et probablement aussi la leur en prétendant détenir un savoir et un pouvoir surnaturel.
Hommes et femmes, mais surtout des femmes semble-t-il, ont fait un commerce lucratif de sortilèges et de charmes ou menaçaient de s’en servir pour satisfaire leur malveillance. Un expert en folklore qui rencontrerait une telle personne et gagnerait sa confiance pourrait en apprendre beaucoup sur la manière de penser de cette communauté particulière, mais l’existence de la sorcière, dans cette acception, est historiquement sujette à controverse. On a bien pensé qu’elle a toujours existé et cela peut suffire à la situer dans le temps. Ses pratiques peuvent avoir varié d’une époque à l’autre – elles ont certainement largement varié d’un lieu à l’autre mais ces variations se firent sans réflexion ni pensée. La sorcière elle-même n’a pas énormément changé. De ce point de vue la sorcellerie ne montre pas d’évolution, ce n’est pas une institution qui a progressé dans la culture où elle se trouvait m ais un fait permanent qui se manifeste de façons variables. Le changement est naturel, seul le changement qui peut être perçu comme un développement est un matériau pour l’Histoire.