« Mariage traditionnel russe » : différence entre les versions

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* La veille du mariage, on répand du foin dans l'isba et les chambres, dans les maisons des deux fiancés, pour prévenir toute sorcellerie.
* La veille du mariage, on répand du foin dans l'isba et les chambres, dans les maisons des deux fiancés, pour prévenir toute sorcellerie.
== Cortège nuptial ==
* Lors de l'habillage pour le mariage, les fiancés glissent dans leurs bottes des graines de lin ; ils mettent à même le corps une ceinture tressée spécialement pour cette circonstance. Ou bien on enroule autour d'eux des morceaux de filets pour repousser les sorciers ; on fixe des aiguilles ou des épingles dans leurs vêtements. Tout ce qui comporte des nœuds, tout ce qui est piquant ou acéré est efficace contre le mauvais oeil : on fixait à la robe de la fiancée des épingles sans tête, des aiguilles sans chas. Chez les citadins, on cousait des aiguilles dans l'ourlet de sa robe pour protéger la fiancée du mauvais oeil, ou bien on fichait dans le chambranle de la porte que franchirait le cortège deux grosses aiguilles ou deux clous entrecroisés. Les aiguilles sans chas étaient plantées par l'intérieur dans le bas de la jupe de la fiancée (on faisait sauter le chas avec les dents, afin de supprimer toute possibilité pour un mauvais sort de s'y retenir). Le nombre des aiguilles relevé varie entre 3, 8, 9 ou 10. Chez les artisans, la fiancée fixait à sa jupe de dessous un morceau de ses premières coutures, ou s'enroulait autour de la taille son premier ouvrage filé ; par endroits on appelait cela учебная пряжа, sa première "oeuvre" d'apprentie au métier à tisser. Tout ce qu'elle avait su pour la première fois réaliser sans aide extérieure était censé détenir une force spéciale, susceptible de la protéger du mauvais oeil et d'éloigner la maladie. Dans la noblesse on utilisait beaucoup les amulettes, ou talismans (талисман) ; le jour de la proclamation des bans, la mère lui remettait en secret un talisman qu'elle devait absolument porter sur elle au moment de la bénédiction nuptiale. On se transmettait ainsi de génération en génération amulette (ладанка), pendentif, anneau avec cachet. On mettait un couteau (parfois des ciseaux) dans la poche du fiancé. Tous deux devaient porter des habits neufs.
* Dans les campagnes on portait une grande attention à tous les rites entourant les différents cortèges, c'est à dire les trajets, départs et arrivées des participants à la noce (trajet du fiancé jusqu'au domicile de la fiancée, départ de la maison de la fiancée pour l'église, retour de l'église à la maison du marié) : "barrière" devant le cheval du fiancé (преграждение дороги), fermeture du portail (запирание ворот), péage ou "vente" du portail (продажа ворот), rachat de la place auprès de la fiancée (откуп места), etc. Le bruit, et l'ambulation, en portant un objet pieux, sont les protections les plus pratiquées. En général le družka ou compagnon de noce et ses acolytes (полудружка, поддружье) décoraient le cortège avec des fleurs et toujours des clochettes, dont le bruit devait éloigner les mauvais esprits. De même au départ du cortège pour l'église, on multipliait les actes de [[magie apotropaïque]] : lamentation des amies de la mariée, triple ambulation (à pied ou à cheval) du družka autour du cortège, coups de knout, coups de fusil en l'air... Les futurs mariés se rendaient à l'église dans des voitures différentes (mais dans le même cortège). En ville, les mariés allaient à l'église par des cortèges différents. Lorsque le cortège partait pour l'église, le družka, chargé de protéger les fiancés des ensorceleurs et autres, et de dégager la route de tout danger, faisait le tour du cortège un cierge en main, donnant des coups de fouet et disant : "Moi, serviteur de Dieu ..., je me lèverai, en me signant, et je m'en irai en faisant le signe de croix ; je me laverai à une eau glacée de source, m'essuierai à une fine serviette ; je m'envelopperai d'atours, me ceindrai de l'aurore pourpre, m'entourerai de la lune claire, m'environnerai de nombreuses étoiles et m'éclairerai du beau soleil. J'édifierai autour de moi et de ma compagnie un rempart de fer, un sol ferme, un ciel d'acier, afin que nul ne puisse le traverser d'une balle, du levant au couchant, du nord au sud, ni hérétique, ni sorcier, bon ou mauvais, quiconque se nourrit de pain en ce monde. Ma tête est un coffre, ma langue, un cadenas". Puis, détachant du cierge quelques morceaux de cire, il devait les coller sur les croix des membres du cortège et sur les crinières des chevaux.
* On balayait la route devant les cortèges, par mesure de protection. Cela se fait toujours avec un balai de branches feuillues. On invitait dans certains villages un sorcier, ou gardien (сторож), qui conjurait ainsi les éventuels mauvais sorts. Sinon, c'était la mère du fiancé qui balayait. On mentionne souvent la présence de ce gardien chargé des divers rites magiques (запуки) opposés à la force impure (balayer la route, essuyer la sueur de la fiancée...). Le gardien balayait à la sortie de la maison, pour protéger la fiancée de boules de poils de chien ou de chat, facilement "ensorcelables".
* Souvent, des sorciers malveillants immobilisaient les chevaux du cortège au départ pour l'église : ils mettaient une patte d'ours ou un morceau de sa fourrure près de la route (dans la mythologie slave, l'ours a des rapports complexes et contradictoires avec la force impure ; ou encore, ils lançaient dans la voiture de la fiancée, dans le foin, ou sous le siège des futurs mariés, pendant que les invités étaient dans la maison, une cosse contenant neuf petits pois, et, en en frappant trois fois l'arrière train du cheval limonier, ils devaient dire l'incantation suivante : "Вот тебе, сивой, десять четвертей гороху, сват да сваха, жених да невеста, да порчу большое место, а ты стой да постой, с места не тронь, отныне и до веку, аминь" (Tiens, Grison, petits pois en cosse, marieur et marieuse de noce, fiancé et fiancée, mauvais sort lancé ; toi, reste là, ne bouge pas, maintenant et à jamais, amen). Il fallait retourner tout le foin pour retrouver cette cosse, sinon les chevaux ne partaient pas.
* On prête aussi des vertus magiques aux graines de lin : dans le nord de la Russie on croit que pour nuire aux mariés, il faut leur jeter des graines de lin au lieu d'orge (inversement, dans la région de Jaroslavl', cette pratique passe pour une conjuration du mauvais sort (оберег).
* A l'arrivée à la maison du marié, le gardien balayait de nouveau la route. Pendant tout le rituel de l'accueil des mariés (встреча), les invités et les voisins restaient dehors. Le portail ne s'ouvrait que quand la mariée était à table. Avant l'entrée des invités, on emmenait parfois les mariés pour les nourrir dans une pièce à part. La mariée se changeait, puis on l'installait à gauche du marié. Puis on laissait entrer les invités.
* Enfin, dans les maisons (fermes) traditionnelles, les attelages composant le cortège pénétraient jusque sous la galerie d'accès à la partie habitation de l'isba, afin qu'aucun sorcier ne puisse s'interposer, ou jeter le mauvais oeil. Le portail refermé immédiatement ne se rouvrait aux invités et badauds que lorsque les fiancés (ou mariés) avaient pénétré dans la maison.





Version actuelle datée du 18 janvier 2015 à 18:31

Depuis la demande en mariage -début officiel des rites nuptiaux- jusqu'au dernier banquet (et même plus tard encore), le rite de mariage russe est émaillé d'opérations et d'oraisons magiques qui ont perduré jusque dans les années 1920, et qui sont intéressantes à plus d'un titre : elles sont un des meilleurs témoins de la perception qu'avaient du mariage les paysans russes et les milieux attachés à la tradition ; elles reflètent leur vision du monde dans ses aspects magiques, religieux, fantastiques ; enfin elles constituent une illustration de cette "double foi" (двоеверие), mélange de croyances chrétiennes et païennes, qui à l'époque contemporaine suscite tout particulièrement l'intérêt des ethnologues.[1]


Divinations et intercessions prénuptiales

  • La période prénuptiale est particulièrement sujette aux pratiques de divination, les jeunes filles cherchant à connaître l'identité de leur futur époux et ses qualités. Certaines pratiques urbaines sont réalisées individuellement. A la campagne, il existe des pratiques divinatoires de groupe, comme les "chansons de plat" (подблюдные гадания). Les périodes les plus propices sont les veilles de Noël et du Jour de l'an, la veille de la Saint-Jean (périodes-frontières de l'année : passage à l'hiver, à l'été, cycle du soleil) ; également la Trinité, le jeudi avant la Pentecôte (fête du printemps), Pâques, la Saint-André, la Sainte-Parascève, l'Intercession ; l'heure : à minuit ou à l'aube ; les lieux de prédilection : près de l'eau, d'un puits; à un carrefour ; dans un local (bergerie, cabane de bains, isba vide) ; près d'un poële, près d'un dépôt d'ordures (les ordures ou la poussière balayée étant liées au culte des ancêtres, ou des esprits tutélaires). Certaines conditions doivent être respectées: pratiquer sans être vu, sans parler, nu ou en chemise, les cheveux dénoués...[2]

"Chansons de plat" contemporaines :

Exemples d'incantation magique (заклинание) :

  • A dire sur des déchets de la rue rassemblés en cachette dans un coin de l'isba : Гоню я в избу свою молодцов, не воров, наезжайте ко мне женихи с чужих дворов. ("J'amène chez moi des beaux garçons, pas des voleurs, venez à moi, prétendants des autres fermes")
  • Lancer une chaussure par la porte : le fiancé viendra du côté où elle pointe. Tendre l'oreille dans le silence : le fiancé arrivera d'où vient le bruit (aboi, choc).
  • Mettre dans un verre d'eau un blanc d'oeuf ou de la cire fondue, et deviner d'après la forme qu'ils prennent : si c'est la forme d'un cierge, d'un édifice ou d'un anneau, il y aura mariage. S'ils tombent au fond, l'intéressée restera longtemps fille.
  • Prendre une poignée de neige et observer les menus détritus qui s'en dégagent quand elle fond.
  • Mettre un animal (souvent un coq, une poule) devant de la nourriture (différents tas préparés par différentes jeunes filles ou nourritures diverses: grain et eau, etc) : on tire des déductions selon le comportement de l'animal.
  • Pratiques utilisant la kutia (кутья), gâteau béni lors de certaines fêtes religieuses ou en mémoire des défunts : en mettre un morceau sous son oreiller permet de voir le fiancé en rêve ; on peut aussi sortir avec un morceau dans la main et prêter l'oreille aux premiers bruits que l'on perçoit. Dans la région de Kostroma on pratique "les semailles de la kut'ja" (посевание кутьей) : on en prélève un morceau en cachette le soir de Noël, on l'émiette devant la porte le Jour de l'an en disant : "Суженый-ряженый, приходи пшеницу собирать'" (Bien-aimé, viens moissonner chez moi).
  • Pratiques utilisant les crêpes, particulièrement dans la région du Polesje : la jeune fille s'empare de la première crêpe cuite, sort la crêpe roulée dans une serviette sous son bras, et observe la première personne rencontrée, les premières paroles dites. Autre variante, on donne la crêpe à un animal et on observe son comportement.
  • Dans l'eau, on cherche à voir le visage du futur ; à Kostroma, la veille de l'Epiphanie, on l'observait dans un trou pratiqué dans la glace. La surface réfléchissante de l'eau se voit parfois remplacée par un miroir. Autres utilisations de l'eau : un verre d'eau sur lequel la jeune fille pose un "pont" (brindille, paille) en disant : "Суженый-ряженый, переведи меня через мост" (Bien-aimé, fais-moi franchir le pont). Le puits, réel ou représenté par quatre brindilles en forme de carré ou une petite maquette entourant un récipient, est le centre de diverses pratiques : on sème près de lui, on prélève de son eau, on le place (maquette) près de son lit...
  • Les filles à marier devinent encore avec des miroirs, des anneaux, des plumes d'oiseaux ou, caractéristique des villes, des feuilles de papier sur lesquelles sont inscrites des réflexions sur le mariage : coutume héritée de l'usage, au XIXe siècle dans les milieux de marchands et de la petite bourgeoisie, de livres de divination.
  • On tire aussi les cartes ; en général, les intéressées, surtout les jeunes filles déjà promises par leurs parents, s'adressent en cachette à des tireuses de cartes spécialisées. Dans les villes, on pouvait encore acheter à des marchands ambulants (продавцы счастья, marchands de bonheur) des petits billets tirés au hasard, portant des dictons ou des proverbes sur de grands thèmes : bonheur, richesse, amour, mariage, etc.


L'intercession des saints

  • Pour s'assurer un bon mari les jeunes filles recourent aussi à une forme particulière de "garanties" ; elles invoquent des saints réputés pour leurs pouvoirs matrimoniaux : l'Intercession (Покров), et sainte Parascève ou Prascovie (Параскева Пятница). Le nom de la fête de l'Intercession, Покров, a été interprété dans la piété populaire comme le nom d'un saint. Les deux fêtes sont propices aux femmes et aux jeunes filles ; les saints correspondants sont protecteurs des travaux féminins, de l'accouchement des mariages. Pokrov était censé favoriser les mariages, croyance qui avait donné lieu à toutes sortes de superstitions. Si, le jour de Pokrov, il ventait beaucoup, cela présageait une forte demande de jeunes filles à marier. Ce jour-là aussi, chaque jeune fille se faisait un devoir d'aller à l'église mettre un cierge devant l'icône de Pokrov, et celle qui était la première à l'église serait aussi la première à se marier"
  • Les jeunes filles pouvaient aussi faire offrande d'une serviette votive (обыденное полотенце) à l'icône de la Vierge pour trouver un bon fiancé.


Rites prénuptiaux

Concernant les marieurs et marieuses :

  • La demande en mariage (сватовство) concentre un grand nombre de pratiques héritées de croyances ou de magie populaires. La négociation est toujours d'importance, car la fille accordée en mariage représente le transfert, dans les campagnes, d'une force de travail ; dans les milieux aisés, d'un patrimoine financier plus ou moins notable. D'où l'importance du choix du -ou des- intermédiaire(s) : marieur ou marieuse (сват, сваха), et les précautions à observer pour mener à bien cette ambassade.
  • On évite de faire une demande en mariage le mercredi et le vendredi, ainsi que le 13 du mois ; les jours impairs sont considérés comme favorables.
  • En Russie du Nord (Пинега, Мезень, Печора), les marieurs vont obligatoirement en voiture attelée -même si leur but est proche- et à la nuit tombante. Dans la voiture, on étend une peau de bête (mouton, élan, ours...)
  • Le marieur en route pour faire sa demande évite de rencontrer qui que ce soit ou d'adresser la parole à quiconque. Avant d'entrer dans la maison de la jeune fille, il touche le chambranle, puis essaie discrètement de toucher le pied de la table, et de s'asseoir juste sous la poutre maîtresse. Dans la région de Murom, la marieuse, en entrant, touchait d'abord le poêle. Deux emplacements dans l'isba, sièges des divinités tutélaires du foyer, jouent un rôle important dans le rituel de la demande en mariage de la plupart des régions: la poutre maîtresse (матица), et le poêle. Les marieurs ne doivent pas pénétrer au-delà de la poutre principale : "Au regard jeté par la marieuse sur la poutre maîtresse, les maîtres de maison devinent tout de suite dans quel but elle vient chez eux". Dans la région de Vologda, le marieur secouait la porte ; à Uftjug, dans le Verxovje , il secouait la table. En arrivant à la maison, la marieuse pose le pied sur la première marche du perron et dit : "Comme mon pied est solide et fort, de même mes paroles seront solides et insistantes, plus solides que la pierre, plus insistantes que la colle et la résine de pin, plus incisives que le couteau d'acier; ce que je déciderai, que cela se réalise". Puis elle franchit le seuil du pied droit.
  • En de nombreuses régions, notamment celle de Jaroslavl', le marieur ou la marieuse ne doit en aucun cas s'asseoir; certains se mettent à genoux. Tout le temps qu'ils usent de leur éloquence, vantant le fiancé, ils restent debout, même si on les invite avec insistance à s'asseoir, à boire ou à manger ; car s'ils s'asseyaient, les enfants issus du couple projeté commenceraient à marcher très tard ; s'ils buvaient, les enfants deviendraient des buveurs, s'ils mangeaient, des goinfres.
  • Dans la province de Vladimir, la marieuse s'entoure la taille d'une corde, pour "entortiller " l'affaire (опутать дело), et le futur beau-père. Dans la région de Moscou (Можайский уезд), elle s'entoure d'un filet de pêche ou d'une entrave pour les chevaux.
  • Dans la région de Pskov (Холмский уезд), la mère du prétendant ôte sa ceinture et en frappe le dos du marieur en disant : "Не я бью, удача бьет !" (Ce n'est pas moi qui te frappe, c'est le succès !). Lorsqu'il sort, un membre de la famille jette sous ses pieds une pelisse (la fourrure est toujours symbole de richesse).
  • Zelenin cite un rite de la région de Rjazan' mentionné dans les archives de la Société de Géographie pour le milieu du XIXe siècle : avant le départ de la marieuse pour sa mission, on la fait asseoir sur une table dont on a attaché les pieds avec une ceinture, puis, quand elle sort, on lui lance dans le dos un vieux chausson de tille (les vieux vêtements renvoient presque toujours à d'anciens sacrifices d'intercession aux ancêtres).
  • Pendant le discours des marieurs, la future fiancée remue les braises, ou monte sur le poêle ; si, sur leur demande, elle en descend, elle exprime par là son accord. Il existe une coutume qui consiste, en partant pour faire la demande, à emporter avec soi une brique prise au poêle du futur fiancé, ou à y remuer les braises. En arrivant chez la fiancée, la marieuse se chauffe les mains au poêle, gage de réussite, ou bien elle touche le poêle, comme on l'a vu. Le bois (table, chambranle) a souvent le même rôle.


Les parents :

  • Lors de la fixation de l'accord (рукобитье), le père de la jeune fille allume un cierge, tous se lèvent, on ferme la porte au crochet : à chaque épisode important, on veille à ce qu'aucun passant susceptible d'avoir le "mauvais oeil" ne puisse observer la scène.
  • Plus tard dans le scénario nuptial, lors de la visite de la fiancée (смотрины), la réunion se termine par une prière, et une triple ambulation des parents des fiancés autour de la table (хождение "круг стола"), symbole et gage d'issue heureuse et d'accord général. Parfois, et notamment en ville, demande (svatovstvo), visite de la fiancée (смотрины), et accords (сговор) se terminent tous par un triple tour de table.
  • Au moment de la fixation de l'accord (рукобитье), les deux pères allument un cierge et prient. Ils se frappent dans les mains en les couvrant avec un pan de leur vêtement (ou des moufles, ou l'extrémité de leurs manches: on ne se touche pas à mains nues pour ne pas risquer de vivre dans le dénuement).
  • Parfois il y a partage d'un gâteau (сгибень) : le marieur ou la marieuse fait se donner la main droite aux deux pères. Le gâteau est rompu au-dessus des mains, une moitié va au père du fiancé, l'autre au père de la fiancée. Ici se glisse un présage : on observe quelle part est la plus grosse : celui qui la reçoit aura davantage de force, de bonheur, de santé... Les fiancés doivent garder les morceaux jusqu'au mariage, et les manger juste après la cérémonie : le fiancé mange la part de la fiancée, et vice versa.


La toilette de la fiancée :

  • La toilette de la fiancée (баня) est un des rites ayant conservé le plus de pratiques de magie populaire. A Novgorod, on signalait au XIXe siècle une coutume, qu'on rattache à une très ancienne tradition de faire boire aux futurs maris de l'eau du bain de leur fiancée: dans le bain, les jeunes filles essuyaient la fiancée avec un morceau de pain d'épice qu'elles faisaient parvenir ensuite au fiancé. Dans les années 1960-1970 subsistait encore la coutume, pour les amies, de se baigner dans l'eau utilisée par la fiancée, de se servir de son savon, ou de sa serviette, mais avec pour seule valeur celle de "porte-bonheur".
  • Dans certains villages de la région de Vologda, la fiancée se rendait au bain accompagnée d'une guérisseuse (знахарка). Celle-ci recueillait avec un mouchoir pressé ensuite au-dessus d'un récipient la sueur de la jeune fille, qui serait mêlée à la bière servie au fiancé. La fiancée pouvait aussi revêtir, encore en sueur, la chemise et le pantalon destinés à être offerts au fiancé. Une troisième variante consistait à laver le visage de la fiancée avec de la bière que devrait boire le fiancé. Ces différentes pratiques visaient à consolider le lien entre les jeunes mariés. En voici un résumé d'après une des sources les plus détaillées : les jeunes filles rassemblées chantent, la fiancée se lamente, on demande aux parents l'autorisation de chauffer la maisonnette de bain. Un peu plus tard, la meilleure amie de la fiancée s'arrange pour entraîner celle-ci dans la maisonnette sans être remarquée. Dans la vapeur, la fiancée recueille sa sueur dans un petit sachet. Puis elle réapparaît chez elle comme si de rien n'était, et remet discrètement le sachet à son père, qui en transvase le contenu dans deux verres. Le premier verre est confié par la jeune fille à son père, pour être mêlé au vin qui sera offert au fiancé, le deuxième est remis à la mère pour être mêlé à la pâte des gâteaux qu'on servira au fiancé. Ce rituel secret terminé, la départ officiel pour le bain a lieu.


Protection des fiancés :

  • Pendant tout le déroulement du rite de fixation des fiançailles ou accords (сговор, образование), la fiancée (ou bien elle et une pleureuse) est couverte d'un grand foulard cachant son visage, "pour qu'on ne lui jette pas le mauvais oeil" ("чтобы не сглазили"): pendant toute la période du mariage, qui commence vraiment à ce moment-là, on croit que les intéressés sont particulièrement la cible de sorciers ; dans les rassemblements occasionnés par les festivités, plus d'un passant, surtout étranger au village, pourrait avoir le "mauvais oeil", d'un seul regard infliger des maladies ou maux divers. A partir de la fixation des fiançailles, pendant toute la semaine précédant le mariage, la fiancée ne quitte pas le foulard qui lui cache le visage, même pour dormir (en fait, elle le relève au-dessus du front, mais le baisse dès qu'arrive un visiteur, et se met à réciter des complaintes). Lors des visites du fiancé, dans certaines régions, la fiancée ne montre jamais son visage en présence de celui-ci, elle reste assise voilée et récite des complaintes, entourée de ses amies.
  • Dans le Nord de la Russie, les hommes de la famille du fiancé ne se déplacent qu'à cheval, le parrain du fiancé (тысяцкий), et les futurs garçons d'honneur ou compagnons de noce (дружки) annoncent le mariage dans le village. Les chevaux sont ornés de clochettes (comme la lumière vive, le bruit effraye les esprits mauvais). Le fiancé ne va nulle part sans sa compagnie (дружина). Quant à la fiancée, elle ne sort pas seule, on la protège du fiancé (on interprète souvent cela comme un vestige inconscient du mariage par rapt).
  • Durant toute la période précédant le mariage, on considère comme absolument nécessaire pour la fiancée de pleurer, pour ne pas avoir à pleurer dans sa vie ultérieure de femme (on ne concevait pas un mariage sans marques de désespoir de la fiancée tout au long de la phase de "détachement" du rite).
  • La veille du mariage, on répand du foin dans l'isba et les chambres, dans les maisons des deux fiancés, pour prévenir toute sorcellerie.


Cortège nuptial

  • Lors de l'habillage pour le mariage, les fiancés glissent dans leurs bottes des graines de lin ; ils mettent à même le corps une ceinture tressée spécialement pour cette circonstance. Ou bien on enroule autour d'eux des morceaux de filets pour repousser les sorciers ; on fixe des aiguilles ou des épingles dans leurs vêtements. Tout ce qui comporte des nœuds, tout ce qui est piquant ou acéré est efficace contre le mauvais oeil : on fixait à la robe de la fiancée des épingles sans tête, des aiguilles sans chas. Chez les citadins, on cousait des aiguilles dans l'ourlet de sa robe pour protéger la fiancée du mauvais oeil, ou bien on fichait dans le chambranle de la porte que franchirait le cortège deux grosses aiguilles ou deux clous entrecroisés. Les aiguilles sans chas étaient plantées par l'intérieur dans le bas de la jupe de la fiancée (on faisait sauter le chas avec les dents, afin de supprimer toute possibilité pour un mauvais sort de s'y retenir). Le nombre des aiguilles relevé varie entre 3, 8, 9 ou 10. Chez les artisans, la fiancée fixait à sa jupe de dessous un morceau de ses premières coutures, ou s'enroulait autour de la taille son premier ouvrage filé ; par endroits on appelait cela учебная пряжа, sa première "oeuvre" d'apprentie au métier à tisser. Tout ce qu'elle avait su pour la première fois réaliser sans aide extérieure était censé détenir une force spéciale, susceptible de la protéger du mauvais oeil et d'éloigner la maladie. Dans la noblesse on utilisait beaucoup les amulettes, ou talismans (талисман) ; le jour de la proclamation des bans, la mère lui remettait en secret un talisman qu'elle devait absolument porter sur elle au moment de la bénédiction nuptiale. On se transmettait ainsi de génération en génération amulette (ладанка), pendentif, anneau avec cachet. On mettait un couteau (parfois des ciseaux) dans la poche du fiancé. Tous deux devaient porter des habits neufs.
  • Dans les campagnes on portait une grande attention à tous les rites entourant les différents cortèges, c'est à dire les trajets, départs et arrivées des participants à la noce (trajet du fiancé jusqu'au domicile de la fiancée, départ de la maison de la fiancée pour l'église, retour de l'église à la maison du marié) : "barrière" devant le cheval du fiancé (преграждение дороги), fermeture du portail (запирание ворот), péage ou "vente" du portail (продажа ворот), rachat de la place auprès de la fiancée (откуп места), etc. Le bruit, et l'ambulation, en portant un objet pieux, sont les protections les plus pratiquées. En général le družka ou compagnon de noce et ses acolytes (полудружка, поддружье) décoraient le cortège avec des fleurs et toujours des clochettes, dont le bruit devait éloigner les mauvais esprits. De même au départ du cortège pour l'église, on multipliait les actes de magie apotropaïque : lamentation des amies de la mariée, triple ambulation (à pied ou à cheval) du družka autour du cortège, coups de knout, coups de fusil en l'air... Les futurs mariés se rendaient à l'église dans des voitures différentes (mais dans le même cortège). En ville, les mariés allaient à l'église par des cortèges différents. Lorsque le cortège partait pour l'église, le družka, chargé de protéger les fiancés des ensorceleurs et autres, et de dégager la route de tout danger, faisait le tour du cortège un cierge en main, donnant des coups de fouet et disant : "Moi, serviteur de Dieu ..., je me lèverai, en me signant, et je m'en irai en faisant le signe de croix ; je me laverai à une eau glacée de source, m'essuierai à une fine serviette ; je m'envelopperai d'atours, me ceindrai de l'aurore pourpre, m'entourerai de la lune claire, m'environnerai de nombreuses étoiles et m'éclairerai du beau soleil. J'édifierai autour de moi et de ma compagnie un rempart de fer, un sol ferme, un ciel d'acier, afin que nul ne puisse le traverser d'une balle, du levant au couchant, du nord au sud, ni hérétique, ni sorcier, bon ou mauvais, quiconque se nourrit de pain en ce monde. Ma tête est un coffre, ma langue, un cadenas". Puis, détachant du cierge quelques morceaux de cire, il devait les coller sur les croix des membres du cortège et sur les crinières des chevaux.
  • On balayait la route devant les cortèges, par mesure de protection. Cela se fait toujours avec un balai de branches feuillues. On invitait dans certains villages un sorcier, ou gardien (сторож), qui conjurait ainsi les éventuels mauvais sorts. Sinon, c'était la mère du fiancé qui balayait. On mentionne souvent la présence de ce gardien chargé des divers rites magiques (запуки) opposés à la force impure (balayer la route, essuyer la sueur de la fiancée...). Le gardien balayait à la sortie de la maison, pour protéger la fiancée de boules de poils de chien ou de chat, facilement "ensorcelables".
  • Souvent, des sorciers malveillants immobilisaient les chevaux du cortège au départ pour l'église : ils mettaient une patte d'ours ou un morceau de sa fourrure près de la route (dans la mythologie slave, l'ours a des rapports complexes et contradictoires avec la force impure ; ou encore, ils lançaient dans la voiture de la fiancée, dans le foin, ou sous le siège des futurs mariés, pendant que les invités étaient dans la maison, une cosse contenant neuf petits pois, et, en en frappant trois fois l'arrière train du cheval limonier, ils devaient dire l'incantation suivante : "Вот тебе, сивой, десять четвертей гороху, сват да сваха, жених да невеста, да порчу большое место, а ты стой да постой, с места не тронь, отныне и до веку, аминь" (Tiens, Grison, petits pois en cosse, marieur et marieuse de noce, fiancé et fiancée, mauvais sort lancé ; toi, reste là, ne bouge pas, maintenant et à jamais, amen). Il fallait retourner tout le foin pour retrouver cette cosse, sinon les chevaux ne partaient pas.
  • On prête aussi des vertus magiques aux graines de lin : dans le nord de la Russie on croit que pour nuire aux mariés, il faut leur jeter des graines de lin au lieu d'orge (inversement, dans la région de Jaroslavl', cette pratique passe pour une conjuration du mauvais sort (оберег).
  • A l'arrivée à la maison du marié, le gardien balayait de nouveau la route. Pendant tout le rituel de l'accueil des mariés (встреча), les invités et les voisins restaient dehors. Le portail ne s'ouvrait que quand la mariée était à table. Avant l'entrée des invités, on emmenait parfois les mariés pour les nourrir dans une pièce à part. La mariée se changeait, puis on l'installait à gauche du marié. Puis on laissait entrer les invités.
  • Enfin, dans les maisons (fermes) traditionnelles, les attelages composant le cortège pénétraient jusque sous la galerie d'accès à la partie habitation de l'isba, afin qu'aucun sorcier ne puisse s'interposer, ou jeter le mauvais oeil. Le portail refermé immédiatement ne se rouvrait aux invités et badauds que lorsque les fiancés (ou mariés) avaient pénétré dans la maison.







Evocations dans l'art

Evocation des rites de mariage de l'ancienne Russie par Stravinsky, dans le ballet "Les Noces" :


Articles connexes

Mariage


Sources

<references>